2012 Jeep : Happy birthday, avec un pneu de retard !
Par Marcel PIROTTE
Septante ans en calculation Suisse et Belge ! Soixante-dix ans en calculation Française, parce que nos amis d’Outre-quiévrain ont gardé une amertume envers une guerre d’un autre siècle.
Que soit…, ou qu’on se trouve, c’est le bel âge, qui se traduit immanquablement par une vie particulièrement bien remplie, une expérience hors du commun, des tas de bons souvenirs mais aussi quelques mauvais qu’il vaut mieux occulter très vite !
En plus si l’on a la chance d’être en bonne santé : que du bonheur !
Mais quel rapport, me direz-vous, entre la Jeep et votre… serviteur, auteur de ce que vous venez de lire et de ce que vous allez lire en cette suite ?
Celui d’avoir franchi ensemble ce cap de sept dizaines d’années, c’était l’année dernière…
Une nouvelle fois mais avec un peu de retard, on me le pardonnera, j’en suis sûr, happy birthday à cette vénérable grand’mère qui a débarqué en Normandie, en juin 1944 !
Mais comme d’après moi, cette marque déposée qui a déjà vécu huit vies à travers huit propriétaires bien différents : Willys, Kaiser, American Motors, Renault, Chrysler, Mercedes, Cerberus… et maintenant Fiat, n’a pas été fêtée comme il se doit, il fallait donc réparer cette injustice…
Juin 1941, de l’autre côté de l’Atlantique, la Jeep entre en production.
Quelques mois plus tard, un peu avant Noël, les cigognes (c’est ce qu’on m’a dit…) me déposent au cœur des Ardennes du côté de… Bertrix !
Par la suite, j’apprendrai que ce petit véhicule compact 4/5 places d’un genre tout à fait nouveau, du style cabriolet ouvert à tout vent, de 3,55 m de long, reposant sur un empattement de 2 m, entraîné par un bloc classique quatre cylindres 2,2 l de 55 chevaux, n’a pas son pareil pour franchir les obstacles tout en tirant une remorque de 250 kg !
Son secret ?
En fait, il y en a plusieurs : un poids limité à un peu moins de 1100 kg (l’armée américaine avait tout d’abord exigé que les prototypes ne dépassent pas 600 kg, ce qui était irréalisable), mais surtout cette traction intégrale enclenchable manuellement, associée à une boîte trois vitesses avec réducteur sans oublier la présence de pneus spéciaux de 6.00 x 16.
Jusqu’en 1945, Willys et Ford vont se partager le gâteau et surtout la production de plus de 640.000 unités, les pièces de ces deux modèles étant… interchangeables.
Les G.I’s vont adorer ce petit véhicule polyvalent qui passe (presque) partout, nécessitant très peu d’entretien et très facile à réparer en cas de panne.
Cette Jeep “libératrice”, j’en ai un vague souvenir…, j’avais 3 ans à peine…, c’était fin de l’année 1944, un soldat américain m’avait en plus donné un “coca” au goût assez particulier.
Par la suite avec un bon whisky et des glaçons, cela passait beaucoup mieux…
Durant toute mon enfance ardennaise, ces fameuses Jeep ne m’ont jamais quitté, on les retrouvait un peu partout !
A l’armée belge, tout d’abord (c’est mon pays), sans oublier ces cousins nettement plus costauds, les célèbres camions GMC et Dodge “ambulance” ou “command car” que l’on trouvait à profusion dans ces incroyables magasins, les fameux “stocks américains” qui fleurissaient un peu partout, de véritables cavernes d’Ali Baba !
C’est fou ce que ces “Ricains” pouvaient avoir comme équipement…
Les années d’après-guerre vont civiliser la Jeep, pouvant se transformer à l’envi en tracteur pour les agriculteurs et même “débarder” les forêts à côté des merveilleux chevaux de trait ardennais que le monde entier envie toujours aux belches, une fois, hein !
Avec sa remorque, elle pouvait aussi tout faire…, faut que je l’ajoute pour être complet !
Sur le Nouveau Continent, Willys Overland débute la production d’un break tout acier 7 places (sorte d’ancêtre du Cherokee), qui en 1950, reçoit même un nouveau six cylindres en ligne de 72 chevaux, qu’on retrouve également à bord du pick-up quatre roues motrices.
