2021 TOYOTA HYPERSPORT ! A quoi sert ce “machin” ?
-Zavez-vu ?
-Oui quoi !
-Zavez vu ?
-Quoi ?
-Mais ! Zavez vu ce truc !
-Hein ! Quoi ?
-Non mais sérieux, zavez vu c’t’auto dingue qui est marqué TOYOTA dessus ?
-Ouais, mec ! Toyota cherche à pimenter sa gamme et à séduire les amateurs de voitures de sport avec la Yaris GR et la Supra GR et pour y aider Toyota a créé une hypercar
-Ahhhhhh ! Elle ne sert qu’à faire vendre des Toyota Yaris GR et Supra GR ?
-Oui, c’est du marketing ! Prévue dès janvier 2018 par le concept GR 010 Super Sport, la version de production arrive pour courir les 24 heures du Mans mi-juin 2021 GR 010. Elle devait se battre contre l’Aston-Martin Valkyrie devra et la Mercedes-AMG One, mais la Valkyrie a déclaré forfait !
-Ces trucs hypersport c’est que pour vendre des autres trucs moins hypersport ? C’est crétin ! En rue un mec en Toyota même Yaris GR aura toujours l’air plus fauché qu’un mec en Aston-Martin. Même en Supra GR ! Il n’y a pas d’autres raisons ? Je ne sais pas moi ! Un montage fiscal ? Plutôt qu’une machine à faire des billets, les hypercars sont des machines à dépenser des frais qui sont stockés aux Bermudes par exemple ! J’ai lu qu’AXA faisait de la pub pour garantir les évasions d’oeuvres d’art, pas loin de 5 milliards aux Bermudes… Faut-il que la Toyota hypercar soit une oeuvre d’art. Mais sans doute que l’ingénierie fiscale est une oeuvre d’art en elle-même ? Pouvez-vous m’en dire plus ?
-Bien qu’un équivalent routier de la voiture de course Hypercar du Mans ne soit plus nécessaire depuis que la réglementation a changé, Toyota s’en tient à son projet initial de donner une plaque d’immatriculation à la GR Super Sport. Il devrait utiliser un système hybride V6 biturbo de 2,4 litres adapté de la précédente voiture de course de la division sport automobile, la TS050 Hybrid.
-Oui, j’entends et je lis bien, mais à quoi cela sert-il vraiment de fabriquer une hyper-connerie pour vendre de simples conneries ? Je ne comprends pas !
-Il n’y a rien à comprendre, c’est comme ça !
-Ben non ! Quoiqu’une connerie chasse l’autre, en ce cas je ne vois pas le lien !
-La Toyota hypercar va développer au moins 1000 chevaux, conformément au règlement LMH original, il est même fort possible que la version finale soit encore plus puissante grâce à une configuration hybride à trois moteurs.
-Pour aller où ? Sur la Lune ? Sur Mars ? Au bout de la Rue ? En plus la vitesse est limitée…
-Quoi qu’il en soit, elle sera plus puissante que son équivalent de course puisque la version piste sera plafonnée à 670 chevaux grâce à un V6 hybride de 3,0 litres, conformément aux dernières réglementations de la catégorie LMH.
-C’est quoi cette catégorie LMH ?
-Toyota n’a pas encore décidé du prix et du nombre d’exemplaires qui seront fabriqués, mais avec l’évolution de la réglementation, Toyota n’est plus obligé de fabriquer un minimum de 20 unités. Compte tenu de l’argent, du temps et des efforts investis dans le projet, la logique veut que la production soit plus importante.
-C’est du Chinois, si Toyota n’est plus obligé de fabriquer au minimum 20 voitures, pourquoi claironner de bonheur de pouvoir en fabriquer plus puisque 20 était déjà un minimum. C’est délirant et crétin votre histoire !
-Alors que Toyota est déterminé à lancer une version routière de son Hypercar du Mans, d’autres constructeurs automobiles qui ont annoncé leur participation à la catégorie LMH doivent encore s’engager à produire une voiture homologuée pour la route. Il s’agit notamment de Peugeot, Porsche, Audi et Ferrari.
