1992 Bentley Turbo-R 360cv LWB…
Il m’arrive encore de passer dans le garage de mon loft, quoique de plus en plus rarement car mon coté enfant qui vient de temps à autre regarder le contenu de sa boite de jouets s’estompe, je me rend compte de plus en plus souvent compte qu’à bientôt 73 ans le temps qui passe m’indiffère, je me suis toutefois posé une question basique devant ma Bentley Turbo-R 360 chevaux LWB de 1992 : “Ma Bentley de 1992 n’a que 72.411kms et peut foncer à 235 km/h ! Je devrais l’utiliser plus souvent avant de mourir, et l’amener à Saint-Tropez !”…
Jusqu’avant le Coronavirus, 10.000 acheteurs de Bentley apportaient chaque année leur obole a la marque Bentley en signant un chèque d’autant plus adéquat que chaque nouveau modèle permettait d’aller encore plus vite… Aristote Onassis, Cary Grant, Peter Sellers et des centaines de stars et tycoons d’affaires, ont chacun possédé une Bentley parce qu’elle représentait la classe automobile à l’état pur.
Depuis la faillite de Rolls-Royce /Bentley, il y a un p’tit bout de temps, ces deux marques se sont réincarnées après 70 ans d’insularité britannique, Rolls Royce a échoué entre les mains de BMW toujours entre les mains de la famille Quant proche amie d’Adolf Hitler… et son concurrent Volkswagen créé par Ferdinand Porsche grand mai proche du même Adolf Hitler s’est porté acquéreur de Bentley… l’empire Rolls-Royce/Bentley dont les fabuleux moteurs Rolls Royce Merlin avaient gagné la bataille d’Angleterre… a été ainsi décomposé entre les compères industriels fournisseurs du Troisième Reich de mille ans les ennemis de la Perfide Albion…
L’Allemagne a ainsi gagné la guerre, il suffisait d’attendre, de prendre son temps … Arbeit, arbeit… drôle de voiture du peuple maintenant que la VW-Bentley qui, par un malicieux clin d’œil de l’histoire, permet aux apparatchiks russes et chinois de pouvoir l’adorer, sans doute parce que ce salon roulant conforte leur statut de néocapitalistes dorés sur tranche.
Acquérir une Bentley peu après cette reprise en main, exigeait en effet un peu de moyens (sic !), surtout si on optait pour le modèle Speed disposant d’un moteur de 610 chevaux avec un châssis surbaissé, des grandes roues de 20 pouces, des freins en carbone…, vous connaissez le reste : dispositifs de sécurité et de confort, fantastique système audio Naim de 1100 W avec quinze haut-parleurs laissant croire que l’on a toujours à bord un pianiste ou un guitariste tant les attaques instrumentales paraissent réelles… et le fameux effet catapulte quand on écrase l’accélérateur.
Actuellement la gamme s’est enrichie de toutes sortes d’engins baroques dont un très moche 4X4, les prix sont stratosphériques, parfois on a l’impression que les occasions valent plus cher encore que leurs prix neufs… ça se vend “à la pelle”, à la terrasse de Senequier on les voit passer en caravane, à la queue-leu-leu, très chic et snob… puis elles vont parader à Monaco/Monte-Carlo devant le Casino (celui ou on joue gros, pas le supermarché)… quoique depuis que le “carrelage” a été refait façon salle de bain de luxe, c’est moins “fun”, on s’ennuie, on ne sait pas à quoi elles servent qu’être garée pour faire chic, et parader pour faire choc devant la plouquesque sans moyens, sauf pour les suaves vénéneuses qui espèrent en l’enculade phénoménale avec pension alimentaire en finale…, elles se disent qu’une hôtesse de l’air s’est fait shooter par le Prince en personne, alors comme l’exemple vient d’en haut, l’espoir fait vivre…
On ne sait toutefois plus trop qui sont les putes, car de suaves beautés éphémères et vénéneuses circulent par deux en papotant de loques ou de techniques gratouilleuses en cabriolet… sans regarder quiconque, comme si les odeurs populaires pouvaient abimer leur peau… c’est l’attraction locale, à ne pas rater, ça grouille de partouze pour “faire” des photos Smartphone…
Pour 5 fois moins que la moyenne des 200/300.000 euros nécessaires pour s’offrir une basique Bentley 2014, le rêve et le mythe restent accessibles pour qui veut goûter au plaisir d’être politiquement incorrect en écornant (un peu) le rêve et en profanant (légèrement) le mythe… acheter une Bentley Turbo R de moins de 100.000 kms qui a déjà, ou presque 30 ans (ce qui spermet une fantastique économie de taxes)…. d’ou ma pensée filousophique : “Ma Bentley est techniquement et philosophiquement bien plus au TOP de l’image des Bentley’Boys”, pour autant que je n’aille pas m’humilier à Monaco sur la place “m’as-tu-vu ?”… la honte de ne pas suffisamment paraître…
Voilà où je veux en venir : si vous n’êtes pas accro de l’intérieur surpiqué à la Bentley-germano-anglaise, la Turbo R offre tout autant à meilleur compte pour posséder le parfum des Bentley 100 % britanniques d’autrefois… en effet quel plaisir de rouler dans un modèle réellement exclusif et dont la cote augmente d’années en années…, sauf que je ne roule plus avec elle… c’est crétin, non ?
