1973 MOHS SafariKar
Dans le cadre (désuet) de mes relations avec Brook Stevens, le père créateur des Excalibur, j’avais été invité à un déjeuner du Rotary à Madison, Wisconsin, au milieu des années 1980… Bruce Mohs y était, nous avons commencé à papoter de voitures et il m’a invité à visiter son usine/musée. L’homme était si brillant qu’il éclairait jusqu’à la campagne environnante, il ne pouvait tout simplement pas contenir ses diverses idées de sa vision de la sécurité automobile et de l’innovation.
Tenter de converser avec lui, c’était comme ouvrir toute grande sa bouche devant l’embout d’une lance de tuyau d’incendie en pleine action. J’ai donc eu beaucoup de difficulté à lui dire ma réelle façon de penser concernant sa Mohs Ostentatienne Opera Coupé qui pourtant fascinait les foules. J’ai donc été très surpris quand il m’a invité à discuter de cette voiture dedans la voiture…
C’était comme s’asseoir dans le salon Kitch d’un névrosé fanatique des objets de récupération chinés dans d’abominables brocantes. Nous avons toutefois eu une longue conversation au sujet des voitures, des bateaux et des avions… et petit à petit Bruce Mohs s’est transformé en un être fascinant après m’avoir dit que les pneus de 19 pouces étaient gonflés à l’azote pour les rendre non pas “plus légers” mais “plus frais”.
Dans son musée, trônaient une Falls Straight-Eight de course, d’innombrables horreurs construites au Wisconsin du temps de la prohibition, quelques motos bizarres, une Wienermobile originale et 4 différentes Mohs : l’unique Ostentatienne Opera Coupé et 3 Mohs SafariKars, des voitures incroyablement rares et incroyablement bizarres dont chaque exemplaire était affiché à 385.000 $ ou meilleure offre… “C’est pour l’amour de tout ce qui est bon et saint !” m’avait-il dit en voyant mon air éberlué !
Les portes ?!?!? Elles faisaient penser aux inventions de “Q” destinées aux voitures de James Bond ! Peut-être que cela aurait été finalement utilisé sur une version de deuxième génération si Bruce Mohs n’était pas décédé en 2015. Son épitaphe dans la presse locale (qui ne fut relayée par aucun magazine ni journaux au-delà de 50 miles autour de Madison) était que : “Sans aucun doute il fut l’un des esprits les plus créatifs à avoir conçu et construit des voitures dans notre région, quoique Bruce Mohs n’était pas étranger à penser en dehors des sentiers battus” !
Vous pouvez voir sur les photos (et la vidéo) à quel point la SafariKar est dingue… C’est une véritable pitrerie roulable (quoique roulante) construite 100% à la main et il n’y en a eu que trois fabriquées. Pour la petite histoire, ce n’est pas de la peinture noir mat qui recouvre des panneaux en tole gondolée, non, c’est du Naugahyde étiré sur un rembourrage qui est collé et riveté sur des panneaux de carrosserie en aluminium fixés sur un cadre en acier (Non, personne n’a encore vidé 5 bouteilles de Wiskey, c’est vraiment ce que c’est).
Après avoir mis sur le marché des inventions telles qu’un milkshake instantané, des réflecteurs de barrière d’autoroute et un revêtement pour empêcher des tubes de télévision d’imploser, Bruce Baldwin Mohs est entré dans la production automobile en 1967 avec sa berline unique nommée Opéra Ostentatienne. Il a présenté la SafariKar en 1973 comme étant un véhicule de luxe et de sécurité pour la chasse au gros gibier en Afrique. Seuls trois prototypes ont été construits avant que Mohs cesse sa production, invoquant la complexité des exigences de l’EPA.
Afin de disposer de la documentation la plus complète possible, je me suis renseigné sur les divers niveaux d’entendement du mythe de la confrérie des chasseurs africains à qui étaient destinés les Mohs SafariKars… On la situe dans les ruines de Kombi, la capitale Wagadou, près du puit et près du figuier. Ce sont les chasseurs nommés Siriman et Kadiali (alias Simbo), qui vont créer la véritable confrérie des chasseurs, en prêchant toujours la bravoure ancestrale, l’intrépidité et l’honneur.
