Je laisse les chameaux entre-eux discuter des plaisirs dromadaires…
Je laisse les chameaux entre-eux discuter des plaisirs dromadaires…
Pourquoi toujours du sable… ? C’est la question existentielle que je me pose, là, au milieu des dunes de sable, face à la Mercedes SLS AMG, le clou (en double sens) de l’année 2009, exposée dans une peinture or mat sur une carrosserie en aluminium avec les accessoires en noir glacé…
Bienvenue, bande de chameaux (et dromadaires, je ne suis pas sectaire), au salon International Automobile de Dubai 2009, le plus important salon automobile du Moyen-Orient, qui a lieu tous les deux ans.
Avec sa surface de soie mate orientale : “Desert Gold”… qui se veut un appel désespéré vers les supposés milliardaires de ce coin perdu du monde, créé sur rien que du sable, créé de rien, mais créé au départ de tout l’or du monde…, cette SLS AMG accentue encore la désespérance du temps qui passe au départ d’une inutilité creuse de sens…
C’est toutefois ce coté pathétique qui me plait…
Quoique…, peut-on batir sur du sable ?
Qui plus est à Dubaï… qui est en faillite et à du se faire ré-oxygéner de dix milliards de dollars par sa consoeur d’Abou Dhabi ce lundi 14 décembre 2009, alors qu’arrivait à maturité un emprunt obligataire de 4,1 milliards de dollars (2,8 milliards d’euros)…
Et pourquoi toujours du sable ?
Cette question anodine a fini par m’exaspérer.
Il est vrai qu’avant de débarquer ici, on me la posait souvent, agrémentée de l’une ou l’autre réflexion du genre : “Il n’y a que du sable et du béton à Dubaï”… ou, pire : “Il n’y a rien là-bas, que des chameaux”…
Que du béton sur du sable, des chameaux… et des dromadaires…
Je ne comprend pas le sens de cette vie d’inutilités présentée comme le summum du top…, ce qui ne veut rien dire.., un langage abscon de Jet-Setteur en quète de stupidités sur-tarifées…
Réduire le désert à un tas de sable et de béton !
N’y voir qu’une sorte de salon sado-maso pour occidentaux en mal d’exotisme ! Ils ne se rendaient donc pas compte de la beauté du vide ?
Le désert, si grand, si beau, si pur, si mystérieux, avec Antinéa-Tin Hinan, les Garamantes, l’Atlantide, l’Escadron blanc, Joseph Peyré, Pierre Benoît, Ernest Psichari, René Caillé, Saint-Ex même !
Les Toubous pillards et les Touaregs … si nobles et … blancs, plus blancs que blancs … si, si et si … Il n’y a pas de doute, même si c’est plus loin, au Sahara, pas grave, c’est du sable aussi…, mais avec moins de cailloux qu’à Dubaï !
La plupart de mes interlocuteurs ne comprenaient donc pas ce que j’allais faire dans ce désert intellectuel, inhospitalier, voire dangereux.
D’aucuns se risquèrent même ( en quoi ils trompaient ) à me trouver une âme d’ermite et à suggérer que, sans doute, comme Charles de Foucault, j’y vivrai ma catharsis.
Mais puis-je le leur reprocher car, quelle idée en effet, d’aller passer ses vacances dans une rôtissoire ! Et, au fond, le savais-je moi-même ce qui, bon an mal an, me ramenait irrésistiblement dans la cuvette torride de In Salah, la désolation, les colonnes d’air tourbillonnant et les mirages du Tadémaït, le piège des dunes de Laouni ou sur les pistes infâmes et cassantes du Hoggar…, avant de filer tel le vent, vers la Mer Rouge, Dubaï & co… ?
Devais-je vraiment boire, à In Ebeggi, cette eau qui contenait des excréments de chèvre et des oiseaux morts ?
Or, j’y allais, dans ce désert, j’y retournais, j’y séjournais, je m’en imprégnais et j’appréciais. Il m’est arrivé d’éprouver si fort le besoin d’exulter, d’exploser de chanter, à tue-tête…, que je me laissais pudiquement distancer par des Touaregs.
Et je chantais.
Ou je pleurais.
Le bonheur n’a pas de préférences.
Je vivais le moment présent, pleinement … sachant que …; to morrow is another day !.. A dire vrai, je ne me souciais plus guère du “pourquoi”.
Je laissais, le plus possible, à mes sens , la licence de me guider.
Mes croisades “wébiennes” étaient derrière moi.
Bien sûr, on n’est pas parfait.
Les meilleurs ont leurs automatismes.
J’avais les miens.
Mais ça n’allait pas au-delà.
Il faut se laisser vivre avant de philosopher.
C’est ce que j’ai fait… en regardant à nouveau la peinture d’or… et le noir peint à la lumière des jantes ornées d’un anneau d’or sur leur rebord.
Folie !
“La création de l’AMG SLS dans une couleur “Désert Gold” et sa présentation au Salon International de l’Automobile de Dubai 2009, est pour Mercedes et AMG, un signe de respect pour le Moyen-Orient. Après les USA, l’Allemagne et le Japon, la région du Golfe est le quatrième marché en importance pour nous”..., me déclare Volker Mornhinweg, directeur général de Mercedes-AMG GmbH…, “l‘intérieur de ce modèle spécial est intransigeant, noir sportif, sièges baquets, fibre de carbone un peu partout”… Un signe de respect pour le Moyen-Orient… a-t-il dit…!
Quel culot !
Un ange passe…, le temps passe aussi…
Très vite.
