Fiat 124 Spider
De retour, cinquante ans plus tard.
Par Marcel PIROTTE
Dans les années cinquante, le géant turinois a littéralement remis « l’Italie sur roues ».
La décennie suivante verra l’apparition de modèles particulièrement emblématiques, destinés à savourer du bon temps mais également pour se faire plaisir.
Ce sera notamment le cas en novembre 1966 où sur son stand au salon de Turin, le constructeur piémontais ne présente pas un seul spider mais bien deux superbes machines à rêves dessinées par l’équipe de Pininfarina, la 124 Sport Spider ainsi que la Dino Spider à moteur V6 Ferrari…
Cinquante ans plus tard, Fiat « remet ça » avec la 124 Spider qui n’est plus tout à fait italienne dans la mesure où elle emprunte pas mal d’éléments mécaniques d’une certaine Mazda MX-5.
Qu’à cela ne tienne, « una bella ragazza » aux yeux bridés, ça devrait marcher…
En cette fin d’année 1966, c’est aussi le début de ma chronique auto dans l’hebdomadaire bruxellois Vlan, elle tiendra 46 ans sous ma plume…, un record, ne soyons pas modeste.
Du coup, c’est tout naturellement que je découvre ce très beau Spider 124 sport développé depuis 1963 par l’équipe de l’ingénieur en chef Dante Giacosa, destiné à remplacer les 1500/1600 S cabriolets dont le style Florida commence un peu à dater.
Afin de concevoir au mieux ce spider, deux grands noms de l’automobile italienne vont en effet se pencher sur son berceau : Pininfarina tout d’abord pour le dessin de la carrosserie qui confie le projet à Tom Tjaarda, un tout jeune designer américain d’origine hollandaise venant de signer le très beau « Dream car » Chevrolet Corvette Rondline…, mais également l’ingénieur Aurelio Lampredi, ex Ferrari, chargé de mettre au point le nouveau bloc 1438 cm3 « bialbero ».
Avec un design aussi épuré, une silhouette excessivement racée ainsi qu’une ceinture de caisse peu élevée, le projet de Tom Tjaarda se veut sans doute un peu moins extravagant que le Spider Alfa Duetto lui aussi dessiné par Pininfarina, dévoilé quelques mois plus tôt au salon de Genève, mais il fait l’unanimité tout en revendiquant un charme intemporel.
Ce dessin originel « va tenir » durant près de vingt ans sans grandes modifications pour s’arrêter en 1985 avec le spider Europa assemblé directement dans les usines de Pininfarina, soit une production de près de 200.000 unités, plus de 170.000 exemplaires ayant été vendus aux Etats-Unis.
Côté mécanique, la présence d’une culasse en alliage léger coiffée d’un double arbre à cames en tête, permet à ce quatre cylindres de 1438 cm3 alimenté par un carburateur Weber de revendiquer désormais 90 ch. à 6.000 tr/min mais également 11 mkg de couple atteint à 3.600 tr/min, la transmission étant confiée à une boîte mécanique 5 vitesses.
Afin de limiter les coûts de production, ce Spider Fiat 2+2 places de près de 4m de long reprend bon nombre d’éléments de la berline 124 dévoilée quelques mois plus tôt. Comme une plate-forme raccourcie (2,28 m d’empattement contre 2,42 m), des suspensions très proches mais avec un pont arrière rigide suspendu par des ressorts hélicoïdaux, bien guidé transversalement par un tube de poussée et des tirants longitudinaux ainsi que quatre freins à disques.
En revanche, il faut se contenter d’une direction à vis et galet dont la précision n’est pas son point fort.
Inutile de vous dire qu’avec de tels arguments, il me tarde d’essayer au plus vite ce spider sans doute un peu moins puissant que l’Alfa Duetto (109 ch.) mais qui pèse 100 kg de moins, soit 945 kg et surtout moins cher, de l’ordre de 110.000 francs belges de l’époque.
