Rolls-Royce Silver-Wraith Perspex-top 1956 Nubar Gulbenkian…
Quoi de mieux en ces temps sombres que de rêver aux grands de ce monde ? Les Gulbenkian par exemple, au hasard ! Établis en Cappadoce, ils vont prospérer au point de devenir plus riches que les Rockefeller, les Rothschild, Howard Hugues et autres magnats américains. Et bien sûr ils possédaient des autos hors du commun… Descendants de lointains princes arméniens, la famille a fait fortune au XIXe siècle dans diverses activités bancaires et d’import-export, sans oublier de se consacrer aux œuvres philanthropiques.
La Turquie s’était à cette époque engagée dans un programme financé en partie par la France et le Royaume-Uni afin de contrôler les champs pétrolifères de l’ancienne Perse et de Mésopotamie. Calouste Gulbenkian (1869-1955) va en profiter pour jouer un rôle central dans cette course au trésor ou il démontrera un sens inouï des affaires. On l’appellera “Monsieur 5 %”… Rapport aux 5 % qu’il obtenait dans la plupart des exploitations pétrolières alors découvertes en Moyen-Orient.
Avec un quasi-monopole de l’importation d’or noir, Gulbenkian est ainsi devenu la première fortune mondiale. Le patriarche s’était aussi fait connaitre pour avoir légué sa fantastique collection d’art… mais c’était à lui-même via sa fondation, située à Lisbonne (voir photo en fin d’article). Il y avait accumulé plus de 6.000 pièces car il se passionnait de peinture et d’œuvres antiques, toujours actuellement présentées dans “son” musée lisboète. Réputé pour son faste et son excentricité, Calouste Gulbenkian et son fils et hériter Nubar (1896-1972) se sont rapidement imposés comme “LES” figures de la haute société anglaise.
Citoyen britannique depuis 1902, Nubar Gulbenkian vivait entre Londres et Paris. Dans la capitale française, sa femme occupait un hôtel particulier avenue d’Iéna qui était en fait un palais somptueux. Millionnaires, érudits et voyageurs, les Gulbenkian incarnaient un véritable pont entre les cultures. Longue barbe, monocle, cravates ascot, canne en argent et orchidée dans la boutonnière, Nubar aimait se fait remarquer en disant : “Est-ce-que je n’ai qu’une seule Rolls-Royce ? Oh, voyons ! Je ne suis pas si pauvre que ça”... Il aimait plaisanter de la sorte, Nubar Gulbenkian, lorsqu’on abordait avec lui la chose automobile car il aimait les voitures de sport, mais après-guerre, signe de son statut de senior, il choisira “comme il se doit” : Rolls-Royce.
Lorsque le vulgum-pecus, les gnous, les ploucs, les besogneux et autres corvéables entendent “causer” de Rolls-Royce quelque part, alors dans leurs têtes, depuis que la marque existe, se construit une association avec quelque chose d’inégalé, de haute qualité et, bien sûr, d’un coût prohibitif. C’était “pire de même” dans les débuts du premier modèle d’après-guerre avec la Silver Wraith, lancée fin 1946 ! La plouquesque ne comprenait pas plus à cette époque qu’actuellement décidément rien au style de vie des nantis… Les plus riches exigeant toujours d’avoir quelque chose que les autres n’ont pas.
Le sur-mesure a toujours été prépondérant pour Rolls Royce qui doit pouvoir offrir tout un monde de possibilités pour de la haute couture sur quatre roues. Boiseries en chêne fossilisé vieux de plus de 8.000 ans et interrupteurs en or 14 carats. Classe ou pas classe ? Très peu de gens pouvaient alors se le permettre. Nubar Gulbenkian oui… Il s’est fait construire un modèle unique basé sur le châssis des Silver Dawn, la Wraith qui était plus longue (empattement de 3.226 mm) et se destinait aux carrosseries traditionnelles. Il va acheter cash !
Sa première est une Silver Wraith surnommée “Pantechnicon”, construite en 1947 par Hooper, problème, elle est moche, elle ressemble davantage à un véhicule militaire qu’à une Rolls. Il en commande deux autres dont une Sedanca de ville, avec l’intérieur en peau de lézard ! Pour ses Rolls, Gulbenkian insiste généralement sur l’absence de boiserie, soit peintes couleur carrosserie, soit remplacées par du cuir. En 1956, il commande la Rolls Royce Silver Wraight Perspex-top, qui deviendra la plus célèbre de ses Rolls, basée sur une berline 4-portes à volant à gauche. Coup de pot, elle n’est pas moche !