En 1953, changement très important, Henry J. Kaiser, nouveau propriétaire, rachète la marque pour environ 60 millions de dollars… et l’année suivante, la CJ-5 aux lignes plus douces, dérivée de la version militaire développée pour la guerre de Corée, entre en scène.
Elle ne la quittera qu’en…1983, après une production de près de 600.000 exemplaires.
Entre-temps, la Jeepster sportive, deux portes fait craquer tous les “happy few”, elle fait aussi sensation en Europe !
1958, l’expo, l’armée…
La Jeep a connu huit vies, j’ai eu la chance d’en vivre deux…, mais de manière très intense.
Explications !
Depuis mon plus jeune âge, l’armée m’attirait mais également le monde fascinant de l’automobile.
Lors de mon adolescence, je n’aurais pour rien au monde voulu rater la lecture hebdomadaire de Spirou où je me délectais des aventures de Buck Danny, sans oublier (et c’était le plus important), la chronique auto de Starter, celui qui essayait les plus belles voitures de l’époque tout en me faisant déjà rêver !
C’était décidé, j’irais faire une carrière à l’armée, mais, comme Starter, je serais également chroniqueur automobile !
Deux activités à première vue totalement inconciliables et, pourtant, j’ai réussi à les assumer toutes les deux.
Après la visite de la fameuse Expo de Bruxelles au milieu de l’année 58, c’est décidé, je signe un engagement pour cinq ans dans celle que l’on appelait déjà l’époque, la “grande muette”.
Entré comme simple soldat, je la quitterai le premier janvier 1997 comme officier supérieur (Lieutenant-Colonel), auréolé d’un brevet d’administrateur militaire…
Que de chemin parcouru depuis ce 5 décembre 1958 en entrant à l’école ordonnance de Tournai, la fameuse ville aux cinq clochers (d’ou est issu notre Quelqu’un) !
Un an de cours plus tard et trois sardines sur la manche, je débarque alors dans les faubourgs de Cologne (Köln) où je dois à longueur de journée fournir des pièces de rechange aux… mécaniciens !
Certains jours, il n’y a rien à distribuer, un boulot pas folichon du tout !
Qu’à cela ne tienne, j’en profite pour m’inscrire au cours du soir afin de connaître un peu mieux la langue de Goethe alors que ma copine de l’époque roule en… Karmann Ghia que je conduis tout naturellement …! C’est là que je retrouve également la bonne vieille Jeep transformée en CJ-3A !
Avec elle, j’obtiens mon tout premier permis militaire qui par la suite va fameusement s’étoffer et me permettre de conduire des motos, des camions, des véhicules polycarburants, des transporteurs de troupe AMX, des CVRT à moteur Jaguar…, mais surtout de vrais chars de combat du type Walker Bulldog, Patton M47 et même Léopard !
Ah cette Jeep, rien que du bonheur, infatigable et fiable à la fois !
Avec elle, j’apprends à faire le double débrayage, elle peut atteindre 100 km/h…, mais à cette allure, elle “flotte” un peu trop et si en “tous terrains”, elle se “plante”, il suffit à quelques uns de la pousser !
Un câble de remorquage amarré sur le pare-chocs avant permet également de la tirer de toutes les situations scabreuses.
Une trousse à outils plutôt sommaire permet également de faire face à presque toutes les pannes et s’il fait froid ou humide, il suffit de sécher la “tête de delco” pour que la mécanique reprenne vie.
Evidemment, ce cheval de trait, exige d’être bien nourri, entre 15 et 20 l/100 km suivant l’utilisation… et prière de roder à nouveau le moteur en cas de changement de joint de culasse…
Quant aux quatre tambours, ils font plutôt office de ralentisseurs, le frein à main, c’était souvent pour mémoire !
N’empêche que cette Willys a servi de base mais aussi de référence pour les 4X4 modernes qui aujourd’hui ont besoin de blocages de différentiels et de multiples garde-fous électroniques pour l’égaler en termes de franchissement.