Le Bida, le serpent immortel vivait encore dans cette brousse désolée qui n’était fréquentée que par les sphinxs, ces avatars des grands empereurs du Wagadou, et le lynx. Pourquoi le lynx ? Parce qu’avec le lycaon ou cynhyène, ce sont les plus intrépides chasseurs de la brousse. Les Chasseurs africains de cette confrérie, allaient donc à la recherche du lynx pour montrer que, malgré un environnement hostile, ils demeuraient de la race de leurs ancêtres Diaruw.
Ils croisèrent sur leur chemin une femme Kakòlò, dont les parents habitaient de l’autre côté de ces espaces de solitude. Elle portait son enfant dans le dos. Les chasseurs affamés et assoiffés mirent à mort l’enfant dans l’urgence de dérober à la femme sa réserve d’eau, puis, ils se querellèrent, tuèrent réciproquement leurs chiens, avant de s’entretuer. La femme furieuse lapida leurs corps en les couvrant d’injures de toutes sortes.
Et Dieu lui demanda : “Pourquoi ce carnage ?”. Il dit à la femme qu’il lui avait rendu justice en mettant à mort les chasseurs et leurs chiens, mais la femme répondit qu’elle ne serait jamais vengée du meurtre de son enfant innocent. Dieu dit alors que si elle restait inconsolable, il allait de nouveau insuffler la vie dans le corps des deux chasseurs pour qu’ils deviennent ses esclaves. Ce qu’il fit. Les chasseurs jurèrent alors qu’ils se comporteraient comme les enfants de la femme… Tout cela porte le nom légendaire de “Saa nènè ni kòtòròn” qui signifie : “goûter à la mort et revenir à la vie”.
Ils ramenèrent la femme dans son village et firent toutes sortes de rituels d’expiation et de propitiation pour le gibier qu’ils lui rapporteraient. Le corps de l’enfant fut enterré dans ce lieu précis qu’est le dankun. Il correspond à un triangle, l’espace de séparation entre trois domaines : l’espace habité, la brousse sauvage et ardente où vit le gibier, et les terres cultivées. Ce sont les trois piliers de la vie sur terre après la socialisation et sédentarisation des communautés humaines. C’est en fonction de ce chiffre 3 que Bruce Mohs a décidé de ne construire que 3 Mohs SafariKars…
Voilà le mythe fondateur. Après, chacun s’est cru obligé d’en rajouter. On compte pas moins de vingt versions. Mais c’est depuis lors que tous les chasseurs du monde mandingue sont honorés du titre de “sânènè ni kòntròn denw”, (les enfants de Sanènè et Kòntròn), et que l’on parle de donso (chasseurs) et de donson ton (société de chasseurs), avec la prestation d’un serment au nom d’un ancêtre mythique qui préside tous les rites de chasse.
En fait, dans la grande initiation, Sanènè et Kòntròn sont Moussokoroni et Kèni, c’est-à-dire Niakalé N’Djatara et son jumeau, Téliko, associé au soleil. Ce sont les jumeaux primordiaux que Dieu a créé au ciel et à qui il a tout donné, sauf trois choses : le secret de l’origine de l’âme, le secret divin (Dieu n’ayant ni père ni mère, ni endroit ni envers) et le mystère de la lumière. Les jumeaux sont entrés en conflit avec Dieu quand Niakalé N’djatara lui a demandé : “De tout ce que vous avez créé, la haine, la fraternité, l’amour, le pouvoir, la droiture, de tout ce qui existe, à quoi va votre préférence ?”...
Dieu, sentant le piège, n’a pas daigné répondre. Or Dieu disait dans ses leçons que c’est par amour, par pur amour, qu’il a créé les choses et les êtres, il ne leur demandait que de reconnaître son oeuvre. On dit depuis lors que toute fille aînée tombe amoureuse de son père. Devant le silence de Dieu, Niakalé N’djatara, l’ardente, l’intelligente et brave, celle que l’on appelle “le père des femmes et l’égale des hommes”, a poussé dans le vide cosmique son jumeau Téliko, la chose fut rapide comme les rayons du Soleil. Voilà comment ils se sont retrouvés sur la Terre.
