1975 Jeepster Commando #1
Le ridicule ne tue pas dans les années ’60/’70…, c’est bien dommage…, car le spectacle est affligeant, tout est kitsch, idiot et comique…, en feuilletant les événements de ce millésime, on croirait compulser le Guiness des Records les plus absurdes et des performances les plus décalées.
Au cinéma, les français se poilent devant “La folie des grandeurs” où Alice Saptrich nous inflige un numéro de striptease mémorable.
Dans la chanson française, c’est pire, les tubes de ces années-là sont à pleurer… de rire…, “des rois mages” de Sheila en passant par “L’aventura” de Stone et Charden, nos oreilles aimeraient bien attraper une otite…, dans les rues de Paris, les Krishnas dansent au son du tambourin en effrayant les enfants…, en Californie, des sectes où se pratiquent la sorcellerie et la magie noire, se multiplient…, des communautés de paumés qui se retrouvent à danser à poil autour d’un feu de camp…, une version hallucinée du scoutisme.
Les destinations de voyages ont des noms mystérieux et poétiques, les jeunes partent en vacances à Goa, Katmandou ou Kaboul…, un sac à dos et quelques dollars en poche, ils recherchent le nirvana dans des boutiques où de grands panneaux à l’entrée indiquent “Hashish & Mariwana sold here“.
Même la publicité devient folle, Yves Saint Laurent se déshabille pour vendre une eau de toilette (il a tout de même gardé ses lunettes)…, dans le sport, les françaises sont effrayées par la basketteuse russe Ouliana Semenova qui mesure 2,20 mètres…, une géante des parquets qui regarde l’équipe de France comme une bande de lilliputiennes.
Une Porsche 917 K remporte les 24 Heures du Mans à une moyenne de 222,3 km/h avec une vitesse de pointe atteignant les 360 km/h dans les Hunaudières… et Carlos Monzon, le puncheur argentin, fait le mariole sur les rings.
Goodbye sixties…, il faut tourner la page du passé, faire place nette, balayer les icônes des années ’60…, le stationnement payant est approuvé dans la capitale…, les Halles sont transférées à Rungis…, pire, les bus à plate forme de la ligne 21 partent au rebut, ils sont jugés trop dangereux…, pourtant entre la Porte de Gentilly et la Gare St Lazare, ils ont facilité bien des amours naissantes…, ils étaient le meilleur moyen de flirter à l’air libre et donnaient de l’élégance à nos déplacements urbains, ils sont revenus à un certain classicisme… et Coco Chanel, l’arbitre du bon goût, laisse derrière elle une France en ponchos et blouses à fleurs.
Les constructeurs automobiles ont également perdu l’inspiration…, toutefois, tout au long de l’histoire de l’automobile, certains modèles se sont distingués et ont marqué à tout jamais les époques, même dans les années ’60 et ’70…, ces modèles de légende sont devenus des objets de fascination à la fois pour les constructeurs que pour les acheteurs.
La Jeep fait partie de ces modèles qui ont laissé une empreinte indélébile dans l’histoire du monde automobile…, l’apparition de la Jeep s’est réalisée au début de la seconde guerre mondiale grâce à une petite société encore inconnue en ce temps-là…, à cette époque, les Etats-Unis qui n’étaient pas encore entrés en guerre, préparaient leurs troupes et cherchaient à fabriquer un modèle de voiture idéal pour circuler partout.
C’est ainsi qu’apparut le premier prototype de la Jeep, créé par une petite firme dénommée Bantam…, ce constructeur innovant a créé la surprise en réussissant à offrir un modèle à l’armée dans les délais demandés au détriment des constructeurs Ford et Willys.
Cette première Jeep respectait à peu près les exigences de l’armée hormis le poids qui s’élevait à 920 kg et dépassait largement les 590 kg souhaités…, sa garde au sol était de 16 cm, la Jeep était aussi pourvue de quatre roues motrices et avec les pneus enlevés elle pouvait emprunter les voies des chemins de fer.
Le créateur Bantam n’avait pas, en effet, les moyens nécessaires pour une production à grande échelle de la voiture…, mais, la première controverse de l’histoire de la Jeep survient quand la fabrication de la voiture fut attribuée à Willys…, les impératifs de la guerre s’imposant, Ford avait alors été appelé à fabriquer aussi des modèles de Jeep.
L’entrée en guerre des Etats-Unis va permettre à la Jeep de montrer toutes ses capacités et particulièrement en tant que véhicule de commandement et de support des transmissions, elle se révélait aussi comme un véhicule tout terrain d’une efficacité redoutable et entrait dans la légende comme étant le modèle tout terrain de référence jusqu’à nos jours…, en quatre années, entre 1941 et 1945, les deux constructeurs ont fabriqué jusqu’à 80.000 Jeeps.
