1972/1975 Monica…
Depuis la seconde guerre mondiale les constructeurs Français ont désertés le secteur prestigieux et lucratif du “haut de gamme”, en effet, les années ’50 verront la fin des grands carrossiers qui ont fait le prestige de la belle voiture Française de l’entre-deux guerres : Saoutchik, Figoni & Falaschi, Pichon-Parat, Pourtout, ils baissent leurs rideaux, victimes tant de la démocratisation de l’automobile que d’une vision archaïque de leur métier.
Il y aura bien encore Jean Daninos et ses Facel-Véga (de belles voitures mues par un V8 Chrysler), pour faire encore illusion une dizaine d’années (1954-64) puis…, plus rien ! De nombreuses personnes (tant de la presse, que de la rue, que du monde de l’industrie) se lamentaient sur la situation sans pouvoir rien y changer, pourtant, un homme va relever le défi : Jean Tastevin.
En 1930, Arnaud Tastevin rachète les “Ateliers et Chantiers de Balbigny”, un fabriquant de matériel pour les mines et le chemin de fer qui fait travailler 50 personnes… et se spécialise dans la démolition de matériel ferroviaire. En 1964, Jean Tastevin succède à son père et reprend la construction de wagons, l’entreprise devenue “Compagnie Française de Matériel Ferroviaire” (CFMF) prospère, elle compte 400 salariés et quatre wagons par jour sont produits dans les ateliers.
Entreprenant et fort de ses succès dans le ferroviaire, Jean Tastevin, vrai passionné d’automobiles, veut créer, dès 1966, sa propre voiture qui allierait espace, luxe et performances, un véritable salon Pullmann de grand sport, genre très rare dans la production mondiale…, un genre d’automobile idéale, qui lui permettrait de transporter avec lui, toute sa famille, sans renoncer pour autant aux très hautes performances que lui procuraient les coupés GT transalpins ou anglais. Plus que le “caprice” d’un homme, la future voiture, à laquelle il désire donner le nom de “Monica” en hommage à sa femme Monique, pourrait selon-lui ensuite servir de base à un développement et à une diversification de sa firme de construction de matériel ferroviaire.
En industriel avisé, Jean Tastevin sait bien qu’un jour ou l’autre, le créneau de marché qu’il occupe auprès de la SNCF finira par se tarir, alors, quitte à investir des sommes considérables dans le développement d’une voiture quasiment sans concurrente (la De Tomaso Deauville et l’Iso Fidia n’existaient alors pas encore, pas davantage que les Jaguar XJ12 ou autres Aston-Martin Lagonda, tandis que la Facel Excellence avait déjà succombé), pourquoi ne pas en lancer ultérieurement, la production en petite série ?
Pour son projet d’automobile raffinée, confortable, mais aussi puissante, le patron de la CFMF se tourne vers le Royaume Uni et Chris Lawrence, citoyen britannique qui s’est déjà fait un nom outre-Manche en collaborant avec Morgan et Marcos, et a créé, parallèlement à sa victoire en 2 litres au Mans en 1962, sa marque : Deep Sanderson, des automobiles basées sur mécanique Mini-Cooper… Il a également collaboré à la mise au point de moteurs Triumph ou Ford UK, un grave accident l’a toutefois contraint à vendre ses travaux sur les liaisons au sol, et à se lancer dans le conseil.
Séduit par le projet de l’industriel français, l’Anglais se lance avec une petite équipe dans la définition des caractéristiques de cette limousine de Grand-Tourisme. Pour le châssis, Chris Lawrence s’inspire directement de son expérience de la compétition, et conçoit un ensemble constitué de tubes à section carrés soudés entre eux, alliant légèreté et rigidité, en vue d’obtenir une tenue de route sans reproche, comme il sied à une telle machine ! L’empattement prévu est de 277cm, à comparer à celui des petites (275cm) et grandes (285cm) carrosseries Mercedes de l’époque, ce qui doit permettre une habitabilité “fort intéressante”.
Plus difficile, est de trouver un moteur susceptible de propulser la future berline, en effet, faut-il choisir une mécanique déjà existante (ce qui offrira des facilités tant au niveau des coûts que de l’entretien courant), ou créer un moteur de toute part (pour être plus en rapport avec l’exclusivité désirée par Jean Tastevin)… Chris Lawrence lui propose une solution intermédiaire : après avoir testé des moteurs bien trop faiblards d’origine Triumph, qui culminent malgré un travail de fond, à juste 150 chevaux, l’ingénieur a l’idée de recourir à un V8 conçu par Ted Martin (prononcez “Martine”).