La Bentley Turbo R est une berline de luxe à hautes performances construite à 7.230 exemplaires par Bentley Motors entre 1985 et 1997, qui partageait le châssis et le moteur de la Mulsanne Turbo, agrémenté d’un système d’injection Bosch MK-Motronic pour un couple accru… le magazine Motor-Trend (qui a été stoppé fin 2019 faute de lecteurs) l’avait appellée : “La première Bentley à mériter ce nom depuis des décennies“… lors de son essai de la voiture à son introduction aux États-Unis en 1989.
Bentley la considérait comme la voiture qui avait relancé la marque, auparavant éclipsée par son propriétaire Rolls-Royce… considérant que les améliorations apportés à la suspension, bien que subtiles, avaient transformé cette voiture (très lourde) en engin à hautes performances : les pneus étant plus larges, montés sur des jantes en alliage d’aluminium (une première pour Bentley)… les barres antiroulis avaient été renforcées (60 % à l’avant et 80 % à l’arrière), de nouveaux amortisseurs ajoutés… et une barre Panhard réduisait les mouvements de roulis (AV : doubles triangles, ressorts hélicoïdaux ; AR : barres obliques, ressorts hélicoïdaux, jambes hydropneumatiques).
Rolls-Royce, alors propriétaire de Bentley, n’a jamais fourni d’informations officielles concernant le couple et la puissance, déclarant selon son habitude que cette dernière était “suffisante”… en fait, la voiture qui mesure 5m395 de long sur 2m06 de large, 1m485 de haut et 3m161 d’empattement, pèse 2.390 kg, atteint 235 km/h et réalise le 0 à 100 km/h en 6,6 secondes…, est équipée du V8 6.750cc Bentley Turbo R disposant de 360 chevaux à 4 200 tr/min (275kw), pour un couple de 6603 à 750 Nm à 2 000 tr/min… associé à une boîte de vitesses automatique General Motors Turbo-Hydramatic TH400 à trois rapports.. Cette première génération a totalisé 5.864 exemplaires dont 4.653 en empattement court et 1.211 en empattement long.
En 1995, Bentley mit en production une nouvelle génération de la Turbo R, dotée d’une injection Zytec et d’une boîte automatique General Motors à 4 rapports 4L80-E). On en a comptabilisé 1.366 exemplaires dont 543 en empattement court et 823 exemplaires en empattement long. La production fut donc de 7.230 exemplaires de 1985 à 1997 :
Entre l’âge d’or des sixties et la renaissance néoclassique fin de siècle, les années ’70 à ’90 passent pour une sombre période en matière de luxe automobile britannique : précarité financière, style amnésique et compromis douteux avec la grande série en furent les corollaires… le phénomène n’épargnant pas Rolls-Royce dont les Silver Spirit et Spur symbolisaient la cristallisation technologique d’une firme trop sous-dimensionnée pour lutter à armes égales avec les géants Daimler-Benz et BMW…
En 1980, durement touché par une décennie de crise, de chocs et de grèves, l’ex-atelier du monde n’en finissait plus de décliner…, portée au pouvoir, une dame de fer à la bouche de Marylin et aux yeux de Caligula a alors imposé sa stratégie du choc néo-libéral aux canards boiteux nationaux.
Rolls-Royce n’était cependant pas le plus à plaindre, la mise au point ruineuse du réacteur RB211, qui entraîna la faillite de 1971, était déjà loin dans les mémoires…, désormais séparée de sa maison mère, la division automobile avait depuis rejoint l’équipementier militaire Vickers.
