58′ Sir Vival, une extraordinaire et sympathique utopie…
Une école ravagée au milieu d’un champ, les suites d’un hôtel de prestige livrées au pillage, un théâtre délabré où Iggy Pop et les Stooges se produisirent dans les années 1970, un cimetière de gratte-ciel occupés par un capharnaüm prodigieux, des photographies de suspects éparpillées dans un commissariat, un entrepôt où se coudoient toutes les nuances du gris.
Et de vastes usines en béton armé conçues par l’architecte Albert Kahn pour Ford, des chaînes de montage inertes, des compresseurs grippés.
Non, ce n’est pas l’effet d’un saut dans le futur qui donnerait à voir les vestiges de la civilisation industrielle après son effondrement, ce sont les quartiers abandonnés de Detroit, berceau historique de l’automobile et de la classe moyenne américaine.
Les capitaux ont migré de l’autre côté de la planète à la recherche de bras moins chers, les usines ont fermé, un quart de la population a fui au cours de la dernière décennie, près des deux tiers depuis l’apogée au début des années 1950.
Dans cette métropole structurée par et pour la voiture selon le principe de l’étalement urbain, subsistent des édifices et des objets, laissés là, en l’état.
Une ville-Titanic, naufragée de l’économie, figée comme après une évacuation d’urgence.
Peintures écaillées, plâtres craquelés, poussières fines, rouilles granuleuses, bétons lézardés, fers tordus, murs lépreux, bitumes crevassés, la matière modelée par la main humaine offre dans cette vile de néant, mille variétés de décomposition…, tout comme le tissu urbain, hier déchiré par la ségrégation raciale, puis disloqué par les autoroutes et finalement hachuré de verdure là où le bâti laisse place aux friches.
Voilà ce à quoi peut conduire l’intrication de la vie, du travail salarié et du capital : la métamorphose d’une formation sociale en formation minérale.
Si on me dit : radars ?
Je dis folie complète !
Il y a des millions de gens qui meurent du sida chaque année, 15.000 accidents domestiques par an… et 3.000 tués sur les routes en France par an…
Qu’est-ce qu’on nous veut, à part notre argent ?
Je lisais ce matin la description du Coyote, un détecteur de radars dont le parrain n’est autre qu’Anthony Beltoise.
C’est simple, tout le monde va s’équiper et trouver des systèmes de plus en plus performants…
Je ne sais pas où l’on va.
C’est comme l’interdiction de fumer dans les tabacs…
Cette société ne tourne pas rond…
Tout est aseptisé !
On nous met sous les yeux des prototypes de rêves à 1.500 000 euros…. et c’est horrible.
Hier d’un autre jour, une Carrera 4 se trouvait juste devant moi.
La pauvre, on ne l’entendait même pas.
Il y a ce côté merveilleux dans les anciennes voitures : elles font du bruit, elles vivent !
Aujourd’hui, c’est la direction assistée, le régulateur de vitesse qui fonctionne quand il veut…
D’ailleurs quand une voiture tombe en panne, c’est fichu : personne ne peut la réparer car tout est électronique.
Avant, on réparait facilement nos voitures.
On payait 10 euros pour donner un coup de brosse sur le démarreur.
Aujourd’hui, il faut carrément changer la pièce et payer des sommes énormes.
C’est l’arnaque !
Mais revenir à la voiture ancienne, ce serait utopique, il n’y a que les passionnés qui les aiment.
La majorité des gens sont contents du moment où ils peuvent démarrer leurs voitures !