Cette mécanique, présentée au Racing Car Show de Londres en 1965 dans sa version initiale de deux litres de cylindrée, offre l’avantage d’être déjà conçue (ce qui fait gagner temps et argent), tout en étant une exclusivité de la Monica… Doté d’un arbre à cames en tête par rangée de cylindres entraînés par une courroie crantée selon une technique inventée au début des années soixante par Glas en Bavière… et entièrement construit en alliage léger, cette mécanique semble donc avoir toutes les séductions requises dans sa version portée à 2,8 litres et essayée sur le châssis Pearce de F1.
Elle doit toutefois encore gagner de la puissance pour séduire Jean Tastevin, qui entend disposer d’une cavalerie pléthorique, c’est pourquoi très rapidement, la mécanique est (une fois de plus) retravaillée dans le sens d’une cylindrée accrue : le V8 est réalésé à 3,4 litres (l’on part tout de même de 2 litres seulement !)… et au moyen de quatre carburateurs double-corps Weber, porté à 240 chevaux DIN à 6000 t/min…, ce groupe doit pouvoir emmener la future voiture à plus de 200km/h…
L’entrepreneur Forézien va consacrer plus de 7 ans et toute son énergie à faire naître et vivre son projet, rien n’est trop beau… et même si la question de la mécanique semble résolue (quoiqu’elle n’apporte pas vraiment toute satisfaction, sa puissance restant un peu juste), il reste un sujet difficile, probablement le plus ardu pour un ingénieur : la carrosserie. Il suffit de voir les lignes de l’AFG de Grégoire par le passé, par exemple : une voiture d’ingénieur, est rarement une belle voiture dans l’absolu, quand bien même ils vous répondront tous que “la vérité technique est toujours belle”…
Chris Lawrence, s’il se tire avec les honneurs de la conception du châssis, est de suite en bute à ce même problème de l’esthétisme pur…, le premier prototype de la Monica ne brille ainsi vraiment pas par son élégance ; malgré ses 490cm de longueur, elle n’a aucune grâce et parait désespérément pataude… C’est pourtant sous cette forme peu avenante, que le prototype à carrosserie en aluminium est montré à Jean Tastevin en avril 1968 et… c’est un désastre, loin du rêve de Jean Tastevin à savoir : relancer une héritière des Lago Record et autres Facel Excellence ! (Pour la petite histoire le prototype initial sera retrouvé par hasard en 1997, dans une grange anglaise)…
Clairement la voiture est d’une rare laideur, les artisans-carrossiers l’on d’ailleurs construite “au pifomètre” faute de cotes sérieuses…, l’arrière est massif, les flancs trop hauts et la face avant fait penser à une Panhard CD montée en graine ! Evidemment, Jean Tastevin ne juge pas moins sévèrement que moi les lignes ratées de cette première mouture, qui, construite de façon empirique, sans l’usage d’un gabarit en bois, n’a aucunement la race d’une prestigieuse et exclusive berline à hautes performances.
Chris Lawrence et sa petite équipe se remettent donc à l’ouvrage, et proposent peu de temps plus tard, une nouvelle version de la carrosserie, un léger progrès se fait sentir… et une volonté certaine de dynamiser la ligne, également ! Cependant, comme pour le premier prototype, aucune maquette n’est construite avant la réalisation (afin d’en apprécier les volumes) et le dessin reste vraiment maladroit, notamment au niveau de l’avant du capot, trop haut, qui annonce cependant déjà le style définitif, même s’il arbore encore quatre phares visibles.
Se disant sans doute qu’il vaut décidément mieux recourir à un styliste pour offrir des lignes avenantes à celle qui partage le prénom de sa femme (ne serait-ce donc que pour des raisons d’éthique et de paix des ménages), Jean Tastevin retire, après ce second prototype, la responsabilité du style à l’ingénieur, pour le confier à un jeune styliste d’origine roumaine, qui a fait ses armes chez Bertone : un dénommé Tony Rascanu qu’un ami commun lui avait présenté.
Tony Rascanu a cependant la tâche assez difficile, certes, l’empattement conséquent doit permettre l’établissement d’une ligne élancée, mais en berline digne de ce nom, il s’agit de préserver l’habitabilité et la garde au toit de la voiture tout en conciliant celle-ci avec un châssis qui ne doit absolument pas être modifié.