Pas belle pour autant, c’est une beauté cachée alors ! Nubar Gulbenkian l’a commandée pour le véhiculer en Prince-Pacha sur la Côte d’Azur selon le fameux principe du “vu et être vu”. Construite chez Hooper, cette carrosserie unique à l’allure spectaculaire offre un pavillon transparent en Perspex, un polymère thermoplastique transparent, avec store intérieur électrique pour éviter que l’habitacle ne chauffe trop. La carrosserie se revêt d’une livrée en deux tons tandis que les boiseries et le tableau de bord s’habillent de cuir. Un compteur de vitesse est monté sur un tableau de bord arrière, Gulbenkian y ajoute l’air conditionné, les vitres électriques et la télévision.
Ce qui compte ce n’est pas la destination de ses promenades, c’est le voyage ! Et bien, qu’il y a certainement d’autres voitures de luxe qui sont silencieuses, confortables, spacieuses, et qui permettent de voyager presque aussi bien que cette Rolls, mais absolument rien ne lui arrive à la cheville quand il s’agit d’arriver à destination ! Sortir de cette Silver Wraight le pose comme jamais personne d’autre ! Sa Rolls Royce est l’Étoile Noire de l’opulence, l’expression ultime du raffinement et du savoir-faire automobile.
Cette dernière itération ne trahit pas l’héritage, car elle pousse l’aboutissement encore plus loin. Il possède la voiture la plus luxueuse au monde ! Dans un monde de valeurs monétaires brisées et de voitures pourtant beaucoup améliorées, la Rolls-Royce est toujours seule en tête. Peut-être la pensée générale la plus frappante en considérant cette machine suprême est qu’elle a un nom plus universellement honoré comme symbole de qualité que celui de tout autre produit fabriqué.
Premier modèle d’après-guerre de Rolls-Royce, la Silver Wraith a fait ses débuts à la fin de 1946 et utilisait un châssis similaire à celui de la Silver Dawn et de la MkVI Bentley, mais avec un empattement plus long. Cependant, la Wraith n’était destinée qu’aux carrosseries traditionnelles plutôt qu’à la carrosserie pionnière en acier standard du modèle MkVI. La gamme d’après-guerre de Rolls-Royce était alimentée par un nouveau moteur six cylindres de 4.257cc de construction monobloc en fonte avec culasse en aluminium avec soupapes d’admission et d’échappement latérales. Seules les dimensions de l’alésage et de la course étaient partagées avec le moteur Wraith à soupapes en tête d’avant-guerre, le principal avantage de cette disposition “F-head” étant ses grandes soupapes et son généreux gainage d’eau autour des sièges des soupapes.
Une boîte de vitesses manuelle à quatre vitesses avec synchromesh était initialement montée de série, une option automatique (pour les modèles d’exportation uniquement au début) n’est devenue disponible qu’en 1952, date à laquelle le moteur a été élargi à 4.566 cc et qu’une version à empattement long a été introduite. La fabrication de l’empattement court a cessé en 1952, avec une production totale de 1.144 véhicules. La version à empattement long a continué jusqu’à l’introduction de la Phantom V en 1959, date à laquelle le châssis #639 de la voiture de notre Héros avait été achevée.
Lorsque le magnat revend sa Perspex-top, elle apparaît en 1964 dans le film Les félins avec Alain Delon et Jane Fonda (sorti aux États-Unis sous le nom de Joy House et au Royaume-Uni sous le nom de The Love Cage). La voiture est à nouveau vendue en 1968 à René Gourdon, propriétaire de la boîte de nuit “La Belle Etoile” à Nice. Avec un sens aigu du mauvais goût il la repeint en jaune vif. Laissée dans le sous-sol du bâtiment, au début des années 1990 un amateur lui rachète. Le film Les Félins est examiné et la décision est prise de restaurer la Wraith à son ancienne gloire. Achevée vers la fin de 2007 par Frank Dale & Stepsons, spécialiste respecté de la marque, le travail de mise en service comprenait une nouvelle garniture complète et une repeinture selon les spécifications d’origine, les chromes reconditionnés et un examen mécanique complet. La restauration s’est achevée fin 2007.
La Rolls Royce de de Barbara Cartland était rose bonbon, Michael Jackson ne les commandait qu’en version “limo”, le modèle de feu-Karl Lagerfeld était décapotable, tout comme celui que Victoria Beckham a offert à son mari footballeur. Au fil des ans, Rolls-Royce n’a rien perdu de sa superbe et de son exclusivité, mais a su sortir du cercle étroit des monarques, de l’aristocratie et des magnats du pétrole, en séduisant davantage les people. Alors que Mercedes a renoncé à sa marque de prestige Maybach, BMW a su conserver l’héritage de sa filleule britannique en lui insufflant la dose de marketing qui lui manquait du temps de son ancien propriétaire Vickers, l’emblème de l’ultra-luxe automobile a le vent en poupe.