Et là, c’est véritablement une bouffée d’air frais, l’Italie pétillante, généreuse avec des sièges en cuir, un tableau de bord recouvert de bois tout comme la jante du volant sans oubliez une instrumention assez complète ainsi qu’un maniement particulièrement aisé de la capote de bonne qualité, bien insonorisée.
Bref, ce Spider italien en jette, la gent féminine ne reste pas insensible aux charmes de la Bella Torinese, sorte de « ramasse poulettes » pour les dragueurs.
La télévision, surtout américaine, la reprend dans ses séries télé, Chips, Starsky and Hutch, Magnum, les rues de San Francisco, c’est la consécration.
Comme la mécanique 1400 cm3 émet un bruit plutôt sympa, on ne se lasse pas de grimper à près de 6.500 tr/min, les accélérations sont de bonne veine tout comme les reprises à la volée, la boîte bien étagée étant un petit régal de précision alors que la vitesse de pointe atteignait 170 km/h., pas mal pour l’époque.
Une caisse plutôt rigide mais handicapée par des problèmes de corrosion, les aciers utilisés étant vraiment de piètre qualité, la protection antirouille, c’était pour mémoire.
Mais une fois au volant, on en arrive presque à oublier tous ces problèmes, c’est l’époque de la « Dolce Vita » pour pas (trop) cher, la conduite à ciel ouvert.
Bref, des sensations de conduite qu’il valait mieux cependant tempérer sur sol mouillé et sur de mauvais revêtements mais à cette époque, « prière de savoir conduire » et de pratiquer l’art du contrebraquage.
La seconde série de ce spider (un coupé étudié en interne vient renforcer la gamme en 1967) va hériter en 1970 du bloc 1600 cm3 de la berline 125, soit 110 ch. mais deux ans plus tard arrivée d’un nouveau bloc de 1800 cm3 emprunté la berline 132 de sinistre mémoire et même d’un deux litres de 102 ch. alimenté par une injection électronique.
En 1974 et assez bizarrement, la commercialisation s’arrête subitement en Europe mais pas en Italie tout se poursuivant de plus belle aux States.
En 1981, nouveau revirement, la chaîne d’assemblage est transférée chez Pininfarina où ce Spider porte désormais le nom de Spider Europa.
Sa vente reprend enfin sur le Vieux Continent avec un modèle assez exceptionnel lancé en 1983, la version Volumex à compresseur livrant 135 ch. mais limitée à 500 exemplaires.
Une époque s’achève.
Au total près de 198.000 Spiders 124 auront été fabriqués durant près de 20 ans dont plus de 170.000 ont été exportés vers les Etats-Unis, seulement 27.000 trouveront un acquéreur sur le Vieux Continent.
En 1971, Fiat prend le contrôle d’Abarth avec un objectif très ambitieux : briller dans le championnat du monde des rallyes.
La célèbre Officine du Scorpion se charge de mettre au point dès l’année suivante une version sportive de la 124 Spider, l’Abarth Rally CSA.
En version de route, le bloc 1800 cm3 alimenté par deux carbus double corps Weber livre 128 ch. à 6.200 tr/min, plus de 16 mkg de couple à un régime endiablé, 5.200 tr/min, autant dire que ce bloc ne vit que dans les tours…, avec en prime une boîte courte 5 rapports, on diminue le poids d’une bonne centaine de kilos, on ajoute un pont autobloquant ainsi que des roues indépendantes à l’arrière, des sièges baquets ainsi que des roues en alliage léger avec extensions d’ailes et on a une sensationnelle voiture sportive…
Côté carrosserie, c’est plutôt voyant, pas de pare-chocs, un hard top vient remplacer la capote… et présence de la couleur noir mat pour le capot moteur ainsi que le couvercle du coffre, ce modèle ne passe pas inaperçu.
Essayée en Italie, cette 124 Sport Rally ne m’a laissé que d’excellents souvenirs, du sport à tous les étages.