Face à la technologie, la simplicité de sa conception a de quoi encore faire réfléchir…
A l’armée, j’ai trouvé ma voie mais il m’a fallu penser à l’avenir…, des sardines sur la manche, c’est bien, des étoiles dorées et des barrettes sur le col, c’est encore mieux…
Mais prière de repasser très longuement par la case des bancs d’école…, sept ans au total pour enfin décrocher cette première étoile dorée et faire connaissance avec les Troupes blindées…
L’avenir s’avère rayonnant mais le traitement financier ne permet vraiment pas de faire des miracles !
Nous sommes en 1968.
Depuis deux ans, j’ai également la chance de rédiger mes premières chroniques auto dans le journal Vlan en région Bruxelloise (curieusement c’est à la même époque que notre Quelqu’un crée un journal du même style nommé Promotion N°1, diffusé dans le Hainaut Belge et le nord de la France).
Le patron du journal Vlan, Monsieur Moulin, est sympa avec moi qui suit atypique, il me fait confiance…
Mon avenir automobile semble bien parti, mais avant tout il faut composer avec la vie militaire et les très nombreuses prestations d’un jeune officier dans un Régiment de cavalerie blindée tout bonnement extraordinaire : le Premier Régiment de Guides, un Régiment royal !
Du coup, le Roi (des belges) est vraiment mon cousin, les boutons de col de mes chemises sautent les uns après les autres… et je retrouve ma bonne vieille Jeep, cette fois comme véhicule de fonction !
Je serai même désigné comme officier de maintenance de ce beau Régiment avant d’être investi comme commandant d’escadron de chars avec 13 Léopard à faire manœuvrer un peu partout en Allemagne…, dans le même temps ou notre Quelqu’un déboule au 4ième TTR à Düren (Allemagne) pour s’y occuper de la logistique !
Décidément, le monde est petit !
Pas facile pour moi de combiner ces deux vies, certaines nuits sont vraiment très courtes afin de ramener à Siegen des voitures d’essai…, 700 km au total, pas question de rater une seule manœuvre ou exercice, les congés familiaux, ce sera pour plus tard, ils me permettent d’assister aux présentations de presse à l’étranger.
Avec les années, je ferai plusieurs fois le tour du monde de l’automobile.
Jusqu’en 1980, année de mon retour définitif en Belgique, j’occuperai également d’autres fonctions, toutes très enrichissantes au sein de ce merveilleux Régiment, j’irai même planter son Fanion sur l’île du Cap Nord, testant au passage une Renault 12 ainsi qu’une NSU 1200 C !
Par la suite j’y retournerai plusieurs fois avec notamment une Saab 99 ainsi qu’une Mazda RX3 à moteur Wankel.
Mais entre-temps, la gamme Jeep s’est brillamment étoffée…, je fais connaissance avec les Wagoneer et Gladiator équipées d’un bloc V8 5,3 l de 250 chevaux associés à la boîte automatique Turbo Hydra-Matic.
Les passages de 4X2 en 4X4 ou vice et versa sont aussi plus aisés, fini le dédale des nombreuses commandes peu pratiques et encombrantes.
La super Wagoneer fait une entrée très remarquée dans le cercle très fermé des breaks très luxueux, on découvre également en 1973, le premier système de traction intégrale à plein temps, le fameux Quadra-Trac.
AMC, Renault, Chrysler, Mercedes, Fiat…, les nouveaux propriétaires…
Au début des années septante, Kaiser Industries n’a pas les reins assez solides afin de faire face à une expansion réelle de la gamme.
C’est American Motors Company qui viendra à son secours, le rachetant pour 70 millions de dollars.
Durant cette décennie, AMC va littéralement marquer de son empreinte le développement de Jeep, passant d’une production de 175 véhicules/jour… à 600 unités !
A partir de 1972, les V8 AMC font la loi sous le capot des grands breaks Wagoneer qui sont les seuls à pouvoir ainsi s’opposer au Range Rover à moteur V8 essence d’origine Buick !
En 1974, Cherokee désigne un break deux portes à connotation sportive, une version quatre portes vient s’jouter en 1977.
Un an plus tôt, évènement de taille, la CJ-7, septième génération de la Jeep civile voit le jour.
Pour la première fois, elle offre en option un toit moulé en plastique ainsi que deux portes en acier.
Au début des années 80, AMC en proie à de sérieuses difficultés financières (la division Jeep n’y était pour rien), passe sous le contrôle du constructeur français Renault qui voulait absolument pénétrer le marché américain.