Plusieurs mois sont nécessaires malgré tout le talent du dessinateur avant que celui-ci ne trouve enfin des lignes qui séyent à la vocation de la voiture…, latines à souhait, elles évoquent par la chute et l’intégration du pavillon dans la poupe, la 365 GT 2+2, tandis que l’avant évoque l’Indy dessinée par Vignale pour Maserati, mais aussi un peu, avec ses clignotants apparents en bout d’ailes, la petite Lotus Elan…, ou comment allier pour le meilleur, rossbif et bolognaise !
Petit à petit, l’artiste réussit à créer des lignes élégantes, qui plaisent fort à Jean Tastevin, de telle sorte qu’elles ne changeront désormais presque plus…, commence alors un incessant va-et-vient entre la Grande-Bretagne, la France et l’Italie ! Les plans partent chez Chapron afin qu’il assemble une maquette à l’échelle 1, qui est expédiée chez Vignale, qui construit le troisième prototype.., hélas la maison est vendue en décembre 1969 par son propriétaire (3 jours avant son décès dans un accident de la route d’ailleurs) à De Tomaso. Retour forcé en Grande-Bretagne pour la mise au point des carrosseries d’avant-série, chez Airflow-Streamlines en Angleterre, suite à la disparition de l’officine italienne.
Le carrossier anglais établit le quatrième prototype, qui recourt largement aux matériaux légers pour tenter d’amoindrir le poids d’ensemble, trois autres identiques suivent, tous détruits par la suite. Le gain de poids étant d’à peine quelques dizaines de kilos, la solution de l’emploi intensif de métaux légers est abandonné, sur ces autos, sont également portées quelques modifications cosmétiques peu heureuses, notamment des pare-chocs épais et inélégants… et des faux arrières fort banals, provenant de Volvo de la série 140…, ces dernières évolutions sont cependant bien vite oubliées.
On n’en a pas encore fini avec les soucis et les aller-retours puisque le moteur manque de la plus élémentaire fiabilité, il s’agit en fait d’un bloc étudié pour la compétition, personne ne lui avait alors demandé de “tenir” au moins 100.000km… La situation est tellement compliquée qu’un exemplaire est lui aussi expédié en Italie, chez Virgile Conrero (qui s’était fait connaître en optimisant des mécaniques Alfa-Roméo durant les années ’50), ce dernier s’y casse littéralement les dents et rend son verdict : “Ce moulin est un piège qui ne marchera jamais dans des conditions de circulation normales”.
Vous aurez compris que le temps passe, nous sommes déjà début 1972 et la présentation de la voiture doit être effective au Salon de Paris à l’automne, ça va être chiche, mais cette fois-ci est la bonne et la Monica a maintenant sa ligne quasi-définitive, là c’est mieux !
La Monica 350 est exposée au salon de Paris 1972, sous les spotlights dans sa livrée presque définitive… et l’Auto-Journal, sous les plumes de Jean Mistral et Gilles Guérithaut, en font leur une exclusive ! Voici l’article signé Gilles Guérithaut, paru dans le numéro du 1er juillet 1972 : “En 1901, les Daimler sont devenues des Mercedes. Un des principaux commanditaires de la firme, M. Jellinek, avait suggéré que l’on donnât à ces voitures le nom de sa fille, plus facile à porter et plus agréable que celiui de Gottlieb Daimler, industriel établi près de Stuttgart. Mlle Jellinek a ainsi légué son prénom à une marque qui l’a rendue célèbre : Mercedes ! Au Salon de Paris 1972) va apparaitre une voiture de luxe française. Elle s’appelle Monica, en l’honneur de Mme Monique Tastevin, femme d’un nouveau constructeur français. Il ne s’agit pas cette fois-ci de rebaptiser des véhicules déjà contruits en série, mais bien de lancer une marque et un modèle. Qui est Monsieur Jean Tastevin ? C’est un industriel de 53 ans, ancien élève de l’Ecole Centrale, PDG de la Compagnie Française des Produits Métallurgiques. Ses bureaux sont installés à Paris, rue Ventadour, près de l’Opéra. La société dispose à Balbigny dans la Loire (entre Roanne et St-Etienne) d’une usine de construction de matériel ferroviaire : wagons citernes et wagons-trémies. 