La valeur du faux-vrai…
En suite et complément de l’article : L’affaire # S/N 0384AM : 1954 Ferrari 375 GP… il est temps de se poser quelques questions sur un monde (un milieu, en double sens) excessivement pourri car tout n’y existe que pour créer un maximum d’argent.
Ceux (et celles) habitué(e)s (ou non) à estimer, acheter, vendre des véhicules anciens et de collection, vivent la confusion entre les véhicules 100% authentiques… et ceux qui ont été reconstruits, rénovés ou refaits.
La copie d’un chef-d’oeuvre, même absolument parfaite, ne vaut pas l’original…, pourtant, les nuances de couleur, les traces du pinceau, le relief de la peinture peuvent être aujourd’hui reproduits “à l’identique” par de bons professionnels, à un tel point que la plupart des connaisseurs se laissent prendre.
Chacun connaît ces affaires de faux tableaux authentifiés par des experts, ou achetés par des musées, et dont la véritable nature n’est découverte que plus tard… il en est de même avec les automobiles dites “de collection”.
A quoi tient donc cette différence, parfois imperceptible, mais irréfutable, qui existe et persiste à travers les doutes et faux-semblants, et qui porte avec elle cette charge de vérité, d’émotion ?
Il s’agit là de l’irréductible, de l’immense distance qui sépare l’objet même (par nature unique et irremplaçable) créé par un maître, d’un objet d’apparence identique, mais qui n’est qu’une reproduction.
Une différence non pas d’apparence, mais d’essence…
Certes, une belle reproduction d’un chef-d’oeuvre est un plaisir à admirer, elle restitue pour une part – mais pour une part seulement – l’intérêt, la beauté et l’émotion de l’original, ainsi des tableaux, ainsi des sculptures, ainsi des automobiles anciennes.
Pour prendre un exemple simple, nul ne songe à comparer la valeur, l’intérêt historique d’un exemplaire de Jaguar Type D, avec les qualités, aussi grandes soient-elles, d’une Lynx, réplique fidèle, mais de fabrication contemporaine…, en effet, seule la Type D d’origine bénéficie d’une histoire, d’une authenticité, de cette vérité recherchée par le connaisseur…, ce que la Lynx restitue, ce sont les lignes, les volumes, et certaines sensations de conduite mais seulement cela…
Pour des modèles extrêmement rares et recherchés, inaccessibles, certaines répliques soignées, techniquement irréprochables (mécanique, matérieux et technique de construction), possèdent une valeur réelle qui peut même augmenter avec le temps, mais elle doit absolument et sans ambiguïté être identifiée comme copie ou reproduction.
Entre ces deux points extrêmes (l’authentique automobile d’époque et une réplique « exacte », mais contemporaine), se trouve toute une échelle de gradations intermédiaires, progressive et subtile, et dont nous commençons à perdre dangereusement la notion.
Où s’arrête l’authentique et où commence la reproduction (ou réplique), voire le faux ?
Voilà une question cruciale, essentielle pour le collectionneur et pourtant très souvent occultée, peut-être parce qu’elle dérange certains.
On ne montre pas dans un musée un vase antique repeint, pas plus un bronze décapé de neuf…, si l’on restaure un tableau, on limite absolument l’intervention au strict nécessaire, le travail devant rester aussi limité et discret que possible.
Nul ne songerait, sur un manuscrit ancien, à repasser à l’encre noire les mots tracés par un auteur célèbre, ni à blanchir le papier au chlore pour lui rendre l’aspect du neuf, car l’histoire de l’objet est inscrite dans ces marques du temps : griffures, usure, jaunissement des teintes, sont autant de témoignages – même si elles ne sont pas les seules – de l’authenticité d’une pièce de collection.
Certes, le contenu d’un manuscrit, la forme d’un vase sont riches d’enseignements, admirables, mais la valeur historique, la force émotionnelle, la vérité de l’objet résident bien pour l’essentiel dans ce qu’il porte comme traces de son histoire.
