2012 Hyundai/Kia :
Je t’aime, moi non plus !
Par Marcel PIROTTE
Dans les années ’90, un présentateur américain d’une émission à succès ne semblait pas du tout apprécier les Hyundai vendues sur le territoire US.
Il avait même fait de la marque : sa tête de turc, au point de déclarer sur antenne : “Pour doubler la valeur d’une Hyundai, c’est assez simple, il suffit de remplir à moitié le réservoir” !
A l’époque, ça faisait sans doute sourire, mais ces propos, aussi exagérés soient-ils, traduisaient un peu le sentiment général, à savoir que les Hyundai devaient fameusement progresser dans tous les sens du terme !
Aujourd’hui, changement radical de cap, le groupe sud-coréen Hyundai/Kia compte cette année vendre quelque 7 millions de véhicules sur l’ensemble de la planète…, de quoi occuper le quatrième rang, voire même le troisième, des constructeurs mondiaux !
Du coup, plus personne n’oserait proférer la moindre moquerie.
Le pays du matin calme porte bien mal son nom, il est devenu un véritable rouleau compresseur qui fait peur aux autres constructeurs.
Comment ce groupe a-t’il pu se développer aussi rapidement ?
Explications !
Hyundai, tout a commencé avec une Ford Cortina !
Rassurez-vous, je ne vais pas vous brosser un historique complet de cette entreprise fondée en 1947 par un certain Chung ju-Yung (qui a débuté ses activités dans la réparation de voitures), devenue aujourd’hui l’un des acteurs mondiaux de la production automobile.
En fait, c’est la guerre de Corée qui va assurer la prospérité de Hyundai Engineering, notre homme ayant signé pas mal de contrats avec l’armée américaine pour la réparation des véhicules.
Durant les années soixante, ce visionnaire met tout son talent au service du général Park Chung-Hee, l’homme fort de la Corée du sud…, en construisant des routes tout d’abord, mais également en devenant un spécialiste de la construction navale (pas des barquettes mais des super tankers).
Ses chantiers navals deviendront les plus grands du monde (je peux en témoigner, je les ai visités) !
En 1967, nouvelle étape, Hyundai Motors voit le jour, et va d’abord assembler des Ford Cortina (30.000 par an) dans une nouvelle usine située à Ulsan, pour laquelle le gouvernement a débloqué une enveloppe de 100 millions de dollars.
En cette suite, Hyundai va également assembler des camions et des bus à moteur Mercedes.
En 1974, au salon de Turin, le public européen découvre une certaine Pony dessinée par Giugiaro et motorisée par Mitsubishi.
En 82, la 500millième Hyundai est produite…, en 87, ce sont 600.000 véhicules qui sont assemblés… et le cap annuel du million est dépassé en 1990…, le rouleau compresseur est en marche.
L’an dernier (2011) à travers une bonne douzaine d’usines disséminées à travers le monde, dont trois en Corée ainsi qu’en Chine, deux en Inde, sans oublier celles de Turquie, Brésil, Etats-Unis… mais aussi en Russie ainsi qu’en République Tchèque…, pas loin de quatre millions de véhicules Hyundai ont été vendus sur la planète.
Et ce n’est pas fini…
Mais comment expliquer ce succès ?
Car dans les années ’80, les Pony dont le design ainsi que la technologie étaient d’une banalité affligeante (sans oublier la berline Stellar, peu convaincante), n’arrivaient pas à la cheville des productions japonaises et européennes !
Les petits coréens ont, en fait, appliqué la recette inventée par les Japonais lorsqu’ils ont débarqué dans les années soixante sur les différents marchés d’exportation : produire des voitures simples, largement inspirées de modèles japonais, très fiables et pas chères du tout !
Mais en Europe, il a fallu attendre le début de cette nouvelle décennie pour que la mayonnaise prenne.
Kia entre en scène !
En fait, Hyundai a acheté Kia en 1998, qui avait été placé sous la protection de la loi sur les faillites, c’était un autre constructeur sud-coréen, dont les activités avaient débuté en 1944 en produisant tout d’abord des vélos, ensuite des motos et en assemblant dès 1971, des Fiat 124 via sa société Asia Motors.
Kia Motors, dix ans plus tard assemblera des voitures dérivées de certains modèles Mazda et Ford…, devenant dès lors le douzième constructeur mondial avec une production annuelle de 1,3 millions d’unités, tout en se payant le luxe d’accaparer près de 80 % du marché automobile sud-coréen.