Dans notre monde en crise ou pourtant on continue de nous raconter des bobards…, du simple quidam croisé dans la rue aux dirigeants des think-tanks les plus en vue, en passant par des hauts fonctionnaires ou des journalistes, chacun en arrive peu ou prou à la même conclusion : les Etats-Unis appuient sur l’accélérateur des révélations afin de discréditer tous ceux qu’ils ne contrôlent plus, alors même que les USA sont un pays d’escrocs, menteurs et abrutis du bas en haut qui ne voient rien venir, même rien partir…
Après la déglingue de Détroit, la faillite des grands constructeurs qui n’ont pu survivre qu’en faisant tout payer par leurs fournisseurs et l’argent des contribuables, les USA continuent de détruire le monde jusqu’à l’absurde…
Loin des solutions de bien-être et des rêves parfois utopiques mais si humains…, c’est l’ensemble des USA qui s’attaque au reste du monde, voulant ruiner l’Europe, détruire l’€uro, attaquer la Chine, la Russie, l’Inde, le Pakistan, le Japon aussi…, envahir l’Australie et décréter l’Afrique comme colonie américaine après avoir atomisé l’Iran…
En gros, pour simplifier, l’Amérique n’a qu’une idée en tête : Vous pouvez tous crever, Dieu est avec nous…
Autre exemple de l’hégémonie américaine : Toyota, passé numéro un mondial devant les constructeurs automobiles américains, est devenu “Too big to stay on top” (trop gros pour rester au top)…, les Américains ne pouvaient rester sans réagir…
Toujours le même schéma, créer un incident, le monter en épingle avec la presse aux ordres, lobotomiser la population, puis ruiner la cible afin de l’éliminer… ou la racheter à vil-prix en laissant croire qu’on l’aide en y insufflant des montagnes de dollars qui ne coûtent que d’imprimer du papier !
Les USA en sont à plus de deux cent mille milliards de dollars sous zéro, le montant de leurs escroqueries planétaires qui, finalement, n’ont apporté que morts et désolation au sein même de l’Amérique profonde : toutes les classes moyennes sont ruinées, le chômage approche réellement des 30% et un quart de la population est sous le seuil de pauvreté !
Même les grandes “inventions” Américaines se sont révélées des désastres planétaires : la grande démocratie US est un leurre qui ne fonctionne que par les dollars et est corrompue par les lobby’s et autres dictatures internes au service d’Israël…, les fameuses libertés constitutionnelles ont été supprimées par des lois liberticides dont le “Patriot-Act” qui vient d’être renforcé autorisant l’armée et la police d’arrêter n’importe qui sous couvert du terrorisme et de l’emprisonner à vie sans aucun jugement…, le dollar ne repose que sur du vent mais l’Amérique déclare la guerre aux pays qui n’en veulent plus comme monnaie internationale…, l’automobile est devenue un moyen d’obliger à la consommation quitte à détruire la planète…, le Coca Cola à détruit la santé d’environ la moitié des personnes qui en consomment par addiction, de même que la nouriture des Fast-Food…, l’inculture totale est martelée via les ondes du monde entier laissant croire aux jeunesses déboussolées que les paroles débilitantes de chanteurs et chanteuses milliardaires sont plus réelles que la littérature de nos grands auteurs…
Et ça continue de pire en pire…
En ce qui concerne l’exemple du Japon, pourtant domestiqué avec les bombes atomiques d’Hiroshima et Nagasaki lancées volontairement sur les populations civiles, le témoignage de M. Toyoda Akio, président-directeur général de Toyota, devant le Congrès américain, dont les images ont été diffusées en boucle…, a été vécu comme une humiliation.
Le grand quotidien Japonais de droite : Yomiuri, a reflèté l’opinion générale, en estimant que Toyota était traité en paria total (25 février 2010).
Et de souligner que General Motors avait lui aussi rappelé des voitures défectueuses sans que l’on en fasse une telle histoire.
Ce sentiment a été renforcé par l’annonce d’une amende de 16,4 millions de dollars réclamée par le secrétaire aux transports américain, M. Ray LaHoo, au constructeur japonais.
Après la publication dans le magazine Consumer Reports d’une incitation à ne pas acheter le modèle de luxe Lexus GX460, le groupe a du suspendre toutes les ventes de ce véhicule dans le monde face à cette nouvelle arme américaine qu’est la campagne de dénigrement systématique.
Pour l’élite nippone, cette offensive rappelle les manœuvres américaines de la fin des années trente avec le blocus du Japon, ainsi que l’attitude des industriels américains dans les années 1980 (lire Serge Halimi : “Le péril jaune version américaine”, “Le Japon méconnu”, “Manière de voir” n° 105, juin-juillet 2009).