-Minimum 20 chacun ? Homologuées pour la route ? 6 constructeurs de minimum 20 conneries, ça fait 120 bagnoles hypercar, pour utiliser où ? Pour aller où ? Pour juste rouler dans le vide et exposer dans son garage ? Franchement, c’est couillon votre histoire !
-Le monde change !
-Ah oui çà ! C’est vrai qu’on a vécu en Europe un phénomène qui est assez frappant. On a vécu une véritable prolifération des peurs depuis une quarantaine d’années. On a peur de tout. On a peur du sexe, de l’alcool, du tabac, de la vitesse, des côtes de bœuf, des volailles, des nanotechnologies, du réchauffement climatique, de Marine Lepen et de mille choses encore. Chaque année une peur s’ajoute aux autres et donc, on est entré dans une société de la peur. Ce qui est frappant c’est que non seulement on a assisté au cours des quarante dernières années à une prolifération des peurs !
-Ajoutez les OGM, le trou dans la couche d’ozone et que sais-je encore !
-Oui, mais on assiste, et c’est cela qui va toucher l’automobile de course de plein fouet, à une véritable déculpabilisation de la peur. Quand j’étais petit, dans les familles comme à l’école, on disait en substance : un grand garçon, ça n’a pas peur ! Grandir, devenir une grande personne, pour parler comme St Exupéry dans le Petit Prince, devenir une grande personne c’est être capable de vaincre, de surmonter les peurs. Ne plus avoir peur du noir. Ne pas avoir peur de quitter ses parents. Ne pas avoir peur de se porter au secours d’une personne faible agressée dans un train ou dans un métro. Je ne dis pas que nous étions forcément au niveau mais en tout cas c’était l’idée. Et là on a inscrit le principe de précaution dans la constitution française. C’est-à-dire qu’on a inscrit la volonté de ne plus prendre de risque dans la constitution. Comme si le fait de prendre des risques était en soit catastrophique alors que la vie est évidemment par définition risquée, que ce soit dans l’entreprise, dans le sport et en particulier dans le sport automobile. Quand j’étais gamin il est vrai que pratiquement chaque week-end il y avait des accidents dans les courses automobiles. Je me souviens avoir vu l’accident mortel de Benoit Musy, devant moi. Probablement du fait d’une direction brisée, sa voiture est sortie de l’anneau de Montlhéry. Je peux le voir encore comme si c’était hier. Le pilote levant les mains pour montrer au public que ce n’était pas de sa faute, qu’il ne pouvait rien y faire. Il est mort sur le coup quand sa voiture est tombée en bas de l’anneau. Il y avait un dénivelé de dix huit mètres. C’est vrai qu’il y avait des accidents mortels partout, au Mans comme à Monaco qui n’était pourtant pas un circuit très rapide. Donc, je vous le re-re-re-re-demande, à quoi ça sert cette Toyota Hypercar ? Merde !
-Merde à vous, je m’en tape ! C’est pour la beauté du geste ! La beauté de la course ! La beauté des bagnoles de course ! Voilà ! Content ?
-Pas du tout ! Je crois qu’il y a deux raisons à tout ce bordel. D’une part le fait que les grandes religions aient disparu ou se sont largement retirées des sociétés démocratiques. Quand j’étais enfant il devait y avoir à peu près 85% de catholiques en France. Il en reste aujourd’hui à peine 40%. Il y a 8% de pratiquants.
-Quel rapport avec les religions et la Toyota Hypercar ?
-C’est assez profond et assez simple à comprendre ; les religions constituaient par rapport à la mort de formidables filets de sécurité. Ce que nous promettaient les religions c’était qu’au fond l’existence terrestre est de peu d’importance, qu’on meure à quarante ans, à vingt ou à quatre-vingt ans ne change pas grand-chose à l’affaire, ce qui compte c’est la vie après la vie. Depuis les religions se sont largement retirées de l’espace des sociétés laïques.
