1987/1988 Cadillac Allanté Pininfarina…
Les plus jeunes ne s’en souviennent peut-être pas, mais, à une certaine époque, aucune voiture sur le marché ne proposait la qualité et le luxe d’une Cadillac, d’ailleurs, pour illustrer la qualité d’un produit, on l’associait à Cadillac.. Par exemple, quelqu’un s’achetait une cuisinière et disait à ses amis : “C’est la Cadillac des cuisinières”. Malheureusement, à partir du milieu des années ’70 et peut-être même avant, le lent déclin de cette marque s’est amorcé.
Il y a une dizaine d’années, Cadillac n’était déjà plus que la caricature de ce qu’elle avait été, dans la plupart des cas, on “pimpait”, à l’image des Cadillac, des grosses Chevrolet ou des Pontiac, en ajoutant des éléments décoratifs extérieurs, en optant pour des moquettes plus épaisses que la moyenne et, bien entendu, en adoptant une suspension ultra molle, plusieurs observateurs étaient même persuadés que cette marque, jadis si prestigieuse, allait disparaître.
La branche Cadillac de General-Motors a alors tenté de renverser la vapeur en proposant le cabriolet Allanté, une traction avant équipée d’un V8 monté transversalement, dont la carrosserie était produite chez Pininfarina… et cette décision fut comme un nouveau départ, le tandem Pininfarina-Cadillac réussissant à améliorer la réputation de la marque à tous les points de vue… Le procédé de production était hallucinant : les châssis étaient expédiés par avion des USA vers l’Italie, les carrosseries Pininfarina y étaient montées et l’ensemble retournait aux USA, toujours par avion… L’Allanté devait remettre Cadillac à l’avant plan du luxe international et déloger la Mercedes SL de son piédestal avec l’appui d’un design épuré signé Pininfarina ! L’Allanté est aussitôt devenue hautement désirable, ayant tous les atours d’une future voiture de collection, c’était en effet non seulement une excellente américaine, mais en plus une voiture sportive de très grand luxe…
D’immenses peupliers, à la tige toujours allante et venante, qui ont l’air de prendre dans leurs tiges tout le vent du pays. J. de Goncourt, Journal, août 1858, page 520
Le mot Allanté fut créé à la suite d’une étude de marché, il était censé donner une touche de raffinement dans toutes les langues. Allante est un adjectif féminin qui parle d’une personne ou d’une chose qui va et qui vient, qui est naturellement en mouvement :
Dans ce meilleur état de ma santé, je me sens prise d’une sorte de torpeur. Ce n’est pas physique. Je marche, je me promène. Je suis allante et venante, prête au mouvement, sans qu’il coûte à mon corps l’effort et l’entraînement qu’il exige d’ordinaire du malaise d’une malade. J. de Goncourt, M.Gervaisais,1869, page 147.
La foi va de soi, la foi marche toute seule. Pour croire, il n’y a qu’à se laisser aller, il n’y a qu’à regarder. La foi est toute naturelle, toute allante, toute simple, toute venante. Toute bonne venante. Toute belle allante. Ch. Péguy, Le Porche du mystère de la 2ème vertu,1911, page 175.
La voiture avait été créée sur la base d’une plate-forme raccourcie de Cadillac Eldorado avec des éléments de Cadillac Seville, de Buick Reatta et Riviera, ainsi que d’Oldsmobile Toronado…, les suspensions étaient indépendantes aux 4 roues : jambes de force MacPherson à l’avant et entretoises avec des ressorts à lames transversaux en matériaux composites à l’arrière (Corvette).
L’Allanté était une étude remarquable, tout aussi courageuse que risquée selon le point de vue de chacun, mais finalement, en dépit de son apparence et de son moteur suralimenté développé avec le concours de Maserati, elle ne parvint pas à s’imposer auprès du public américain.