Ainsi, quelle proportion de vérité trouve-t-on dans une Ferrari re-fabriquée à 99%, au châssis et à la carrosserie reconstruits, repeinte de neuf, aux chromes refaits, à la sellerie changée pour une peausserie neuve, aux caoutchouc, aux pneus, aux durites, fabriqués aujourd’hui… en copiant les modèles d’autrefois ?
Un écrou de 12 est un écrou de 12, diront certains, quelle différence… et puis, ne changeait-on pas régulièrement les pneus, garnitures, canalisations sur ces modèles à l’époque de leur gloire ?
Certes, mais les pièces changées ou remplacées à l’époque restent des pièces d’époque.
Un pneu vulcanisé en 1998, même avec les dimensions et sculptures de 1930 reste un pneu de 1998…, il n’est pas d’époque, et en tant qu’objet, il n’a pas d’histoire…, or les pièces les plus simples, une vis, un écrou, un tuyau, peuvent garder la trace des coups de tournevis, de l’outil qui les a montés, resserrés autrefois…., le cuir craquelé qui offense l’oeil de certains garde l’empreinte des années d’utilisation et d’entretien par son propriétaire…, les fils électriques fendillés, certes moins flatteurs qu’un beau faisceau neuf, sont bien ceux qui ont été montés, soudés, sertis, par les ouvriers de l’usine.
A l’évidence, chacun a le droit de préférer le neuf à l’ancien, mais osera-t-on appeler encore ces objets hybrides, dont une part importante des pièces sont neuves, d’authentiques véhicules d’époque ?
Pire, qu’y-a-t-il d’authentique dans une Ferrari ou tout, absolument tout est neuf, même pas restauré de pièces anciennes, châssis, moteur, trains roulant, carrosserie, habitacle… automobile qui est prétendue “restaurée”, alors que seul le N° de châssis est ancien, car tout simplement repris soit sur une épave soit de la nomenclature historique, ch-apitre “voitures détruites” ?
Cela signifierait qu’on a perdu, à quelque degré, le sens des mots et de la valeur des choses : non, tant une automobile entièrement reconstruite de rien, qu’une automobile entièrement démontée, sablée, dont on a remplacé par du neuf de nombreux panneaux de carrosserie, des pièces telles que carters, garnitures, bolonnerie, câblages, rondelles, pneumatiques, dont on a regarni l’intérieur de tissu ou de cuir d’aujourd’hui, qu’on a repeinte, re-chromée, voire dont on a reconstruit le châssis, ou d’autres parties…, de telles automobiles ne sont pas (ou plus) des pièces de collection authentique et historiques qu’on prétend.
On en a en quelque sorte effacé, comme on remet un compteur à zéro, la vie antérieure, ce sont des modèles identiques aux spécifications des originales, peut-être, mais ce ne sont pas les vraies originales !
On pourrait d’ailleurs, pour rester dans l’objectivité stricte, mesurer la quantité, le nombre ou la proportion de ce qui a été réellement fabriqué ou travaillé à l’époque d’un modèle donné : bien des exemplaires fièrement nickelés perdraient alors beaucoup de leur crédibilité et de leur valeur (affective, historique, financière).
On re-fabrique, pour certaines voitures, non seulement les accessoires évoqués ci-dessus, mais même des pièces de carrosserie, des capotes, des roues, voire des éléments mécaniques complets…, quelle est la limite, quel critère utiliser pour que les mots “automobile d’époque”, “authentique”, “original” gardent un sens ?
Une Ferrari conservée telle qu’à l’origine, aux accessoires vieillis, aux vitres ternies, à la peinture visiblement âgée, à l’intérieur usé, nous apporte miraculeusement un peu d’un passé révolu, cette part inestimable d’un monde enfui, elle a conservé l’empreinte de ceux qui l’ont faite, utilisée, aimée…., en se penchant sous son capot, en observant longuement chacune de ses parties, nous revivons son histoire, dont les traces fragiles sont demeurées ineffacées, tangibles…, hélas, le jet de sable, le pistolet du peintre, les ciseaux du sellier vont gratter, décaper, couper, détruire ces vestiges précieux, pour ne garder que la matière première, inerte, mise à nu, et bientôt recouverte de vernis, pigments, teintes fraîches mais sans valeur et sans saveur.
