Bentley Bentayga : To be or not to be !
Première partie : l’auto, par Marcel PIROTTE…
Avec l’arrivée du SUV “hyper luxueux” Bentayga, Walter Owen Bentley, fondateur en janvier 1919 de la célèbre firme éponyme, doit certainement se retourner une énième fois dans sa tombe.
Que de rebondissements en moins de cent ans d’existence, Bentley, une véritable “saga” à l’anglaise …
Alors que cet ingénieur passionné de belle mécanique est au sommet de sa gloire dans les années vingt, remportant quatre fois l’épreuve mythique des 24 Heures du Mans, tout cela avec son célèbre moteur trois litres en aluminium de 3L surmonté d’une belle culasse à quatre soupapes par cylindre, (il va évoluer par la suite), l’aventure Bentley s’arrête pour lui en 1931, année où sa société est absorbée par Rolls-Royce.
Il ne s’en remettra pas.
Il va par la suite œuvrer chez Lagonda créant le splendide V12 alors qu’après la guerre, il peaufine un superbe six cylindres à double arbre à cames en tête qui va d’ailleurs équiper toutes les Aston Martin jusqu’au lancement de la DB4.
Il termine sa carrière de “motoriste” chez Armstrong Siddele…
Triste fin.
Pendant plus de cinquante ans, les différents modèles Bentley ne seront que des copies à peine modifiées de Rolls Royce.
En 1973 coup de tonnerre, la partie automobile de Rolls est privatisée, c’est la bourse qui règne en maître sur cette entreprise rachetée en 1980 par le groupe anglais Vickers, fabricant de véhicules militaires.
Les experts se demandent à juste titre ce que ce groupe va en faire mais son fameux V8 “six trois quart”, lui, tient le coup.
C’est l’époque où l’on découvre les Rolls Silver Spur de très grand luxe mais également les Bentley Mulsanne turbo de 360 chevaux, nettement plus sportives.
A la fin des années ’90, Vickers veut se séparer de sa division de prestige automobile mais avant cela, conclut un accord de coopération avec le fabricant BMW pour la livraison de nouveaux moteurs nettement plus modernes, un V8 pour la Bentley Arnage, un V12 pour la Rolls Royce Silver Seraph.
Du coup, BMW est sur les rangs, remet une offre de 340 millions de Livres Sterling…, le groupe VW surenchérit avec 430 millions, une “nouvelle bataille d’Angleterre” vient d’être lancée…, elle sera arbitrée par un Belge : Paul Buysse, grand capitaine d’industrie qui en mai 1998 en tant que CEO du groupe Vickers va régler avec beaucoup de brio ce duel “teuton” assez homérique.
Notre ami Paul, je l’avais rencontré pour la première fois à la fin des années soixante, où employé du département Relations Publiques de la Ford Motors Company, il me remettait les clefs des voitures de presse…, depuis, que de chemin parcouru pour ce polyglotte anversois, le premier belge à occuper des fonctions internationales au Top : British Leyland, Case, Poclain, BTR, Vickers…, pour ensuite venir s’asseoir dans le fauteuil du Président de Bekaert.
Ce “self made man” avec un carnet d’adresses unique en son genre, va “vendre la Belgique” aux quatre coins du monde, il sera anobli à deux reprises, portant le titre de Baron, puis de Comte.
En 1998, il va jouer un fameux coup de poker, parvenant à un accord entre Ferdinand Piëch, le “bouillant patron” du groupe VW mais également avec la famille Quandt, principal actionnaire de BMW, représenté par Bernd Pieschetsrieder qui par la suite et c’est assez amusant, prouvant une nouvelle fois que l’argent n’a pas d’odeur, sera engagé par Piëch.
Chargé de relancer la marque Seat mais également comme Président du directoire du groupe VW…, ce bavarois qui “mange décidément à tous les râteliers”, il sera même engagé chez Mercedes, va “se faire des c….en or”…, touchant partout où il passe un véritable “jack-pot” !
Mais revenons à cet accord VW-BMW pour le moins “tarabiscoté” à propos des marques Rolls et Bentley.
Le groupe VW va produire jusqu’en 2002 des Rolls dans l’usine de Crewe, tout cela avec des moteurs BMW, la firme bavaroise devient le propriétaire légal de Rolls en 2003.