Chaque plate-forme (sans moteur ni transmission) était expédiée de l’usine GM à Détroit chez Pininfarina via Turin en italie, par groupe de 56 dans un des Boeing spécialement aménagés…, là, chaque châssis recevait “sa” carrosserie, construite “à la main” chez Pininfarina, complètement équipée (électricité, tableau de bord, sièges, tapis, peausseries et plastiques) et peinte…
Chaque ensemble était ensuite ré-embarqué, toujours par groupe de 56 dans un des Boeing 747 spécialement aménagé, pour un voyage de Turin à Détroit…à destination de l’usine GM dans le Michigan, ou chaque ensemble recevait moteur, transmission et roues…, scellant ainsi l’union du style italien et de la mécanique américaine…, les plates-formes de l’Allanté traversaient ainsi deux fois l’Atlantique par un pont aérien.
A son lancement, une Allanté coûtait bien plus que toute autre Cadillac, ou voiture GM, d’ailleurs, l’Allanté concurrençait exclusivement le haut de gamme européen tels que la Mercedes-Benz 560SL et la Jaguar XJS V12 Cabriolet…, le prix de base d’une Allanté en 1987 était d’environ $ 55,000, ce qui corrigé en fonction de l’inflation en dollars d’aujourd’hui, est d’environ $ 100,000 !
Pininfarina avait suggéré à General-Motors, une disposition à quatre roues motrices pour des raisons de prestige et d’exclusivité…,, ce qui était une œuvre ardue vu le manque de disponibilité de puissants moteurs que GM pouvait installer dans la voiture.
C’est un V8 4L1 de 170 chevaux et 230 lb-pi de couple, placé transversalement, qui fut choisi, accouplé à une version améliorée de la boîte automatique HT440 FWD, adaptée à ce que ce soient les roues directrices qui soient également motrices. Ce qui était étrange à propos de cette transmission automatique 4 vitesses, c’est qu’elle exploitait un décalage 1-2 mécaniquement, par pression de la ligne hydraulique, tandis que le 2-3 et le 3-4, ainsi que le verrouillage du convertisseur de couple étaient commandés électroniquement…, avec ce moteur, l’Allanté réalisait un temps de 10,36 secondes pour atteindre 60 mph (100 km/h)…, tandis que la vitesse de pointe se situait autour de 125 mph (210 km/h).
L’Allanté reçut quelques mises à jour pour l’année 1989 pour la rendre plus “up-to-date” avec un 4L5 HT V8 tout en aluminium de 200 chevaux et 270 Ib-pi de couple permettant un 0-60 mph (100 km/h) en 7,9 secondes…, l’autre mise à jour importante pour l’année 1989 a été l’ajoût d’un contrôle des amortisseurs sensible à la vitesse appelé SD²C (dépendant de la vitesse Damping Control), ce système avait été conçu pour augmenter la stabilité à n’importe quelle vitesse donnée… et les taux d’amortissement variaient selon celle-ci. Cadillac a vendu 3,363 Allanté en 1987 et 2,569 Allanté en 1988, c’était relativement peu, en partie à cause du prix élevé et en raison de la capacité de production extrêmement limitée (la plus longue ligne d’assemblage du monde).
Cadillac a simultanément introduit, de nombreuses améliorations importantes à l’Allanté, y compris un nouveau Twin Cam 32v V8 Northstar d’une cylindrée de 4L6L développant 295 chevaux et 290-Ib-pi de couple…, la bizarre transmission F7 a été abandonnée pour une boîte 4T-80E entièrement électronique, beaucoup plus moderne et mieux à même de gérer la puissance supplémentaire du Northstar. Les ventes restaient faibles, culminant à 3.296 unités de 1989 à 1992 inclus…, GM en quète de notoriété pour l’Allanté, va réussir à imposer (contre un gros paquet de dollars) une Allanté pour l’ouverture des 500 Miles d’Indianapolis en mai 1992, malgré que ses performances n’étaient pas encore suffisantes pour justifier son prix.
Avec ce nouveau groupe motopropulseur moderne l’Allanté pouvait exploser à 60 mph en seulement 6,4 secondes… et atteindre 140 mph (240 km/h)…
En outre, la suspension arrière indépendante à ressorts à lames avait été changée en un demi-queue arrière avec bras de longueurs inégales, qui offrait un changement de carrossage beaucoup moins dynamique sous charge et des capacités de virage grandement améliorées…, toujours avec l’appui du système SD²C, permettant un amortissement beaucoup plus progressif et une meilleure conduite ainsi qu’une plus grande stabilité.
