2010 Lamborghini Ankonian LP640…
L’asphalte, noir…, comme un ruban menant à l’enfer !
La route, droite…, à perte de vue.
Des kilomètres et des kilomètres de cette lave noire.
Et les péchés que l’on peut expier là-dessus…
Si seulement il n’y avait qu’elle, mais il y a aussi la poussière… et le décor !
Un désert loufoque et glauque dans lequel les hurlements de la radio, passant en boucle des morceaux de Folk, Country, Blue Grass… qui datent d’une autre époque…, se mèlent aux rugissements de la mécanique.
Et le rythme dans la tête, toujours le même…, le son du train que Johnny Cash décrit dans Folsom Prison Blues...
Et l’asphalte qui mange les gens au lieu de les délivrer de leur poids.
Cet avion de chasse furtif le suit, c’est certain…, un F117 Night Hawk !
Slavche Tanevsky serre le volant, ses mains sont crispées dessus.
Putain !
Mais pourquoi ?
Il accélère, flirte avec les 385 km/h…
Le V12 souffle comme un dragon…, mais l’avion est toujours là…
Cela fait des heures qu’il roule, mais il ne se détend pas, les jointures de ses phalanges sont blanches…, mais il ne se détend pas.
Et pire, il fuit.
Quoi ?
Allez lui demander si vous voulez tout savoir, si cela est si important pour comprendre votre lecture…
Dans l’état des choses, j’aurais peur pour votre vie si vous osiez lui poser…, la question qui vous brûle la bouche.
Dans le lecteur CD, Harvest tourne en boucle.
La route, toujours la route.
Il s’arrète, aux alentours de 14h, dans une station service.
Il achète de quoi manger, boit, pisse, défèque…
Envie de se branler aussi…
Puis il repart, fuyant.
L’avion n’est plus là…
Mais où est-il ?
Et pourquoi n’est-il plus là ?
Qui sont-ils ?
Pourquoi ?
Pourquoi quoi ?
Le soleil, après avoir culminé, redescend le long de la ligne d’horizon, il change alors de musique.
Le soleil rasant, l’aveugle…
Il chausse une paire de Ray Ban Wayfarer.
Un vrai Blues Brother dirait-on, si seulement on le voyait au travers des vitres noires de cette auto noire.
Il roule, jusqu’à épuisement.
Et le noir linéaire lui fait mal aux yeux, mal à la tête, il délire.
Ce long ruban, il redoute qu’il s’enroule autour de lui, le bloque dans sa fuite.
Peut-être est-il aveugle, peut-être a-t-il déjà perdu…, il s’enroule tout seul dans son tourment ridicule.
Mais allez lui dire, vous, beaux penseurs, qu’il fait à l’instant une erreur.
Il n’y a pas de meilleure place pour le passé que celle-ci, si l’on force sur les sens et qu’on se berce d’une douce ironie.
Sur le siège passager, il y a son passé.
Le passé relégué à la place du mort ; celle pour laquelle les gosses hauts comme quelques pommes se battraient avec ardeur.
La place du passé.
En l’occurrence, il n’y a ni gosse bruyant, ni ado rebelle : juste un blouson en cuir, un vieux cahier à la couverture usée, avec un stylo, un album photo…, quelques merdouilles encore, qu’il a pris en partant… et un sac de voyage.
Il regarde la route l’hypnotiser.
La nuit tombe et les étoiles commençent à couvrir la voûte céleste.
Le ciel n’est pas tout à fait noir, ni tout à fait bleu.
Il est imparfait… et c’est ce qui le rend beau.
Au loin, là où la terre courbe l’échine, le ciel est gris avec des touches de rouge… et s’en suit un long dégradé tirant vers le bleu profond.
Le macadam est avalé, peut-être a-t-il vaincu, peut-être pas après tout.
Peut-être que son nouvel ennemi intime a trouvé le moyen de se camoufler pour mieux le surprendre ?
Il a des crampes aux mains à force de serrer ainsi le volant.
Il fait à nouveaux le plein.
