2011 Panoz Abruzzi…
J’admire devant moi, la conduite toute en douceur et soignée d’un automobiliste au volant d’une automobile… excepté, un petit nuage gris bleu au cul de l’engin… personne n’est parfait. A peine il déborde sur le milieu de la route que… non… tout va bien, sauf pour la pâtée jaune bouillie qui vient de s’écraser… l’infortuné insecte… sur le pare-brise teinté. La petite figurine en forme de plante déodorante gigote sous le rétroviseur, l’insecte meurt… En cet instant de bonheur parfait, le conducteur est zen.
Il est bien aise, perdu dans sa Panoz Abruzzi dernier cri, comme un nounours au milieu d’un édredon, comme un pinceau au milieu d’un pot de peinture alu, comme un benêt dans une caisse en fer blanc, avec une console high-tech en prime… et la climatisation. D’un petit doigt, comme jadis les apprentis parvenus prenaient leur tasse de thé… le conducteur monte légèrement le volume d’une radio complexe. D’un geste de la main droite, il amortit un petit rot sur le revers de ses doigts… sa main gauche fait semblant d’ignorer et tapote le volant. Les lèvres en cul de poule il sifflote l’Ave Maria de Gounod.
La route cabossée et gravillonnée tente de se faire belle grâce au maquillage des employés départementaux. Modèle de patchwork en bitume, elle s’étend langoureusement au fond de la vallée. Le soleil éclate le petit matin. Éclatés également, quelques crapauds laminés, sèchent sur le spoiler avant…
Pour l’automobiliste, il y a trois écoles de conduite en matière de batraciens. Premièrement, la plus parfaite indifférence : il roule. Deuxièmement, le slalom généreux et risqué : il respecte la vie des bêtes. Troisièmement, tout aussi audacieux, le zigzag rageur : il fait carton plein.
Ces trois cas d’école se rencontrent surtout au sortir des nuits humides où les crapauds sous les gouttes, aiment à parcourir l’asphalte comme des ribaudes.
Au détour d’un virage, il aperçoit, sur le bord de la chaussée, une auto stoppeuse, du genre cool, qui traîne. Elle n’appartient pas à la troupe des transhumants et transhumantes, première manipule, troisième cohorte, deuxième quinzaine de juillet. Non, on n’est pas en été d’abord… c’est juste la silhouette d’une damoiselle aux contours sexuels, l’air perdue dans une vallée de larmes en crise. Le conducteur de la rutilante Panoz Abruzzi rencontre une humaine, dont émerge vaguement un geste timide. Ça casse l’ambiance et çà lui pète la bulle. Tandis qu’au bord de la route, c’est le signal !
L’auto stoppeuse envoie l’expression conventionnelle du bout de la main, cri du cœur de son doigt, un pouce relativement timide qui n’osait plus souhaiter être remarqué sur cette voie si peu fréquentée. Le corps tout entier se vrille autour du susnommé pouce. Il se tourne vers la voiture. Plus vraiment solidaire, la tête n’y croit guère. Elle se la joue mauvaise et pessimiste. La voiture ne freine pas et continue son chemin. Elle s’entête dans sa démarche.
Et, ce qui n’est pas la moindre des choses, elle évite aux pieds, rappelés à l’ordre, l’humiliation d’une crotte de chien, ou d’une capitulation dans les fossés humides. Sans compter qu’elle pourrait à ne pas y regarder, se prendre la gueule contre un poteau, ou se ramasser le nez sur un remblai.
Le pouce, plus franchement en l’air, au bout d’une main sans illusion et d’un bras indécis, fait son boulot de pouce. Rien à lui reprocher, on ne sait jamais !
Grande gueule et mal élevé, quoiqu’il ne demande qu’à se redresser, un autre doigt, au caractère rebelle, est sans cesse réprimé. Elle murmure : Abruti !
Et… elle fait un doigt d’honneur à la Panoz Abruzzi qui passe en trombe ! Retour à la Panoz Abruzzi, sur l’écran du pare brise, tel un puceron sur la télé, l’auto-stoppeuse agace le conducteur… C’est tout dire… Vraiment, çà lui démolit l’ambiance, ce pouce sexuellement levé ! Trop tard, ou bien trop vite… il parvient au niveau de l’ignorée.