80% de la production est exportée. Le quart du matériel de cette nature existant en Europe sort des ateliers de M. Tastevin. Cet industriel passionné d’automobiles a conduit, et possédé, de nombreuses voitures rapides de marques diverses. Il utilise actuellement une berline de marque Jaguar. Déplorant que notre production nationale ne comporte aucune voiture de prestige, il a décidé de lancer la Monica qui a été conçue selon ses directives et sera réalisée dans ses ateliers de la Loire. L’intéressé ne se dissimule ni les difficultés, ni les risques de cette entreprise, ou de cette aventure. On a vu l’automobile s’appuyer sur l’aviation, sur le tracteur agricole, sur le camion, sur la motocyclette. pour la première fois, un modèle de luxe apparaîtra dans le sillage, et avec le concours, de wagons-citernes… Grâces soient rendues au chemin de fer ! La coordination rail-route prend un aspect constructif assez inattendu”…
Dans une autre partie de son article signé Jean Mistral, l’Auto-Journal revient plus en détail sur la voiture elle-même : “La Monica disposera de son moteur personnel, réalisé dans l’usine même de Balbigny. Est-ce à dire qu’elle sera diffusée à une cadence élevée ? En aucune façon. Nous croyons savoir que son constructeur espère en produire et en vendre environ 400 par an. Dans ces conditions, il aurait pu frapper à une autre porte pour se procurer la mécanique. Il ne l’a pas voulu car il estime qu’aucun groupe existant ne possède les caractéristiques requises. M. Jean Tastevin a fait étudier par l’ingénieur anglais Ted Martin un V8 de 3,5 litres de cylindrée, à deux arbres par rangée de cylindres. La puissance fiscale annoncée est de 20 CV, la puissance réelle de 250 CV à 5800 tr/mn. Le régime a été maintenu à un niveau très mesuré. D’autre part le couple maximal se situe à 4000 tours, mais il garde à peu près la même valeur entre 2500 et 5000 tours/minute. Les reprises de la Monica doivent donc être assez impressionnantes, et c’est cela qu’a cherché en priorité le nouveau constructeur. La vitesse maximale doit être voisine de 240 kilomètres à l’heure. Ce moteur, construit dans la Loire, est donc d’inspiration britannique. La carosserie, quant à elle, présente un caractère transalpin, plus exactement piémontais. Elle doit beaucoup à un ancien chef d’atelier de Vignale ; ce dernier a servi lui-même de conseiller en ce domaine. Certains éléments, réalisés à Turin, seront expédiés dans la Loire pour être assemblés sur place. Ultérieurement, l’activité des ateliers de Balbigny s’élargira. La Monica mesurera 4,90 mètres. La voiture, spacieuse, comportera quatre portes et un vaste coffre à bagages : ces deux caractéristiques sont considérées comme essentielles par son créateur. La finition intérieure sera très soignée. Un climatiseur sera monté en série. Le cuir des sièges et des garnitures, le bois du tableau de bord, proviendront de Grande-Bretagne. Quel sera le prix de ce modèle ? Il n’est pas encore fixé. Sans doute dépassera-t-il 80.000 F (soit le prix de… dix 2CV !). On comprend que le constructeur ne compte pas vendre, annuellement, plus de 400 exemplaires. On peut observer que Ferrari, Maserati, Lamborghini, ont également chacun une production de quelques centaines d’unités par an, mais tout rapprochement avec ces firmes transalpines doit d’arrêter là. Non seulement la Monica ne participera à aucune compétition, mais encore elle récuse tout caractère sportif. Elle veut être surtout spacieuse et confortable en même temps que nerveuse. La diffusion sur le marché intéreur de 100 à 120 voitures par an (le reste étant exporté) sera assuré par 20 à 25 concessionnaires . Il s’agira, bien entendu, de spécialistes familiarisés avec les berlines de classe, et qui connaissent déjà bien la clientèle, naturellement assez étroite, à laquelle eslles s’adressent. Comme nous l’avons indiqué, la Monica doit sauf imprévu, être présentée au prochain Salon. La manifestation sera marquée par l’apparition de la Peugeot 104, mais on peut être assuré que sur un autre plan, cette Monica fera quelque bruit. L’entreprise, en tous cas, ne manque pas d’audace”.
La Monica, exposée au salon est saluée comme une réussite, le moteur Martin semble bien prometteur…, néanmoins journalistes et clients potentiels ne savent pas encore que celui-ci sera abandonné sous peu, pour d’inextricables problèmes de fiabilité que les ingénieurs ne parviennent pas à résoudre.