Sous la houlette de ce nouveau propriétaire, la marque Jeep continue cependant à se développer, mais, reste fidèle à son ADN…
Le nouveau break Cherokee plus ramassé, reposant sur une coque autoportante est proposé en deux ou quatre portes, alors que la CJ-7 peut être entraîné par un bloc essence ou diesel deux litres de fabrication française.
Sa succession se voit assurée par la fameuse Wrangler qui, pour la première fois, se dote de phares carrés.
En 1987, Renault jette l’éponge, du coup, Jeep redevient américain avec le rachat par Chrysler qui inclut cette vénérable marque dans sa division Jeep/Eagle.
Deux modes de traction intégrale sont aussi développés, de quoi damner le pion aux autres 4X4 de plus en plus luxueux en provenance de Land Rover, Mercedes… et de constructeurs japonais, mais également des concurrents américains Ford et Chevrolet.
En 1992, le Grand Cherokee fait une entré fracassante et mémorable au salon de Detroit, brisant une paroi en verre du Cobo Center.
Quatre ans plus tard, nouvelle déclinaison de la Wrangler, la TJ !
80 % des composants sont entièrement nouveaux, je note la présence d’airbags mais aussi du pare-brise rabattable comme en 1941 et de portes amovibles.
Le toit est en tissu ou amovible en dur, de gros arceaux de sécurité renforcent le look passe partout.
La version Rubicon encore plus fun : vaut le détour…
Mais en 1998, Mercedes signe une “joint venture” (50-50) avec Chrysler et, par voie de conséquence, avec Jeep.
Par la suite, la marque allemande va carrément en prendre le contrôle et réussir à imposer ses moteurs comme les gros diesel tout en diversifiant la gamme des SUV compacts, avec notamment les Compass et Patriot dont certains sont livrables en 4X2 !
Jeep doit comme les autres constructeurs suivre le mouvement.
La fin de la décennie précédente ne sera pas de tout repos !
Chrysler en pleine déconfiture se voit lâché par Mercedes qui, en 2007, revend plus de 80 % de ses actions au groupe d’investissement Cerberus pour 7,4 milliards de dollars qui, pendant deux ans, ne parvient pas à s’en sortir.
Le dernier rebondissement en date est signé : Fiat…, qui par la voix d’un financier de génie mais aussi un peu “roublard sur les bords”, s’empare de 58 % du capital de Chrysler pour une bouchée de pain : moins de deux milliards de dollars…, avec dans la corbeille des mariés : Jeep, toujours bien vivante…
La messe est dite.
Le nouveau Grand Cherokee livrable bien évidemment avec un gros V8 américain l’est aussi avec un tout nouveau diesel V6 trois litres, bien italien, développé par la firme VM Motori qui par hasard fait partie de la galaxie Fiat !
Out of Africa…
L’Afrique noire, c’est le paradis rêvé pour faire du 4X4 !
Alors pourquoi ne pas rassembler quelques bonnes Jeep Rubicon et Wrangler à moteur essence V6 de 284 chevaux et diesel 2,8 l de 200 chevaux pour un périple inoubliable.
D’autant qu’elles peuvent passer presque partout !
Si une Jeep ne peut franchir l’obstacle, aucun autre 4X4 ne sera en mesure de le faire.
J’avais déjà été fasciné par cette Afrique avec le film culte Hatari (1962) où John Wayne et toute son équipe dont Hardy Kruger et le comique Red Buttons, sans oublier la bien jolie Elsa Martinelli, ont pour mission de capturer au cœur de l’Afrique sauvage des animaux destinés à être revendus à des zoos dans le monde entier.
Des paysages à couper le souffle, d’autant que le réalisateur Howard Hawks installe son camp en Tanzanie au pied du Kilimandjaro…
Et comme les acteurs sont prêts à en découdre et que les captures d’animaux s’avèrent plutôt impressionnantes, ce film marque les esprits d’autant que plusieurs véhicules de la marque Jeep : crèvent l’écran…, dont une CJ-5 menée à la cravache par un Hardy Kruger en grande forme !
Rien que ces scènes vous mettent l’eau à la bouche.