Le véritable modèle phare de la gamme, avait été la Silver Shadow qui s’était imposée comme la Rolls la plus vendue de l’histoire : entre 1965 et 1980, on en comptait 30.000 exemplaires, soit plus du double que le modèle précédent, l’iconique Silver Cloud… Bentley comprises ! Deux ans plus tôt, pourtant…, en 1978, elle avait battu tous ses records de production… cette année-là, 3.347 carrosses étaient sortis de l’ancienne usine de moteur d’avion de Crewe, dans le Cheshire (il faudra attendre le siècle suivant et les capitaux de VW pour pulvériser ce chiffre).
La Rolls bourgeoise à carrosserie standard et produite en quasi-série… avait depuis longtemps supplanté la Rolls des aristocrates : la pachydermique Phantom VI, qui toutefois prolongeait encore la tradition des carrosses princiers, mais n’intéressait plus beaucoup d’excentriques, leur nombre annuel se comptant sur les doigts d’une seule main, au cours de la décennie 1980… poussant la lignée à s’éteindre de mort naturelle en 1991… il était temps… aiguillonnée sur son propre terrain par la superlative Mercedes 600, l’hautaine firme de Crewe ne pouvait plus ignorer la marche du monde…, la Silver Shadow avait demandé à elle-seule une décennie de développement, pas loin des records du genre…
Par rapport à la Silver Cloud, le saut technologique revenait à passer de la carte perforée au circuit intégré : ligne ponton, construction monocoque autoporteuse, quatre roues indépendantes, quatre freins à disque, suspension hydropneumatique à correcteur d’assiette (brevet Citroën), tout, dans l’Ombre d’Argent était nouveau voire révolutionnaire, tout du moins pour une firme qui défendait encore les freins à tambours aux quatre roues, au début des sixties… seul l’énorme V8 6,2 litres en aluminium avait été repris de la Silver Cloud III… malheureusement le dernier coup d’éclat pour Rolls-Royce.
Jamais plus, jusqu’à ce que les Allemands capturent la Flying Lady, une Roller ne pourra objectivement mériter le titre de “meilleure voiture du monde” qu’un journaliste d’Autocar avait attribué à la 40/50HP, en 1907… désormais détenu par un groupe sans lien avec l’automobile, le fabricant mythique de la reine des voitures n’était plus qu’un nain isolé dans une industrie de plus en plus concentrée… en conséquence de quoi, le projet “SZ” destiné à remplacer la Silver Shadow n’avait bénéficié que d’un budget serré de 28 millions de livre Sterling… tout juste de quoi payer la note d’électricité annuelle de GM, disaient les mauvaise langues.
C’était pourtant une berline tout à fait contemporaine, fidèle aux formes cubiques alors en vogue, que Rolls-Royce avait dévoilé au salon de Paris, en octobre 1980…, la nouvelle Silver Spirit, c’est son nom, se vit illico doublée d’une Silver Spur, version allongée d’une dizaine de centimètres (on la reconnaîssait à son pavillon recouvert d’Everflex et à ses tablettes pique-nique)…, la Bentley Mulsanne, qui portait une marque méthodiquement vidée de sa substance depuis 1955, se voulait, de son coté, être la discrète du trio avec son radiateur simplement embouti et dépourvu de mascotte.
Les références avaient changé…, au début des années ’60, la Grosser 600 voulait détrôner les Rolls…, vingt ans plus tard, l’étalon du luxe automobile se cherchait plutôt du côté de Stuttgart, mais contrairement à leurs cousins germains, les anglais n’étourdissaient pas les observateurs par une débauche d’innovations…
Calandre mis à part, le style tout en tension sacrifiait le peu de courbe rétro qui restaient aux Shadow… les lignes tracées au cordeau ne toléraient qu’un timide décrochement de la ceinture de caisse au niveau des glaces arrière fixes… comme sur une Ford Granada (de trois quart arrière, la pente douce de la malle renvoyait plutôt à la Chevrolet Caprice)… les blocs optiques rectangulaires débordant sur les flancs trahissaient quant à eux l’influence de la Mercedes W116.