D’autres y ont vu même une pression de Washington sur le gouvernement de M. Hatoyama Yukio, parce qu’il refusait d’avaliser l’enménagement d’une base militaire américaine sur l’île d’Okinawa.
Et ensuite, certains bien placés, dont des experts Russes relayés par divers gouvernements d’Amérique du sud, ont affirmé que les Etats-Unis disposaient d’une arme météorologique extrapolée des brevets de Nikolas Tesla, capable de créer des tsunamis et des tremblements de terre…
L’Amérique d’aujourd’hui est donc bien loin des rêves bon-enfants utopiques, tel le rêve de la Sir Vival, conçue par WC Jerome, un inventeur du Massashussets, pour être la voiture la plus sûre du monde.
Il l’a réalisé, sa voiture, avec une Hudson 1947 pour la partie arrière et une Nash 1948 pour la partie avant. L’idée de cette voiture vraiment étrange partagée en deux parties séparées, avait pour but d’absorber les chocs provoqués par des collisons frontales.
En effet la partie avant se trouvant accidentée, protègerait l’habitacle arrière ou se trouve les passagers et le conducteur.
Quand à la tourelle-pare-brise de 360° elle devait permettre une vision plus sure, d’autant que des raclettes verticales en rotations faisaient office d’essuie-glace sans gêner le conducteur.
Déjà, à l’époque de cette création étrange, alors que Détroit tournait à plein rendement, même avec le nombre de décès et de blessures subies par les conducteurs et les passagers en raison d’accidents de voiture, pourtant bien moindres qu’actuellement toutes proportions gardées…, on se demandait déjà si quelqu’un pensait que les acheteurs de voitures américaines (et autres, mais les américains ignorent ce qui se passe en dehors de leurs frontières), seraient intéressés par une voiture sûre.
Et oui, un innovateur a pensé la Sir Vival “en dehors des sentiers battus”, pendant des décennies, mais aucune des idées qu’il a proposé concrètement en y dépensant tout ce qu’il possédait n’a séduit le marché pour diverses raisons, notamment le manque d’attrait visuel, les dangers induits et une certaine difficulté de conception.
La Sir Vival, est l’une des seules voitures au monde ou la sécurité était le but principal !
En 1958, il n’y avait qu’un seul prototype construit de ce véhicule qui était équipé de pare-chocs en caoutchouc tout autour de l’avant et des compartiments arrière.
Malheureusement, cette voiture et d’autres comme elle n’ont jamais été produites en masse en partie à cause que la sécurité et les accidents de voiture n’étaient pas dans l’esprit des acheteurs.
En outre, selon le schéma défini en ce début d’article, concernant l’arme Américaine du dénigrement…, des ingénieurs payés par les grands constructeurs ont prétendu par voie de presse (des communiqués payés par Ford et General-Motors), avoir examiné cette voiture de sécurité et qu’elle était impraticable parce que la séparation de la voiture en deux compartiments augmentait considérablement le poids de la voiture et donc consommait plus d’essence…, précisant que cette voiture serait plus chère à produire que la concurrence.
Ces experts affirmaient également que trop de sécurité entrainait également une diminution du temps de réaction du conducteur… et qu’ayant un compartiment avant séparé, l’inertie de la voiture elle-même souffrirait comme lors du mouvement de balance d’une automobile tractant une grande remorque et que dans le cas d’un accident de voiture sur le point de se produire, les chances de l’éviter serait diminuées.
Selon eux, la partie avant ne comptait que pour les accidents frontaux, car dans le cas d’un choc arrière, les passagers de la voiture seraient en plus grand danger encore qu’à l’avant…, semblable à sandwich entre la voiture venant de l’arrière, le compartiment arrière de la voiture et sa section avant.