L’intérieur rivalise de luxe et sa qualité de finition est largement au niveau des meilleures concurrentes du moment : cuir épais, moquette de laine, climatisation, planche de bord en loupe d’Orme, portières à ouverture et fermeture électrique, ligne de bagages sur mesure livrée avec la voiture…
Si le moteur est toujours le Martin Britannique (qui n’est toujours pas au point et n’est de toute façon pas commercialisable en l’état !) la boite de vitesses est une ZF Allemande à 5 rapports. La suspension est indépendante à l’avant avec pont arrière De Dion et ressorts hélicoïdaux sur les 4 roues, la direction est à crémaillère et on note la présence de 2 réservoirs de carburant latéraux de 55 litres chacun avec 2 trappes de remplissage sur les ailes avant.
La vitesse de pointe de la Monica de 4,90m de long et de 1450kg en ordre de marche est bien de 200km/h… Aux clients éventuels qui demandent des renseignements sur le stand, il est répondu que la Monica sera disponible en 1973 pour un prix approximatif de 100.000 Francs (soit l’équivalent de 94.000€ de 2013), sur ce même Salon une Jaguar XJ12 est affichée à 66,000 Francs, la différence est d’ores et déjà énorme !
De retour à Balbigny, Mr Tastevin se met en colère devant la situation dans laquelle l’ont mis les différents responsables anglais du projet et jette aux orties le V8 Martin une fois pour toute, il décide alors de jeter son dévolu sur un V8 Chrysler de 5,6 litres, une mécanique d’origine américaine. Jean tastevin agit comme d’autres petits constructeurs, le firent avant lui : pensons à Iso qui recourait aux mécaniques Ford pour ses coupés Grifo, Lele et sa berline Fidia rivale, ou encore De Tomaso, Jensen, et bien d’autres.
Il est clair qu’il a la certitude de disposer là d’un groupe fiable et éprouvé, dont la disponibilité en matière de pièces de rechanges ne posera aucun problème, un souci de moins, par contre pour l’originalité on repassera car on se retrouve dans exactement la même configuration mécanique que Facel 15 ans plus tôt… Le moteur V8 Chrysler, est d’abord utilisé dans la version de 5,9 litres, puis ensuite de 5,6 litres (102,6 x 84,1 mm) qui n’a certes pas la noblesse de la mécanique conçue par Ted Martin, mais qui ne manque aucunement de puissance ni de couple, ni surtout de fiabilité, pour propulser sa belle avec brio sans craindre la casse…
Cette caractéristique enfin, rapproche encore un petit peu plus, de la Facel Excellence, qui quinze ans plus tôt, recourait également à un puissant V8 Chrysler ! L’équipe chargée de mener la Monica à bonne fin, a alors de nouveau un GROS problème : le compartiment moteur a été étudié pour un V8 compact de 3,5 litres, pas pour un Big Block US de 5,6 litres, tout le monde va devoir encore perdre du temps pour tout modifier !
Les deux réservoirs sont réunis en un seul classiquement installé à l’arrière et on met à leur place un ventilateur de chaque côté.., on retravaille aussi le moteur (à l’origine c’est un Plymouth), en modifiant les arbres à cames, la culasse et les pistons on parvient à en tirer 285 chevaux Din à 5400 Tours (alors qu’aux States il ne dépasse pas les 4000 Tours) et la berline pointe maintenant à 230km/h et parcours le kilomètre départ arrêté en 27,5 secondes. La voiture, désormais baptisée Monica 560, est au rendez-vous de Genève en mars 1973 avec une planche de bord modifiée et se trouve présentée à la presse sur le circuit du Castellet deux mois plus tard.