Deux regards furtifs se croisent. Promptement, ils se jaugent. Échange de l’impossible. L’un sait qu’il ne s’arrêtera pas même s’il fait semblant de l’envisager.
L’autre sait qu’elle ne sera pas prise, même sexuellement… et même si elle fait semblant de l’espérer. Le temps, vieux farceur réputé, lui a offert un faux espoir, c’est mince. De toute façon, l’infructueuse communication s’est transformée aussitôt en une incompréhension déguisée. L’auto stoppeuse n’est désormais qu’un petit souci évanoui dans le rétroviseur, dégât collatéral d’un égoïsme ordinaire. La voiture pilote. Le conducteur la suit. Obligé… il est embarqué. Il a trop de pédales au bout des pieds, ou trop de pieds au bout des jambes. Enfin, il ne sait plus.
Il se tait, la bouche ouverte… il va avaler l’asphalte du temps qui passe en se disant qu’il a sans doute raté une fellation gratuite et, qui sait, une nuit de baise gratuite. Il tousse. Il simule un air bête. Il pense ouvrir sa braguette pour se masturber… Un court instant, un quart de poil, c’est très mince, il a fait semblant de pas l’avoir vue, ou qu’il n’a pas compris… A la fin ça l’emmerde, il regrette quand même… et il bande en pensant à elle… Pas la moindre excuse d’un véhicule qui le suivrait de trop près. Mais bon, l’endroit de toute façon ne s’y prêtait pas. La Panoz Abruzzi non plus… Si… il y a une voiture qui suit. Ah une voiture qui colle, c’est dangereux s’il ralentit brusquement. De peu, il frisait l’arrêt par réflexe humanitaire.
S’amorce déjà le temps des remords ou des justifications, preuve qu’il y eût tout de même un semblant de début d’échange entre deux êtres qui auraient pu…
On ne saura jamais quoi. Il est bien aise dans sa Panoz Abruzzi…, à la radio il entend l’animatrice de l’émission poursuivre son interview : “çà vous fait quoi d’être reconnu dans la rue ?”… Et il répond à la radio… : “Il est plutôt rare de croiser une Panoz dans la rue”…
Il semble que la rareté soit toujours au rendez-vous avec la Panoz Abruzzi “Spirit of Le Mans”, qui, comme son nom l’indique, se voulait être un hommage à la légendaire course française. D’ailleurs, l’Abruzzi avait été présentée sur le Circuit de La Sarthe, lieu des 24 Heures. En fait d’hommage, c’était plutôt un “coup” pour créer quelque chose au départ de n’importe quoi, Panoz n’ayant pas été une voiture historique sur ce circuit, ni ailleurs… mais, pour ceux qui étaient intéressés par cette supervoiture aux formes inusitées, sachez que seulement 81 exemplaires devaient être produits, une par année d’existence des 24 Heures du Mans, de 1923 à 2013, année planifiée de la fin de la production de l’Abruzzi. Chaque exemplaire devait être identifié à une année particulière de la course, avec le numéro de châssis contenant plusieurs détails sur l’année en question. Une belle touche de marketing, de savoir-faire avec un parfum commercial des plus malodorant, une façon astucieuse de prendre les abrutis pour des cons (l’inverse est vrai également), bref, une parfaite maitrise dans l’art de l’enroule mielleuse et du savoir-vendre fielleux, pour cette voiture de fausse collection ! Mais cela n’a pas fonctionné, quasi personne n’a acheté, l’affaire a tourné court, une belle glissade dans le décor et seulement une demi-douzaine fabriquée.
Chacun des propriétaires devait avoir droit à une expérience unique : parmi les bonus attachés à la voiture, un tour symbolique du Circuit de La Sarthe, des billets aux 24 Heures du Mans en tant qu’invités officiels de Panoz et un laissez-passer à une réception au Golf des 24 Heures, rien de moins. Mais, le clou de cette acquisition était que la voiture devait être livrée au Circuit de La Sarthe en plus d’un cours de pilotage exclusif offert à chaque nouveau propriétaire.