Après la guerre, une version civile de la Jeep fut commercialisée aux Etats-Unis : la Willys Jeepster, la bonne vieille Jeep Willys du débarquement de Normandie avait ainsi été remplacée.., la Jeepster est rapidement devenue une icone, son design très particulier étant l’oeuvre de Brook Stevens qui s’illustrera dans les années soixante en créant l’Excalibur…, l’engouement fut encore plus spectaculaire que pour les premiers modèles de Jeepster des années ’46 et suivantes…, c’est à la fin de cette période (’67), symbolisée par le Rock-and-roll qu’une évolution de la Jeepster fut créée, la Commando 4×4 !
Outre-Atlantique, on n’hésitait pas à laisser au garage sa Cadillac pour, le week-end venu, grimper dans sa Jeepster afin d’escalader les Rocheuses : “Comment se rendre l’hiver à la station d’Aspen dans le Colorado sans une Jeep Commando 4×4 ?” affirmait Steve MacQueen dans une interview au New-York Times…
Icône de plein droit, la Jeepster Commando 4×4 est devenue à la fois un engin terriblement “Up-to-date“, tout en restant le cheval de trait traditionnel de Jeep, demeurant ainsi fidèle à son pédigrée : un véhicule utilitaire carré, dans tous les sens du terme…, la véritable signature de Jeep pendant plus de 50 ans.
Mieux encore, en cette époque de conquête spatiale et de rêves tout azimut, hommes et femmes confondus ne pouvaient résister au plaisir d’en prendre le volant pour se promener en ville, capote enlevée, avec le volume et les basses un peu trop fort, pour profiter d’une brise fraîche l’été…, c’était le véhicule parfait pour les célibataires en mal de compagnie…, la production a cessé aux Etats-Unis en 1972 mais a continué en Espagne jusque 1982 !
On m’avait prévenu de m’attendre à des sensations hors normes, mais je voulais à tout prix acheter cette icône de l’industrie automobile : la Jeepster Commando 4×4…, j’en ai acheté plusieurs, et toutes m’ont procuré les mêmes sensations, frôlant “l’apocalyptique”…, en effet, les Jeepster’s grincent de partouze, sans cesse, tout brinquebale, parfois une porte s’ouvre toute seule dans un virage ou suite à un dos d’âne (un gendarme couché) et en cas de pluie, c’est la baignoire…
D’abord, avant d’aller plus loin dans l’horreur…, il est important de refaire un historique de la marque Jeep, le Jeepster étant étroitement lié à l’histoire.
Jeep a été créé lors de la Seconde Guerre Mondiale…, cependant, elle ne devient une vraie marque qu’en 1963, lorsque Kaiser-Jeep forme une entité séparée de Willys-Overland…, ce changement marque aussi la scission de la gamme Jeep en deux branches.
Le CJ, ancêtre du Wrangler, modèle directement issu du véhicule préféré des GI pendant la guerre, est logiquement maintenu, mais se voit flanqué de la familiale Wagoneer, une variante plus urbaine, conservant le cachet des jeeps et proposant en option les quatre roues motrices…, en fait, ce Wagoneer est le précurseur d’une nouvelle catégorie: les 4×4 aptes au tout-terrain et rarement utilisés dans ces conditions.
Loin d’être éclipsé par des modèles plus luxueux, le CJ continue d’écrire sa légende…, il est produit aux quatre coins du monde par différents constructeurs (au Japon par Mitsubishi, en Espagne, au Portugal, en Israël et en Afrique du Sud), mais c’est en Inde qu’il perdure le plus longtemps…, sous l’appellation Mahindra, il est assemblé sous licence depuis 1947 et ensuite motorisé par Peugeot…, c’est la raison pour laquelle Jeep fusionne avec American Motors en 1970, ce dernier développant la gamme en y adaptant son V6 à partir de 1971.
Pour en revenir au fabricant des versions américaines, Kaiser-Jeep, il est trop petit pour survivre seul, même avec un modèle aussi populaire, c’est dans ces années que renait l’icone Jeepster des années 46 à 50… avec la Jeepster Commando 4×4.
Puis, à la fin des années ‘80, AMC-Jeep-Renault se retrouve confronté à d’autres problèmes financiers…, Chrysler rachète ce qui reste en 1990, change la marque AMC pour Eagle, disparue depuis, intègre la marque Jeep à ses concessions pendant que Renault délaisse le marché américain.
En 2009, suite à la crise économique, Chrysler et Jeep sont rachetés par Fiat…, la Jeep Commando gagne alors en accessibilité en plus d’une versatilité et d’un confort accru…, avec la Jeepster Commando 4×4 des années de ’67 à ’82, Jeep avait concocté une version comptant sur un empattement plus long afin d’offrir plus d’espace aux occupants…, en fait, grâce à son empattement plus long, on se fait beaucoup moins “brasser” que dans la version CJ.