D’autre part l’influence considérable depuis les années 70 des mouvements écologistes et pacifistes. « Lieber rot als tot » disaient les pacifistes allemands ! « Plutôt rouge que mort » face à l’Union Soviétique. Au fond on se fiche d’être privé de liberté, d’être sous la domination d’un régime totalitaire, on préfère la vie à la liberté. Préférer la vie à la liberté, ça peut se comprendre, ce n’est pas absurde, mais si en même temps on en fait, ce qui est le cas dans l’écologie contemporaine, une espèce de slogan permanent, ça veut dire à la limite qu’on va se barder de coton, de préservatifs au sens large et métaphorique du terme et que du coup on ne prendra plus jamais le moindre risque alors que la vie EST risque. Vous savez, certains médecins me disaient sans plaisanter que si l’aspirine avait été inventée dans les années 2010, elle n’aurait pas été mise sur le marché parce que personne n’aurait osé prendre ce risque. Il y a donc un moment où le principe de précaution finit par entraver la vie. C’est ce moment que nous vivons aujourd’hui. -Alors évidemment pour le sport automobile et l’automobile d’une manière générale ça a été une catastrophe ?
-Bien sûr je comprends très bien qu’étant si nombreux aujourd’hui à conduire, il nous faut conduire raisonnablement.
-Regardez la différence dans les compétitions où l’on a la météo par satellite, la position par GPS… Un peu comme un bébé relié à sa maman par un cordon ombilical. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de danger. Le Vendée Globe, comme conduire une Formule 1, c’est difficile, il a du danger, mais par rapport aux courses d’antan, souvenez-vous des exploits de Tabarly sur le Pen Duick VI pendant des semaines on ne savait pas où il était, on ne savait même pas s’il était encore en vie, et puis il arrive premier alors qu’il n’avait pas de GPS, le pilote automatique était cassé, il arrive crevé, menant un bateau qui était sans électronique, les réductions de toile devaient être faites à l’huile de coude avec des winches gigantesques. Voilà, je ne veux pas jouer le vieux mammifère nostalgique, mais c’est vraiment une réserve d’indiens maintenant. On a gardé des Indiens aux Etats-Unis, mais ce n’est pas dans l’état de nature que c’était en 1850 évidemment. C’est la même chose pour la course automobile. Et puis les voitures de course n’ont plus aucun rapport avec ce qu’on peut conduire aujourd’hui sur la route. Je me souviens de pilotes du temps de mon père qui arrivaient avec leur voiture de ville et qui faisaient la course avec à Montlhéry, avec une Bugatti 35. Voiture dont ils se servaient au quotidien. Une Jaguar XkR 120 était une voiture qu’un pilote pouvait conduire aux Mille Milles puis rentrer avec chez lui. Aujourd’hui il n’y a rien d’équivalent, la séparation entre la voiture de tous les jours et la voiture de course est totale. C’est pour cela que je parle de la réserve d’indiens. C’est un pré carré qui n’a plus aucun rapport avec la vie de tous les jours !
-C’est une histoire qui est finie selon vous ?
-La grande aventure de l’automobile c’est le XXe siècle. Maintenant ça n’a plus le même charme, la même signification d’innovation technologique, de prise de risque, de choix esthétique aussi. Non c’est vraiment une aventure qui est terminée. Maintenant on n’a plus des voitures, on a des véhicules. On va mettre l’accent sur d’autres critères. Le sport automobile, c’est une histoire du XXe siècle. Encore une fois, il restera des petits îlots, mais ce ne sera plus une grande histoire comme ça l’a été jusque dans les années soixante-dix.
-C’est tellement absurde !