L’an dernier, plus de 6,5 millions de véhicules sont à mettre à l’actif de ce groupe qui prévoit en fin 2012 d’atteindre le chiffre de 7 millions, via une bonne vingtaine de sites de production à travers le monde et grâce notamment à des investissements d’un montant record de 10 milliards d’Euros.
Lorsque j’avais visité pour la première fois les installations Hyundai en Corée du Sud, c’était en avril 1988, quelques mois avant les jeux olympiques de Seoul.
J’avais été impressionné par la détermination de ce peuple mais également par le discours de ces hommes d’affaires prétendant que le miracle coréen n’aurait pas été possible sans la coopération entre le secteur privé et le Gouvernement.
Ce qui selon eux aurait permis grâce à une planification poussée mais également aux “chaebols”, sortes de grands conglomérats très puissants, de grandir aussi rapidement.
Fort bien mais en coulisses, on chuchotait que cette réussite industrielle et commerciale, c’était en fait une revanche mais surtout un règlement de comptes vis-à-vis de ceux qui pendant de trop nombreuses années avaient occupé le pays…, à savoir les Japonais !
Aujourd’hui encore, ils se détestent de la manière la plus cordiale possible !
Avec deux entreprises automobiles sur les bras, le groupe va devoir sérieusement se réorganiser.
Mais comme Hyundai-Kia est leader des ventes automobiles en Corée à hauteur de près de 80 %… et que les autorités gouvernementales ont réussi de manière très subtile à décourager les ventes de voitures étrangères, ce groupe va accumuler un incroyable trésor de guerre, une montagne de “wons” !
Avec un cash flow et des bénéfices à faire rougir de jalousie la directrice du Fonds Monétaire International, les dirigeants vont comprendre très rapidement qu’il faut tout d’abord analyser les désirs des futurs clients à travers le monde et qu’il faut surtout produire des voitures là où on les vend !
Elémentaire mon cher Einstein mais tellement vrai !
Du coup, des centres de recherches et de design sont érigés en Corée mais également aux Etats-Unis ainsi qu’en Europe (à Francfort).
On en profite également pour débaucher les meilleurs ingénieurs disponibles, sans oublier de nouveaux responsables du Design, tel Peter Schreyer chez Kia, qui a œuvré avec succès au sein du groupe VW…, ainsi que Thomas Bürkle, ancien de BMW qui désormais prend en charge les lignes des futures Hyundai pour l’Europe.
Avec en plus une autre stratégie qui va s’avérer payante : tout ce qui ne se voit pas, plate-forme, moteurs, transmissions, liaisons au sol, est commun aux deux marques et va dès lors se retrouver sur tous les modèles de grande diffusion…, quant au reste, design et agencement de l’intérieur, chaque marque a les coudées franches, c’est également le cas pour le marketing, la communication ainsi que la commercialisation à travers les différents marchés.
Avec un beau cas d’école en Belgique ou Kia est depuis 2002 une filiale directe de Kia Europe (au milieu des années ’90, la distribution y était aux mains d’un importateur privé hollandais, alors que Hyundai BeLux est distribué par le groupe Moorkens).
Entre les deux, on ne se fait pas de cadeaux, la lutte commerciale est intense, ce dont profite bien souvent le futur acheteur !
En Allemagne, au centre européen de recherches et de design, les différents bureaux se regardent très souvent en chien de faïence, on bosse pour Kia ou Hyundai, peu de contacts bilatéraux, on se limite à de grandes décisions et puis chacun fait son propre business.
Attention, ils ne sont pas en guerre, n’exagérons pas, c’est plutôt “je t’aime, moi non plus” !
Et ça marche, cette émulation s’avère particulièrement profitable.
Les bénéfices du groupe n’ont jamais été aussi élevés, on parle même en 2012 d’une croissance à deux chiffres sur le marché du Vieux Continent, alors que les ventes de voitures y sont en chute libre !
Hyundai Europe devrait ainsi vendre quelque 430.000 unités contre 360.000 pour Kia.
Tout cela avec des modèles finalement très proches mais tellement différents au niveau look !
Des exemples ?
A profusion !
Kia Picanto (une citadine), c’est la cousine de la Hyundai i 10, sa sœur i20 ( polyvalente), partageant de nombreux éléments avec la Kia Rio.