Le Jeepster Commando est entièrement découvrable pour une expérience en plein air inédite…, a l’intérieur, quelques détails nous ramènent au passé…, l’habitacle est très large et celui-ci nous montre même quelques sections en acier peint…, on remarque également que le tableau de bord, tout en restant “moderne“, a été adapté à un véhicule qui ne permettait pas, dans les années ’70, beaucoup de fantaisie dans ce domaine.
Le volant m’a frappé par son design minimaliste que j’ai trouvé très attrayant (gag !)…, il n’y a aucune télécommande pour ajuster les rétroviseurs extérieurs, même pas manuelle…, on doit ouvrir la vitre pour les ajuster.., les sièges sont toutefois semi-confortables, l’espace pour la tête et les jambes ne fait pas défaut à l’avant comme à l’arrière… et en 2+1, la banquette s’abaisse facilement, afin d’agrandir l’espace de chargement.
La mécanique est simpliste…, le moteur ne ronronne pas tel un dinosaure enragé sous le capot, mais toussote ses entrailles en émettant une fumée noire…, c’est un 4 cylindres Perkins Diesel de 2.710cc de 71cv qui suinte l’huile de partouze…, celui-ci est accolé à une transmission manuelle à quatre rapports qui ne paraissent pas synchronisés tellement ils craquent…, les quatre roues motrices sont censées spermettre de s’aventurer où les routes sont difficilement carrossables, quand il y a une route…, la ou consommation et fumée, identiques à celles d’un vieux steamer ou a une locomotive des années 1880, n’est pas importante, sauf si on a une once de respect pour la faune, qui n’en peut…
La direction est floue au centre et ailleurs également… et la suspension a été calibrée pour le hors-route ce qui rend l’engin (agricole) semblable à une remorque pour les champs…, ce n’est pas un engin d’autoroute car sa vitesse de pointe de 80 Km/h “à donf” n’est pas suffisante (je vous fait grâce du nuage de fumée dégagée par cet “chose”…, mais, sur petites routes, dans les sous-bois et routes de montagne, en bord de mer, le Jeepster Commando 4×4 est tout à son affaire si vous n’êtes pas sensible à l’écologie…, quant à tracter une remorque (motos, quads, jet-skis, ULM, parachutes ascensionnels etc.etc…), c’est du rêve, puisque la Jeepster peine à grimper à la moindre déclivité…
Et tout cela en full cabrio, 4 à 6 places…, avec les retours de fumée de l’échappement, ainsi que celle qui s’enfuit du compartiment moteur par toutes les voies possibles, y compris les “bouches” de chauffage…, et s’il pleut, le capotage complet en moins de 30 minutes par deux personnes (qui vont “s’engueuler” copieusement et finiront les pires ennemis du monde,…, le bilan est d’autant plus négatif que le Jeepster Commando 4×4 est curieusement très bien coté aux USA et ailleurs dans le monde…
J’ai résolu tout cela en jetant le moteur, la boite et d’autres pièces au fond d’un lac enchanté qui était reconnu comme étant d’une pureté exceptionnelle, la presse à par contre publié en première page toute l’interrogation des populations locales voyant sans raison des milliers de poissons morts flottant à la surface d’une eau devenue mazouteuse… ce qui a attiré quantité de spéculateurs croyant qu’il y avait là un gisement de pétrole gigantesque… ce qui a fait “flamber” le prix des terrains et maisons alentours…
J’ai remplacé le bloc diesel par un bon gros V8 Yankee épaulé par une boite automatique et le Jeepster est deviendou une bonne grosse Jeep sympa qui craquouille malgré-tout de partouze, dont les portes s’ouvrent toujours suite aux aléas des terrains pratiqués… et qui sert de baignoire en temps de pluie…, mais quel pied grâce au V8… et quel bruit formidable…, là ou la faune avait survécu à la pollution des fumées du diesel, j’ai réussi à annihiler la faune survivante grâce au bruit apocalyptique du V8 de 7L…, une voiture formidable…
Je me propose d’examiner l’objet “voiture” sous prétexte de cette Jeepster Commando 4×4, en tant que lieu de convergence des plus symptomatiques de nos rapports aux autres et à nous-mêmes, mais aussi en tant que révélateur d’une pensée singulière de l’espace et plus généralement, d’un certain mode d’appréhension du monde.
Si la voiture a pu être, pour reprendre Roland Barthes : “une grande création d’époque, consommée dans son image, sinon dans son usage, par un peuple entier qui s’approprie en elle un objet magique“, qu’en est-il aujourd’hui ?
