2007 Mastretta MXT…
J’en ai trop vu…, j’en ai trop eu…
Des bleues, des vertes, des noires, des blanches, des rouges, des jaunes, des oranges…
Rien qu’à en voir une, rien qu’à me farcir le vendeur, le réceptionniste plus snob que les clients qui se fourvoient dans leur antre, mon urètre se vidange de son huile, d’une huile vieille, brune, visqueuse, collante.
Mes yeux se ferment comme des poings, mon front est une tranchée.
J’ai mal partout.
Je suis en boule dans l’huile à moteur de ma sueur de fiévreux.
Le circuit de course qu’est ma vie m’arrache la semelle des pneus, j’ai vraiment mal.
J’ai mal.
Je sais d’avance que ce sera la même chose, une voiture du bout du bout du monde, même si c’est au pays des châteaux (en Espagne), la croix et la bannière pour les pièces facturées au prix fort, quand il y en a… des pièces, et un moteur qui vient d’ou, a rechercher, mort ou vif dans la rubrique des moteurs perdus et chiens écrasés, comme la quète d’un graal…
Et pas de garantie autre que papier maché…
J’ai connu…
Pour l’homologation, bidon…
Maintenant on nomme ces voitures des protos-design, avant c’étaient des kit-cars.
Même avec tout en ordre de la communauté européenne, faut pas rêver que la France ou la Belgique seront alignées au garde à vous pour délivrer fissa une homologation…
Fissa, style “va-te-faire-foutre”, deux ans et plus, parfois plus encore, style galère, et bien heureux si on n’a pas de contrôle fiscal en prime, avec épluchure d’oignons, les coucougnettes à vif… de ceusses qui ne supportent aucune création…
Alors, même si c’est beau, même magnifique, même si c’est orange, ben… je préfère cracher dessus avant, qu’après y avoir mis des ronds…
Des ronds dans l’os… et profond !
Les pilules trahisons que j’ai commencées à prendre pour oublier la connerie inhumaine ne font plus effet.
C’est un autre moi-même, comme moi aussi, qui me les avait données.
J’ai mal partout en imaginant l’arnaque sauvage.
Je me déchire comme de la tôle.
Je dois sortir de ce cauchemar automobile, sombre comme un garage monoxyde, ou je perds mes pièces vitales sur la voie d’accotement.
Je rouille par en dedans rien que d’y penser.
Le fer rouge est dans ma gorge.
Ça crie le métal que l’on bat.
Je mets mes pneus d’hivers en déséquilibre, mal alignés, je mets mes bagues lourdes, mes chaînes d’or et de culpabilité, j’oscille, j’arrache un regard de mépris dans le rétroviseur de la toilette.
Je ne suis plus bon à vendre ces imbécilités à cause des retours de balancier.
Le monde dans lequel elles évoluent est laid.
Pire qu’une bagnole de flic, c’est un crime contre l’humanité, génocide, nettoyage ethnique.
Les guerres triviales menées par les fonctionnaires zélés en zélottes pourris de suffisante médiocrité, laissent des carcasses d’autos brûlées à des endroits impossibles.
En finale c’est faillite et berzingue de la mort, suicide collectif, des mâles heureux à jamais malheureux, foutus, écrabouillés dans la merde fiscale et les pissoulis fonctionnarisés de l’ordre établi…
Je vous l’ai écrit, même si cette voiture est belle, et orange, voyez-là moche et grise, détournez le regard, vous risquez la mort…
J’explique, j’exemple…
Sur le noir pétrole de l’autoroute, une auto orange sanguine file comme une balle le long de la ligne blanche cocaïne.
Voix-off : un couple s’engueule.
Peu importe pourquoi ?
Non…
C’est à cause de l’auto, pas vraiment d’elle, mais de l’environnement fonctionnarisé obligé…
Et ça gueule, et ça reproche…
Puis le silence.
Cut.
Gros plan de la main sur le volant.
Avec un jonc en or fake.
Cut.
Gros plan d’une paire de seins.
Caméra 2.
Ronds, jeunes, pleins.
Soubresaut des seins tendres.
Pan up, elle pleure.
Leur auto orange mécanique a la poussière des mensonges.
La rouille des larmes.
Il conduit trop vite, les dents serrées.
Elle pleure.
Son mascara coule.
Il y a des taches noires sur sa robe blanc mensonge.
La radio crache avec distorsion du death métal rugueux.
Mais quand même le silence.
Plus lourd que les speakers.
Deux solitudes.
Le bruit du moteur.
4000 rpm.
Et le bruit de l’engueulade qui résonne.
Dans le silence sans plomb.
“T’as le fisc aux fesses maintenant à cause de c’te bagnole, piting ! t’as même pas reçu d’immatriculation…”
La voiture a le goût chimique des emballages de fast-food.
Le silence a une odeur de moteur trop chaud.