Avec en prime un superbe bruit de moteur du genre rageur, secondé par une « Marmita Abarth », rien que pour se faire plaisir, on descend les vitesses à la volée mais avec un bon double débrayage dans les nombreux tunnels autoroutiers qui longent la côte en partant de Gènes, les Italiens jubilent, moi aussi.
Ajoutez des accélérations très franches, de 0 à 100 km/h en 8 s seulement, un moteur qui n’arrête pas de grimper dans les tours, des reprises tout aussi époustouflantes ainsi qu’un tempérament de machine de course en tenue de ville, c’est fou ce que je me suis aussi amusé en enfilant une incroyable série de virages dans la montée vers Sestrière…
C’était magique, léger au possible, ça se plaçait au mm près, du tout grand art et puis, ça virait parfaitement bien à plat.
Sur les autoroutes, ça ne chômait pas non plus, 190 km/h en pointe et de plus, ce look de compétition permettait de dégager comme par enchantement la bande de gauche… et pas cher payé à la pompe, moins de 13 l/100 km.
Du coup, les versions de compétition développant près de 170-180 ch. vont se retrouver dans les rallyes mais vont échouer de peu derrière les Alpine de Dieppe au championnat du monde des rallyes en 1973.
Il faudra attendre 1977 pour que Fiat décroche enfin ce premier titre avec une autre Abarth, la redoutable 131 berline.
Un peu plus d’un millier d’exemplaires de ce spider Abarth Rally ont été fabriqués…, aujourd’hui, hors de prix, plus de 50.000 € pour des versions qui ont sans doute beaucoup soufferts alors que le Spider 124 se négocie entre 8.000 et 20.000 €, suivant son état.
C’est peut-être le moment d’en profiter …
1966-2016, cinquante ans plus tard, Fiat nous ressort cette 124 Spider mais à la sauce « sushi ».
Et pour cause…, les comptables Fiat ont certainement fait leur compte et comme le développement ainsi que la mise au point d’une nouvelle voiture coutent les yeux de la tête, ils sont allés faire leur marché et constaté que la Mazda MX-5 constituait la référence dans ce segment des spiders compacts et abordables financièrement…, d’autant que cette Fiat Spider ne va certainement pas se vendre à des centaines de milliers d’exemplaires chaque année.
Et de signer avec Mazda une sorte de joint-venture, le cahier de charge précisant que le constructeur italien reprenait la conception dans ses grandes lignes, la plate-forme, les suspensions et bien évidemment la boite de vitesses mécanique 6 rapports ainsi que la transmission aux roues arrière sans oublier toute la partie intérieure de l’habitacle et cette capote hyper simple et très facile à manier à l’huile de bras.
En outre, l’assemblage de cette 124 Spider serait assuré chez Mazda à Hiroshima mais les moteurs turbo 1400 d’origine Fiat ont été préférés aux blocs atmosphériques d’origine nipponne.
En outre, il fallait également que le style de cette 124 Spider se différencie du MX-5 tout en rappelant quelque peu sa vénérable aïeule des années soixante.
Et là, le centre de design turinois nous a concocté une carrosserie très accrocheuse, tout à fait différente de celle de la Mazda.
Allongé de 14 cm (4,05 m) par rapport à la MX-5, le spider italien reprend une face avant bien dans la tradition de la version originale : Phares ronds, calandre en nid d’abeilles sans oublier le double bossage sur le capot ainsi qu’une partie arrière bien dans la tradition turinoise.
Bref, pas une MX-5 mais bien une italienne toute en élégance, reposant sur un empattement de 2,31 m.
A l’intérieur, c’est la rigueur nipponne qui prévaut mais dans sa version Lusso (28.000 €, jantes de 17 pouces, airco automatique) ainsi qu’une finition spécifique, on retrouve dès lors tout cette chaleur transalpine mais également et c’est un peu dommage des espaces de rangement trop rares et pas assez chiches en contenance.