Durant tout un week-end de 2013, on devait donc voir 81 très riches abrutis venir s’entasser en Panoz Abruzzi dans un parking plein de Panoz Abruzzi toutes pareilles, tout ça pour s’asseoir au volant d’une Panoz Abruzzi similaire à la leur, rencontrer d’autres riches abrutis roulant dans la même Panoz Abruzzi qu’eux et faire coucou, à encore plus de braves gens rêvant d’une Panoz Abruzzi tout à fait comparable. Avouons-le, ça ne valait absolument pas la peine d’y venir de loin, parfois même du fin fond de l’Amérique profonde, pas un seul des 6 acquéreurs ne s’est déplacé ! De plus, était prévu un gag marketing du plus parfait mauvais gout qui prenait les acquéreurs pour des idiots… une nouvelle Panoz Super Trucmuche devait être là pour faire saliver les acquéreurs d’Abruzzi, en leur faisant sentir qu’elle était dépassée à peine construite et livrée… elle n’a dû aller nulle-part, ce fut un flop gigantesque…
Que voulez-vous, maintenant que les multi-milliardaires n’ont plus d’idéologie fédératrice, il faut bien qu’ils se trouvent une communauté d’adoption voire une tribu comme on dit dans la novlangue des Machiavel de la com’. Et, s’il vous plaît, que les mauvais esprits et autres cyniques ne parlent plus de “beaufs”, mais de “gens qui ne se prennent pas la tête”. Leitmotiv de ce camp de concentration consenti : “J’aime ma Panoz Abruzzi”. Vivent les œuvres d’art roulantes prisées d’une certaine élite ! Par la grâce du marketing, on assista ainsi à la naissance d’une minorité revalorisée dans ses modes de consommation !
C’est bien, mais de quoi pouvaient-ils être fiers ces braves gens ? De préférer une Panoz Abruzzi à une Ferrari ? D’avoir des goûts esthétiques hors du commun ? D’encourager le petit commerce artisanal américain ? Non, la réponse sortira des rangs des convives : “Ben Panoz, c’est bien parc’que c’est rare !”
Le porte-feuille n’est évidemment jamais bien loin du cœur… mais de là à faire de la publicité gratuite, excusez-moi, faut vraiment être un mouton de Panurge, les gens riches devraient au moins avoir, avec leurs automobiles inutiles, la même habileté de négocier leurs prestations que dans leurs affaires courantes… et non de se faire récupérer !
Notez que tout n’était pas négatif dans cette mascarade pitoyable, il y avait quand même du positif, sinon la mayonnaise ne pouvait prendre… Le style de l’Abruzzi, par exemple ne ressemblait et ne ressemble toujours en rien à ce qui se faisait ailleurs sur la planète ultra-exclusive des supervoitures… toute en courbe, la carrosserie avait été toutefois bien plus hautement inspirée de la Batmobile que du monde de la course automobile. Panoz voulait un design qui rappelait les belles années des 24 Heures alors que les pilotes conduisaient leurs voitures jusqu’à la piste, pilotaient durant tout le weekend et rentraient chez eux avec la même voiture.
Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais pour ma part, autant j’aime le design de cette voiture, autant je déteste l’approche “vendeur-d’aspirateur” et son cérémonial grotesque autour du mythe des 24 heures du Mans… Dans cet esprit de solde en électroménager, affirmer sans rire que le système de refroidissement de la voiture avait été conçu pour une conduite “d’endurance”, en clin d’œil à la course “d’endurance” la plus médiatisée au monde, m’avait fait vomir sur le siège passager ! Côté mécanique, la voiture pouvait heureusement compter sur un moteur V8 Corvette LS9 de 6.200cc, d’une puissance de 640 chevaux à 6500 tr/min, et disposant d’un couple de 590pi @ 3800 tr/min. Aucun autre détail n’avait été divulgué sur le moteur et la transmission, mais la puissance dévoilée en disait assez pour se méfier de cette soudaine augmentation des chiffres de ce moteur comparativement aux catalogues GM…
Panoz avait également présenté son système REAMS (Recyclable Energy Absorbing Matrix System) qui concernait la carrosserie : les panneaux de la voiture étant fabriqués d’un composite multi-couche plus léger que la fibre de carbone et plus résistant que ce matériau. Ce composite était prétendument plus résistant aux chocs, aux fissures et était recyclable, ce qui gommait toute idée de “voiture de collection”, car si la Panoz Abruzzi était ainsi une “voiture de collection recyclable”, c’est qu’elle n’était faite que pour durer un temps limité avant d’être transformée en plastique pour moulins à café et autres ventilateurs d’appartements… Décidément, le concepteur de toute cette approche publicitaire n’avait pas beaucoup réfléchi aux conséquences stupides de ses affirmations ridicules…
Après la présentation de la Panoz Abruzzi dans le village du Circuit des 24 Heures du Mans, encore tout abruti par la montagne d’informations débilitantes qu’on m’avait asséné sans rire, j’avais rencontré Tom Milner, le patron du Team PTG.