Au Salon de Paris 1973, la Monica est de retour toujours nouvellement équipée de son très gros cœur américain qui boit comme un tas de sable et n’est plus du tout dans l’air du temps, de plus le prix est monté à 164.000 Francs ! (plus de 150.000€ actuels). Deux transmissions sont proposées en association avec le V8 Chrysler qui a le volant-moteur modifié pour recevoir soit la boite mécanique ZF 5 vitesses avec un Overdrive, soit une Chrysler Torqueflite automatique à 3 rapports avec démultiplicateur sur le différentiel (donc 6 vitesses au total), utilisée également dans la production tricolore pour les Chrysler 2 Litres Automatique, rançon de cette grosse mécanique : un poids qui s’envole à 1850 kg…
La carrosserie quant à elle, ne reçoit pas de retouches par rapport à l’année précédente, et conserve ainsi une grille de radiateur très simple voire simpliste en-dessous du pare-chocs avant. La commercialisation est annoncée pour le courant de 1974, pas avant? car le refroidissement de la mécanique n’est toujours pas optimal, or au même moment il y a du grabuge au Moyen-Orient : plusieurs pays Arabes ouvrent les hostilités avec Israël soutenu par l’occident, les Pétromonarchies le prennent très mal et menacent de “fermer les vannes”, le cours du brut s’envole, toute l’année 1974 est rythmée par ce que l’on a appelé le “premier choc pétrolier”, on parle dorénavant d’économies d’énergie, de limitations de vitesses…
Même si la Monica est magnifique, le prix en fait reculer plus d’un, cette auto est plus chère qu’une Ferrari Daytona et dépasse même le prix d’une Rolls-Royce ! Elle a beau être dorénavant au point, on ne peut pas dire que les clients se bousculent sur le stand, il faut dire qu’à ce tarif, sans image de marque ni réseau de vente digne de ce nom, ceux qui signent un bon de commande passent pour des extraterrestres…
On peut considérer que sept ans après le lancement du projet, la sublime Monica va “enfin” commencer sa carrière de reine de l’automobile française…
Bien plus rapide et peut-être même plus élégante que la SM de chez Citroën, qui couronne jusque là la production tricolore, la Monica se veut être le vaisseau amiral digne de ce nom de toute la production française… et fait revivre dans le cœur des anciens, la nostalgie des grosses Delahaye et Talbot.
Cependant, les actes de l’Histoire en décident autrement : à peine le salon fermé, les 16 et 17 octobre, l’OPEP réagit avec vigueur pendant la Guerre du Kippour et ferme ses robinets : s’ouvre alors l’ère des restrictions, du pétrole cher, très cher, et des limitations de vitesse généralisées. Ces deux facteurs conjugués, posent tout à coup la question du sens de fabuleuses machines à rouler comme la Monica : à quoi bon un moteur de 310 chevaux, qui permet de croiser à 240 km/h sur des autoroutes limitées à 120, 130 ou 140 selon les mois, et nécessitant pour cela, un litre d’essence tous les 3 ou 4 kilomètres ?
Cependant, Jean Tastevin ne jete pas tout de suite l’éponge ; après tout, le marché devra bien se rétablir : ne l’avait-il pas fait en 1956 ? Quelques retouches sont donc encore apportées pendant l’hiver 1973-74, notamment au niveau de la calandre, devenue bien plus élégante grâce à l’adjonction d’encadrements chromés, le tableau de bord lui aussi, est encore un peu retouché… et la production est lancée, petit à petit, au courant de l’année 1974.
Au Salon de Genève de mars 1974, en terre suisse, la belle française vient ouvertement chasser sur les terres d’une autre firme automobile dont la philosophie est quelque peu semblable : l’officine de Peter Monteverdi, qui produisait alors, la 375/4 High Speed. Elle aussi est dotée d’un gros cœur américain, et joue les mêmes cartes de l’élégance, du haut luxe et de la très haute performance : moteur V8 Chrysler 7206cc de 41CV, 340ch DIN à 4600 t/min, 58,4 mkg à 4000 t/min, empattement 318cm, longueur 531cm, vitesse maximale 240 km/h.
D’autres concurrentes trouvent traditionnellement à Genève un terrain de prédilection, force est de constater que pour diverses raisons, le marché y est sans doute plus prometteur que celui de la France pour de telles voitures : la De Tomaso Deauville, V8 5763cc de 27CV, 330ch DIN à 5400 t/min, 47,5 mkg à 3500 t/min, empattement 277cm, longueur 485cm, vitesse maximale 230 km/h, vendue 110.000 F à la fin 1973, ou l’Iso Fidia à moteur Ford V8 de 5762cc, 33CV, 325ch SAE à 5800 t/min, 48,3 mkg à 3800 t/min, empattement 285cc, longueur 497cm, vitesse maximale 235 km/h, vendue 114.000 F à la fin 1973.
Interview de Jean Tastevin en 1972 : http://www.ina.fr/video/LXF01009064
Pour revenir en France enfin, la SM joue dans une catégorie inférieure : seulement 15CV, 188ch SAE mais 228 km/h en pointe, elle ne comporte cependant que deux portes et une finition plus “série”, elle s’échange contre 70.000 F, quand la Monica s’affiche à 164.000 F ! Enfin, après une huitaine d’années, la Monica s’offre à ceux qui la désirent, quelques exemplaires sont déjà construits, mais au fur et à mesure que les mois passent, il devient clair qu’il sera bien difficile de réussir le pari.