VW va désormais se concentrer sur Bentley tout en héritant de l’usine de Crewe et en ayant racheté la fabrique de moteurs Cosworth.
Cet accord n’est pas piqué des vers, compliqué à l’extrême, mais c’était ça ou rien… et la disparition pure et simple de Rolls et de Bentley.
Du coup, la tombe de Charles Bentley a dû fameusement trembler.
Bentley aux mains des “Allemands” tout comme d’ailleurs Rolls (qui avait entretemps racheté le groupe Rover), on ne respecte vraiment plus rien.
Les lords auront bien du mal à s’en remettre et ce n’est pas fini…, ils boiront le calice jusqu’à la lie, Land Rover ainsi que Jaguar vont aussi quitter le bateau Britannia pour se faire racheter par les Indiens de Tata.
Et pourtant, c’est ce qui pouvait arriver de mieux à ces deux firmes.
Rolls vit aujourd’hui une grande histoire d’amour avec BMW et Bentley ne s’est jamais aussi bien porté depuis son rachat par le groupe VW.
Trois chiffres en disent très longs sur ce beau parcours, moins de mille voitures produites en 2003, près de 6.000 en 2006 mais dix ans plus tard, on dépasse les dix mille unités.
Tout cela grâce à la technologie allemande associée au charme british !
Et de lancer ainsi des produits d’exception que sont les Continental GT, coupé et cabrio, sans oublier la Flying Spur ainsi que les superbes berlines du genre Mulsanne Speed utilisant toujours et contre toute attente le fameux bloc V8 “six trois quart”…, boosté par deux turbos, il livre 537 chevaux…
Salon de Genève 2012, Charles Owen Bentley veut à tout prix vouloir sortir de sa tombe… et pour cause, Bentley présente une ébauche de ce que pourrait être le futur SUV “très luxueux” de Crewe.
Son nom de code XP9F, il a été conçu par le designer en chef, un Belge, Dirk Van Braeckel, à qui l’on doit de multiples réalisations au sein du groupe VW…, comme la Skoda Octavia mais surtout la renaissance de Bentley avec le coupé ainsi que le cabriolet Continental GT de toute beauté !
Et puis, patatras, ce XP9 F s’écarte un peu trop des codes Bentley qui en résumé doivent traduire “la puissance dans la finesse”…, ce véhicule est plutôt lourd (au propre comme au figuré), pataud, indigne en tous cas de porter le B ailé de la célèbre marque anglaise.
Il faudra donc revoir la copie …
Du coup, notre ami Dirk que l’on avait porté aux nues, est mis sur une voie de garage au sein du groupe VW, c’est un autre belge, Luc Donckerwolke qui va achever le boulot avant d’être littéralement aspiré au milieu de cette année par le groupe sud-coréen Hyundai désirant booster sa division de prestige : Genesis.
Dévoilé officiellement à l’occasion de la dernière édition du salon de Francfort en 2015, les avis à propos de ce Bentayga, ne sont guère plus enthousiastes, surtout en ce qui concerne le design extérieur.
Le proto EXP9 a sans douté été un rien affiné, mais c’est loin d’être une réussite, son look fait plutôt penser à un vieux SUV qui aurait été dessiné en Chine !
Heureusement que la face avant impressionnante demeure bien dans la tradition de la maison, mais dans l’ensemble, ça manque de finesse…, pas très flatteur… et pourtant, les clients s’en fichent comme de l’an quarante, les dirigeants Bentley ont en effet mis dans le mille.
La production de 10.000 exemplaires étalée sur deux ans, est déjà vendue, principalement au Moyen-Orient ainsi qu’aux USA sans oublier les clients européens.
A 215.000 € en prix de base, ça se vend un peu comme des petits-pains…, c’est évidemment sans compter les suppléments et autres options !
Un Bentayga bien équipé est à vous moyennant 265.000 €.
Rien qu’en Belgique, on en aura vendu cette année une bonne cinquantaine …
La crise ?
Quelle crise ?
N’ayant jamais été millionnaire et encore moins milliardaire, je ne peux m’empêcher de penser que ce doit être une formalité pour ces futurs propriétaires que de signer un chèque de 265.000 €.