Il en va de même pour la Kia Cee’d (dans la catégorie de la VW Golf), très proche de la Hyundai i30 alors que Kia Optima et i40, deux modèles du segment de la VW Passat, Ford Mondéo…, c’est du pareil au même, sauf en matière de design et de présentation intérieure.
Du côté monovolumes et des SUV’s, on refait le même coup, Kia Venga et Hyundai ix20 sont chargés de se positionner parmi les monospaces compacts, alors que les SUV’s Sportage et Hyundai ix35 (5 places, traction avant ou 4X4), sont issus du même moule…, idem pour les grands frères Kia Sorento et Hyundai Santa Fe 5/7 places.
Voici la recette afin de réaliser d’incroyables économies d’échelle !
Si Kia se donne un profil plus jeune alors que Hyundai semble plus posé, ces deux constructeurs se permettent également quelques petites fantaisies.
Comme le coupé original Hyundai Veloster, trois portes, deux côtés trottoir, une côté conducteur, animé par des motorisations essence injection directe de 140 ou 184 chevaux, sans oublier la nouvelle famille Genesis de haut de gamme qui a permis de dévoiler un coupé 2+ 2 à propulsion avec des motorisations quatre cylindres de 212 chevaux. et V6 de 303 chevaux.
Chez Kia, on nous promet un coupé GT pour les prochaines années, ce qui signifie clairement que ce groupe veut occuper un maximum de niche de marchés et s’attaquer en plus à des marques dites premium.
Quant au futur, Kia se chargerait des véhicules électriques, Hyundai se spécialisant dans les motorisations hybrides ainsi que la pile à combustible.
De nombreux prototypes roulent déjà, j’en ai essayé un à l’occasion du dernier salon de l’auto de Bruxelles, la ix35 Fuel Cell.
L’hydrogène associé à l’oxygène, crée une réaction chimique produisant de l’électricité, ce qui sert à entraîner un moteur électrique de 136 chevaux…, de quoi pointer à 160 km/h tout en ayant une autonomie de près de 600 km !
Sa production devrait débuter en 2015, c’est demain, le constructeur est prêt !
En revanche, les autorités feraient bien de se bouger et de penser à des incitants fiscaux pour ces véhicules qui ne crachent aucune émission nocive tout en suggérant aux grandes compagnies pétrolières d’ajouter des points de distribution d’hydrogène dans les stations services !
Et là, ce n’est pas gagné d’avance…
En revanche, Hyundai/Kia rassurent déjà depuis longtemps leurs acheteurs avec des garanties/assistances de longue durée : 5 ans et kilométrage illimité chez Hyundai…, 7 ans chez Kia avec un maximum de 150.000 km.
Au fil des ans, ces voitures coréennes sont sans doute devenues nettement plus chères, mais quelle fiabilité alors que le comportement routier s’aligne sur celui des meilleures réalisations japonaises ou européennes.
Fulgurante également cette belle évolution du design devenu enfin élégant alors qu’en termes de présentation, de finition et de motorisations sans oublier la diminution des rejets de CO2, ces deux marques n’ont aucune leçon à recevoir des autres constructeurs.
En outre, Hyundai et Kia ont eu l’intelligence et surtout la sagesse de devancer les exigences des futurs clients, les chiffres de ventes le confirment.
En outre, elles bénéficient depuis le mois de juillet 2011 d’un fameux coup de pouce avec l’accord de libre échange signé entre la Corée du sud et l’Union Européenne.
Les véhicules en provenance du pays du matin calme, ne doivent plus à l’avenir s’acquitter des droits de douane qui s’élevaient à 10 %.
Pour le marché belge, c’est peanuts, la grande majorité des voitures importées sont assemblées en Inde, en Turquie et surtout dans deux usines européennes situées respectivement en Slovaquie (Kia Cee’d, SUV Sportage, Monovolume Venga), ainsi qu’en Tchéquie (Hyundai i30, monovolume ix20 et SUV ix35).
Cet accord aurait cependant fait grincer des dents certains fabricants européens qui, semble-t’il, ont bien du mal à pénétrer ce marché tellement complexe (50 millions d’habitants, près de 1.500.000 voitures vendues en 2011).
En revanche, les trois constructeurs premium allemands : Audi, BMW et Mercedes…, ne se plaignent pas, 77.000 voitures immatriculées l’année dernière, ce qui représente trois quart des voitures étrangères importées…, les américains ainsi que les Japonais, surtout Toyota et Lexus (et oui, ils sont de retour), devant se partager les miettes…
Marcel Pirotte, pour www.GatsbyOnline.com