– Tom, je….
– Après avoir fait rouler la Panoz Esperante outre-Atlantique, mon équipe développe la version compétition de l’Abruzzi sur le circuit du Mans. En 2011, deux Panoz devraient être alignées en ALMS, et deux engagements déposés pour les 24 Heures du Mans.
– Tom, la Panoz Abruzzi est présentée comme une voiture pouvant rejoindre Le Mans par la route et y courir, quelles sont les différences entre le modèle routier et la version compétition ?
– La voiture de course aura un aileron arrière et un splitter. Il y aura également quelques modifications sur le plan aéro, notamment à l’avant. Mais la base de la voiture est globalement la même. Quant au moteur il sera préparé en conséquence.
– Quel moteur propulse l’Abruzzi ?
– Il s’agit du même moteur que dans la version routière, l’excellent Chevrolet V8 issu de la Corvette LS9. A l’origine, il développe 640cv @ 6500 tr/min pour une cylindrée de 6.200cc. Nous travaillons en collaboration avec General Motors et le département moteur de Corvette pour en tirer au moins 800 chevaux si pas plus. Mais le moteur est reconstruit par notre équipe de développement.
– La voiture n’est-elle pas un peu longue avec ses 4,877 mètres ?
– Si, elle est un peu longue (sourire), mais c’est bien pour Le Mans… et c’est moins bien pour Long Beach !
– L’objectif pour la suite ?
– Nous souhaitons aligner deux Abruzzi en American Le Mans Series. Nous aimerions également en engager deux aux 24 Heures du Mans, si nous recevons les invitations. C’est valable pour les trois prochaines années.
– L’auto sera-t-elle disponible pour les clients ?
– Oui, c’est notre but. Je pense que pour la première année, l’idée est de montrer qu’elle peut gagner et que, de cette manière, certains Teams seront intéressés. Mais il est clair que l’objectif est d’en vendre, y compris en Europe.
– Quand va-telle faire ses premiers tours ?
– Avant de travailler sur la version compétition, l’Abruzzi de route doit être homologuée. Nous espérons faire les premiers tours très bientôt, pour effectuer nos premiers pas en course, avec un châssis performant.
Tour à tour cigale ou fourmi, esclave ou fétiche, l’automobile est une médaille à deux facettes. Entre son usage et son symbole, la bagnole impose à ses accros un dilemme que seuls des moyens adéquats sauront résoudre. S’il est sans doute plus valorisant socialement de s’exhiber en bolide dernier cri qu’en oignon vermoulu, quoi qu’en médisent les envieux, l’auto modeste retrouve de l’attrait en période de crise comme l’atteste le succès de la Dacia, la voiture à bas coût de Renault. L’hominidé, ce soi-disant prodige de la création, est le seul animal à s’abaisser devant une machine. Il va même, suprême ironie du “progrès”, jusqu’à s’assujettir aux esclaves mécaniques qu’il a créé pour le servir. Lorsqu’il n’est point en quête de nourriture ou de femelles, il s’adonne au fétichisme de la bagnole au lieu de roupiller à l’ombre comme le ferait n’importe quel mammifère supérieur. Et pour sa bagnole, il est capable à tous les abaissements : bouffer du cambouis des heures durant à la recherche d’une improbable fuite, perdre le sommeil à trop penser à son faisceau électrique, brimer femme et enfant pour une nouvelle ligne d’échappement, aller au bout du monde dégoter une paire de jantes Ronal sans fêlure. Son auto, pourtant, s’en fout comme de ses premières plaquettes. Pas sa femme !
“Tout est sexuel” aimait à écrire le père de la psychanalyse. Bien que l’on n’hésite plus à brocarder ce brave Sygmund à longueur de best-seller pamphlétaire, la pensée freudienne conserve encore un crédit certain appliqué à l’automobile. Nul besoin à vrai dire d’entamer un doctorat de psychologie pour s’apercevoir que le coupé sportif est à la berline ce que la maîtresse est à l’épouse…