Dans ses yeux, elle n’y voit que l’orange pelée des poudres blanches qui laissent du noir sur les miroirs.
4500 rpm.
Skit burn.
L’agencement des divers angles et surfaces, même les portes qui s’ouvrent, c’est l’extase agnostique, sans oublier la peinture métallisée, tout ce foutoir plus commerceux que designeux, en font une voiture tout simplement superbement putassière.
Notez qu’elle est belle, attirante, sexuellement transmissible.
Et sans toit, elle serait encore plus… capotée.
Condom…
Jouissance assistée…, masturbation intellectuelle des coucougnettes compressées…
Fiscalement sexuelle !
La Mastretta MXT est une deux places dans un seul siège, mi voiture de sport et mi-péripatétitienne désignée “high-tech” pour se vendre très cher sur les marchés internationaux.
Développée en Espagne, la MXT a d’abord tiré bénéfice d’un programme de deux ans de collaboration entre Mastretta et quelques compagnies prestigieuses de technologie basées en Angleterre et aux Etats-Unis, rêvant de devenir connues et encore plus riches.
L’armature a particulièrement développé les extrusions en aluminium avec des “subframes” en acier.
Le moteur et la boite transaxle de la voiture viennent d’un fabricant de moteurs établi au Mexique.
En fait, en conduisant cette voiture orange, j’ai surtout rencontré des mecs agitant des drapeaux dans des zones de construction sur la route, alors que je cherchais un endroit ou je pourrais ouvrir cette Mastretta MXT
Partons explorer…
Et je ne parle pas de l’espace intérieur…
M’efforçant de conduire avec un minimum de retenue, j’ai déjà fait deux pleins de réservoir après moins de deux heures de route, même en changeant de rapport à environ 5.000 tours.
Puis un moment donné, la route est devenue droite jusqu’à mardi prochain.
J’ai donc appuyé.
Le calage variable y était sans doute pour quelque chose, mais le bruit à l’échappement est devindou plus sauvage et la voiture s’est propulsée vers le futur en mode accéléré passablement intense.
De 5.000 à 8.200 tours, j’ai eu nettement l’impression qu’on venait d’installer un second moteur quelque part.
J’ai atteint la limite de mon courage bien avant d’atteindre le bout de la ligne droite.
Sur une piste de course, ou on s’attend à ce que ça aille vite, c’est moins surprenant.
Mais sur la route, ouf !
Haute voltige, sans filet de sécurité
Et la tenue de route ?
Il faut être plus fou que courageux pour pousser une voiture de 50.000 euros à fond sur une petite route sinueuse que l’on découvre à l’instant.
Et je suis fou !
Mais il n’y a pas d’antidérapage sur cette voiture, danser à la limite de l’adhérence, et on danse en solo.
Avec la distribution du couple favorisant l’arrière, il est toujours possible de faire déraper cette extrémité si on est suffisamment talentueux, brave ou stupide pour essayer.
Ma vie est un rêve seconde main.
Je me suis fais avoir par la concurrence.
La femme de ma vie était une auto sport de l’année, moi je suis une vieille minoune rouillée, un vieux cœur percé.
Achetez-moi.
J’ai dis : pars pas my love.
Ensemble on va descendre au sud, on va se coller sur le cuir, tu pourras y mettre tes si belles cuisses en sueur.
Je ne parlerais pas, je ne boirais pas, je vais juste rouler.
Va-t’en pas, please, va-t’en pas.
Laisse-moi pas seul, au rancard.
On va s’arrêter dans tous les motels qu’on croisera…
Ensuite, on va se faire un peu de bronzette en roulant, tes seins comme un volant sport, laisse-moi pas seul, comme un échappement percé abandonné sur la chaussée.
Elle a changé le poste de la radio, ses doigts vernis metalflake sur les boutons.
Elle a pleuré en silence.
Stop, un motel…
Me suis arrété, y avait même un garage réservé, noir, lugubre prédestinée.
Je suis venu chercher une chambre au motel pour finir la soirée pendant qu’elle, elle remettait du rimmel.
Une chambre pour finir la soirée romantique, avec lit en cœur, miroirs.
À la télé de la réception, c’était le grand prix, rediffusion.
Ça été long.
J’ai parlé avec le vieux extra vieux, il m’a raconté l’autoroute, sa construction au milieu de son verger, il y a eu une pub pour l’auto de l’année payez l’année prochaine, puis je suis allé chercher mon amour.
Elle avait laissé tourner le moteur flambant neuf comme j’avais laissé rouler les années de notre amour sans m’en occuper.
Le garage était sombre.
Elle avait laissé rouler les pistons bien huilés.
La gueule des echappements qui gueulaient le manque d’amour, le manque d’attention, de petits détails, de je t’aime simple, un peu parfumé, petit sapin air freshner sur sa dévotion.
Le moteur marmonnait la solitude de la télé, du silence, des repas froids et des commis voyageurs lubrifiés.