Nous les avons évoquées, les concurrentes de la Monica ont eu le temps de naître et de vivre et d’être appréciées, c’est à dire qu’elles ont le mérite d’exister depuis bien plus longtemps… et, au cours de cette très longue gestation, ces concurrentes, à l’exception de la Fidia emportée par la crise, continuent de tenir leur place sur ce petit marché où finalement, le prix de l’essence n’a pas tellement d’importance ! Se faire une place en tant que nouvel arrivant, devient tout à coup bien plus difficile, les critères de rentabilité se voient relevés de telle sorte que le pari devient quasiment impossible à relever…, au prix de vingt 2CV, avec une réputation toute entière à faire, et un service après-vente évidemment inexistant, la Monica ne suscite pas pléthore de commandes.
La fin de l’année 74 arrive et Mr Tastevin doit se rendre à l’évidence :
-Une mise au point trop longue
-Des choix mécaniques assez discutables
-Une conjoncture plus que défavorable…
Le 7 février 1975, il fait la seule chose qu’un homme responsable doit faire “avant d’y laisser la chemise et le pantalon” : il jette l’éponge, trop belle, trop chère, trop gourmande… et vend le matériel de production à Guy Ligier (qui ne poursuivra pas l’aventure, pas davantage qu’il ne prolongera la vie de son coupé JS2 ou de la SM Citroën)… Les chiffres diffèrent selon les spécialistes mais on pense généralement que 5 prototypes et 28 exemplaires de séries ont été construits, dont seulement 17 seront vendus…, jamais il n’y eut ce cabriolet que l’on projetait à une époque, et qui devait être montré à Genève en mars 1973.
Les Britanniques de Panther seront contactés pour une éventuelle remise en production de la Monica sous leur nom mais cela ne se fera pas…, les caisses non terminées seront visibles jusqu’au début des années ’80 chez un casseur de la région Vichyssoise, puis elles disparaîtront… Au moins Jean Tastevin ne s’est-il pas entêté, il a pu conserver son entreprise ferroviaire et repartira du bon pied, c’est déjà ça…, à noter que Jean Tastevin et son épouse Monique sont toujours parmi nous à l’heure où j’écris ces lignes, tous deux jeunes nonagénaires…
Un succès était-il possible ? Aaahhhh…, avec des “Si” ! S’il faut bien reconnaître que l’environnement géopolitique a beaucoup fait concernant l’échec de l’aventure, on ne peut quand même pas passer sous silence plusieurs erreurs (du moins à mon humble avis) :
– Vouloir faire un haut de gamme français en “partenariat” avec une équipe anglaise et pas mal d’intervenants italiens… puis américains…
– Choisir un moteur venu de la compétition, or la voiture était dès le départ voulue comme une très confortable GT à 4 places capable de “tailler le bitume à 160 des heures durant”, pas pour courir le “Grand Prix des feux rouges” façon Tokyo Drift !
– Mettre sciemment “les petits plats dans les grands” avec la voiture sans prendre en compte que la clientèle visée était hyper-exigeante et n’aurait sans doute pas tolérée un service après-vente minimaliste faute d’implantations et de moyens.
– Penser peut-être trop français, prestige national et tout ça…
Or la clientèle potentielle de l’hexagone n’aurait jamais pu rendre l’affaire rentable à elle-seule. Il aurait fallu exporter vers les USA (c’était prévu !) et les Pays du Golfe Persique (mais la France défendait Israël)…, pour cela il fallait mettre le paquet en terme de communication, mais restait-il assez d’argent ?
Bref, comme d’autres avant (Facel) et d’autres après (Venturi, Méga…) il aurait été TRES difficile à Monica de percer le marché des voitures de prestige en partant de rien, même si les 30 glorieuses avaient durées 10 ans de plus. C’était pourtant bien essayé… et, que ceux et celles qui par le plus grand des hasards lisent ces lignes, sachent que j’ai toujours eu la plus grande considération pour les entreprises un peu folles et floues : Tucker, Bricklin, Deloréan, et tant et tant d’autres…
Evidemment l’aventure Monica peut laisser quelques regrets pour les français amateurs de voitures d’exceptions…, mais il faut rester lucide…, la genèse même de cette aventure laissait entrevoir un échec annoncé : trop d’intervenants de nationalités différentes (français-anglais-italien), des changements de cap incessants dans la conception, des novices aux commandes…, pourtant le résultat était réellement convaincant, il a manqué un contexte économique plus favorable et un petit coup de pouce du destin pour que la Monica prenne son envol. Jean Tastevin est décédé le 16/08/2016, à l’âge de 97 ans…., la cérémonie a été célébrée le 23/08/2016, à 11 heures, Église Saint-Pierre à Neuilly-sur-Seine (92200)
On se quitte avec une Monica sur la route de nos jours (reportage en Allemand)
4 commentaires
Dans le bassin méditerranéen, le procédé s’appellerait une Vendetta ? J’ai lu cette année sur vos conseils le Héros aux Mille Visages de Campbell. “Un héros s’aventure à quitter le monde du quotidien pour un territoire aux prodiges surnaturels : il y rencontre des forces fabuleuses et y remporte une victoire décisive. Le héros revient de cette mystérieuse aventure avec la faculté de conférer des pouvoirs à son prochain”.
