1987/1993 Cadillac Allanté…
À peine plus charismatique qu’une endive braisée, il n’y a décidément aucune limite à la folie humaine !
Vous souvenez-vous de la Cadillac Allanté, ce roadster biplace apparu en 1987 et qui a disparu en 1993 ? Quand on pense à la marque Cadillac, il est plutôt question de Fleetwood, Eldorado ou Brougham.
Le nom Allanté, quant à lui, n’est pas aussi évocateur du passé prestigieux de cette division de General Motors. Pourtant, ce coupé italo-américain demeure encore, à ce jour, le véhicule ayant nécessité la plus longue chaîne de montage au monde, un titre peu enviable, mais tout de même mémorable.
En effet, quel meilleur exemple pour évoquer les déséquilibres mentaux que les œuvres d’hommes qui ont depuis bien longtemps laissé s’exprimer leurs délires créatifs ?
Pour sûr, quelques esprits chafouins prétendront toujours que les géniteurs de la Cadillac Allanté pouvaient plaider autre chose que la démence pour se disculper de leurs actes, comme un moyen de gagner de l’argent facilement, sans chercher à donner dans la qualité.
Il n’empêche que cette excuse mise à part, on aura bien du mal à m’ôter de l’idée qu’oser fabriquer ce genre d’ânerie, en espérant trouver un public pour l’apprécier au premier degré, mériterait de relever du domaine psychiatrique.
Comme les connaisseurs peuvent s’en douter, la Cadillac Allanté s’inscrivait dans cette tendance vénale du “2 en 1”, avec son traditionnel caviardage de gimmicks stylistiques amenant le public-cible à intégrer une cellule psychologique pour peu qu’il essayait d’appréhender tous les tenants et aboutissants d’un design pour le moins abscons.
“Boarf, encore une tentative de Cadillac pour tenter de garder la tête hors de l’eau”, ont soupiré les plus blasés. A tort, car si on était alors en terrain connu sur la forme, le fond s’avèrait lui franchement surprenant : bien loin des élucubrations habituelles !
Et force est de reconnaître que General Motors avait encore une fois tapé dans le haut niveau, l’œuvre étant tellement agitée du bocal qu’elle a réussi à justifier à elle seule la rédaction de milliers de chroniques bien garnies.
Face à tant d’aberration, il s’avère ardu de choisir par où commencer. Etant donné qu’il faut bien placer les choses dans un contexte, commençons par l’histoire qui va servir de cadre à ce déballage de folie furieuse.
Les origines du coupé Allanté remontent à 1982 alors que la division Cadillac voulait investir le marché des roadsters de luxe avec comme cible principale la Mercedes 560SL, rien de moins. Le coupé Allanté avait aussi la mission de rajeunir la clientèle tout en devenant une voiture phare.
Malheureusement, l’histoire de ce roadster d’exception (GM définissait l’Allanté comme étant un roadster même si c’était une traction avant), ne s’est pas déroulée exactement comme prévu.
La Cadillac Allanté était basée sur une plateforme Eldorado traction avant, tout le contraire de la concurrence européenne. Et dans un segment à ce point exclusif, ce détail a irrité la clientèle cible hors USA.
Pour ajouter un peu de cachet à l’ensemble, GM avait fait appel à la célèbre maison italienne Pininfarina pour la ligne de son nouveau coupé en plus de lui confier le mandat de fabriquer les carrosseries et de les assembler aux plateformes Eldorado.
Cette décision d’impliquer Pininfarina, malgré tout le prestige que cela apportait à Cadillac, va s’avérer problématique et surtout très coûteux.
Tout le monde s’est gratté la tête : Comment faire ?Une bande de scientifiques fut engagée pour travailler sur ce projet secret afin de trouver une solution inédite !Le but de leurs recherches était simple : trouver un procédé pour assurer la finalité d’une telle entreprise !