Pour couler Tucker, les trois grands constructeurs avaient également lançé des ragots, des bruits divers, des médisances et quantités de chausse-trappes…
Il n’y eut que 50 Tucker produites…
Pour couler la Sir Vival, le schéma fut d’un autre ordre mais avec la même volonté de détruire les autres pour règner…
La Sir Vival existe toujours…
Je l’ai retrouvée dans un petit garage d’un bled perdu au fin fond de l’Amérique profonde…
La fondation-musée Edward Moore à Bellington, Massachusetts ayant du se séparer de ses voitures…
Elle attend qu’un génial milliardaire mécène pourra la faire restaurer et la re-présenter au public pour montrer qu’une certaine Amérique d’avant savait inventer des voitures utopiques, savait encore rêver, savait encore vivre sans devoir détruire…
Un rêve quasi explosé par la médiocrité de certains financiers…
Triste époque en finale !
Moteur six cylindres desmodronic Ford en acier, 2.500cc (3,68 x 3,91).
Vitesse maxi : 170 km:h @ 4500 rpm.
Carburateur Autolite à 4 corps.
Boîte manuelle Ford 3 vitesses (Une boîte à 3 rapports, vitesses automatique, Cruise-O-Matic aurait pu être fournie en option).
Longueur 150 pouces, empattement 104,5 cm, voie avant et arrière 59 pouces, poids total 2.200kg.
Pneus 185SR x 15.
Prix en 1958 : US$ 9.000 $
Ancienne capitale mondiale de l’automobile, Detroit n’a cessé de perdre de sa puissance et de sa population.
La crise actuelle n’arrange rien, les emplois industriels se font rares ; les maisons abandonnées à leurs créanciers se multiplient dans certains quartiers.
« Tu sens ? Tu sens cette odeur ? », Dave, la trentaine, habite sur 7 Miles Road, en plein cœur des quartiers pauvres de Detroit, ceinture d’une dizaine de kilomètres de large entre le centre-ville, downtown, identifiable à ses gratte-ciel, et les suburbs, ces banlieues aisées s’étalant à la périphérie de la ville.
En face de chez lui, de l’autre côté de la rue, cinq tas de cendres.
Autant de maisons qui, il y a deux mois encore, étaient habitées.
« Y en a une autre qui a brûlé cette nuit. Toutes les semaines, y en a une de plus qui part en fumée dans le quartier. Les gens font ça pour toucher la prime d’assurance et partent s’installer en banlieue. Plus personne ne veut vivre ici »…
Dans le ghetto de Detroit, la ville se consume et disparaît peu à peu, elle ne subsiste que par fragments.
Dans certains blocs (1) ne restent que deux ou trois demeures habitées, la ville prend alors des allures de cité engloutie : les carcasses carbonisées, les parkings abandonnés, les usines désaffectées l’ont transformée en une vaste friche.
A l’horizon désert, herbes et arbres arasent les maisons désolées, l’urbain se décompose, les densités se font rurales, le paysage s’ensauvage lorsque s’y mêle le chant du coq ou les stridulations incessantes des sauterelles.
A Detroit, les sons de la nature résonnent dans la ville.
Si 35 % du territoire municipal est inhabité (2), c’est qu’en un demi-siècle, fait rare dans l’histoire urbaine mondiale, Shrinking City (la ville qui rétrécit) a perdu plus de la moitié de sa population, soit près d’un million de personnes (3).
A l’exception des abords de l’université ou de l’heure de la sortie des écoles, seuls quelques piétons errent sur les trottoirs de Woodward, Michigan ou Gratiot, les principales avenues de la ville.
Avec la crise des subprime, son dépeuplement s’est encore aggravé.
La plus grande ville du Michigan est en effet l’une des plus touchées par la vente de ces prêts à taux variables que les libéraux érigèrent en modèle d’intégration à la société de consommation, notamment pour les plus pauvres qui ne pouvaient accéder à la propriété.
La faillite de milliers d’emprunteurs, incapables de faire face à l’augmentation des mensualités, a précipité le nombre des expropriations.
En trois ans, soixante-sept mille habitations ont été saisies.
A Detroit, les ravages de la dernière crise du système capitaliste paraissent d’autant plus importants que ses habitants ont souffert de toutes les manifestations d’un processus qui a vu l’effondrement de la sphère financière entraîner avec lui une partie de la sphère productive.