Mis à part les vitrages latéraux incurvés et la mascotte occultable montée sur ressort, la Silver Spirit ne marquait aucune évolution majeure par rapport à sa devancière…, toujours pas d’injection pour l’Europe, ni d’ABS… même la planche de bord était reprise telle quelle de la Silver Shadow II, aux horloges et thermomètres digitaux près…
L’enthousiasme n’étouffa pas la presse anglophone… d’ordinaire, l’essai d’une Rolls suscitait de plaisantes digressions nourries des multiples légendes urbaines attachées à cette auto mythique…, avec la Spirit, nombre de plumes se firent démystificatrices : “J’ai peine à expliquer comment Rolls-Royce a pu passer 8 ans et dépenser des millions de livres Sterling pour sortir une nouvelle voiture de même taille (énorme) de même poids (lourde) et utilisant le même moteur (assoiffé) que l’ancienne”… écrivit David E. Davis Jr. dans Car & Driver, en janvier 1981 (des années plus tard, le marketing de Bentley Motors élèvera le fameux V8 “six litre trois quart” au rang de légende inamovible de la mécanique)…
Le contre-coup du second choc pétrolier passé, la puissance d’un autre temps, toujours non officiellement communiquée quoique estimée à quelques 200 canassons-vapeur, amènait d’autres comparaisons fort désobligeantes : “Pour trouver une grande berline aux performances à peu près comparables à la Spirit, il vous faudra chercher une Ford Scorpio 2.9i, mais même celle-ci est encore trop rapide sur l’autobahn. Le V8 gronde de façon agricole lorsqu’il est fortement sollicité. Ce n’est pas un moteur agréable et sa sonorité, bien que jamais assourdissante, n’est pas assez discrète pour se faire oublier”… assènait le magazine Autocar, en 1990.
A l’époque qui nous occupe, il apparaîssait surtout obsolète : “Une consommation d’essence de 11,9 mpg (aujourd’hui lamentable), devrait devenir franchement anti-sociale ou même illégale dans les années à venir”… était la conclusion du magazine Motor en cette même année 1981… le coup de grâce provint du magazine Wheel daté d’avril 1982 : “Sans son radiateur et sa dame volante de mascotte, la nouvelle Rolls-Royce serait simplement grosse, lourde et affreuse”…, dur !
Faisons les comptes : 1965-1998, cela représente une cristallisation technique de 33 ans…, entre-temps, Mr. Et Mrs. Smith passaient de la VW 1300 à la Golf IV…, la City voyait défiler cinq générations de Mercedes Classe S quand Toyota, naguère fabriquant d’aimables japoniaiseries bon marché, ringardisait les Rolls avec ses Lexus over-enginered…. qui n’avance pas recule (malgré tout, nous ne sommes pas certains qu’une Lexus suscite la même dramaturgie qu’une Rolls)…, pour tout dite, la perfection toyotiste nous fait le même effet qu’un cauchemar orwellien…
Il n’y a pas de secret… au meilleur des années 1980, le chiffre d’affaire de Rolls-Royce équivalait au seul budget R&D de Mercedes-Benz… cela suffisait à faire évoluer l’existant (injection et ABS en ’86, suspension à gestion électronique en ’89, etc.), mais faute d’argent dans les caisses, les Silver Spirit et Spur durent vivre sur l’héritage technique de la Shadow durant… dix-huit ans… au final, la petite firme aux abois devra s’en remettre à BMW pour motoriser ses futurs modèles.
Assez d’irrévérences… en dépit de circonstances aussi peu favorables que celles des premières années Thatcher, la Silver Spirit n’a nullement trahi son rang…, nous ne déplorerons à son endroit aucun déclassement comparable à celui de Maserati qui, dès 1982, déserta le club des GT glamour pour s’acoquiner avec de simples Bimmers… nous ne lui ferons grief d’aucun emprunt douteux à la production de masse, à l’inverse d’une Aston Martin Virage dont la liste des composants ressemblait à un inventaire à la Prévert d’une voiture en kit. .. elle n’avait pas non plus sacrifié au futurisme outrancier des diodes luminescentes, comme l’immature Aston Martin Lagonda ou la controversée Jag’ XJ40…
Le chef ingénieur John Hollings avait bien essayé d’imposer à ses troupes un tableau de bord entièrement digital..; jusqu’au jour où il se vit adresser une photo de Big Ben avec un cadran numérique en surimpression… on ne défigurait pas impunément le patrimoine nationale et la Spirit ne conserva que trois petits afficheurs numériques pour la température extérieure, l’heure et le temps de voyage, au centre de la planche de bord…. depuis le choc des concepts Alfa Carabo ou Maserati Boomerang, la ligne en coin, dépourvue de référence passéiste, était la modernité…, le grand mérite de Feller tenait à l’appropriation de cette modernité…, quinze ans seulement après l’abandon des ailes séparées par la Rolls de série…, voilà qui interpellait bien davantage qu’une énième réplique néo-rétro… évidemment, l’intégration d’un radiateur-postiche sur une voiture de 1980 n’allait pas de soi au vu d’horreurs néoclassiques telles que la Vanden Plas (Allegro) 1500.