Elle a fermé ses yeux si doux avec le massacra qui coule comme l’huile qui fuit, ses yeux si doux, qui aimaient comme des phares brouillards.
Et dans le brouillard des larmes désespoir des vies manquées, de la solitude usagée, même pas repeinturée, de la solitude bon marché et des vendeurs de rêves castrés, elle s’est endormie tranquillement comme une bonne suspension.
Monoxyde de carbone.
Aspirateur sur une maison vide et sur ma secrétaire jarretelle, écartée sur le bureau comme une femme de calendrier et mes mains noires, poisseuses qui caressent les fesses du mois de mars, ses fesses seconde mains, pendant qu’elle mon amour, elle attend devant un repas froid, comme une crevaison, elle qui attend dans un garage sombre que sa vie se dégonfle, que sa vie coule et que la panne d’essence éteigne l’allumage de son cœur.
Pas de dépanneuse.
Pas de pneu de rechange.
Le spidomètre à zéro.
L’aiguille de la gauge à vie coincée dans le rouge.
Je lui parlais d’un job de body…, je voulais lui refaire les seins, huiler son moteur pour qu’elle tourne comme un rêve de princesse, je voulais qu’elle soit belle comme un carburateur.
Je voulais qu’on prenne l’autoroute et qu’on roule jusqu’au bonheur.
Face à face avec moi-même à 200 kilomètres à l’heure.
Perte totale.
Je suis revenu vers chez moi avec la bagnole, en roulant en dessous de la limite de vitesse.
C’était mieux comme ça.
Moi, j’avais manqué la sortie.
Le corbillard est arrivé après l’ambulance.
Le cortège est parti sans moi, sur un crissement de pneu.
Moi, j’ai pas suivi, j’ai pas pris mon auto pour les suivre, je ne tolère plus l’odeur du gaz.
L’amour, ça n’a pas de pneu de rechange.
Dorénavant, je marche.
Mais je ne marche pas beaucoup, je n’ai nulle part où aller.
J’ai glissé sur la plaque de glace de mon cœur égoïste.
J’ai pris rangé la Mastretta dans mon garage.
J’y ai parqué la meurtrière.
J’ai avalé la clef.
Machinalement.
Ensuite, j’ai arraché le bouton de la radio qui avait été titillé par ses doigts bleus metalflake et lui aussi je l’ai avalé.
Après, je suis passé aux poignées.
Inconsciemment, ça m’a donné une idée.
J’ai concassé les vitres, très fin.
Je les ai avalées sur glace.
Puis j’ai pissé du sang.
Alors j’ai décidé d’y aller méthodiquement pour être sur de passer au travers toutes les pièces de l’auto.
Et je continue.
Au début je ne comprenais pas ce que je faisais.
Mais quand j’ai démonté le volant sport qui dirigeait ma vie, qui me conduisait et que je l’ai découpé en mini morceaux, minutieusement, j’ai vu où toutes ces conneries automobiles m’amenaient.
Peu à peu, mois après mois, j’ai mangé les pneus quatre saisons, les phares, la carrosserie, tranquillement pour ne pas être trop malade, pour pouvoir atteindre la fin de l’autoroute, pour être sur de manger le moteur usagé.
Mon auto est en train de gagner.
Cette nuit, elle m’a passé sur les jambes.
J’ai trouvé, caché sous le siège, écrit avec un bâton de rouge à lèvres, son testament :
“J’aurais préféré une Lada, j’aimais mieux ton Prowler, je garde Blenheim au fond des yeux, à pluche, Amour“…
J’ai pleuré !
J’arrive en fin de course, mais il me reste des tours de pistes à faire et mes pneus sont tous crevés.
Si je veux débouchonner le champagne sur le podium de la mort avant elle, je dois me refaire une beauté.
Je dois repasser au garage.
Chirurgie émotive pour un suicide en fin de tour de piste.
Elle, qui veut quitter la tendresse de mon garage pour la rudesse du béton.
Faux départ, je dois laisser le moteur se refroidir.
Qui ne sait même pas comment mettre du gaz dans son moteur, de l’eau dans son cœur.
Les autos ne roulent pas sur les amphétamines.
Où veut-elle aller ?
Là où la terre arrête ?
Là où vivent les monstres ?
Mais c’est nous, les monstres…
Ce sera moi qui concasserai l’auto rouillée de notre mort en cube compact.
Le co2 est un poison, je le sais.
Je ne laverai pas le tuyau d’échappement qui a recueilli son dernier souffle.
Et là où mon amour est morte, par les pores de sa peau si douce et si parfumée, moi, moi qui a trop parlé, moi qui a vendu ma vie sur des fausses garanties, moi qui a vendu les vertus de l’air climatisé et bien, ma mort, je la mangerai.
Ce sera ma dernière bouffe.
Et la vie après la mort sera 98 sans plomb.