Le naufrage du système bancaire, en raréfiant l’accès au crédit, moteur de la consommation, a en effet porté un coup très rude aux « Big Three » (General Motors (GM), Ford et Chrysler ont leur siège à Detroit ou dans l’agglomération), en provoquant la chute des ventes de voitures aux Etats-Unis.
Surendettés, sous-capitalisés et concurrencés par les constructeurs japonais, ces géants ne doivent leur survie qu’au plan de sauvetage du gouvernement fédéral…, qui n’a empêché ni le chômage partiel, ni les licenciements.
En trois ans, soixante-sept mille habitations ont été saisies !
Entre janvier 2008 et juillet 2009, le taux de chômage à Detroit a presque doublé, passant de 14,8 % à 28,9 %.
Selon M. Kurt Metzger, directeur d’un bureau d’études démographiques local, le chiffre réel dépasserait même les 40 % (4).
« C’est pire qu’avant, nous raconte Dave. Il faut survivre. Moi je m’en tire : je fais des boulots à droite et à gauche. Juste de quoi tenir. Mais ma femme, elle, ne trouve pas de travail. Y a plus d’usines ici»…
Les gratte-ciel abandonnés du centre-ville, hampes sans drapeaux, sont désormais les symboles de la décadence.
En raison de sa spécialisation fonctionnelle, Detroit s’est révélée très vulnérable aux variations des cycles économiques (5).
Le fordisme (dont la matrice, l’usine Crystal Palace, fut construite en 1908 par Albert Kahn), avait fait de la ville des « Big Three » le centre mondial du capitalisme industriel.
Pendant la première moitié du XXe siècle, l’important besoin en main-d’œuvre d’usines tournées vers la production de masse et les salaires relativement élevés offerts aux ouvriers de l’automobile attirèrent de nombreux travailleurs : des Noirs fuyant les Etats racistes du Sud, mais aussi des étrangers, venant de Grèce et de Pologne notamment.
La seconde guerre mondiale, pendant laquelle Detroit, « arsenal de la démocratie », fut au cœur de l’effort de guerre américain, constitua l’acmé de la ville.
Depuis 1945, celle-ci n’a cessé de perdre hommes et activités.
Cette rupture dans l’histoire de Detroit marque la transition vers un stade postfordiste du capitalisme américain.
A nouveau modèle, nouveaux espaces d’accumulation des richesses.
L’appareil de production industrielle des Etats-Unis amorce un mouvement de déconcentration du Nord-Est et du Midwest industriel vers le Sud, où le coût du travail, en raison de la faiblesse des syndicats, est alors moindre.
A l’échelle de l’agglomération, la démocratisation de l’automobile et les transformations du système productif entraînent un desserrement des activités. Un modèle urbain polycentrique, organisé autour de pôles d’emplois et de services situés à la périphérie, émerge progressivement.
Attirées par les nouvelles perspectives de travail en banlieue et par le rêve américain d’accéder à la propriété pavillonnaire, les classes moyennes et supérieures blanches partent s’installer dans les suburbs.
Mais les raisons de ce déménagement sont aussi à chercher du côté de la peur et du racisme.
Si les premiers départs ont lieu dès les années 1950, avec l’amorce de la désindustrialisation, la majorité de la population blanche prend prétexte de la révolte des Noirs de 1967 (quarante-trois morts ; l’armée envoya des chars) pour partir.
Les représentations apocalyptiques valant à Detroit le surnom de Murder City (cité du crime) ou de Devil City (cité du diable) ont joué le rôle de prophéties autoréalisatrices (6).
La peur et le racisme sont ainsi devenus les facteurs de la ségrégation économique de l’espace. La force des imaginaires (pensons au film Robocop, qui se déroule à Detroit) et le pouvoir performatif des mots expliquent en partie pourquoi Detroit est la seule grande ville des Etats-Unis qui ne connaisse ni embourgeoisement du centre-ville ni « multiculturalisation ».
Elle est l’une des métropoles américaines les plus pauvres (un tiers des habitants vivent sous le seuil de pauvreté) et les plus ségréguées (près de neuf habitants sur dix sont noirs).