Par contre tout restait confus, car on voyait mal en quoi tout cela allait présenter un quelconque intérêt pour l’humanité, autre que permettre à certains pontes de la ramener… et aux concessionnaires de la jouer franchement snob vis-à-vis de leurs clients en quète de paraître identitaire : “Le style italien incomparable de Pininfarina et la technologie Cadillac”…
Bref, toujours est-il qu’une méthode a été imaginée, qui s’est avèrée d’une logique redoutable : envoyer les plateformes d’Eldorado (raccourcies de 22 cm) en Italie, à l’usine Pininfarina, via une flottille de trois Boeing 747-cargo d’Alitalia aménagés, chaque avion contenant 56 plateformes (soit 168 Allanté au total)…
Le constructeur italien se chargeait d’habiller ces plateformes avec ses carrosseries, certains éléments techniques étant déjà pré-montés, comme le système d’air conditionné, la colonne de direction ainsi que la majeure partie de l’électronique embarquée.
Après découpes et soudures, les ouvriers de Pininfarina n’avaient plus qu’à installer la carrosserie et l’intérieur puis : peinture et pose des acastillages.
Les 3 X 56 Cadillac Allanté repartaient complètes mais sans les trains roulants, jantes et pneus, par les mêmes 3 avions, à Detroit, pour l’assemblage final (le moteur, la boite de vitesse, les trains roulants, le boîtier de direction, le réservoir d’essence, les freins, les suspensions, les jantes et pneus…), puis, les 3 avions re-repartaient avec 3 X 56 autres plateformes vers l’Italie… et ainsi de suite…
Vous comprenez pourquoi le projet Allanté s’est vite fait décerner le nom de “Chaîne de montage la plus longue du monde”…, cette chaîne avait tout de même plus de 10.000 km de long !
Pour autant, ce que les scientifiques et ingénieurs n’avaient pas prévu dans leur plan hasardeux, c’était la survie de leur projet. Dès lors, une lutte acharnée va s’engager contre le temps qui passe.
Hélas, cette démesure va très vite transformer la bête (l’Allanté) en une créature qui sèmera terreur et désolation dans les finances de General Motors… Ne restera alors plus qu’à étouffer l’affaire, tout en cherchant un moyen de redresser la situation.
D’ailleurs, tant que nous sommes à l’évoquer, autant de suite lever le voile sur cette atrocité de la nature, ce monstre répugnant, odieux, produit de la folie de l’homme et de son désir de se prendre pour Dieu. Eloignez les enfants, c’est abominable :
Pourtant, l’Allanté n’était pas une “laide voiture”…, la ligne plutôt sobre que Pininfarina avait élaborée était réussie avec une grille de calandre typiquement Cadillac et un pare-brise très incliné, sans parler des énormes feux de position tout à l’arrière.
L’Allanté mesurait 4.53 m en longueur, 1.86 m de large et 1.32 m de hauteur, elle pouvait être habillée d’un toit rigide en aluminium ou d’un toit souple, selon l’humeur du conducteur. Bref, cette nouveauté amenait un vent de fraîcheur au sein de la gamme.
Le traitement se poursuivait aussi à l’intérieur alors que les deux baquets d’origine Recaro ajustable en 10 points donnaient encore un peu plus de tonus à l’ensemble. De plus, le dessin de la planche n’était pas si vilain pour cette période avec cette partie centrale orientée vers le conducteur.
Le roadster américain avait comme seule option un téléphone cellulaire (c’était en 1987), qui se dissimulait dans un compartiment entre les deux occupants. La qualité d’assemblage était au rendez-vous, elle avait intérêt à l’être puisque l’Allanté s’affichait en concessions (et sans concession), plus de 50.000 US$, une somme plutôt inhabituelle pour une Cadillac.
Oui, bon, à partir de là, on peut dire que l’Allanté prenait un sérieux coup dans les écailles. J’en ai peut être un poil trop écrit, je ne m’en excuse pas…, mais, vous comprenez, ce n’est pas super évident d’écrire sur une telle bestiole… et entre un perpétuel regard ahuri et un sourire narquois, il m’est excessivement difficile de prendre cette voiture au sérieux si je n’y met pas un tout petit peu du mien.
Pour ne pas arranger les choses, il faut bien avouer que General Motors, déjà à moitié sinoque, n’était pas vraiment dans un grand jour.
Car non content de créer l’une des voitures les plus croquignolesques de toute l’histoire de la marque Cadillac, General Motors va se sentir obligé de justifier la commercialisation de son monstre, histoire d’être bien certain que tout les clients potentiels, même les moins observateurs, soient intimement persuadés de ne pas avoir en face d’eux une terrifiante manche à air peinturlurée à la va-vite, mais une légende automobile, un futur mythe, une automobile de grande classe au cachet italien.
