2011 Morgan Roadster Sport…
Samedi, vers midi, mon ami Guy, est venu me montrer sa dernière acquisition, une Morgan Roadster Sport 2011…, comme un petit vieux, à l’ancienne, tout fier de sa dernière acquisition inutile !
Je ne sais pas, mais ce jour là, on devait se sentir bien et détendus… et on a décidé de vivre sans cerveau, comme deux abrutis.
Tout a commencé comme ça !
Alors, donc, je reprends du début pour que vous ne ratiez rien ce cette aventure débile…
J’étais allé prendre un café dans mon petit rade favori.
Assis à la fenêtre, soudain, j’avise une vieille voiture extraordinairement bien restaurée qui descend la rue.
Au volant, sapé comme l’as de pique d’un bleu de chauffe immonde, et coiffé comme un goret, trône mon ami Guy.
Je lève mon cul de ma chaise et cours le saluer.
Il se gare à demi sur le trottoir et nous papotons de sa voiture.
Il me rétorque aussitôt que ce n’est pas du tout une vieille Morgan restaurée, mais une Morgan Roadster Sport neuve et qu’il adorerait prendre ce véhicule plus souvent mais qu’il n’ose pas.
Il m’explique qu’il se doit de faire attention à ce qu’il fait et que le fisc ne tolèrerait pas de le voir rouler dans un tel véhicule si les agents gouvernementaux se rendaient compte que c’était une voiture neuve…
C’est une réflexion stupide…, mais l’habit fait le moine.
Guy me demande alors si moi, je ferais attention à ce genre de choses.
Je lui réponds que déjà, ayant la réputation d’être à demi-dingue et ayant édité les magazines Chromes&Flammes, je ne suis pas astreint à de telles normes.
Enfin, je lui dis qu’étant un homme libre, si l’envie me prenait de rouler en De Dion-Bouton, j’emmerderais allègrement tous ceux qui y trouveraient à redire.
Je pense qu’il suffit simplement de savoir ce que l’on vaut et ce que l’on veut vraiment.
En fait, cela pose le problème de la liberté.
Rares sont les gens libres.
La plupart du temps, nous sommes sous la dépendance du regard d’autrui.
Si on imagine l’individu tendu sur une corde raide, entre l’acceptation et le jugement, la plupart seront dans le jugement.
Soit qu’ils jugent les autres, soit qu’ils redoutent le jugement d’autrui.
S’il y a bien un truc, que j’ai acquis, c’est bien d’être beaucoup plus dans l’acceptation.
Ce qui me permet de dire que je me f… de l’opinion d’autrui.
Aujourd’hui, ayant conscience d’avoir construit ma vie, je me moque bien de savoir ce que l’on pense de moi.
Alors, lorsque j’utilise une de mes voitures de collection, je ne me cache plus.
Pour ne plus dépendre du regard d’autrui, tout passe par soi.
Original, un peu barré mais efficace, c’est finalement le plus important.
La vieillerie de Guy est donc le dernier modèle de la marque, une Morgan Roadster Sport, avec frein à main au plancher en vrai contreplaqué (gag !), ceintures à enrouleurs mal positionnées (gag !), feux de recul et troisième feu stop rapportés comme des furoncles sur le cou d’une vieille dame peroxydée (gag !)… et montre digitale (gag !) !
En fait c’est rien d’autre qu’une Morgan identique au même modèle que Morgan soldait à l’époque ou elle était toujours pareille, vieille avant d’être neuve…, avec ses suspensions Pogo-Stick sautillantes, son train arrière rigide et baladeur comme un tuyau d’arrosage devenu fou !
Moi, j’aurais préféré qu’il prenne sa même Corvette que la mienne (même année, même couleur, même moteur, sauf qu’il n’a pas les échappements latéraux et la direction assistée)…, pour qu’on joue aux narcotrafiquants de Miami-Beach, en allant “luncher” dans un restaurant chic…, mais il a pris cette daube !
Comme ça fait un bail que je n’avais pas conduit une merde pareille, je m’installe sur le siège du mort.