Cet « apartheid américain » ne s’observe pas entre un quartier et un autre, comme dans la plupart des villes des Etats-Unis, mais entre la ville-centre et les suburbs.
Sur 8 Miles Road, large avenue qui marque la limite septentrionale de la commune de Detroit, le terre-plein trace une frontière entre deux mondes.
D’un côté, la bonne société des suburbs, pavillons cossus et pelouses impeccables ; de l’autre, l’enfilade des taudis et une population touchée par le chômage et les effets d’un système de santé privé excluant.
Dans le centre-ville, les routes sont traversées, dans une errance précipitée, par des éclopés ou des sans-abri rappelant Molloy, ce personnage de Samuel Beckett qui continue de continuer avec sa béquille et sa bicyclette.
La cité de l’automobile est aussi celle des chariots et des fauteuils électriques que l’on voit filer sur le bas-côté des avenues.
Les indicateurs de santé de la population s’apparentent à ceux d’un pays en développement.
Le taux de mortalité infantile s’élève à dix-huit pour mille, trois fois plus que dans le reste des Etats-Unis, autant qu’au Sri Lanka.
« Quand tu perds ton travail, tu perds ton assurance- maladie, rappelle Dave. Alors, une fois au chômage, beaucoup ne vont plus chez le médecin. A l’angle de la rue, tu peux aller te faire soigner. C’est 20 dollars, mais il faut qu’une personne de ta famille travaille et se porte garante pour toi. N’espère rien de plus qu’une simple visite de routine, et tu seras le dernier patient de la salle d’attente ausculté »…
L’envolée du taux de chômage laisse donc présager une dégradation supplémentaire de la santé publique.
Mais comment inverser la tendance quand, au-delà du caractère conjoncturel de la crise, c’est la structure même de la ville, s’affaissant en son centre, qui fait problème ?
Alors que 86 % des emplois se situent en périphérie, un quart des habitants ne possèdent pas de voiture (le chiffre officiel serait de 33 %, mais M. Metzger fait observer que nombre de conducteurs roulent sans assurance, ce qui les fait sortir des statistiques).
Dans une ville organisée par et pour l’automobile, traversée d’autoroutes, quadrillée de larges avenues, les déplacements sans véhicules se transforment en épreuves.
La question sociale est aussi une question de mobilité.
Pour ceux qui ne peuvent s’en remettre à la solidarité des premiers cercles, au covoiturage, restait l’intermodalité du pauvre : des autobus équipés de porte-vélos.
Mais, à la tête d’une ville au bord de la ruine (7), le maire de Detroit, M. David Bing, a opéré des coupes drastiques dans le budget du transport : cent treize chauffeurs de bus licenciés, certaines lignes supprimées, fréquences abaissées sur les autres (8).
L’organisation de l’espace contribue donc à reproduire les inégalités sociales en confinant une partie du prolétariat urbain dans un territoire enclavé.
Elle explique aussi l’exclusion des pauvres de Detroit en matière d’accès au soin.
Beaucoup de médecins généralistes ont, en effet, choisi de gagner davantage en s’installant dans les banlieues aisées, loin des pauvres, insolvables.
Certes, la ville est à la pointe de la recherche et possède quelques-uns des pôles de santé les plus réputés du territoire américain.
Mais qui peut profiter de ces hôpitaux de standing, sinon les riches habitants des suburbs ?
La réforme de l’assurance-maladie, promesse de campagne du président Barack Obama, se révèle donc une question de première importance pour une large partie de la population.
Louise est une ancienne employée de la municipalité de l’East Side, un de ces quartiers afro-américains dévastés : « J’ai 74 ans. Alors vous imaginez bien que je suis préoccupée par les débats autour de l’assurance-maladie. J’ai voté pour Obama parce que je pensais qu’il serait capable de la créer. Vous savez, j’en ai vraiment besoin. Mon médecin m’a prescrit un scanner. Avec Medicare [le système public, qui assure les personnes de plus de 65 ans], je suis couverte à 80 %. Mais les 20 % restants, c’est encore beaucoup trop. J’ai à peine de quoi payer mes médicaments. Il faudrait que je choisisse entre eux et mon scanner ! C’est ça que ça veut dire ? J’ai travaillé pendant vingt-neuf ans. J’ai payé des impôts. Je trouve la situation injuste »…
Dans ce bastion démocrate, 97 % des électeurs ont voté pour M. Obama…, sa victoire a soulevé un vent d’espoir… mais actuellement, en 2012 c’est la désillusion….