En 1993 c’est 4,670 Allanté qui furent vendues, la meilleure année de vente, mais la production cessa à la fin de l’année.
Durant toute la production (six ans), seules 21.430 Allanté ont été produites, en raison de trois facteurs :
– La faible demande (parce qu’elles étaient très chères, le prix avait explosé à 64.843 US$, soit l’équivalant de 125.000 US$ de 2013)…
– La production coûteuse et compliquée (Cadillac/General-Motors perdait 3.000 $ par Allanté vendue et ne pouvait en augmenter le prix )…
– Un ralentissement économique au début des années ’90…
Pour l’Allanté, pas de cadences infernales ni d’installations ultra robotisées…, dans les établissements de Grugliasco et de San Giorgio Canavese, près de Turin, on martèlait, on ponçait, on peaufinait, car chez le maître carrossier Pininfarina, on cultivait alors le mythe de l’artisanat automobile de luxe, mais, sur une ligne voisine de celle de l’Allanté, la fabrication, pour Peugeot, du cabriolet 306, l’attestait : la nostalgie n’excluait pas le souci d’efficacité industrielle.
J’aime bien cette Italo-américaine…, Personnellement, je trouve que cette Cadillac associe à merveille le style américain de la bonne grosse voiture avec la fluidité des lignes d’une Maserati. Cadillac reste également une marque mythique dont le nom rend hommage au fondateur français de la ville, le gascon Antoine de Lamothe-Cadillac (mais c’est William Crapo Durant qui acheta la marque en 1909 pour l’intégrer dans “sa” General Motors et en faire sa division de voitures de luxe).
“Avec l’organisation industrielle qui prévalait avant que Cadillac nous confie la fabrication de l’Allanté, nous n’aurions pu consentir des prix aussi serrés si nous n’avions pas reçu les garanties financières de General-Motors”…, affirmait en 1993, Sergio Pinifarina, qui avait alors 67 ans, fils du fondateur et président de Pininfarina. Après une grave chute de sa production et de ses résultats financiers, Pininfarina remontait la pente, grâce à Cadillac il pouvait financièrement compléte la réorganisation de ses deux usines piémontaises et de son centre de recherche-développement de Cambiano, dans la banlieue turinoise, ce qui a ensuite convaincu Peugeot et le groupe Fiat de lui confier l’étude et la fabrication de leurs nouveaux fleurons.
Les ateliers, très peu automatisés (95% des opérations en tôlerie étaient manuelles), furent organisés en groupes polyvalents et autonomes de trente-cinq personnes, subdivisés en équipes de cinq, responsables de leur propre qualité…, en plus de l’autocontrôle, deux véhicules étaient vérifiés chaque jour en tôlerie, en cas de problème, la chaîne pouvait être stoppée et les modèles fabriqués entre les deux tests étaient retouchés. En automne 1993, la 306 cabriolet, mais aussi le Coupé Fiat et la Ferrari 456 prenaient la suite de la Cadillac Allanté, de la Peugeot 205 décapotable et du break de luxe Lancia Thema en fin de carrière. Si mythique fût-il, Pininfarina n’a pu échapper aux élémentaires leçons du management moderne, assimilées non sans difficultés.
L’activité recherche-développement, qui représentait 7% du chiffre d’affaires du groupe, a adopté les méthodes nippones de conception des véhicules en plateaux-projets pluridisciplinaires et d’ingénierie simultanée entre designers et spécialistes des méthodes…, du coup, le nouveau Coupé Fiat fut développé en trente-six mois. A Grugliasco, l’usine qui montait les carrosserie des cabriolets Cadillac Allanté et Peugeot 306, les stocks de composants sont revenus à deux ou trois jours, le nombre de fournisseurs a diminué de 650 à 350. Résultat: après l’atelier de peinture, celui de tôlerie a été classé “A” (meilleur fournisseur) par PSA.
