2017 Morgan Aéro8 : Sans la puissance, la maîtrise n’est rien…
Cette manière de réponse immédiate et ce grondement terrible, cette hallucinante assise, l’impeccable mordant qu’on distingue comme filés d’aciers l’un à l’autre joints, tant de finesse et tant de force, tant de certitude et tant de caractère, c’est un prolongement… Et nous nous fondons à l’autour. Nous c’est un biplan de voltige aérienne, comme un missile lancé avec plus rien qui en soit obstacle, il contourne, entre et sort en un orage multidimensionnel, virevolte, prends de l’angle, relance, tempère, considère en une fraction d’instant quelques dangers et les oublie plus vite encore…
La respiration se fait intensément tranquille quand ça se place au nanomètre, au millimètre, le regard est une centrale analytique au service des mains (à moins que ce ne soit l’inverse)… Mais ce que je décrète à cet instant, c’est qu’aucune femme ne saura plus jamais me priver de folies semblables et prendre le temps de vivre ma passion à bord de ma Morgan Aéro… Jamais… Plus jamais… Son moteur à calage cyclique auto-segmenté m’emmène loin devant, vers mon destin peut-être, dans un vacarme de bon ton, goûtant à l’incomparable grain du cuir de zébu argentin habillant chaque pièce de ce salon roulant.
Et ce jusqu’aux endroits les moins accessibles… De l’index, je commande le système haute-fidélité et n’assiste pourtant pas à la Traviata comme si j’y étais assis en première loge à la Scala de Milano. Non, nanana, je revis les heures de Woodstock la tête contre un haut-parleur… Quelle importance quand les trains avant et arrière sont dessinés en épures de géométrie torique, apportant une indéfectible angoisse dans les virages et un confort précaire ? La climatisation illusoire me comble d’ailleurs de toute la tempérance à laquelle j’aspire chaudement…
Je subis la Morgan Aéro. Je prends enfin, le temps de ma vie avant de la perdre… C’est le message subliminal de Morgan dans la vidéo ou Jon Wells, responsable du design des voitures pour le constructeur automobile britannique, s’installe au volant d’une Morgan Aero 8… Simultanément, Rich Goodwin, pilote de voltige britannique prend place quant à lui à bord de son avion… Cette “affaire” surréaliste se déroule sur l’aéroport désaffecté de Bruntingthorpe et s’achève sur une passe frontale entre la voiture et l’avion de voltige, une vidéo qui n’a pas d’autre but que celui du plaisir des yeux !
Fabuleusement inconséquent, de regarder et d’en redemander, démontre à l’envi que je suis un vrai sale pur humain… Oui… et je me f… de tout…, la vie des autres ne me concerne plus… Je tente de m’en sortir et c’est déjà pas mal, j’en ai fini des prêches moralement politiquement-correctes, je me situe dans l’allant “carpe diem” ambiant sans l’ombre d’un remord et je croque là dedans comme dans une pâtisserie délicieuse tout en ne considérant en aucun cas ni contrecoups, ni corollaires ni séquelles…
Le futur ne m’intéresse plus du tout, j’habille le tout de cette déclaration d’indépendance pour ne pas carrément dire d’intention : “Ce n’est pas mon problème”… et je préfère sembler mesquin que torturé. En somme ce n’est qu’un peu d’humilité et de clairvoyance que de décider de n’être pas une des épaules de soutien du monde… et puis avant ce sursaut de clairvoyance, j’étais épuisé, et triste, et imbécile d’une autre manière, quoique sans doute moins coûteuse, bouffant, buvant et baisant tout en ruminant que ce qui est pris n’est plus à prendre…
Bref c’est la mémoire que je veux araser, et pour ça je vais jusqu’à la cuite, mais strictement rien n’y fait : je me réveille avec les sterno-cleido-mastoïdiens complètement perclus et il semble que, quoique je veuille, je suis tout de même enclin à génériquement me prendre la tête ! Il y a le temps de la photographie pour peu qu’elle soit subreptice (j’y reviendrai), c’est l’écriture du temps par delà la lumière, égarements, desseins obscurs… et incontestable prépotence qui m’autorise à décider de mes proies avant qu’elles ne deviennent jouets.
On sait bien que je ne donne pas avec insistance dans la promotion des marques, que je m’inquiète pas, comme beaucoup, d’une écologie vacillante, que je ne concoure pas davantage à encourager la frénésie de consommation qui semble parfois être le dernier ressort d’une humanité occidentale un peu à court de poésie, de nostalgie ou de mélancolie. Aussi l’on ne me fera pas procès (j’espère) de l’affirmation suivante : “L’homo pilotus trouve son accomplissement à travers la connerie, et à travers elle seulement, une pure machine à fabriquer du sourire béat. A l’encyclopédie, les mots ! Un bâillon sur la tronche” !