Le profil tracé au cordeau par Fritz Feller devait être recontextualisé… à la même époque, Giugiaro dessinait la Panda et Gandini la BX… et tut en haut de l’échelle tarifaire, la Rolls-Royce Camargue dessinée par Pininfarina ne reniait pas sa parenté stylistique avec une Peugeot 604 ou une Fiat 130 coupé quand Paul Bracq peignait des Rolls futuristes des plus rectilignes… grisée de vitesse au sommet de son temple, Eléanor Thornton daignait toujours déployer ses voiles troublants… le numéro de charme se poursuivant par une fête des sens dans le cocon intimiste de l’habitacle : odeur et toucher sensuels du cuir Connoly, épaisseur des moquettes invitant à se déchausser, symétrie des veines de bois, jeu de contrastes entre l’ébénisterie et la peausserie… une Phantom du XXIème siècle n’offrait rien de mieux.
Pour rester en cohérence avec l’auto, la rectitude du temple Rolls-Royce appellait des contours nets, au contraire de la calandre Bentley dont les formes souples s’harmonisaient plus facilement aux galbes des sixties (est-ce pour cette raison que Mulliner Park Ward avait réalisé si peu de berlines Flying Spur avec radiateur Rolls ?)… La sévérité grecque, pour ne pas dire “dorique” de la proue…, avait la prestance d’une Acropole roulante, d’autant que ses proportions n’avaient rien d’ordinaire…, pas de confusion possible avec une Granada ou une Benz, ce n’était pas une auto mais une Rolls…, une vraie : God save the Rolls… la planche de bord avait ainsi conservé le sens primitif qu’elle n’aurait jamais dû perdre…, inauguré en 1977 par la Silver Shadow II lors du montage de la clim’ bizone des Camargue, elle perdurera jusqu’à la dernière Corniche V assemblée à Crewe, en août 2002 (sachez en apprécier les bizarreries ergonomiques : Neiman au tableau, essuie-glaces à boutons rotatifs…, ce poste de conduite équipait un bon tiers de la production totale de la marque depuis l’origine)…
A moins que vous ne préfériez broyer du noir devant le mur des lamentations d’une Benz, avouez que la scène de l’instrumentation était hors normes, le stylet ostensiblement planté dans la colonne de direction et les deux ouïes d’aération chromées, héritées de la Shadow, qu’occultaient d’anachroniques tirettes de même métal.
Seule fausse note, le fin volant de bakélite à moyeu circulaire semblait tout droit provenir d’un vieux taxi londonien (la série II apporta un gainage cuir plus heureux avant l’imposition de l’airbag)…, derrière pareil cerceau, le type de conduite requis pouvait se résumer à l’aphorisme de Churchill : Cigar, whisky, no sports !…, les petites jantes de 15 pouces chaussant haut et l’absence de compte-tours, sans objet pour un V8 au caractère de Diesel industriel, ne laissaient aucunement planer le doute : pour avoir le flacon ET l’ivresse, prière d’expérimenter l’esprit British muscle d’une Bentley Turbo… il y eut cependant une exception… à l’automne 1994, par la magie du rebadge engineering, le temps d’une série limitée à 133 exemplaires, la Rolls-Royce Flying Spur brouilla les pistes et la répartition des rôles entre les marques siamoises de Crewe… le nom renvoyait à la fois aux Bentley Continental à quatre portes des années 60 et à la Silver Spur, empattement long oblige..; les jantes alliage 17’’ et l’ébénisterie simplifiée provenaient d’une Bentley Turbo R, le V8 turbo intercooler et les liaisons au sol, de la Turbo S, mais il s’agissait bel et bien d’une Rolls, à la Flying Lady bien en vue et au compte-tours inexistant.
Pourquoi le nier, cet improbable hybride, fort de 360 mammouths-vapeur et d’un comportement routier moins laxiste, faisait partie des carrosses fétiches…, c’était la plus moderne des antiquités roulantes…, esthétiquement et dynamiquement, de l’ère Vickers ! Fraîchement accueillies, pour des raisons certes différentes, dans un contexte à ne plus mettre une limousine dehors et face à un manque cruel de moyens, elles ont maintenu leur rang sur le long terme, jusqu’à finalement dépasser le succès de leurs aînées…, elles proposaient surtout la vision d’une Rolls contemporaine qui n’aurait pas renoncé aux fondamentaux de sa légende… néanmoins, la génération “SZ” dû l’essentiel de sa réussite à la renaissance de la marque Bentley, à partir de 1982… belle occasion de redécouvrir ces turbo pas que beaux !