80 litres aux 100 pour 675 chevaux… presque 400 km/h en vitesse maxi, putain, quel pied !
Herman Düne a remplacé Neil Young.
Au loin l’insigne d’un motel se met à clignoter.
Le numéro 640.
Il avait réservé une chambre, pour la nuit, avait payé d’avance, et, maintenant qu’il s’y trouve enfin, il est comme un réfugié dans la chambre qu’on lui a assignée.
Putain, le même numéro…, prémonition !
Dans sa tête l’air de Not On Top revient sans cesse, lancinant.
Et il est toujours aussi tendu.
Peut-être même un peu triste, trop sans doute pour rejoindre une nuit de rêve… et d’insécurité…, une nuit sombre comme l’asphalte, pleine d’impulsions.
Il a le goût des sandwiches plastiques des stations services, mélangé au soda et au goudron.
C’est horrible, mais il ne sait pas si c’était réellement cela qui lui provoque cette amertume.
Il laissé la lumière de la table de chevet allumée.
Demain, à la première heure, il reprendra la route.
Il essaiera, enfin de l’asservir, d’en devenir le maître.
Oui, peut-être…
Mais, ce sont des chimères, il délire.
Nul ne pourra jamais dompter cette Lamborghini Ankonian…
Slavche Tanevsky pousse un hurlement… puis s’endort…
Faut-il brûler les stylistes ?
Ces artistes en vue qui écument les revues à la mode, les mondanités où l’on s’exhibe et les expos intello-masturbatrices, vivent perchés dans une dimension parallèle.
Et la réalité bassement concrète de leurs concepts n’engage que les cobayes qui les subissent.
Regardez par exemple la Lamborghini Countach : “Ah putain, regarde-moi ce cul !”…
Je fais bien sûr allusion à l’émoi spontané qu’exprima Ferruccio Bertone en patois piémontais lorsqu’il découvrit cette… chose.
Cette œuvre de jeunesse, non, d’adolescence, même pas, de prime enfance, due au beau Gandini, hésitait entre l’inconséquence puérile et la révolte prépubère.
Rien d’étonnant à ce que la : “Bon Dieu qu’elle m’excite cette salope !” (autre traduction possible)… s’afficha si longtemps dans les chambres de boutonneux puant le foutre rassis entre moults créatures propices aux épanchements nocturnes.
Si en 1971, le prototype LP500 arracha les râles du désir aux visiteurs du salon helvétique au point de motiver une industrialisation, Bob Walace et consorts s’aperçurent bien vite que les branchies latérales ne suffisaient pas à refroidir une voiture quotidiennement roulante (la précision a son importance pour une Lamborghini de ce temps-là)… et l’on dut y greffer d’hideuses cheminées que la “WOUAAAAAAAAAAAAA !!!” (voir plus haut) arbora toute son interminable carrière.
Le principal enseignement de ce monstre réside dans l’impossibilité de marquer l’histoire du design tout en descendant sa vitre à l’approche d’une gare de péage.
En effet, l’ouverture de la glace ménageait un espace à peine supérieur à l’interstice entre les cuisses d’Anita Ekberg dans la fontaine de Trevi.
Notons également qu’en dépit de la présence judicieuse d’une marche arrière, celle-ci n’aidait en rien le conducteur…, puisque jeter un oeil par le soupirail arrière revenait à regarder sa télévision à travers la fente d’une boîte aux lettres.
Il fallut un hurluberlu tel Jeremy Clarkson pour apprendre, des années plus tard, à négocier un créneau avec une “Oh oui, oh oui, je viens !”…, l’élytre du conducteur relevée, le fessier hissé dans l’embrasure de la porte et le corps rejeté en dehors de la voiture.
Mais soyons indulgent, on n’a jamais acheté une “(censuré)” pour aller faire provision de cholestérol chez Lidl.
Quant aux stylistes, ne leur jetez donc pas la pierre, nous sommes tous derrière.
Car comme eux, ne sommes-nous pas tous de grands gamins ?