Tout cela pour venir garnir un garage ou plutôt agrandir l’écurie qui au bas mot compte certainement une bonne dizaine de coupés sport, de roadsters hyper performants et de berlines les plus huppées …
La mode des SUV hyper performants est née au début de ce siècle avec la Porsche Cayenne !
Personne n ‘y croyait… et pourtant, c’est ce modèle qui a sauvé Porsche de la faillite.
Du coup, cela a donné des idées à d’autres constructeurs “premium” , les Audi Q7, Mercedes AMG, Maserati Levante et autre Jaguar F Pace ont bien compris le message, et se sont rués sur cette niche très prometteuse de bénéfices colossaux.
Et ça marche…
Demain, Lamborghini devrait sortir son Urus…, Rolls Royce pourrait dévoiler un certain Culinan…, seul Ferrari ne semble pas prendre le train en marche, mais pourra-t’il résister longtemps face à des actionnaires qui ne jurent que par les plus values en bourse.
Pas sûr…
Alors ce Bentayga ?
Plutôt impressionnant : 5,15 m de long, 2 m de large sans compter les rétros, 1,72 m de haut, il ne va pas aimer les parkings souterrains, ni même les autres parkings où il faudra prévoir deux emplacements pour garer ce gros SUV de près de 2500 kg.
La ville, ce n’est vraiment pas sa tasse de thé, on l’aura compris, ni même lors des manœuvres…, les sous-bois non plus ainsi que les chemins de terre très étroits, nous en avons fait l’expérience.
Mais quoi alors ?
A quoi ça sert ?
Qu’à ce la ne tienne, Bentayga est un pur produit du groupe VW, il partage avec le Q7 d’Audi sa plate-forme de la dernière génération tout en embarquant une incroyable panoplie d’aides à la conduite parmi les plus sophistiquées les unes des autres (contrôle de la stabilité et de la vitesse de descente en off-road, anti-patinage), mais ce ne sont que quelques autres friandises, tout comme une suspension pneumatique réglable, l’amortissement piloté mais également le Bentley Dynamic Ride, un dispositif électrique contrôlant les barres stabilisatrices chargées de veiller à conserver à ce SUV une assiette presque constante…
De série, Bentayga (contraction de Bentley et de Taïga où se trouve l’une des plus grandes forêts de la Russie) se voit équipé de grandes roues de 21 pouces chaussant des enveloppes de 275/45…, mais des jantes de 22 pouces avec pneus de 285/40 (prix d’un seul pneu, un peu plus de 300 € chez Pirelli ou Continental) sont également disponibles, moyennant supplément.
Comme le Q7, Bentayga fait appel à une direction électromécanique mais ne fait pas demi-tour dans un mouchoir de poche, près de 14 m de diamètre de braquage entre murs, bon à savoir.
Quant au freinage, on pourrait penser qu’il est à la hauteur… et bien pas du tout bien qu’il soit équipé de disques ventilés de 400 mm à l’avant et de 380 mm à l’arrière…, sur une route sinueuse et en sollicitant ceux-ci, le dispositif avoue bien vite ses faiblesses : allongement de la course de la pédale et des distances de freinage, manque de résistance à l’échauffement…, bref, c’est un peu la panique de devoir arrêter un tel engin.
A ce sujet, Bentley devrait consulter les cousins de Porsche et de voir comment ils s’y prennent pour arrêter un gros Cayenne V8 turbo de 520 chevaux pesant près de 2,2 tonnes…, là au moins, c’est efficace.
Autre solution, le montage d’un dispositif de freinage en carbone-céramique, ce ne serait pas un luxe…
A l’intérieur, c’est un tout autre univers qui nous attend et là, on n’est pas déçu, c’est bel et bien une Bentley.
Ambiance british, style cosy…, cuirs nobles, 15 teintes sont disponibles, placages de bois au nombre de 7, nombreuses commandes électriques…, ici, on grimpe vraiment dans un SUV hyper luxueux, le plus cher également.
Planche de bord classique, bonne connectivité, on s’y retrouve plutôt facilement, quatre sièges individuels, les sièges arrière exigent 2905 € (c’est nettement mieux qu’une banquette arrière peu confortable), surtout si l’on a pris soin de cocher l’option sièges avant chauffants, ventilés et massant à plus de 3.000 €.