A l’échelle individuelle d’abord, un habitacle automobile se donne comme une sorte de micro théâtre de l’existence où s’intensifient et se déclinent les sentiments et comportements humains les plus variés…, l’intérieur de la voiture, par son confinement même, se voit devenir l’espace privilégié de représentations multiples mettant en jeu corps et regard.
Tableau de bord, volant, siège passager, banquette arrière…, tout est sujet à l’appropriation et au détournement, l’habitacle se révélant être un espace restreint offert à toutes les projections et introspections, des plus excentriques aux plus poétiques, des plus sensuelles aux plus brutales.
Qu’il s’agisse de la vie enclose de Taxi Driver, des scènes oppressantes de départ en vacances dans Harry, un ami qui vous veut du bien, des querelles de couples ou des conversations entre bandits et/ou victimes…, la voiture dessine un périmètre clos, un lieu d’enfermement, propice aux tensions, au suspense, à l’humour aussi…., la machine voiture dans son ensemble, du fait de sa technologie et de ses attributs techniques, est un prolongement du corps, une extension mécanique procurant à son conducteur : sentiment de reconnaissance, pouvoir et enivrement…, mais aussi : angoisse, perte des repères habituels et fantasme morbide.
Espace “déambulatoire“, souvent en marge des fonctionnements sociaux habituels, il peut donc être appréhendé comme élément d’un déplacement physique, social, temporel où il fonctionne en tant qu’hétérotopie…, symbole surexploité de la virilité et de la puissance… et dont la publicité reconduit bien souvent l’image caricaturale, l’automobile se révèle une source de fascination plus ambiguë à travers l’expérience du road-movie, de la course folle, de la fuite ou de la déambulation nocturne.
Instrument d’aventure et d’actions, elle transporte alors son conducteur vers un parcours plus intérieur, implacable et irréversible, de l’ordre de la rébellion, de l’échappée belle, du dépassement des limites…, incarnant simultanément excitation et transgression, fascination et destruction.
En déviance, l’accident, réel ou fantasmé, provoqué ou fortuit, constitue un véritable point de convergence de l’intensité, en particulier dans la production cinématographique, pour laquelle il pourrait être fécond d’examiner les effets de dramatisation liés à la diversité des scènes de carambolages et de collisions…, comme en témoigne l’histoire d’hier et d’aujourd’hui (assassinat de Kennedy, voitures piégées, etc.), le kidnapping, le meurtre ou l’attentat constituent d’ailleurs les revers indissociables de cette machine dont la vitesse promet pourtant un imaginaire sans fin… et à travers lequel artistes, écrivains ou cinéastes n’ont de cesse d’explorer et de distiller la violence.
Figée, la voiture peut signifier la réussite d’un voyage comme son enlisement…, plus globalement, la voiture s’affirme comme lieu d’une appropriation individuelle, d’une identité à singulariser, dont le design industriel construit le langage commun.
A travers ses formes, ses styles, ses couleurs et ses matières, elle fonctionne comme signe distinctif répondant cependant à des critères esthétiques très codifiés…, de fait, elle porte toujours les traces d’une origine culturelle : les Japonaises ne sont pas les Américaines, ni les Italiennes les Allemandes… et plaques, ornements et autocollants nous renseignent sur elle…, limousine, Jeep ou 2cv ont leurs mythes propres… et l’animal technologique est volontiers humanisé, pour le meilleur ou pour le pire.
Mode majeur du déplacement urbain, elle soulève par ailleurs de véritables enjeux d’urbanisme et d’écologie comme le suggèrent notamment les politiques d’éviction de la voiture dans le centre des grandes villes !
Objet industriel, produit de masse ou de luxe soumis aux règles du marché (dont les événements type salon de l’automobile, les revues et les émissions tv spécialisées manifestent l’engouement), la voiture se dévoile enfin comme lieu de tensions économiques et politiques… et ce à différents niveaux.
La voiture, à la fois objet social et consommable, surface et espace intérieur et extérieur de projections, mode de déplacement réel et/ou mental, sera ainsi considérée en tant que source privilégiée de création et de production d’images diversifiées, témoignant de son immersion dans le monde et de sa capacité à en cristalliser les enjeux…
Quid dès lors de cette Jeepster Commando 4×4 de 1975 ?
Elle est tout et son contraire, elle distille l’impression d’être un baroudeur déjanté rejouant Daktari ou Indiana Jones…, un indien Sioux sur le chantier (et non le sentier) de la guerre…, un outlaw circulant libre dans le désert de Mojave…, alors qu’en fait, tel qu’illustré sur les photos, la Jeepster n’est qu’un engin de courts déplacements d’un châtelain déjanté (et désabusé), entre son donjon BDSM et sa belle des champs…
A suivre (2ième partie)