Consciencieux jusqu’au bout des ongles, les ingénieurs Cadillac ont même pensé aux aveugles, qui eux aussi risquaient d’être assez perplexes à l’écoute du bruit du moteur et de l’échappement, qui devaient ensemble (gag !) émettre un son mélodieux, celui-ci s’approchant plus d’un mélange entre les cris d’une bande de Marines mélés aux gloussements d’une cantatrice…, que du sifflement angoissant d’une locomotive à vapeur…, qui lorsqu’elle passe à l’action donne le sentiment d’un vrai festival, celui d’une fanfare qui joue tout en effectuant des petits sauts successifs tels une bande de kangourous pris de la danse de Saint-Guy, s’enfuyant par la fenêtre d’une cabane en flammes.
Sous le capot de l’Allanté a donc été installé un V8 de 4,1-litres d’une puissance de 170 chevaux (avec un couple généreux de 230 lb-pi), le moteur étant accouplé à une transmission automatique à 4 rapports. Cette première motorisation ne va pas aider la réputation du roadster puisque le moteur était trop juste pour traîner cette lourde masse.
En 1989, GM va troquer le 4,1-litres pour un autre V8 plus puissant dont la cylindrée atteignait 4,5-litres, une décision qui va brièvement faire augmenter les ventes. Il développait 200 chevaux et son couple était de 270 lb-pi, ce qui augmentait quelque peu les performances du véhicule.
Naturellement, une telle configuration voulait aussi dire que l’effet de couple était bien présent, sans oublier le sous-virage plus important en courbe. La suspension de l’année-modèle 1989 sera aussi équipée d’un nouveau système qui ajustait la fermeté des amortisseurs selon la vitesse.
En 1993, la dernière année du modèle, Cadillac va implanter son tout nouveau V8 Northstar 4,6-litres qui développait une puissance plus satisfaisante de 295 chevaux et un couple de 290 lb-pi.
L’Allanté était équipé d’office de 4 freins à disques aidés dans leur tâche d’un système antiblocage ABS. Notez que c’est aussi à partir de cette période que les Airbags sont apparus dans les véhicules et l’Allanté avec son statut exclusif n’échappait pas à cette règle.Il serait pourtant réducteur de n’évoquer que cela…
L’année-modèle 1993 aura été celle avec le plus grand nombre de Cadillac Allanté produites, mais il était déjà trop tard. Elle n’a jamais connu le succès escompté et GM n’eût d’autre choix que de l’annuler. 21.430 exemplaires auront donc été produits entre 1987 et 1993.
Du fait de sa rareté, la Cadillac Allanté pourrait devenir rapidement un futur collector car ses qualités routières sont indéniables, sa consommation raisonnable (10 à 12 l/100 km) et sa cote est pour l’heure très abordable :entre 15.000 et 25.000 €.Ironiquement, le roadster XLR, digne successeur de l’Allanté, ne sera pas lui non plus un modèle prisé par les acheteurs, et ce, malgré des origines plus inspirantes : la Chevrolet Corvette.
Débauche d’absurde s’élevant avec légèreté vers les cimes du portnawak, la Cadillac Allanté est sans conteste une jolie pièce qui vous fera passer un agréable moment. Avec son look démentiellement sage…, ses solutions techniques typiquement américaines…, elle enchaîne les délires aux convenances établies, sans grands temps morts, fait assez rare pour être souligné.
Quoiqu’il en soit, voici bien une nouvelle démonstration de ce que la folie américaine peut offrir de meilleur. Et nul doute que du moment où la démence continuera de fermenter sous le crâne des hommes, il existera toujours des personnes pour trouver du génie même chez le plus grand des fous.
Tant mieux, l’existence des gens est forcément hétérogène mais quelques tendances se font jour… et si les années 1990 étaient celles de la fatigue d’être soi, de la dépression et du prozac, quelques indications laissent penser que les sociétés occidentales sont affectées par une anxiété généralisée entraînant une consommation importante de benzodiazépines. Il faut dire que les nouvelles du monde ne sont pas rassurantes et qu’hélas, le premier pôle structurant de la vie, c’est le fric, le travail et l’économie.