Déjà, c’est l’enfer…, Guy et moi on est serrés là-dedans, c’est tout petit, tout naze, plein de bois même pas précieux… et de tôles qui vont inexorablement rouiller, on a l’air de deux vieux anglishes qui vont prendre une Guiness dans un pub !
Ce qui a permis à Guy de me faire un cours de philo appliqué.
C’est ainsi qu’il m’explique que la Morgan est révélatrice des tensions qui règnent dans la société…
Bien sur, il m’explique cela avec ses mots à lui.
Ca donne : “Tu vois quand je suis en Corvette, on me déteste parce qu’on m’envie. Je le sens dans le regard. Les gens sont jaloux mais ne disent rien parce que ma bagnole les impressionne. Ils se disent que j’ai du fric et ça leur suffit pour ravaler leur haine”…
Puis, poursuivant son cours de philosophie, le professeur Guy m’explique : “Par contre tu vas voir, la Morgan réconcilie tout le monde. Le mec un peu friqué te double parce que cela lui semble naturel de doubler une vieille voiture si bien conservée. S’il pouvait il roulerait perpétuellement à coté pour mieux regarder la voiture”…
Ce à quoi je lui répond tout de go : “Pour lui, tu es une merde, un pauvre mec qu’il peut mépriser. Avec toi dans ta Morgan il se libère de sa méchanceté naturelle”…
Guy est de suite impressionné par mon talent de psychosociologue et mon don d’observation.
Imperturbable, il me rétorque : “Mais rassure-toi, y’a pas que le riche qui regarde ma Morgan. Tu vas voir, le pauvre aussi. Lui, il roule dans sa merde, il a une femme moche, des enfants cons et il me voit. D’un seul coup sa vie s’illumine parce qu’il va pouvoir regarder quelqu’un de beau, d’élégant, célibataire et fortuné…et se dire que s’il n’est pas le dernier des cons, il peut y arriver lui aussi”.
J’objecte qu’en dessous de nous et de notre Morgan, pour le prolo, il y a le SDF.
Mais Guy, maître dans sa discipline nouvelle de sociovoiturologie n’en démord pas et me coupe : “Non, le pauvre ne peut pas s’en prendre au SDF. Parce que le SDF il est intouchable, ce ne serait pas politiquement correct. Et puis, le SDF c’est la hantise du prolo ! Lui le prolo, avec la crise et la hausse des prix, ce qu’il redoute c’est de devenir SDF ! Alors il ne risque pas de s’en prendre à lui dès fois que ça porte malheur”. “…
Soucieux de rétablir la réalité, je lui dit : “Non, il préfèrera s’en prendre à toi dans ta Morgan, tu vas voir !”.
Guy continue de rouler en méditant mes puissantes réflexions et lâche d’un ton définitif : “On va faire du bien à tous ceux qui nous croisent. Les plus riches laisseront libre court à leur admiration et les prolos se lâcheront sur nous pour se venger des humiliations qu’ils subissent. On devrait être payés par l’État pour rouler en Morgan, moi je dis”.
Manœuvrant le stupide levier de vitesse, il lance le lymphatique 6 cylindres dans une montée pour aborder une voie rapide.
Ca tape beaucoup, le cul se dérobe…, mais on parvient à la vitesse stupéfiante de cent soixante-dix kilomètres heure !
Klaxonnés de toutes parts, tous les véhicules nous doublent sans nous accorder un regard.
Nous sommes deux super-prolos en Morgan, des laissés pour compte, des étrons puants.
C’est extrêmement frustrant, on a beau se dire qu’on est au-delà de tout ça, on se sent minable.
Alors on tente d’appuyer sur l’accélérateur mais le V6 3L7 n’a rien à voir avec le V8 5L7 d’une Corvette, les chevaux qu’il développe sont des haridelles anémiques en comparaison.
Y’a un mec qui nous double dans sa Mercedes SLS toute neuve sans nous accorder un regard.
Il déboite en manquant de nous envoyer au tas.
Pour lui, on n’est rien, pas mieux qu’un hérisson tout pourri qu’il foutrait sous ses roues !