Moyennant 215.000 €, l’équipement de série correspond en gros à celui d’une berline bien équipée de 120.000 €, mais comme il s’agit bien évidemment d’une Bentley, le constructeur peut se permettre de doubler la facture qui peut aussi augmenter de manière exponentielle grâce à une liste interminable d’options et de spécifications.
Mais si le client est prêt à dépenser des sommes folles, la firme de Crewe aurait tort de s’en priver !
Nous avons donc épinglé le kit “All terrain” avec caméra à 360 °, 5.500 €…, le kit “City” facilitant les manœuvres de parking à 4.750 €… alors que le “Touring spécifications” comprend l’affichage tête haute mais surtout une caméra infrarouge détectant les piétons ainsi que l’assistance dans le trafic, le tout facturé 7.145 €.
Honnêtement, tous ces équipements devraient être installés en série ! Et ça ne s’arrête pas là.
Que diriez-vous par exemple d’un bar spécialement conçu par le carrossier anglais Mulliner installé dans le coffre plutôt spacieux, on vous réclamera alors 25.000 € de supplément… mais que ne ferait-t’on pas pour épater les invités lors d’un parcours de golf ou lors d’une partie de chasse ?
Et ce n’est pas tout, Breitling installe en partie centrale de la planche de bord, une bien jolie montre incrustée de diamants, son prix, 150.000 €, fermez le ban…
Avec Bentayga, on monte effectivement à bord…, de la lumière à profusion, toit transparent, beaucoup d’espace à toutes les places, des sièges accueillants mais une visibilité panoramique qui pourrait être améliorée en partie ¾ arrière…, heureusement que les “bip bip” et la caméra font leur boulot.
Et de voir enfin ce que ce Bentayga a dans le ventre.
Sous le capot, pas demi-mesure, c’est le W12 à 6 arbres à cames en tête, essence biturbo à double injection du groupe VW qui donne le tempo, mais il a sérieusement été revu pour la circonstance.
Deux chiffres mettent la concurrence à mal qui ne peut faire aussi bien, 608 chevaux à 5.000 tr/min, 900 Nm à partir de 1300 tr/min jusque 4500 tr/min.
Bref, elle peut aller se rhabiller, la concurence…
Et pour entraîner les quatre roues motrices en en permanence, les trains planétaires du différentiel central peuvent envoyer en fonction des conditions d’adhérence jusqu’à 70 % sur l’essieu avant et 85 % vers l’arrière, en utilisation normale, comptez sur un ratio de 40/60.
Et pour couronner le tout, une excellente boîte automatique 8 rapports signée ZF épouse à merveille les incroyables caractéristiques de ce moteur…
Et sur la route ?
C’est très simple, un “missile sol sol” !
Déplacer 2,5 tonnes d’un SUV dont le CX n’est pas sa qualité première, relève de l’exploit…
Tout cela avec une facilité déconcertante, compte tenu des quatre modes de fonctionnement, le mode Bentley s’avérant le plus homogène, le mode sport un peu ferme, celui de confort un peu chaloupé, le dernier, le mode Custom étant à gérer par le conducteur.
Dans un silence religieux à peine troublé par le ronflement très discret de ce W12, Bentayga joue les filles de l’air, moins de 5 secondes pour atteindre 100 km/h, un peu plus de 15 secondes pour se retrouver à 200 km/h, un Cayenne turbo ne peut faire aussi bien.
Sur une portion non limitée d’une autoroute allemande bien dégagée, je me suis retrouvé très facilement à 250 km/h et il y avait encore de la réserve, Bentley annonce une vitesse de pointe de 300 km/h, nous croyons le constructeur sur parole.
Tout cela dans un environnement qui ne permet pas de se rendre compte de la vitesse réellement atteinte, sauf lors du freinage…, voyez mes commentaires un rien plus haut.
Du coup, notre Bentayga est un champion de la bande de gauche… et de plus grâce à un dispositif de roue libre, le coasting, il se la joue à la lancée alors qu’à basse vitesse ce W12 déconnecte la moitié de ces cylindres, évoluant comme un six cylindres de trois litres.