-Non… La circulation à Paris par exemple, c’est le grand drame de la mairesse de Paris aujourd’hui. C’est son grand échec. Toutes les études les plus sérieuses, et il y en a beaucoup qui ont été faites, prouvent qu’il y a d’autant plus de pollution que vous réduisez la vitesse de circulation. Par exemple on a fermé les voies sur berges. C’est une absurdité totale. Plus vous réduisez la vitesse, plus vous créez des encombrements plus la pollution augmente. Il y a moins de pollution quand les voitures roulent à 60 km/h que lorsqu’elles roulent à 10 km/h. C’est totalement absurde. On traite l’automobiliste comme un grand délinquant. C’est ridicule ! Et dans ce contexte, voilà qu’il faut se gargariser de la Toyota Hypercar de 1000 chevaux de plusieurs millions d’euros ? Pour aller ou ? En, plus c’est quand même insensé parce que ça veut dire que tous les gens qui n’ont pas les moyens d’avoir des voitures récentes ne pourront plus rouler avec elle… Donc, la Toyota Hypercar ne sert à rien ! Il s’agit vraiment de pourrir la vie aux automobilistes de telle sorte qu’ils finissent par renoncer à la voiture. Il y a là une schizophrénie qui est assez fascinante c’est que d’un côté on voudrait que la croissance revienne, que Peugeot, Renault, Citroën vendent des voitures et de l’autre côté on fait exactement tout pour pourrir la vie des automobilistes de telle sorte qu’on va tous finir par regretter le confinement ou on pouvait rester chez soi… Moi, j’aimais bien avant lorsque l’automobile n’était déjà plus une invention de farfelus, amateurs de machines surréalistes et pétaradantes, aux improbables performances mais le progrès n’en était pas moins encore le Veau d’Or du monde. Il y avait beau temps que les premières machines à vapeur avaient transformé l’idyllique en pollution, les couleurs irisantes en gris généralisé. Les derniers clippers poussaient leur chant du cygne dans les quarantièmes rugissants ; après la charge de Reischoffen, la cavalerie ne tarderait pas à être réduite à des fonctions de parade. Et sous la domination prométhéenne de la tour Eiffel, la fée électricité, le téléphone si cher à Proust, les premiers aéroplanes, les chemins de fer implantés de longue date sans avoir beaucoup gagné sur leur inconfort, répétaient au monde entier le triomphalisme que l’exposition universelle de 1900 avait célébré.
-Mais ce beau panorama ne faisait pas que des heureux. De même que les revanchards s’opposaient aux pacifistes de tout poil, l’affaire Dreyfus, qui battait encore de l’aile, l’avait bien montré, aux partisans du progrès coûte que coûte et du cheval vapeur, s’opposaient, la plupart du temps en ronchonnant et quelquefois à grands cris, les partisans de la tradition, les amants de la voile, de la diligence, du cheval équidé et de l’artisanat. Le monde était coupé en deux entre les passéistes et les futuristes ; d’ailleurs, le courant artistique de ces derniers, Marinetti en tête, fusait alors et fit long feu…
-Dans ce cadre, l’automobile prenait naturellement l’allure d’une provocation ambulante qui exaspérait les uns, enthousiasmait les autres et qui, ne passant jamais inaperçue, ne laissait personne indifférent. Or la grande affaire du XIXe siècle avaient été les voyages, d’affaire, d’exploration, d’aventures, ou encore d’initiation, sans compter les voyages d’agrément ! La tradition en était ancienne : aux récits des premiers aventuriers découvreurs ou conquérants du monde, les maniaques des taches blanches de la mappemonde, allaient succéder ceux des premiers touristes, dont le XVIIIe siècle offre de nombreux exemples. De poussière en escarbilles, les hommes du XIXe siècle avaient un certain mérite à faire leurs valises, l’automobile venait à point nommé pour prendre le relais des moyens malcommodes et souvent aventureux qu’il fallait employer naguère pour se déplacer. Rien d’étonnant, donc, à ce que l’apparition d’un véhicule nouveau et suffisamment fiable donne lieu à une littérature où elle devait jouer un rôle prépondérant. Certes il y a loin de cette époque à la constitution des épopées de la “Route 66” américaine, mais c’est à n’en pas douter là que tout a commencé.