On dit qu’ils ont élu domicile au sommet de l’arbre le plus grand, dont la cime se rapprochait du ciel, et qu’ils se sont mis à dévoiler tous les mystères divins, tout ce que Dieu leur avait appris. Car pour eux, le savoir ne doit pas être tu, comme la vérité. C’est en cela que les Bambara ont deux catégories : soma et doma. Les doma sont les gens de la connaissance, ils ne sont pas tenus par le serment. Par contre, si vous êtes soma, gens de culte, vous êtes astreint à toutes sortes d’interdits, alimentaires, verbaux ou autres.
Les jumeaux auront de nouveaux noms sur Terre, ils en sont les premiers habitants. On les appelle “les enfants de la dénégation” parce qu’ils dénient à Dieu tout pouvoir sur les humains. “Il nous a créé avec la faculté de penser, de réfléchir, de créer et de procréer, de faire ce que l’on veut, sans pour autant nuire à autrui” disent-ils…. C’est ce que l’on retrouve dans la grande Charte du Manden. Voilà la codification que l’on trouve chez les chasseurs et c’est la première origine du mythe : le père et la mère des chasseurs incarnent ces personnalités cosmiques.
La voiture qui est présentée dans ce reportage inédit est un modèle 1973 qui a été acquise sur un parking en Géorgie en 2009 par son propriétaire actuel, qui l’a rénovée au cours des quatre années suivantes… et a depuis remporté plusieurs prix nationaux et grand nationaux de l’AACA aux Rencontres d’automne Hershey 2013 et 2014… en plus de se présenter au Concours d’élégance d’Amelia Island et d’y recevoir un trophée !
La voiture est étrange ! Il y a même une porte de chaque côté (gag !) comportant un dispositif de sécurité en cas d’impact latéral. Chaque porte pivote en glissant directement contre les flancs… et les intrépides passagers peuvent alors entrer et/ou sortir. C’est une forme de conception archaïque avant-gardiste (sic !) géniale et très cool aux yeux des ingénieurs de la Nasa ayant conçu le LEM lunaire… Quoiqu’ici c’est plutôt lunatique…
Une autre grande caractéristique des 3 engins est leur toit rigide rétractable manuellement. Les 3 SafariKars ont été conçus spécifiquement pour un marché “à créer” de voitures de safari africaines et toutes ont été construites par la Mohs Seaplane Corporation située à l’intérieur du musée, le tout situé à Madison, Wisconsin.
Basée sur un châssis Travelall International Harvester 1969, cette Mohs SafariKar est dotée de cloisons de carrosserie en alliage de tungstène, de panneaux de carrosserie en aluminium enveloppés de Naugahyde rembourré, d’un toit en aluminium rétractable manuellement, de portes qui s’ouvrent horizontalement sur des sortes de béliers linéaires et de sièges baquets avant pivotants. La puissance provient d’un V8 392ci jumelé avec une transmission automatique, et l’équipement supplémentaire comprend la direction assistée, des freins à tambour ainsi qu’une radio AM/FM et une CB.
Les roues en acier mesurant 17,5×8″ sont ornées de housses décorées comme des assiettes de vaisselle 18ième siècle avec des emblèmes Mohs et portent des pneus à flancs blancs STA Super Transport LT réalisés sur mesure. Une roue de rechange assortie est montée sous un couvercle partiellement recouvert de naugahyde dans le style d’un kit Continental. D’autres détails incluent des pare-chocs chromés multi-éclairés, des protège-phares de couleur or, et une calandre chromée proéminente avec un aigle ornemental.
Le compartiment avant peut accueillir trois personnes dans des sièges baquets Baja Solar Automotive Products dotés de la technologie brevetée “swing and sway” de Bruce Mohs leur permettant de pivoter et de compenser la force centrifuge ! Les commodités ne comprennent pas de WC mais comprennent une radio AM/FM et CB ainsi qu’un système de climatisation, bien que ce dernier ne fonctionne pas très bien.