Avec en plus un “Stop & Start” associé à tous ces dispositifs, ce W12 n‘engloutit pas trop de carburant, encore que c’est le moindre des soucis des propriétaires.
En moyenne, 16 l/100 km, raisonnable compte tenu de la taille de l’engin mais en le cravachant, on arrive très vite à 20 l/100 km, le réservoir ayant une contenance de 85L
En plus d’un confort soigné et d’un silence de fonctionnement bien difficile à prendre en défaut, la suspension pneumatique combinée avec l’amortissement piloté ainsi que les barres antiroulis actives, joue un rôle de tout premier plan en matière de tenue de route et de cap.
Pas de roulis, ça vire à plat, les longues courbes sont avalées le pied à la planche, les lacets des petites routes sinueuses un peu moins, son poids important le conduit alors à sous-virer un peu trop, mais le résultat est tout simplement bluffant pour un SUV de cette taille…, il peut en effet passer partout à une vitesse pour le moins déconcertante et l’off road n’est pas fait non plus pour lui déplaire.
Ses équipements lui permettent de se déplacer hors des sentiers mais ce serait vraiment dommage de rayer une aussi belle carrosserie qui au demeurant peut se parer d’un panel de 108 teintes disponibles, moyennant supplément bien évidemment.
To be or not to be, it’s the question ?
Avec ce SUV “hyper luxueux” mais franchement pas très beau, Bentley plane sans doute mieux que les autres constructeurs sur ce monde de riches qui peuvent tout se permettre.
Rien que le catalogue de plus de 120 pages est une œuvre d’art à lui tout seul.
On pensait qu’avec les V8 turbo des Porsche Cayenne et Range Rover, on avait déjà atteint des sommets… et bien, c’est raté, un W12, ça écrase tout sur son passage même si dans quelques mois, un bloc diesel V8 ainsi qu’une version hybride vont figurer au programme.
Tout cela en attendant un certain Lamborghini Urus qui lui aussi pourrait venir jeter le trouble.
Avec un V10 ou bien un V12, on n’est pas à ça près.
De toute manière, c’est le groupe VW qui est derrière tout cela, les comptables de Wolfsburg doivent jubiler, les ingénieurs aussi.
Quoi de plus beau en effet que de créer des véhicules hors du commun que certains considèrent sans doute comme inutiles mais qui se vendent pourtant comme des petits pains.
Vaste sujet de réflexion.
Tout compte fait, Walter Owen Bentley peut se rendormir…
Seconde partie : l’ambiance, par Gatsby…
Aucun brouillard cotonneux ne nimbe la campagne d’une dépressive aura pré-hivernale, j’ai faim !
Deux heures d’essais par l’ami Marcel ont eu raison de mes envies de régime…, je voudrais opter pour un thaï, las, hélas, il n’y a rien…, un Libanais, las, hélas, rien de rien…., mais Marcel me dit que je ne dois pas me laisser abattre car il existe une solution de repli, un “pique-nique la Bentley” !
J’imagine des mets Indo-British, pain mou, viande trop cuite à l’eau tiède et fromages aléatoires dans une ambiance jeune capillairement tecktonisée…
– “Un menu spécial se trouve dans le coffre”, me dit Marcel…
C’est extraordinairement subversif, me-dis-je intérieurement
Marcel ouvre le coffre de la Bentayga et… les arômes envoûtant de la perfide Albion, m’enivrent derechef, le Tobacco, quelques fromages du Kent, de la viande cuite à l’eau tiède…, des millénaires de tradition culinaire se mêlant subtilement à l’envahissante modernité classique du coffre…, j’hésite, comment trancher entre deux arts de vivre à la fois si proches et si éloignés : le soleil, les jolies filles légères comme leurs jupes, comme le soleil qui se lève sur leur corps évanescent, les fanfares de Buckingham-Palace, les soirées à attendre qu’il ne se passe rien, la pluie et le brouillard…, alors que pour moi, “LA” Bouffe c’est la France, les apéros de Verdi, le far breton, la potée Auvergnate, la choucroute Alsacienne, la salade Niçoise, les serveurs odieux, les râleurs, les clodos…, je sens la sueur perler à mon front même pas national mais néanmoins populaire.