-A l’interface du vécu et du rêvé, l’automobile est déterminante !
-En effet elle donne à voir, sans prévenir et permet donc de mobiliser des images et des émotions, des représentations et des jugements, des conduites et des paniques, le tout un peu en vrac, bref, tout un imaginaire que nous tenterons de décrire pour démontrer, s’il se peut, que le temps et l’espace sont courbes, voire circulaires, et que, tout compte fait, rien n’a changé que l’homme… et encore, je doute !
–Vous dites comme vous écrivez… De manière dédicatoire, avec beaucoup de perversité narratologique !
-Oui ! Certes ! Surement ! Pour l’automobile, avec moi les adjectifs fusent, comme nés d’une extase si l’auto en vaut la peine. Sinon c’est bernique, la merdasse !
-Avant, l’automobile était une bête fauve, d’une beauté égale à la perfection.
-L’auto a toutefois commencé à prendre toute la beauté souple des êtres construits raisonnablement, raisonnablement équilibrés, et dont les organes répondent aux fonctions, ne supportant pas la médiocrité, ni le clinquant gratuit, ni les faux-semblants. Quoi de plus ridicule que cette énorme Maybach dont le capot imposant ne dissimule qu’un coffre à bagages. Les moteurs électriques ont la taille de jouet encastrés dans les roues…
-Laissons aux psychanalystes le bonheur d’épiloguer sur cette observation et constatons que l’auto est un être doué de raison dont les organes sont fonctionnels.
-D’où l’impression de toute puissance prométhéenne du propriétaire, qui domine le monde comme les plus fous des héros accomplissant un vœu cher à Baudelaire. Le monde n’est plus l’objet d’une contemplation, même monarchique, infiniment majestueuse, il est le théâtre d’un renouvellement constant, de la plaine à la montagne, de la montagne à la mer, pour contempler des visages toujours changeants, comme le pilote du Bateau ivre voyait des femmes vertes, jaunes et bleues, si différents les uns des autres, mais appelés à s’entendre dans la grande unité humaine.
-L’automobile c’est aussi la déformation de la vitesse, le continuel rebondissement sur soi-même ! Devons-nous penser que c’est précisément la vitesse qui change tout ?
-De la raison raisonnante au vertige incontrôlable, il y ajustement cette nouvelle dimension du voyage, qui n’est plus d’abord déplacement d’un point à un autre, mais circulation en tous genres de vertige en vertige. La preuve c’est qu’on n’a pas le souvenir, ou plutôt la sensation très vague, d’avoir traversé des espaces vides, des blancheurs infinies, où dansaient, se tordaient des multitudes de petites langues de feu…
-Le corollaire de la vitesse est, bien entendu la sensation de liberté.
-Comment ne pas voir que le vertige du voyage a envahi la pratique du tourisme, produisant une double sensation, de satiété et de confusion. C’est ainsi que le voyage devient un simple déplacement destiné justement à assouvir ce désir de vertige, source de toute impatience, et qui dans l’assimilation de l’homme à la machine agit finalement comme un stupéfiant. C’est sans doute l’effet le plus pervers qu’elle est capable de produire sur son propriétaire, car le possédant, au sens démoniaque, elle le dépossède de lui-même au sens humain. C’est d’ailleurs la meilleure explication de ces phénomènes constatés, dans la joie, certes, mais ambigus quand même, du temps comprimé, dévoyé, de l’espace comprimé ou dilaté, du vertige, de l’ivresse, qui fait du propriétaire d’une automobile un être à part, une sorte de pionnier en avance sur son temps, à moins qu’il n’en ait une lecture complètement gauchie.
-En tout état de cause, pour vous, l’automobiliste est un être qui fait l’intéressant et qui se considère intéressant pour épater le bourgeois, la curiosité des badauds !
-Il est clair que la liberté individuelle de l’un est au prix de l’aliénation des autres.