Plus tard, je découvrirai la Tanzanie mais également le Kenya ainsi que l’Afrique du Sud avec là aussi un seul but, capturer un maximum d’animaux, mais, par voie de…pellicule interposée.
Pour ses 70 ans, la Jeep et moi aussi, ne pouvions mieux rêver comme terrain de chasse que celui de l’Afrique noire.
Certes, la marque américaine doit composer avec le concurrent de toujours : Land Rover, qui, depuis 1948 et à travers les nombreux pays du Commonwealth, règne un peu là bas en terrain conquis, mais également avec les constructeurs japonais, qui, avec les Toyota Land Cruiser et autres Nissan Patrol, sans oublier leurs nombreux pick-up, ont réussi eux aussi à s’imposer.
Mais qu’on ne s’y trompe pas, tous ces 4X4 sont en fait des émules de la célèbre Jeep à qui ils ont emprunté la technologie des quatre roues motrices et celle des boîtes à réducteurs.
Aujourd’hui, l’électronique gère un peu tout cela, mais les Wrangler restent toujours fidèles à la transmission intégrale enclenchable avec le choix d’une boîte mécanique 6 vitesses ou automatique 5 rapports.
Avec le couple de 342 nm du bloc essence ou 462 Nm du diesel, aucun souci à se faire pour entraîner les versions deux ou quatre portes du style Unlimited…
C’est vrai que ses possibilités sont illimitées…, ça passe partout ou presque !
Une rivière en crue, qu’à cela ne tienne, on ouvre les portières, on évacue l’eau et ça repart.
Les rochers, les versants les plus abrupts, un jeu d’enfant, c’est presque du trial mais sur quatre roues.
Et puis le soir au coin du feu, que c’est bon de se remémorer les aventures de la journée et les rencontres parfois inattendues avec ces animaux venus de nulle part… et surtout avec ces populations tellement accueillantes mais qui ont compris que ces touristes un peu fortunés, il valait mieux les chouchouter, c’est de bonne guerre !
Du “win win” dans tous les sens du terme, on apporte des sous, ils nous dévoilent des paysages invraisemblables que l’on transforme en terrain de jeu pour Jeep…
Que rêver de mieux ?
Maintenant, là, ici, dans cette suite…, Patrice, notre Quelqu’un, a lourdement insisté pour participer en prenant le volant, la plume et le clavier… pour jouer son rôle habituel de grand déjanté…, on va dire qu’il en rajoute, mais je jure que c’est vrai !
L’Afrique est souvent un pays de fous !
Dans cette réunion de Jeep, l’alcool coulait à flot et plus particulièrement le Whisky, mais avec la transpiration, il n’en restait pas beaucoup !
Un des participants venait de Marseille, il s’était choisi une Jeep noire et un boy (noir), qu’il traînait partout avec lui et qui s’appelait Mamadou (le boy, pas le gars).
Il voulait aller à la chasse aux canards armés qui nichaient près du Niger.
Les canards armés, c’est un poème à eux tout seuls, c’est un peu le gibier qu’il faut avoir tiré au moins une fois dans sa carrière de chasseur, sinon on est moins que rien.
Ces canards, plus gros que ceux auxquels on est habitués en France sont dits “armés” car leurs plumes sont très abondantes, très serrées et forment comme une armure.
Il court nombre de légendes à leur sujet.
On dit par exemple que les balles de 22 rebondissent sur leur plumage et qu’il faut employer des balles Dum-dum pour arriver à les descendre… et aussi qu’ils sont capables de voir venir les balles de fusil…, de s’arrêter en plein vol pour les éviter…et, après un virage sur l’aile, de fondre sur les tireurs qui s’égaillent en tous sens.
Bande de courageux, va !
Ce Marseillais n’en démordait pas…, il voulait abattre un canard armé…
A chaque étape, au feu de camp, il nous racontait ses aventures, on riait comme des bossus pendant que le guide essayait de lui démontrer à quel point c’était dangereux…, pas de chasser le canard armé, mais bien de rouler à tombeau ouvert…
“Deu touteu façons, c’est tout droit, ici, Peuchère !” (avé l’assent), qu’il répondait, invariablement…
Donc, finalement, le guide accède à sa demande… et nous voilà parti en convoi pour aller abattre de pauvres canards…
Mamadou est monté à l’arrière de la Jeep noire et s’est accroché aux arceaux…, tandis que nous tous, les grands chasseurs blancs, avec des fusils chargés entre les genoux et casques coloniaux sur la tête, nous nous sommes mis à chanter la Marseillaise !