Une page se tournait, ce fut à travers un communiqué de presse que Bentley annonça la fin de la production de sa Mulsanne, prévue pour le printemps 2020. Cette berline de grand luxe, disponible en deux empattements, n’aura pas de remplaçante directe : le constructeur britannique, propriété du Groupe Volkswagen, annoncant que la Flying Spur constituerait désormais le porte-drapeau de la marque… or, cette dernière, dérivée de la Continental GT (lire notre essai de la Bentley Continental GT), épaulait jusqu’ici la Mulsanne par le bas.
La fabrication de la Mulsanne, entièrement réalisée dans l’usine de Crewe dans le Cheshire, constituait un véritable anachronisme..; car ces bâtiments en brique, hérités de l’ère où le destin de Bentley était lié à celui de Rolls-Royce, n’étaient pas équipés de lignes de ferrage et de soudage automatisées avec des carrousels de robots..; si bien que les caisses étaient assemblées, soudées et poncées à la main…. c’étaient également les seules encore faites en ces lieux, alors que la caisse en blanc du SUV Bentayga est fabriquée en Slovaquie, à Bratislava, et que les carcasses des Continental GT et Flying Spur sont pour leur part produites dans l’usine Porsche de Leipzig… l’autre anachronisme qui va s’éteindre avec la Mulsanne, c’est son moteur, lui aussi un héritage de Rolls-Royce… les origines de ce V8, d’une cylindrée de 6,75 litres, remontent à 1959 et la première Bentley à l’avoir adoptée est la S2… c’est, selon Bentley, le V8 ayant eu la plus longue carrière… lui aussi était entièrement fabriqué à la main à Crewe, au même titre que le W12 né chez Audi… dans son ultime exécution, sur la Mulsanne 6.75 Edition, il développait 530 ch et 1.100 Nm de couple.
Plus que la fin d’une époque, l’arrêt de la Mulsanne a témoigné d’un changement de cap dans la stratégie du constructeur britannique… en abandonnant la fabrication de ce porte-drapeau, directement destiné à concurrencer la Rolls-Royce Phantom, Bentley devenait une marque parmi les autres au sein du groupe Volkswagen… car, désormais, l’intégralité des modèles de sa gamme repose sur des plateformes partagées avec Porsche, Lamborghini et Audi… c’est un repositionnement définitif vers des modèles moins chers, qui semblent porteurs pour les ventes : avec 11.006 voitures livrées en 2019, contre 10.494 en 2018, Bentley a livré pour la septième année consécutive plus de 10.000 unités… les doses homéopathiques de Mulsanne ne changent pas grand-chose à l’affaire : ce sont véritablement le SUV Bentayga, cousin de l’Audi Q7, et la nouvelle Continental GT, dérivée de la Porsche Panamera, qui sont à l’origine de ce succès… surtout, ces bases techniques peuvent être facilement électrifiées : Bentley promettant que tous ses modèles seront déclinés en hybride en 2023.
Alors que Bentley a été indéfectiblement liée à Rolls-Royce pendant plusieurs décennies (de 1931 à 1998), le dernier héritage de cette union a disparu… s’il était attendu que les marques ne présenteraient plus jamais de voiture jumelles, on aurait pu imaginer une rivalité directe avec l’ancien partenaire, aujourd’hui sous la coupe de Volkswagen… il n’en est rien, car pour garantir l’exclusivité de ces modèles, Rolls-Royce fait fi de la rationalisation… ainsi, les Phantom et Cullinan sont passés à “l’Architecture du Luxe”, plateforme spécifique destinée à garantir le plus haut niveau de prestations imaginable.
Au lancement de la Phantom, Philip Koehn, Directeur de l’Ingénierie, justifiait ce choix a priori peu rationnel : “Pour que Rolls-Royce puisse être et rester la première marque de luxe au monde, nous misons sur une architecture qui couvre toute la gamme Rolls-Royce. L’Architecture du luxe étayera tous les futurs modèles Rolls-Royce, et pas uniquement la nouvelle Phantom. Le projet Cullinan, et pourquoi pas les prochaines Ghost, Wraith et Dawn, exploiteront cette architecture, à l’instar des prochains designs de carrosserie”. La disparition de la Mulsanne laisse donc Rolls-Royce absolument seul sur son créneau, celui des berlines et SUV de très grand-luxe”.