-C’est dans ce registre que prennent place toutes vos réflexions destinées à démontrer que le monde est peuplé de misonéistes, c’est à dire d’ennemis du progrès, ignares ou malveillants, chez qui s’éveillent les pires instincts.
-On s’arrête où on fonce. En généralement on fonce. Plus je vais dans la vie, et plus je vois clairement que chacun est l’ennemi de chacun ! L’atmosphère qui se crée est parfois assez semblable à celle de la guerre : un seul regard échangé est capable d’éveiller des passions assassines ! J’ai finalement découvert grace à notre conversation quelle est l’inutilité pratique de la Toyota hypercar…Votre Toyota Hypercar, c’est un instrument de psychologie pratique, la machine met au jour les fausses apparences, la mesquinerie d’autrui, sa vanité, ses égoïsmes. Mais l’heure n’est plus à ces notations de moraliste, le temps est venu de l’analyse et des comptes.
-Cette opération se fait-elle en plusieurs étapes ? Elle commence surement par un acte de contrition portant sur l’injustice sociale, non ?
-Peu à peu, je sens remuer en moi d’obscurs ferments de haine, je sens remuer, s’aigrir et monter en moi les lourds levains d’un stupide orgueil. L’ivresse de la vitesse tout court est devenue une stupide ivresse qui m’envahit.
-Un pas de plus, et l’on atteint les sommets !
-Mais on ne saurait prendre trop au sérieux cette machine idéologique écrasante, car le ton va devenir très vite entre swiftien et voltairien, l’un pour le macabre, l’autre pour l’ironie.
-Il est vrai que vos délires se mitigent à l’occasion !
-La voiture-Élément est-elle capable de s’assagir, de cesser d’être la brutalité aveugle qui hurle, fracasse et détruit tout, pour devenir l’Élément discipliné, qui conquiert le Temps, l’Espace, le bonheur humain l’avenir : Est-elle l’ Élément qui obéit comme un petit enfant, aux mains savantes, à la volonté supérieure de l’homme. Le contrôle peut être récupéré, mais qui contrôle le contrôleur ? Mises à part les tracasseries, les pierres que l’on me jette, des fondrières, de l’épouvante que je produis, l’essentiel n’est pas là.
-Les faits sont là et les faits sont têtus. Tour à tout enchanté et désenchanté, autant dire neurasthénique, amateur de sensations extrêmes qui s’étalent complaisamment aussi bien dans une sorte de jardin des supplices que dans un journal d’une femme de chambre pour une histoire de savons, avec une perversité plus élaborée, vous ne retrouvez votre vraie place que dans les marges d’un monde peut-être trop sûr d’être en possession de la vérité ultime ! C’est là que vous trouvez à concilier de façon précaire votre individualisme, sans aucune complaisance ni vis-à-vis de vous-même ni vis-à-vis des autres.
-Comparée à la littérature anesthésiante qui fait de la forme et du fond une entente cordiale génératrice de bonne conscience, bien avant les heures agitées de la crise narratologique, je fais éclater le cadre du récit, faisant côtoyer tout et son contraire, afin d’obliger le lecteur à réagir !
-Ce n’est plus une œuvre ouverte où chacun se sert comme dans un supermarché, c’est une œuvre béante où l’on se sent aspiré et convoqué à la plus gênante des lucidités.La Toyota Hypercar était-elle donc ici un prétexte ?
-Voire ! Peut-être ! Qui sait ? L’assimilation de l’être et de l’objet déshumanise le premier et confère au second des propriétés insoupçonnées, c’est à ce prix que peut avoir lieu, pour qui sait lire, la révélation de l’essentiel.
-Et ce n’est pas le moindre mérite d’avoir su vous lire jusqu’ici !
-C’est le grand mérite de la littérature, ou, si l’on veut, des sciences humaines, de permettre ces mises au point. Ce qui n’a pas empêché le monde de suivre son train, le monde de se construire autour des bagnoles pour supplanter les autres avec toutes les dérives psychiques dont nous commençons tout juste à prendre conscience…