Des sensations, des vertiges et des frissons…
Puis encore des sensations à la fin, encore des vertiges quand la réalité resurgit d’un coup… Présent indistinct, lumières qui aveuglent, désordre et confusion de ce que j’ai affronté… Comment raconter une balade en Pagani Huayra, sans trop en dire, sans trop, pour une fois, en révéler les défauts, me contentant des instants sidérants ? Comment évoquer sa singularité sans trahir ses intentions, ses nombreux saisissements ?
Ahahahahahahah !
Pagani a présenté au salon de Genève 2011, son avenir : la Huayra. Son style a directement divisé le monde, le dessin était trop consensuel, trop sage pour les uns… et pas assez ferraresque pour les tifosis. Effectivement, la Huayra n’avait rien à voir, ni avec le style torturé de l’Enzo Ferraillerie…, ni avec le dessin des Zonda version Cinque et R… Pagani a mis immédiatement les choses au clair : la Huayra n’était pas la remplaçante de la Zonda, elle était une aventure parallèle ! Pour preuve : le développement de l’auto avait débuté en 2003, avant même la commercialisation de la Zonda F. Il avait donc fallu plus de sept ans à l’artiste, pour mettre au point son oeuvre dans un souci de perfection rarement atteint… Une obsession pour le moins étrange, laissant supposer de multiples tâtonnements…
Si elle pouvait paraître sage en photo, la lumière du soleil faisait ressortir une sophistication qui forçait le respect, chaque trait de cette nouvelle Pagani servant l’aérodynamique. Son concepteur l’avait voulu aussi affûtée que le vent, mais la Huayra n’en oubliait pas pour autant d’être agréable à l’œil, notamment quand en déployant ses portes papillons. Prête à prendre vie, elle ressemblait alors à l’un des robots de la saga Transformers. Mais voilà, elle était ainsi en 2011, elle était toujours pareille en fin d’été 2012 quand j’ai eu l’occasion de piquer celle de mon ami qui vit dans la région de Vence. Avec ses dimensions inhabituelles : plus de deux mètres de large pour un mètre seize de haut, la Huayra possède une prestance remarquable, un caractère fort et au final, ne souffre pas de la comparaison, lorsqu’elle côtoie son aînée. S’il s’agit bien de deux autos distinctes, elles ont été conçues avec la même philosophie à savoir : “light is right”.
Mais la Huayra pèse quand même 1350 kilos malgré l’utilisation d’un châssis en carbone titane et une carrosserie en carbone. A ce stade, une chasse aux kilos s’est poursuivie partout, car toujours dans un souci de poids, Pagani a privilégié une boite à simple embrayage de 96 kg, relativement désuète à l’heure où toutes les sportives privilégient le double-embrayage ! Mais malgré tout capable de passages de rapports en 60 millisecondes… Cerise sur le gâteau : Horacio Pagani a pensé à ses clients allergiques aux palettes au volant, en proposant un levier en aluminium, taillé dans la masse ! Une pièce d’art, dont la place pourrait tout aussi bien être dans un musée d’art moderne, ce qui est le sort de la voiture… C’est la vraie force de Pagani : chaque détail offre une esthétique propre et une finition parfaite.
Petite mise au point avant d’attaquer la balade : pour certains, la pilule sera peut-être un peu dure à avaler, car entre dérision assumée et vrai amour du genre, je m’amuse des clichés et ose le second degré. L’accès à bord se révèle très facile, merci les portes papillons (qui sont pourtant un obstacle sur la Mercedes SLS AMG). L’atmosphère est unique, loin du confinement de la Mercedes ou de l’aspect très sombre d’une Ferrari Enzo. La lumière (l’eau aussi), s’infiltre par le haut des portes vitrées… et il règne dans la Huayra une ambiance de bien-être apaisante (vive l’air-conditionné). Ou du moins jusqu’à ce que le V12 biturbo mis au point par Mercedes-AMG entre en action… Il offre une poussée ininterrompue, interminable : les turbos ne semblent jamais s’essouffler…
Sous leur effet, la route rétrécit à chaque seconde, pareil que pour le nombre de litres d’essence… De plus, les turbos soufflent à en déchirer les tympans, on comprend bien pourquoi l’auto porte le nom du Dieu des vents andins !