“Nous savons parfaitement concevoir et produire avec une grande flexibilité des véhicules niches, 4×4, coupés, mini-voitures… à des petites cadences de deux à cent unités par jour, voilà notre créneau”, expliquait Sergio Pininfarina en 1993 : “Malheureusement, la société souffre d’un gros handicap. Elle dépend quasi totalement de trois clients : Peugeot, Fiat et Cadillac. La fabrication de la Cadillac Allanté américaine depuis 1986 à ce jour (1993) n’a guère rencontré le succès escompté, pour des raisons de qualité notamment, malgré le prestige de notre nom. Les clients américains voient un coté frivole dans les finitions italiennes et comme Cadillac vise le sommet, il faudrait atteindre les standarts de chez Rolls Royce… De ces faits, le contrat avec General Motors ne sera pas renouvelr en 1994. Pour sortir d’Europe, j’envisage d’exporter notre savoir-faire industriel dans les pays en développement, comme l’Inde, à travers des joint-ventures. Mais, pour financer ces opérations lointaines, Pininfarina devra ouvrir encore davantage son capital. La part familiale de 68% pourrait descendre rapidement à 51%. Mais pas question de céder le contrôle de la section carrosserie, qui y perdrait son âme”.
Bien confortablement installé dans les sièges en cuir, l’ensemble de l’habitacle est plaisant à l’oeil et change un peu des intérieurs austères de certaines productions européennes…, la finition faisait un bond en avant, mais certains détails laissaient à désirer, avec le temps (plus de 25 ans, ce qui range l’Allanté dans les ancètres), rien n’a changé, dans le sens positif ou rien n’a empiré ! Assurément, le Cadillac Allanté innovait réellement dans son design et bousculait quelque peu les valeurs établies du segment, souvent enfermées dans un style consensuel…, ses traits droits et anguleux jouent avec la lumière mettant encore en valeur le travail de Pininfarina.
Le temps de prendre ses marques et de noter que l’équipement est réellement très riche et impressionnant…, une pression forte sur l’accélérateur permet de rappeler que le couple et chevaux ne sont pas la que pour les fiches techniques ! Pour démarrer, il suffit de tourner la clé idoine dans le barillet… et… rien ou presque…, si on s’attend à un gros grognement propre aux V8 US, il est en sourdine, juste un feulement discret, passé cette première surprise, boîte auto sur Drive et la Cadillac file doux.
Les poussées sont très vigoureuses et la caisse hyper rigide ne montre aucun signe de torsion. Bon les lignes droites c’est bien joli, mais un trajet sur des lacets permet de juger plus profondément cette Cadillac Allanté, et bien, que le toit souple soit replié ou non, voire que le hard-Top soit monté, l’Allanté vire à plat en toute circonstance, bien aidée par son poids contenu. Presque joueuse, mais sérieuse, la Cadillac Allanté offre un plaisir de conduite incomparable, ce qui vient confirmer un quart de siècle plus tard, le retour gagnant de la marque dans le segment des anciennes sportives décapotables de luxe !
Quoiqu’il en soit, voici bien une nouvelle démonstration de ce que la folie américaine peut offrir de meilleur. Et nul doute que du moment où la démence continuera de fermenter sous le crâne des hommes, il existera toujours des personnes pour trouver du génie même chez le plus grand des fous…, tant mieux, l’existence des gens est forcément hétérogène mais quelques tendances se font jour… Débauche d’absurde s’élevant avec légèreté vers les cimes du portnawak, la Cadillac Allanté est sans conteste une jolie pièce qui vous fera passer un agréable moment, avec son look démentiellement sage, ses solutions techniques typiquement américaines, elle enchaîne les délires aux convenances établies, sans grands temps morts, fait assez rare pour être souligné.
Si les années 1990 étaient celles de la fatigue d’être soi, de la dépression et du prozac, quelques indications laissent penser que les sociétés occidentales sont affectées par une anxiété généralisée entraînant une consommation importante de benzodiazépines…, il faut dire que les nouvelles du monde ne sont pas rassurantes et qu’hélas, le premier pôle structurant de la vie, c’est le fric, le travail et l’économie…, on s’accorde dès lors à trouver plus de fond à cette Cadillac Allanté. Certains n’hésitent pas à l’affirmer haut et fort : cette voiture est celle de la génération ’90, elle rend compte ni plus ni moins que d’un chant du cygne, une époque révolue. C’est en quelque sorte un témoignage socio-historique… mais qui n’oublie pas de poser des questions fondamentales, nous en apprenant peut-être plus que nous l’imaginons, sur la vie….