Du coup, la crainte de perdre pied devient tangible et s’intensifie avec les mauvaises nouvelles économiques qui n’ont cessé de se succéder, depuis la chute de Lehman Brothers et la crainte systémique avec la bourse en chute libre, jusqu’aux épisodes du mélodrachme européen qui se joue avec la Grèce, l’euro, les dettes, l’austérité et quelques pays du Sud pas vraiment en bonne forme économique.
A chaque fois, on nous prévient que tout s’écroule mais régulièrement, des sommets et des réunions sont organisées, certaines étant présentées comme de la dernière chance.
Nul ne sait ce qui se décide exactement mais tout va bien après chaque sommet, jusqu’à ce que ça aille mal et qu’on décide d’une réunion informelle, ce qui permet de temporiser en attendant la prochaine réunion qui elle, sera tout ce qu’il y a de plus officiel et formel. Et les inquiétudes se poursuivent.
Dans un tel contexte, le clampin moyen a besoin d’évasion, de rêve et il regarde les bagnoles de rêve en paillettes !Tout ce cirque semble grotesque mais c’est devenu une tradition.Le rêve a un prix, l’évasion aussi.
Le propre de l’homme occidentalisé est d’être insatisfait de son existence même s’il a les moyens pour mener une vie intéressante. Il n’est pas assez intelligent sans doute…, alors il regarde les stars, les joueurs, leurs voitures, leurs costumes et leurs compagnes… et il vote souvent à droite.
Cette rêverie intellectuelle invite à une réflexion : c’est indécent, avec des prix démesurés et les léchages médiatiques de journalistes ensorcelés par diverses stars capricieuses et narcissiques, bavardant avec eux, connivents et complaisant, le tout assorti de glorification et d’autocélébration, des gens qui s’écoutent parler et servent de la daube dégoulinante !
L’insignifiance érigée au niveau d’un cosmos divin, alors que pendant ce temps, la recherche fondamentale manque de cerveaux, ne paye pas bien ses chercheurs et risque de subir encore des coups et s’instrumentaliser au service de l’industrie et de la croissance, tout ça pour générer du profit et endormir les masses avec une efficacité bien supérieure à celle des curés d’antan et leur catéchisme de bénitier.
Tout cela montre que le monde ne se porte pas très bien et que tout est bon pour rassasier des citoyens transformés en porcs capables de bouffer n’importe quelle merde !Qu’on en finisse avec ce monde… et qu’un royaume plus intelligent, subtil et divinement humain advienne !
Ces paroles pieuses que je formule sont toutefois d’une grande bêtise, ce n’est pas en incitant les gens à une résistance culturelle doublée d’une frugalité consumériste qu’on les amènera sur la voie de la vérité. C’est l’inverse : le sage sait où aller et quoi acheter, la sagesse a quitté le monde…, mais l’a-t-elle vraiment habité ? Je ne sais pas, les choses essentielles sont cachées, comme dans un roman de James Ellroy…
A mon sens, c’est tout bonheur que d’acquérir actuellement une Cadillac semi-sportive, Roadster V8 2 places, toutes options y compris l’air conditionné, le tout cuir et les assistances à tous les étages, pourvu d’un hard-top… alors que pour une allemande de même niveau on doit ramer cinq fois plus pour rien de mieux…
Addendum :Rareté absolue, cette automobile a bénéficié, depuis la mise en ligne de cette chronique sur GatsbyOnline, de quelques émails confidentiels entre cercles d’amis de bon goût.
Il semble que les notions d’ordre du monde, des choses et de l’existence en général aient été profondément chamboulées chez certains et certaines : des débats intéressants sont nés, des interprétations inédites, des analyses mélangeant avec un sens de l’à-propos surprenant philosophie hegeliano-marxiste et métaphysique de comptoir. On s’accorde dès lors à trouver plus de fond qu’il n’y paraît à cette Cadillac Allanté.
Certains n’hésitent pas à l’affirmer haut et fort : cette voiture est celle de la génération ’90, elle rend compte ni plus ni moins que d’un chant du cygne, une époque révolue.
C’est en quelque sorte un témoignage socio-historique naïf… mais qui n’oublie pas de poser des questions fondamentales, nous en apprenant peut-être plus que nous l’imaginons, sur les affres de la vie….