En revanche, bravo pour le système multimédia très facile à manier et la contenance du coffre de 140 l, suffisant pour partir à deux en W-E mais utilisez de préférence des sacs souples.
Bonne position de conduite également et encore une fois bravo pour l’incroyable facilité de fermer ou d’ouvrir cette capote de bonne qualité sans pour autant quitter son siège.
Sous le capot et placé longitudinalement, c’est le bloc 1400 turbo MultiAir italien qui constitue le cœur de la voiture.
Il développe ici 140 ch. à 5.000 tr/min mais surtout 240 Nm de couple dès 2.250 tr/min, c’est 40 Nm de plus que le bloc nippon de deux litres et ça se sent.
Bien que cette 124 Spider dépasse la tonne en ordre de marche, soit 75 kg de plus que le roadster nippon, le quatre cylindres 1400 turbo, bien secondé par une boîte manuelle six vitesses à la commande toujours aussi précise, s’en sort particulièrement bien.
Souple et coupleux dès 2.000 tr/min, inutile d’aller chercher les « hauts régimes » pour réaliser d’excellents chronos, moins de 8 s pour passer de 0 à 100 km/h, ce spider italien étant aussi annoncé pour dépasser 215 km/h en pointe, cela ne m’a pas tenté.
En revanche, on prend beaucoup de plaisir à la conduite « coulée » tout en savourant ce qui se fait de mieux avec une propulsion, la rigidité de caisse en prime…, les ingénieurs italiens ayant également prévu quelques réglages spécifiques pour encore mieux affiner ce caractère « Dolce Vita » différent de celui du roadster nippon, plus sportif mais aussi plus viril surtout en version deux litres de 160 ch.
Bref, une réussite, ce spider transalpin préférant une conduite « coude à la portière » et c’est bien ainsi, l’homogénéité étant bel et bien au rendez-vous, les Italiens n’ayant pas raté leur coup, preuve que Fiat est occupé renaître de ces cendres et ne pratique pas uniquement une sorte de monoculture (avec la 500 notamment), mais se repositionne intelligemment sur le marché avec notamment la berline Tipo très bien réussie et pas chère du tout et surtout ce Spider très aguichant qui nous rappelle les « belles années » du
constructeur piémontais.
En plus de cette 124 Spider, le département Abarth s’est aussi penché sur une version spécifique « sportive dans tous ses ébats ».
Avec notamment un 1400 turbo poussé à 170 ch. tout en offrant 250 Nm de couple à 2.500 tr/min…, avec en prime un châssis particulièrement raffermi, des roues de 17 pouces, un système de freinage Brembo ainsi qu’un pont autobloquant.
Ajoutez-y des extensions d’aile ainsi qu’une peinture biton pour le capot moteur et celui du coffre, c’est bel et bien une Abarth qui finalement ne parvient pas à convaincre…, du moins, c’est ce que j’en déduis après quelques dizaines de kilomètres effectués avec une version à plaques prova italiennes.
Pas encore une version de série mais en phase de développement.
Avec bien évidemment une « marmita Abarth », on en prend plein les oreilles, l’aiguille du compte-tours s’affole, grimpant à près de 7.000 tr/min mais ce n’est pas le pied, les sensations sont trop floues, le bruit du moteur assourdissant, bref, il faudra réessayer un peu plus tard une version de série parfaitement mise au point pour s’en convaincre.
Mais surtout défense de commander cette découvrable avec la boîte automatique, vous risqueriez à tout jamais d’être dégouté du nom Abarth, quoiqi’il paraît qu’aux States, ça va marcher.
Tant mieux, mais pas pour l’Europe, oubliez cette boite et préférez la solution mécanique 6 rapports, d’autant que cette version couterait au bas mot plus de 40.000 € sans les options, alors qu’une Mazda MX-5 de 160 ch., moins chère fait beaucoup mieux en matière de comportement routier et surtout en plaisir de conduite…
Marcel PIROTTE