M. Luther Keith, président d’Arise, une association qui propose des soins gratuits et du soutien scolaire aux habitants des quartiers pauvres, se rappelle avec émotion ce jour si particulier pour les Noirs de Detroit : « Il y avait des fêtes partout. C’était extraordinaire. On avait le sentiment que quelque chose de formidable était arrivé à quelqu’un de la famille »…, avant de préciser : « Si on avait su que ça allait être pire qu’avec Bush, on n’aurait pas voté pour lui mais fait la révolution. Cette année, c’est Ron Paul qui porte tous les espoirs de l’Amérique. Si ça rate, ce sera la fin. Sans doute une guerre atomique mondiale, on va tous mourir ! ».
Mais, dans ce haut lieu de l’afrocentrisme et de la lutte pour les droits civiques, c’est bien le programme économique et social du candidat démocrate qui a expliqué le mieux le choix des électeurs, pas son appartenance communautaire : « On n’a pas voté pour Obama parce qu’il était noir, mais pour son projet, notamment sa volonté de réformer notre système d’assurance-maladie, mais il nous a trompé ! », nous répètent la plupart de nos interlocuteurs.
Le vote démocrate du comté de Macomb, cas d’école des sciences politiques américaines, met aussi en lumière les déterminants économiques et sociaux de l’élection dans l’aire métropolitaine de Detroit… et sans aucun doute éclaire les gouvernements dans l’art de mentir au peuple pour s’emparer du pouvoir.
Les citoyens de la villene ne sont plus bienveillants à l’égard du nouveau président, ils sont préoccupés : « C’est dur à admettre, mais on a été roulé dans les plumes et le goudron »…
Les habitants l’observent composer avec les lobbies juifs et savent que cela va apporter mort et désolation avec une guerre mondiale.
Chez nombre de ses électeurs, l’espoir s’est peu à peu mué en désespoir.
Mais M. Keith nous prévient : « La déception est immense ! »…
L’Etat fédéral est, en effet, devenu un ennemi du peuple qui vient de renforcer le Patriot-Act en autorisant l’armée et la police d’arrêter n’importe qui en rue ou a son domicile sous le seul prétexte d’un vague terrorisme, sans nécessiter de prouver quoi que ce soit…, puis de l’emprisonner au secret sans jugement et sans limite de temps, c’est à dire A VIE !
Financièrement, la municipalité n’a plus aucune marge de manœuvre, l’effondrement de sa base fiscale, consécutive à la faillite des classes moyennes et à la fuite des capitaux, place la ville dans une situation de quasi-faillite.
Le conseil municipal démocrate semble impuissant à suspendre le cycle de la paupérisation.
Quant à l’aire métropolitaine, son intégration reste un serpent de mer.
Les résidents des banlieues pavillonnaires refusent de partager la richesse de leurs territoires tandis que les habitants noirs de la ville ont acquis de trop haute lutte leur souveraineté politique pour accepter de la dissoudre dans une autorité métropolitaine qui n’aurait cure de leur sort.
En dépit du désastre ambiant, on n’observe ni grèves dans les usines, ni manifestations de rues. Brisés par l’économie de casino, les pauvres se pressent dans les salles de jeu, dont la construction en franchise de taxes a constitué la principale politique de développement de Detroit à la fin des années 1990.
La ville semble loin de sa tradition radicale, celle qui s’est écrite, des grandes grèves des travailleurs de 1937 et 1945 à l’élection du premier maire noir Coleman Young en 1973 (9), sans oublier les réseaux abolitionnistes, la lutte pour les droits civiques, l’émergence du Black Power ou les révoltes afro-américaines de 1833, 1918, 1943 et 1967.