C’est que le soleil d’Afrique, il ne fait pas semblant de taper… et, avec le whisky…, ça dégénère !
Par contre, sans raison, la Jeep noire est tombée en panne de freins…
En Afrique, tout se répare avec des bouts de ficelle… et à peine une heure plus tard, notre brave Marseillais avait bricolé un système de son invention pour remédier à cette panne, afin de pouvoir aller chasser le canard avant d’aller réparer les freins !
Attachée sous la Jeep, à un point d’ancrage névralgique et essentiel (probablement l’essieu), il avait fixé une corde de bateau, énorme, avec à son bout une ancre de marine, le tout récupéré sur une embarcation improbable au bord d’un fleuve dont j’ai oublié le nom…
Il avait dû être marin dans une autre vie.
Il a fait un essai pour s’arrêter…, criant à son boy : “Mamadou ! Jetteu l’ancreu, piting!”…
Et Mamadou a jeté l’ancre, s’empressant de se cramponner aux arceaux car, arrivé au bout de la corde, le véhicule s’est arrêté net, vidant tous ses occupants d’un seul coup.
Vlan ! (comme le journal du même nom dont on cause en début de cet article)…
Le Marseillais ne s’y attendait pas, car la corde était longue, et il n’avait pas calculé à l’avance l’endroit où il fallait qu’il s’arrête.
Mais, après cinq essais, il faisait ça très bien.
Finalement, devant le danger, notre guide a décrété que nous allions réparer correctement les freins et que s’en était fini d’aller chasser le canard armé…
Durant tout le trajet de retour, le Marseillais jetait l’ancre !
Je crois qu’il le faisait exprès, pour en rire avec nous par après.
C’était un peu un rituel comme à l’armée, avec le bizutage des bleus-bite : “Ceux qui ne tombent pas sont mes copains !”…
On en a eu des bosses, des gnons et des plaies à soigner !
C’est une métisse qui faisait office d’infirmière, parce-qu’elle savait faire les piqûres et les pansements comme une pro…, elle en faisait plus aussi…, à la demande, derrière un arbre, derrière un talus… mais finalement, les hommes de cette odyssée, n’osaient pas vraiment, de peur des bestioles…
Nous sommes arrivé dans un petit village ou le chef avait dix épouses et une kyrielle d’enfants.
C’était le seul et le meilleur moyen qu’il avait trouvé pour ne pas travailler.
Il passait ses journées sous l’aloès, avec une calebasse remplie de vin de palme…, à rêver.
J’ai pu l’observer tout mon saoul en attente que la pièce réparatrice de la Jeep noire arrive…
Rien à faire ici que regarder…
Le soir le chef titubait d’une case à l’autre en distribuant des volées de bambou à ses femmes.
Le village comptait une centaine d’âmes…, et je ne parle pas des morts, bien plus nombreux que les vivants. Il dominait une longue crête boisée qu’il fallait traverser pour arriver au fleuve.
Les cases étaient des huttes de terre rouge au toit de chaume qui dessinaient une sorte de colimaçon.
Au centre se trouvaient les cases des femmes.
Les hommes occupaient toute la périphérie, elle-même protégée par une double haie d’épineux tranchants.
Une piste rudimentaire reliait le village à la ville, distante de cinquante kilomètres.
De temps à autre une jeep militaire déboulait, s’arrêtant au milieu du village, dans un nuage de poussière !
Des militaires descendaient, le fusil sur l’épaule, le visage luisant de transpiration… et allaient voir la métisse infirmière que personne, sauf le Marseillais, n’avait accepté de lui donner un gros billet en échange de ses charmes…
Elle était parfumée au soumaré, les cheveux ornés de perles multicolores.
Pour passer le temps on collait notre oreille au torchis de la case pour entendre ses cris bizarres : comme des couinements de chauves-souris.
Le deuxième jour, la Jeep noire réparée…, comme on éloigne les mouches à merde, les Reines du lieu nous ont chassé avec des touffes d’ortie.