Une magnifique petite Lotus nous double aussi, sans un regard, je suis sur que le conducteur, genre petit con brillant qui a réussi dans l’informatique, n’a même pas enregistré la scène.
Il a du voir un obstacle blanc et fumant avec deux formes molles à l’intérieur sans réaliser ce que c’était.
Sur, qu’à la vitesse ou il roule, il court rejoindre une maîtresse blonde à gros seins dans un 5 étoiles de Knocke-Le-Zoute.
Enfin, il avait une bonne tête, je suis persuadé que si on avait été arrêté côte à côte dans un embouteillage, il nous aurait jeté une petite pièce ou un reste de sandwich !
Je prends conscience de la relativité de la vie !
Juste après, un naze de pauvre dans sa vieille Ferrari 250 GTO nous klaxonne comme un boeuf parce qu’il doit juger qu’on se traine et qu’on l’empêche d’aller déjeuner avec ses beaux-parents.
Et il nous double aussi.
Le pire c’est que ce miséreux qui devrait avoir une conscience de classe est pire que les deux autres.
Je le vois gueuler derrière sa vitre.
Le salaud, il se venge de toutes les avanies qu’il a du subir.
Il croise plus pauvre que lui, dans une Morgan qui tape de partout, presque bringueballante et hop tout ressort !
“Abréaction“ qu’on appelle ça chez les psychanalystes !
En nous voyant nous trainer la bite dans notre épave au milieu du chemin, ce mec a ressorti six mois de vexations et nous les a renvoyées dans la gueule !
Je songe à cet enculé et me dit que si Rambo était assis sur la roue de secours positionnée sur ce qui aurait du être un coffre arrière…, avec son Tokarev (il a changé de flingue depuis le dernier message mais il est fidèle au matos russe) à la ceinture, ça ne se serait pas passé comme ça !
Il aurait vidé le chargeur sur ce connard !
Sauf que je me dis aussitôt que ça n’aurait pas été possible…, en effet les gens de chez Morgan sont tellement rats…, qu’ils vendent la roue de secours en option… !
Son emplacement est masqué par un couvercle en plastique qui ne sert même pas d’ouverture vers un coffre !
La Morgan est décidemment une caisse nulle !
On arrive enfin au MacDo ou on va enfourner deux hamburgers mous, gluants et coulants comme un sexe atteint de blennorragie !
On bouffe puis nous repartons.
Bien sur, nous sommes toujours un peu débiles sur les bords, on est deux abrutis mais on claque pas le fric à tort et à travers !
C’est normal on n’est pas riches vu qu’on roule dans une Morgan Roadster Sport !
Au retour, Guy m’explique qu’il va nous venger en conduisant comme Stuntman Mike dans Boulevard de la mort de Tarentino.
Et c’est parti, dans la tête de Guy c’est plus une Morgan qu’il a entre les mains mais une Dodge Charger.
Le moteur n’envoie toujours rien mais comme Guy ne ralentit jamais et surtout pas dans les virages, on garde une bonne moyenne.
A cette occasion, je constate que j’avais oublié qu’une Morgan est dépourvue de toute poignée de maintien !
Balloté de droite à gauche, le coeur au bord des lèvres, j’agrippe ma main à la portière.
Guy s’en donne à coeur joie en m’expliquant qu’une Morgan : “ça tient bien le pavé” et “qu’au plus y’aura que les deux roues extérieures qui se soulèveront dans les virages” mais “qu’on peut pas faire de tonneaux”.
Nous grattons tout le monde, réconciliant riches et pauvres autour du fait qu’un abruti reste un abruti même au volant d’une Morgan.
Et ils peuvent même constater qu’en ce samedi, les abrutis vont par paire !
A ce train d’enfer avec des pointes à 170km/h, on est vite de retour chez moi.
Et c’est là, qu’on s’aperçoit que nos idées ne sont pas appréciées à leur juste mesure.
Pas de quoi en faire un pataquès !
www.GatsbyOnline.com
www.ChromesFlammes.com