Là où Ferrari s’appuie sur trois tonnes de références pour en faire des urnes funéraires fumeuses qui commencent à ne plus intéresser personne (et qui, rétrospectivement et à la vision de la Pagani Huayra, prennent un sacré coup de vieux)…, à son volant je me suis amusé comme un fou, débarrassé du stress propre aux Ferrari qui se calcule aux kilomètres parcourus, j’étais orné d’élégance et d’absolu, parvenant jusqu’à un point parfait de symbiose esthétique directement connectée aux zones érogènes de mon cerveau. De l’intérieur la sonorité évoque d’une certaine façon celle de la Bugatti Veyron, mais en plus intense, plus fort, beaucoup plus raffiné, de l’émotion brute, violente…, c’est à dire que c’est extraordinaire pas très longtemps…, mais que c’est une torture au delà ! Mes sens en ont été totalement déstabilisés. Il y avait bien longtemps, qu’une supercar ne m’avait pas secoué de la sorte…
Si vous avez déjà subi la colère d’une Ferrari F40 à pleine charge, alors vous pourrez avoir une (toute) petite idée de ce que vous réserve cette Pagani : une bête de guerre que rien ne semble arrêter (si ce n’est ses très efficaces freins carbones céramiques, merci à eux !).Ma balade commençait à peine que la Pagani Huayra m’imposait déjà un style entreprenant, dense, sec… J’ai alors levé le pied…, ce qui est un non-sens absolu, mais nécessaire pour ne pas devenir totalement sourd et dingo… Le calme revenant, j’ai eu l’idée saugrenue de mettre la radio sur “On”… La tragédie s’est annoncée alors…
Ohhhhhhhhh ! Pas tout de suite, d’abord j’ai su qu’en réalité il y avait un orchestre symphonique caché dans le capot avant…, mais plus tard alors que tout s’annonçait sous de brillants auspices, ceux d’une espèce d’opéra noir parvenant à conjuguer hyperréalisme et lyrisme désenchanté, rugosité et élégance…, tout a basculé…
La musique de Beethoven distillée via une superbe installation vidéo semblait suivre, intégrer, ma voie maîtresse, me laissant envisager des mouvements aériens, sombres, proches d’un aria ou d’un adagio crépusculaires. C’était une atmosphère idéale, hypnotique et presque sensorielle, pour observer le déclin, l’implosion puissante de je ne sais quoi qui allait arriver… Pourtant, le voyage avait commencé avec douceur, en ville, la Huayra s’y était montrée d’une agilité et d’une facilité étonnante. Les petites routes n’avaient, non plus, posé de problème, me permettant de mettre à l’épreuve le système d’aérodynamique active inédit mis au point par Horacio Pagani : quatre volets indépendants, un à chaque extrémité de l’auto, s’actionnant automatiquement afin de préserver un équilibre parfait (ceux situés à l’arrière servent également d’aérofreins). Mais, je me suis rendu compte après quelques lacets, que ce n’était pas une idée judicieuse !
La route que j’avais empruntée se prêtait à l’exercice : virtuose en diable, j’ai réalisé un exercice de style idéal fait de fulgurances formelles et d’éclats de rire, en m’en mettant plein la vue sans me la péter, et devant tant d’ampleur, devant tant de puissance, je me suis dit que la fin ce cette balade manquait un tantinet d’envergure…, nulle part ou aller pour dépasser les 300 km/h ! Après trois jours passés au volant de la Huayra, à me trainer, d’abord pour éviter les PV, ensuite pour ménager ma fortune (ce bazar peut consommer jusqu’à 100 litres aux 100), un constat s’est imposé : Horacio Pagani a conçu un chef d’oeuvre automobile sensationnel, vivant et sincère qui trouve instantanément sa place au Panthéon des supercars, mais qui ne sert à rien, strictement à rien dès qu’on veut l’utiliser anormalement…, c’est à dire rouler quotidiennement… Sinon, pour tourner en rond sur un circuit privé ou faire des aller-retour sur la piste d’un aérodrome désaffecté (pour autant que ce soit une piste en dur), c’est le pied intégral…
Bref…, c’est formidablement et délicieusement crétin… J’avais un sourire éblouissant en remettant cette bêtise à sa place…, un vrai bonheur…
Le bonheur fut encore plus intense lorsque j’ai pu enfin gouter aux joies retrouvées dans mon hamac, à l’ombre de mes palmiers, avec au loin la mer méditérranée… et le silence… et la paix… et la sérénité…