Pas une vendetta mais des actes de garagistes-ferrailleurs-cupides… Mon Trike a disparu en même temps que la Citroën Hi-Boy… Le Boss étant décédé, les recherches n’ont pas inquiété “la veuve éplorée” qui avait fait vider le garage pour éviter des droits de succession et vendre les autos des clients en réparation et attente de Contrôle technique ce pourquoi on confie la carte grise au garagiste… Dans la même zone un autre garagiste “Hot-Rodder” m’a vendu un Ford B 34 avec des doublettes de documents… Il utilisait un jeu pour circuler avec une autre voiture semblable qui n’avait pas de papiers… Devant le fait accompli, pour éviter un procès à l’infini (comme ma LéaFrancis qui dure depuis 13 ans) j’ai vendu ce Rod en l’état en Hollande. L’automobile ést un panier de crabes !
Très bel article mon cher Gatsby ! J’ai l’impression de me répéter tous les jours ! Je suis surpris que vous perdiez du temps à parler de la Citroën SM et de l’Auto Journal en tant que source historique. En effet, je ne prétends pas que l’Auto Journal n’ait pas existé ou que personne n’ait jamais acheté ce journal. Mais j’avais déduit d’un de vos vieux articles que vous ne portiez pas une grande admiration à la plume d’André Costa. J’en viens donc à la vraie question : quels étaient “à l’époque” vos rapports avec les confrères de la presse automobile “classique” ? Pour vous faciliter la tâche, j’ai préparé quelques réponses où vous n’avez qu’à rayer la mention inutile ! 1) Aucun, je m’en foutais et je m’en fous encore 2) On partageait parfois des tables de restaurant mais au moment de monter à l’étage ils me détestaient car je leur piquais toujours les plus belles filles 3) C’était il y a 50 ans, je suis plus préoccupé par mon site et la promenade de Blacky que se savoir si Dédé était méchant ou José aimait les tartes à la crême.
A l’initiative de Jean-Lou Nory, ex-AutoJournal qui avait publié 2 pages sur mon Hot-Rod Olds’48 HotRod avant que Chromes&Flammes n’existe, dans l’AutoJournal, à son initiative donc alors qu’il était parti chez MichelHommel sous l’autorité de Jacky Morel redac’chef de Nitro, il a monté une réunion des chefs d’AutoVerte, Nitro et Chromes&Flammes dans un bouge-bordel de la Rue de Lille ou se trouvait le siège social d’Hommel… Le but qu’il avait en tête était de stopper la guerre du Kustom qui faisait rage et de fusionner les titres pour devenir leader… Hommel aurait été chargé de la pub, moi du rédactionnel et Auto-Verte de je ne sais quoi… Ca a foiré… Comme l’endroit faisait borde, c’est parti en couilles ! Rien n’est sorti sauf de quelques zizis… Et la guerre du Kustom s’est terminée lorsque Hommmel a demandé à un de ses pigiste inspecteur des Finances de monter une indiciaire contre moi afin de m’éliminer… Le gars y a été fort puisqu’il a fait croire que j’étais l’organisateur des courses du Mans faisant confondre les 24H avec ma course de Dragster… 117 millions d’imposition… 8 ans pour m’en remettre grace aux C&F publiés dans les pays autres que la France… Voilà le grand rapport avec la presse… Nul ! Pour le reste, quel reste après tout ? Rien… J’ai édité et vendu/acheté/vendu des bagnoles dites de collection et en ai tiré une expérience quasi unique au monde, car contrairement aux journaleux j’achetais, roulais faisais réparer, re-roulais et vendais… 2.000 en tout, peut-être plus, peut-être moins… J’ai donc amassé une expérience avec les bagnoles et les gens très particulière que vois lisez dans mes articles. Je les emmerde et eux aussi…
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