– “Comment peut-on pique-niquer au cul d’une anglaise alors que des milliards d’enfants syriens meurent chaque jour au Darfour” ? que je dis…
– “Je ne vois pas le rapport, et des milliards, ça fait beaucoup”… me souligne Marcel…
– “Je pourrai avoir un peu de tout. Ça ne me dérange pas, un pique-nique c’est comme du socialiste de droite, comme Valls, le premier sinistre”.
– “Si tu ne te décide pas maintenant, je mange tout”…
– “Bon ben… je demande une ordalie, le jugement de dieu”…
Grisé par la douce saveur d’un steak d’Angus à la moelle substantifique, je me suis laissé piéger par le tourbillon du temps qui passe et repasse sans cesse…
Une fois n’est pas coutume, j’aimerais vous parler très sérieusement…, en pique-niquant en Bentley Bentayga, j’ai enfin compris que ce besoin de faire rire, cette manie d’être souvent, je le reconnais humblement, hilarant, désopilant et même parfois drôle, cachait un mal-être profond, un malaise, un sentiment désagréable de langueur dissimulé sous un glaçage d’ironie, de persiflage, de cynisme et de moquerie…, j’ai découvert que ce mal-être était dû à mon alimentation…, oui, ce pique-nique m’a fait prendre conscience que je mangeais n’importe quoi, des steaks tartare, des steaks d’Angus, même pas guitariste (cette blague a été récemment interdite dans tout le Commonwealth sauf l’Ecosse), des BigMac, des 280 sauce au poivre, parfois même, et c’est difficile pour moi de le reconnaître publiquement aujourd’hui : des frites.
Mais attention, je ne fais pas de prosélytisme, loin, mais très loin de moi, l’idée de vous dire quoi manger, ce n’est pas mon genre, je n’essaie pas de vous convaincre d’adopter le même régime que moi…, chacun fait ce qu’il veut de son corps, faites comme bon vous semble, vous aller mourir, parce que vous n’avez pas de Bentayga avec l’option “coffre pique-nique”…, mais après tout, c’est votre choix, vous êtes libre de mourir jeune et en bonne santé.
Pour commencer, c’est la chasse aux produits issus de l’industrie agro-alimentaire, plus de pâtes industrielles, de lasagne de cheval, de knacki Herta qui font la joie des apéros dinatoires, plus de sucre ou de farine, car dieu sait quelles manipulations ont été nécessaires pour transformer ainsi d’innocentes céréales…, plus de miel (oui, nos industriels véreux aimeraient nous faire croire qu’il est produit par de charmantes et inoffensives abeilles. Les abeilles meurent quand elles piquent, car elles laissent leur abdomen avec l’aiguillon. Et ces escrocs veulent nous faire croire que ces bestioles, infoutus de concevoir un moyen de défense un peu plus cohérent que ça, savent transformer nos belles fleurs en miel et que nous non ? Trop facile, je n’y crois pas une seconde)…
Manger sain et naturel, les fruits à même l’arbre, même s’il n’est pas facile de grimper aux arbres quand on habite au centre-ville…, des légumes à même la terre, des fleurs, même si dans les jardins publics, on doit se cacher pour se faire une salade d’iris ou de rose trémière, mais avec un peu de ruse et de volonté, tout est possible.
Parfois un peu de viande, même si les animaux qu’on chasse sont réticents à se laisser bouffer vivant et ne se laissent pas faire facilement…, une alimentation saine vaut bien quelques petits efforts : une Margarita aux olives, une côte de bœuf, des frites, un munster bien fait et un Tiramisu, deux cafés et l’addition…
Mon secret, c’est ma boisson miracle, elle est composée de raisins, il n’y a rien de plus sain que le raisin…, sans vouloir être trop technique, le raisin est foulé, parfois égrappé, on laisse fermenter, on laisse le jus tranquille un an ou deux afin d’optimiser le potentiel de vivacité du produit…, puis on laisse reposer, car quoi de plus important dans notre société que de savoir prendre son temps ?
Puis on met en bouteilles et on consomme sans modération…, depuis que je ne me nourris plus que de cette boisson, je me sens mieux dans mes baskets…, je suis toujours de bonne humeur, je ris beaucoup, parfois sans raison…, je dors comme un sac et je n’ai pas maigri d’un gramme, mais je m’en f… un pneu…