“On ne vend pas une Rolls-Royce comme un autre véhicule. Il s’agit d’une des plus belles marques au monde en terme de puissance, toutes catégories confondues, sinon la plus belle”... m’a expliqué un grand distributeur automobile européen. Symbole de réussite pour les uns, signe ostentatoire de richesse pour les autres, la marque à la statuette ailée juchée sur une calandre en forme de temple grec met surtout un point d’honneur à se plier aux désirs de ses clients. Un atelier unique au monde personnalise les intérieurs : inserts en nacre, marqueterie en bois précieux, coffre-fort ou minibar… tout en proposant 44.000 combinaisons de couleurs : impossible n’est pas Rolls. Plaisir ou caprice de riche, une Rolls n’a pas vocation à rouler au quotidien.
-“Le client Rolls possède en moyenne six voitures de luxe et celui d’une Phantom, sept ou huit”, m’a expliqué Frank Tiemann, porte-parole de la marque pour l’Europe : “Pour eux, c’est un peu comme composer une garde-robe. D’ailleurs, ils n’achètent pas une voiture ! Nos clients ne comparent pas nos modèles avec d’autres. Nos concurrents, ce sont les hélicoptères, les avions d’affaires et les yachts ! Chez Rolls, tout le monde débute par le “dealer induction” (intégration des forces de vente) : une semaine au siège dans le Sussex, où l’on apprend les valeurs de la marque, son histoire, les spécificités du produit, les méthodes de production. On y retourne ensuite plusieurs fois par an, éventuellement pour accompagner un client. Au fond, le client sait qu’il veut une Rolls, même si cela doit prendre plusieurs mois pour aboutir. Avec lui, on parle de beaucoup d’autres choses que du véhicule. Nous montons ainsi des opérations croisées avec des grands joailliers, pour présenter à notre clientèle d’autres produits que des limousines. Riches, nos clients n’en sont pas moins d’âpres négociateurs. Pas question de lâcher 340.000 euros en moyenne pour une Ghost ou 500.000 euros pour une Phantom sans mettre en concurrence plusieurs concessionnaires européens. Nos clients discutent le prix… pour le sport et le plaisir d’obtenir un geste commercial. Inutile cependant de chercher un point de vente sur les grandes artères luxueuses des capitales européennes”…
6 commentaires
La vie n’est jamais belle, il n’y a que les tableaux de la vie qui soient beaux ?
Bof ! Ca dépend de tellement de choses ! Verser dans le pessimisme c’est comme s’appesantir dans un chagrin d’amour qui n’est en fait qu’une forme d’égoïsme larvé et une crainte de ne pas pouvoir refaire les mêmes efforts pour obtenir quasi les mêmes effets…
Pour la mascotte : Chrysis, réalisation Lalique. Le petit peuple comme moi qui ne regarde la vie des très riches qu’en vitrine et s’en moque la plupart du temps adorerait qu’on lui dise que ces riches et puissants que la vie semble avoir bénie sont en réalité bien plus malheureux que lui, cela rendrait l’odeur de sueur moins puante et les charges du travail moins lourdes !
Vous êtes exaucé, voyez combien je souffre avec le vol de ma LéaFrancis, avec les emmerdes fiscaux que je subis depuis plus de 50 ans, avec les tromperies de mes meilleurs amis et amies, avec le vide abyssal de commentaires sur GatsbyOnline (sauf vous), avec, avec, avec… La seule différence entre les gens et les autres gens ce sont les zéros derrière les chiffres avant la virgule qui mène aux centimes !
Mon cher Gatsby,
Vous nous ravissez une fois de plus avec cet article de qualité ! A propos du toit Perspex, je crois me souvenir que notre homme avait commandé une Mercedes 600 avec toit en verre et porte pipe.
Connaissez-vous l’histoire de ce spirit of ecstasy détourné et lumineux ? Je ne connais réellement pas la réponse à cette question.
Et : pensez-vous que ces riches capitaines d’industrie sont plus heureux que ceux qu’ils emploient ? Qu’est-ce qui les anime pour encore se lever tous les matins ?
A vous litre, fort respectueusement,
Votre Lectorat.
Cher lectorat… Ce qui m’anime chaque matin, perso, c’est le besoin d’aller faire pipi… Je suppose que les riches capitaines d’industrie aussi !
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