Et on est repartis comme on était arrivés : dans un bruit effroyable de pistons !
Je peux vous assurer qu’ensuite nous nous sommes éclatés dans cet environnement particulier qu’est la brousse africaine, où tout est possible si vous avez l’esprit d’aventure et le contact aisé avec les autochtones.
Nous avons pu ainsi plusieurs fois être accueillis par des villageois qui n’avaient jamais vu de blancs dans des Jeep aussi propres !
Nous avons partagé avec eux des parties de chasse et beaucoup d’autres choses.
Et une fois, on nous a même permis de pénétrer dans le bois sacré, là où ont lieu les initiations et où sont prises les décisions importantes .
Nous étions accompagnés par le chef de village et le sorcier.
Le photographe de l’expédition avait besoin de clichés rapprochés d’hippopotames, mais son zoom n’était pas très performant… et lui pas très vaillant.
Connaissant ma réputation de casse-cou, il m’a demandé de le prendre “en charge”… et nous voilà partis pour le Comoë, le fleuve dans lequel barbotaient les hippos.
C’était un week-end et beaucoup d’expatriés venaient pique niquer à cet endroit.
Pour prendre les photos désirées, à défaut d’un zoom performant, il n’y avait pas d’autre solution que de s’approcher le plus près possible de ces paisibles animaux.
Sous le regard étonné puis inquiet des spectateurs, nous sommes entrés dans l’eau à la rencontre de nos cibles.
Je m’en suis approché jusqu’à avoir de l’eau à hauteur de poitrine et j’ai pris quelques photos.
J’étais à 5 mètres, m’a-t-on dit… et je peux vous jurer que je n’avais absolument pas peur.
J’avais la certitude que ces grosses bêtes étaient inoffensives, seulement maladroites.
Je suis revenu sur la berge rejoindre le photographe trouillard qui ne m’avait pas suivi très longtemps.
De ce jour, j’ai été classé définitivement comme fou par le groupe.
Un jour suivant, j’ai été interpellé par un Européen au fort accent germanique qui m’a m’expliqué que son activité consistait à fournir en animaux sauvages, cirques et zoos, sa spécialité étant les crocodiles !
A l’époque, je ne voyais rien de répréhensible à cette démarche.
Il m’a dit qu’il avait appris la présence de nombreuses familles de crocos dans cette région et en particulier dans un marigot voisin…. et m’a proposé de l’accompagner pour le fun !
L’aventurier teuton nous a expliqué la façon de procéder avec photos à l’appui.
En fait, c’était très simple : il suffisait d’entrer dans l’eau boueuse, comme pour les hippos, mais de nuit avec une lampe frontale !
“Lorsqu’on a de l’eau jusqu’au ventre, on s’arrête quelques minutes et on balaie la surface avec les lampes. Au bout de quelque temps, normalement, on voit apparaître à quelques métres, 2 petits ronds rouges. Ce sont les yeux du crocodile. Et là, il vaut mieux ne pas être bourré et rester concentré ! En effet, l’écartement des yeux détermine la taille de l’animal. Mon client recherche des bêtes d une cinquantaine de centimétres ce qui correspond à environ 5 cm entre les yeux. Une fois la bonne cible repérée , il suffit que l’un d’entre nous l’attrape par le cou d’un geste vif tandis que l’autre lui passe un noeud coulant sur les mâchoires. C’est un travail dans lequel il y a intérêt à être synchrone ! Car ces animaux, même petits, peuvent être redoutables avec leurs dents et leur appendice caudal”…
Tout ne s’est pourtant pas déroulé parfaitement bien dans la joie et la bonne humeur !
Une erreur d’appréciation et ce fou s’est retrouvé aux prises avec un animal beaucoup plus gros que prévu.
Ses 2 mains avaient du mal à lui entourer le cou et pourtant, pas question de le lâcher à cause d’éventuelles représailles…
J’ai eu un mal fou à mettre en place la corde et le noeud qui devaient lui immobiliser les mâchoires.
Doué d’une force et d’une énergie phénoménales, le croco se débatait et nous envoyait de grands coups de queue.
C’est nous qui avons gagné la partie…, l’avons remonté sur la berge et ligoté.
Il mesurait un mètre environ et nous avons eu de la chance qu’il ne nous ait pas mordu !