Un volant rouge avec un bouton de klaxon Mohs encadre un compteur de vitesse International Harvester ainsi que des jauges sensées surveiller la température d’eau, la pression d’huile, la charge et le niveau de carburant. L’odomètre à cinq chiffres n’indique que les 60 miles prétendument réels parcourus par le monstre (avec le total réel inconnu).
Un siège banquette se trouve dans le compartiment arrière, il peut être posé à plat pour servir de lit, qui peut être encore allongé par des panneaux rembourrés qui se replient contre la cloison de division. La moquette tuxedo noire et rouge tapisse les planchers des compartiments avant et arrière ainsi que les panneaux de porte intérieurs. Les fusils à air comprimé présentés dans le compartiment arrière ont été conçus comme des accessoires et ne sont pas recommandés pour réaliser un véritable safari africain…
Le 392ci International Harvester V8 est alimenté par un carburateur Holley à quatre corps, disposant d’une puissance décrite dans la littérature Mohs comme “adéquate” qui est envoyée aux roues arrière via une transmission automatique trois vitesses. Le reste de l’équipement est également partagé en provenance du Travelall International et comprend des freins à tambour, une suspension avant indépendante à barre de torsion et un essieu arrière solide (sic !) et rigide à ressorts à lames.
Concernant la chasse en Afrique, cette pratique décriée consiste à chasser des grands animaux en vue de s’offrir leurs trophées. Après la mise à mort, la dépouille est empaillée par un taxidermiste, avant d’être rapatriée dans le pays d’origine des chasseurs, quand la réglementation locale l’autorise. Si elle peut légitimement choquer, la chasse aux trophées est malheureusement tout à fait légale bien que strictement encadrée, dans une vingtaine de pays africains. Pourtant, elle coûte très cher !
Pour tuer des animaux sauvages en Afrique, les amateurs de chasse doivent tout d’abord réserver un séjour auprès d’un organisateur de safaris. Un investissement souvent important : à titre d’exemple, un guide de chasse qui revendique 20 ans d’expérience, réclame par exemple : “3.990 dollars par personne pour un safari de 7 jours en Afrique du Sud qui comprend, outre l’hébergement, les repas et un droit de chasser trois antilopes”… Pauvres bêtes !
Pour chaque animal tué, le chasseur doit s’acquitter d’une taxe, dont le montant est fixé par les autorités locales en fonction d’un ensemble de critères : taille de l’animal, espèce menacée ou non, importance de la population locale… Souvent baptisée “taxe anti-braconnage”, cette manne est généralement réinvestie par les autorités locales dans la lutte contre ce fléau (illégal) où dans l’aménagement de points d’eau pour les animaux.
L’argument est d’ailleurs souvent brandi par les amateurs afin de justifier leur pratique : grâce à la chasse aux trophées – autorisée, mais à doses homéopathiques et très contrôlée – ils contribueraient à protéger les espèces menacées, ainsi qu’à dynamiser l’économie locale. En fonction des espèces, ces “Trophy fees” (littéralement “frais de trophées”) grimpent parfois très vite, on découvre par exemple que chasser un phacochère en Tanzanie coûte 760 dollars (672 euros). Pour une antilope, il faut compter entre 870 dollars (781 euros) et 1.045 dollars (939 euros).
En Afrique du Sud, où l’animal est vraisemblablement moins “coté”, un tel trophée se négocie plutôt entre 400 et 600 dollars (359 à 539 euros), en fonction des organisateurs de safaris. Voilà pour le “petit” gibier. Les amateurs qui veulent accrocher un des cinq plus gros mammifères d’Afrique à leur tableau de chasse (lion, léopard, éléphant, rhinocéros, buffle), le prix des trophées des animaux du “big five” se situent dans une fourchette de prix allant de 11.000 à plus de 110.000 euros en Afrique du Sud.
Le “statut de conservation” de ces deux espèces relevant d’une préoccupation mineure, les trophées du buffle (15.000 euros) et du léopard (31.000 euros) sont légèrement moins prisés que ceux du lion (44.000 euros), de l’éléphant (53.000 euros) et surtout du rhinocéros blanc, ce dernier est le plus onéreux des membres du big five, avec un prix estimé à 110.000 euros minimum !