Les vis et joints impeccables et neufs vont envahir le moindre recoin…, plus un centimètre carré n’aura échappé à la rénovation : entièrement repeinte, refaite, reconstruite, la voiture mérite-t-elle encore pleinement le nom d’ancienne ?
Pourra-t-on encore parler de restauration, comme on le fait pour un tableau ?
Nullement ; il s’agira alors d’une ancienne neuve…, où l’on n’aura pas hésité à changer purement et simplement tout ce qui doit l’être…
Changer la peinture, c’est à dire ôter l’ancienne pour en passer une neuve (même en retrouvant la teinte), changer les accessoires, les pneus, la boulonnerie, le cuir, les ressorts (même fabriqués selon les cotes), voire des pièces importantes, c’est précisément, si les mots ont un sens, le contraire de conserver l’ancien élément.
Voilà pourquoi le collectionneur, le connaisseur, l’investisseur avisé, préfèrent débourser des sommes élevées pour l’authentique, et pourquoi certaines “merveilles” refaites à neuf ne valent pas toujours aujourd’hui le prix des factures de leur reconstruction.
Alors, que faire ?
Faut-il ne rien toucher et laisser la rouille poursuivre ses ravages, la poussière s’accumuler ?
Les conservateurs de musée, ou plus couramment les connaisseurs, les collectionneurs, placés devant un véhicule nécessitant des réparations (rouille gagnant du terrain, moteur hors d’usage, nécessitant le remplacement de certaines pièces) doivent rechercher systématiquement des éléments d’origine et d’époque, en évitant toute utilisation de parties neuves, qui n’ont rien à faire sur un objet historique, dont la valeur repose sur l’authenticité absolue.
Voilà le sens que la majorité des vrais passionnés et des professionnels, résitant à l’obsession du “repeint-neuf” et à la manie des reconstructions systématiques, donnent à leur amour des automobiles véritablement anciennes.
Voilà sur quoi repose l’essentiel de la valeur des plus authentiques pièces de collection.
Voilà aussi pourquoi, n’en déplaise aux merdias, qui privilégient les couleurs vives et les chromes éclatants, le temps donnera toujours raison au vrai contre le “reconstruit à neuf”.
Dans dix, vingt ans, quand le spectaculaire sera redescendu à sa place (avec tout le respect dû aux artisans qui réalisent souvent un travail admirable, mais dans un domaine en marge de l’authenticité historique pure), on comprendra pourquoi les plus sensés d’entre nous ont toujours préféré investir dans des automobiles réellement d’époque, vraies et sincères, plutôt que dans celles qu’on aura rénovées, modernisées à outrance et trompeusement “refaites à neuf”…
“Refaire” : un mot qui résume tout ce qu’on peut reprocher à cette conception, où les automobiles qui furent fabriquées autrefois cèdent la place, lentement mais sûrement, à d’autres, reconstruites autour d’une base authentique, mais dénaturées, “refaites”…, non : fausses, diront les plus rigoristes…, et dont on aura irrémédiablement perdu une part de la valeur…
Pour terminer il est impératif d’éviter un malentendu en précisant qu’au long de cet article est analysée la valeur historique des véhicules… et non pas leur pure valeur marchande à la mise en vente, qui dépend de bien d’autres facteurs.
Cette valeur historique repose, comme chacun sait, sur l’âge, la rareté, l’intérêt technique… et l’histoire particulière de tel exemplaire pris en compte…., la valeur marchande, elle, dépend tout autant de l’état de fonctionnement, des possibilités d’usage du véhicule, de ses performances, etc.
La valeur marchande et la valeur historique sont fréquemment confondues, parce qu’elles sont souvent liées…, mais elles ne le sont pas toujours : une très belle réplique peut certes valoir une somme élevée à l’achat, toutefois il y a peu de chances qu’elle augmente sa valeur marchande dans le temps…, tout simplement parce que sa valeur d’usage (état, performances) ne peut que diminuer tandis que l’intérêt historique (et donc la valeur) d’une automobile de collection authentique ne fait, à long terme, qu’augmenter avec le temps…
Il est à espérer que tous s’accordent sur le sens des mots et sur la valeur des choses !
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