Même l’United Auto Workers, le tout-puissant syndicat américain de l’automobile, a renoncé au combat, allant jusqu’à s’engager devant les patrons de General Motors et Chrysler à ne pas organiser de grèves en temps de crise.
Personne ici ne semble s’insurger contre un système dont Detroit apparaît comme la production urbaine la plus avancée : « Le capitalisme, c’est l’Amérique. Il a construit notre ville. Le label de musique Motown, les voitures que les gens conduisent, c’est le capitalisme. Le capitalisme, c’est tout… tout ce que tu as et, d’une certaine façon, c’est aussi tout ce que tu n’as pas. Mais c’est comme l’air que tu respires. Tu ne peux pas en changer », explique M. Keith.
Chez les entrepreneurs de Techtown, pépinière d’entreprises au budget colossal, comme chez les représentants politiques, on parie sur l’économie verte.
Les élites ont toujours voulu croire aux lendemains qui chantent : nouvelle innovation, nouveau cycle, « ouragan perpétuel de destruction créatrice ».
Detroit est façonnée par cet optimisme libéral qui, à chaque fois qu’il est mis à mal, trouve à se ressourcer dans la certitude que la croissance n’est jamais loin de la crise.
La construction, sur le site fondateur de la cité, du Renaissance Center, commandé par Henri Ford II, quatre ans seulement après les révoltes de 1967, en est le reflet le plus éclatant.
Confortablement attablés dans le restaurant situé au soixante-treizième étage de ce gratte-ciel qui accueille depuis 1995 le siège de GM, les hommes d’affaires déjeunent.
Sous leurs yeux se déploie le panorama de la ruine, un paysage de reliques où les traces de la violence se sont sédimentées.
Comment dire l’effondrement et la catastrophe lente ?
« Pour beaucoup d’Américains, Detroit c’est Ground Zero (10) », affirme M. Keith.
Non pas un Ground Zero qui surgirait en un instant de fulgurance, non pas la foule hagarde des événements…, mais un zéro atteint patiemment, un décompte qui semble vouloir ne jamais finir.
Detroit comme produit obstiné d’un système qui oblige d’abord et toujours à se demander comment accommoder sa volonté à l’épreuve de devoir continuer.
Aveuglement des dominés ou cynisme des dominants ?
M. Keith de conclure en souriant : « L’optimisme est notre seule solution en dehors de la mort »…
(1) Pâtés de maisons, d’une trentaine d’habitations, caractéristiques de la ville nord-américaine.
(2) Detroit Free Press, 7 septembre 2009.
(3) Alors qu’elle comptait 1,8 million d’habitants en 1950, elle en accueillerait aujourd’hui entre 912 062 et 777 493 selon les recensements. L’écart entre les deux estimations, cas unique aux Etats-Unis, est d’ailleurs source de vives polémiques. Du recensement dépendent, en effet, le poids politique de la ville et le montant des subventions auxquelles elle peut prétendre.
(4) Seuls les demandeurs d’emploi dûment inscrits sur les registres de l’Agence pour l’emploi sont pris en compte dans le calcul du taux de chômage.
(5) Selon André Kaspi, dans son ouvrage Les Américains (Seuil, Paris, 1999), la crise de 1929 avait, par exemple, entraîné une baisse de 71 % des effectifs de Ford.
(6) Lire Jean-François Staszak, « Détruire Detroit. La crise urbaine comme produit culturel », Annales de géographie, n° 607, Paris, mai-juin 1999.
(7) La dette de la ville s’élève à 300 millions de dollars et le déficit à 80 millions de dollars en 2009. Detroit Free Press, 11 septembre 2009.
(8) Ibid.
(9) Premier maire noir de Detroit (1973-1993), membre du Parti démocrate, il affirme l’identité noire de sa ville en rebaptisant des rues ou en érigeant des monuments à la gloire des grandes figures du mouvement afro-américain, comme Harriet Tubman.
(10) L’expression « Ground Zero » indique l’endroit précis où a lieu une explosion. Depuis le 11 septembre 2001, elle évoque l’emplacement du World Trade Center à New York.
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