Longtemps l’on vit aux cotés de mots auxquels l’on reste indifférent, voire qui nous gênent, ceux-là sont de ceux-là qui m’apparaissait comme inaudible à vingt ans, à trente encore, tant il disaient la turpitude plaquée sans considération de l’autre, tant les mâles l’avaient plein la bouche comme chose méprisante aveugle et sourde, tant il ne disaient rien du sensible ou de l’espérance sinon feinte : des mots en phrases et textes et livres et autres, chroniques et scénarii tous sans exceptions salement avides et sans échos.
Plus tard j’ai commencé à tout utiliser mais du bout des lèvres, jamais plus fort qu’un souffle, uniquement rimant à des circonstances très particulières et ayant parfois peur de faire mal ou de mal faire. Toutefois, bien dit, au bon moment et si j’évitais la brutalité si j’en pouvais tirer quel qu’obligeants plaisirs.
Pourtant, si l’on y songe “salope” est communément admis comme un terme vulgaire… Je m’en f… De l’avoir eue, ou plutôt de l’avoir subie, je m’arroge le droit, le devoir même, d’affirmer que la Morgan Aéromax est une belle merde (l’écrire en anglais eut-il été plus poétique ?)…
La Morgan Aéro est une salope… Le con en tube ne subit aucun changement du composé chimique qui le constitue… Il reste un con, un con entubé… Point !! Le voyage, les voyages, voilà l’avantage numéro un des professions supérieures, se rendre d’un point à un autre, découvrir les formidables tas de bétons et d’acier servant à catapulter des millions de connards/jours/nuits dans les cieux en espérant qu’ils ne retombent jamais, qu’ils se désintègrent là-haut et c’est pas parce qu’ils en seront plus près du paradis qu’ils auront le droit de visiter Saint Pierre.
Les loueurs de bagnoles discount, les bretelles d’autoroute ayant fonction de rampe de pré-lancement, les quartiers d’affaires, sorte d’aéroports verticaux tout du moins au plan de la quantité de matériaux hideux qui les composent, les buildings comme d’énormes bites pointées vers dieu, grimper, grimper, grimper, toujours, plus haut ! Rester debout quand on a atterri, la tête coincée par les travées trop basses en priant qu’on puisse gratter une ou deux places en jouant des coudes (excusez-moi, un coup de fil urgent)…
Ahhhhhh ! Découvrir les centres villes ou plutôt leurs excroissances maxi-commerciales, les brasseries qui fonctionnent comme des machines super-lubrifiées à 2000 couverts par service, les bars à entraîneuses pour peu que vos hôtes soient délicats et compréhensifs de ce qu’est la nature du con en déplacement, les salles d’attentes où l’on vous annonce les retards, les annulations mais heureusement vous avez un laptop, les fringues prétentieuses des crétins qui s’emmerdent, les brushing, les fonds de teint…
Mais aussi les blazers coupés si tellement bien qu’on dirait vraiment que les beaufs ont maigri, les déluges de parfum qui masquent toute cette odeur de mort, et les ongles coupés des fois qu’on y verrait des griffes, et, de toute façon pas un pays qui vaille, pas une destination qui ne soit absolument sûre (c’est à dire qu’il n’y aurait rien à y voir) sauf si vous avez la chance de vendre des armes ou d’exploiter du pétrole… Les voyages et rien à voir, rien à faire, sinon, répéter à l’envie nos petites craintes, notre petit confort, nos délires sécuritaires….
Sinon quoi d’autre ? Sinon s’enfermer dans les quatre vingt centimètres qui vous séparent de vos écrans favoris, vos game boys à vous, ordinateurs et compétitions en réseau (t’as vu la formule là ? Et la macro, terrible non ? Je l’ai trouvée sur Internet, très fonctionnelle pour le calcul d’amortissement compensatoire-mon-cul), Palm pilot et trente-cinq rendez-vous à honorer dans le temps de dix, Gsm et la pléthore de mini-messages abscons, inutiles, superfétatoires, pamphlétaires et bourrés de fautes d’orthographe…
Et je joue, je joue bordel, toujours en scène, toujours à faire comme si, comme si ma vie à moi était plus réjouissante que la votre, plus importante, plus passionnante, je m’éclate, moi, ma vie professionnelle est trépidante, nous participons à l’histoire du monde, rendez-vous compte : si cet avion décolle, c’est un peu grâce à nous, nous leur vendons les systèmes de traitements d’informations-mes-couilles, formidables. Bientôt, bientôt, je pourrais voyager plus loin encore, j’aurais vendu mes journées de repos contre un vol ou deux de plus…
Donc, l’avion de voyage a été ici détourné en avion de plaisirs confronté à une salope, l’art se résumant à filmer et shooter au mieux la salope et un con en tube… C’est la beauté d’une action débile… J’en pleure de bonheur ! Mû par je ne sais quel élan de clairvoyance je comprends qu’il est inepte d’incriminer qui que ce soit de ce que ce monde organisé tourne tel qu’il le fait, sans principes ni cœur : il y a longtemps que plus personne n’est à la barre, le moteur ayant engendré je ne sais quelle machine folle s’économisant le recours d’une tête, la tranchant même, et nous n’y pourrons rien changer…