Malgré les félicitations, nous avons décidé d’arrêter là notre collaboration…
Nous avons passé le reste de la nuit à boire du rhum, afin d’évacuer le stress et la grande trouille que nous venions d’avoir.
Départ vers 7 heures…, droit vers le nord…
La piste de terre battue est bordée de terrains marécageux, qui portent encore les stigmates d’un précédent retirement des eaux boueuses.
Le guide nous explique que nous nous dirigeons vers un village où le vaudou, science séculaire qui fait partie intégrante de la culture tribale locale, se pratique.
De plus en plus intéressant !
La route de terre ocre nous mène à travers la brousse.
Nous apercevons parfois des habitations côtoyées par des champs de manioc.
La végétation à la fois variée et sèche, hautes herbes et buissons, encadre notre tapis doré et poussiéreux.
Un baobab, parmi d’autres, trône majestueusement en son sein.
Le dépaysement est total.
Un décor irréel : un cimetière à l’entrée du village, c’est le vestige d’une tentative d’occidentalisation, par les Allemands, des pratiques d’inhumation.
L’occupation aura duré de 1884 à 1919.
Enfin, dans le village, un petit garçon, vêtu d’un T-shirt bleu ciel à rayures marine, me tend sa main que je saisis.
Un magnifique sourire se dessine sur son petit visage.
Nous parcourons le village, ou les femmes allongent les plus petits sur des nattes pour qu’ils fassent la sieste.
A quelques mètres de là, des statues de pierre représentant les dieux du panthéon vaudou, auprès desquelles sont faites des offrandes.
Je ne cesse de me dire que leurs têtes sont vraiment énormes par rapport au reste du corps, quand celles-ci en sont pourvues…
Tout à coup, je plisse les yeux et ceux-ci s’arrêtent sur un triple détail dont je ne suis pas immédiatement sûr de bien comprendre le sens.
Cela ne peut quand même pas être ce à quoi je pense…
Une voix retentit derrière moi, me faisant sortir de ma semi-torpeur.
Laissant clairement paraître un visage amusé par ma mine concentrée, il enchaîne : “Qu’est-ce qui, selon toi, fait qu’un dieu-homme est un homme ?”…
Je le regarde, les yeux commençant à larmoyer : “Eh oui !! Tu as tout compris, ce sont sa tête et ses attributs virils !” Je commence à esquisser un sourire, pour réprimer un fou rire naissant.
Comment passer à côté d’une telle évidence ?
D’une case à l’autre, des plats cuisent dans les marmites posées sur les foyers.
On nous invite à y goûter.
Nous poursuivons notre chemin et arrivons jusqu’à une petite place.
Plusieurs petits arbres délimitent une surface où des femmes sont réunies.
Des étals de poissons sèchés, des sacs de légumes, de manioc et d’épices sont pose´s sur le sol.
Curieux, Stéphane je me rapproche des femmes afin de leur demander de m’enseigner quelques mots.
Poisson ou piment ou manioc ?
Les femmes participent volontiers.
Puis comment dit-on noir et blanc ?
L’évocation des couleurs finit par définitivement attiser ma curiosité.
Je demande aux femmes de me traduire le mot métisse.
Autrement dit, comment appellerait-on quelqu’un qui ne serait ni complètement noir, ni complètement blanc.
Un rire bon enfant se fait entendre, l’une des femmes conclut, avant de rire de plus belle, que le terme n’existe pas !!!
A ces mots-là, je ris aussi.
Ce village est une merveille, le respect, la tolérance, le partage en sont, notamment, les fondements.
La joie de vivre, la chaleur humaine et la sincérité sont les vecteurs par lesquels nous sommes positivement contaminés au contact de ses habitants.
Nôtre séjour en Afrique touche à sa fin.
Le Marseillais est parti rejoindre des amis dans le nord du Niger, à la frontière Lybienne…, seul, sans grande connaissance du désert.
Je n’ai plus reçu aucune nouvelle de lui, le contact qu’il m’avait donné en France n’en savait pas plus que moi !
J’ai pensé alors qu’il était mort de soif (triste fin pour lui !), quelque part dans le désert nigérien…, à moins que…
Marcel Pirotte, pour www.GatsbyOnline.com