Les choses se décantent.
Je ressens comme du mépris…
A présent c’est moi qui questionne : “Pourquoi cette soudaine passion du désert alors que plus rien ne s’est passé depuis la saga de l’Afrika-corps ? Faut-il en chercher la source dans votre besoin insatiable de vendre ?
Pas de réponse de Volker Mornhinweg…
Je continue donc : Ahhhhh ! Quelle différence entre votre démarche et la mienne ! Moi qui suis épris de poésie depuis mes seize ans, époque où je dévorais toute la Légende des Siècles de Hugo, André Chénier, Anna de Noailles, Henry de Régnier, Verhaeren, Verlaine, Carême mais aussi et déjà : Henri Michaux, Jacques Prével, Jacques Prévert, Marcel Béalu, Géo Norge, Baudelaire, Rimbaud… et que je remplissais, à la main, des cahiers entiers de copies de poèmes ! A l’aune des émotions esthétiques, ma longue route vers Tagrera ne valait-elle pas la Légende des Siècles et, inversement, n’ai-je pas, à la lecture de Plume ou d’Ecuador, traversé tous les Tassilis, alors que votre Mercedes SLS avec sa peinturluration en or mat n’exprime strictement rien d’autre qu’un désir mercantile de carresser les égos arabes dans le sens des poils de leurs barbes ?
Toujours pas de réponse …
Sa démarche est obséquieuse, mercantile, abjecte même…
Je laisse les chameaux entre-eux discuter des plaisirs dromadaires…
La poésie est partout…, encore faut-il se baisser…, se mettre en peine…, traverser les déserts…, vivre…, avoir de l’appétit…, se servir et manger…, sans attendre que l’on vous passe les plats !
Tout est là et mon appétit de désert n’est sans doute qu’un appétit de poésie… et un appétit féroce de vivre, l’exercice intransigeant d’un choix : celui d’être et non pas simplement d’exister.
Je le crois de plus en plus. D’ailleurs, réfléchissons un moment.
Y a-t-il discontinuité dans ma démarche poétique en questionnant Volker Mornhinweg sur son carrosse d’or mat… ou, pour dire les choses plus simplement, étais-je moins poète lorsque, quelque part entre Tamanrasset et Tagrera, je m’empoignais à faire dire aux mots, tout aussi rétifs, ce que je savais qu’ils ne diraient jamais ?
N’est-ce pas, dans un cas comme dans l’autre, parfaitement vaniteux et futile ?
Parfaitement humain aussi ?
Dès-lors…, le futile ne participe-t-il pas autant de la poésie que de l’humain…?
Ah ! Etre divinement futile et … une dernière fois… comme disait Artaud : “péter de déraison et d’excès” !
Alors !
Pourquoi toujours revenir dans le désert ?
Pourquoi en parler ?
J’en parle parce que cette question : “Pourquoi toujours dans le désert ?”… quand elle n’est pas ponctuée d’un stupide : “Il n’y a rien là-bas”…, peut introduire à une réflexion intéressante.
Tout d’abord, parce que tout au long des journées désertiques (en double sens), délivré de l’habituel envahissement par l’objet propre à nos sociétés de consommation, l’esprit regagne un peu d’espace.
Il peut, sans pression du quotidien, réduit dans le désert à sa plus simple et authentique expression, enfin retrouver sa fonction.
Et cela je l’ai découvert dans une sorte de jubilation.
A quoi pensais-je ?
A tout, à rien, à l’homme et à moi parmi les hommes.
Bien décevants les hommes… J’en parle, parce que j’ai connu là, dans le désert, au fil de mes voyages… et chaque fois fidèles aux rendez-vous…, des jours entiers d’une plénitude insoupçonnable.
Parce que j’éprouve intimement, dans chacune de mes fibres, l’extraordinaire bien-être que procure la concordance parfaite entre deux états qui, après s’être reconnus, se rejoignent, font route ensemble et s’épousent pour la “grande perte qui est le grand bonheur”, celle de tout désir et donc de toute souffrance.
Il s’agit de la concordance de deux musiques, de deux poésies, qui à mon insu et très progressivement, se retrouvent appariées.
Deux poésies qui eussent pu demeurer parallèles à l’infini et ne jamais se rencontrer…
Première de ces poésies, poésie mère, celle du désert qui n’a jamais cessé de me bouleverser au plus profond… et l’autre, celle que je vis ou que j’écris, la mienne, celle aussi qui m’écrit , me définit, me détermine, au jour le jour, absurdement, sans projet, sans plainte, plan ni demande, sans rage, âge ni plaisir, tantôt piteuse et dépenaillée, parfois si fière et arrogante, toujours tellement exigeante !
Poésie.
Première toujours, la ronde et blonde, celle du désert, lascive et douce dans ses conjugaisons de sables ou abrupte et sauvage dans ses semis fantasques de roches éclatées sur l’enclume du ciel, cuites dans des chaudrons de basalte incandescents, grignotées, rongées ; une poésie de midis de plomb et nuits de glace, du feu de la soif et de la bonté de l’eau…
Une poésie de l’essentiel, la seule qui vaille, qui ouvre tous les espaces pour me faire ami des dieux dans une débauche de formes minérales officiantes… mais qui ne se prosternent jamais.
Car j’ai vu, et reconnu, en toutes ces formes fantastiques que le désert offrait à mes yeux, en ce prodigieux délire esthétique, des millions de dieux en devenir demandant à l’homme un peu de son souffle pour les animer et qu’ils se dressent.
Je les ai reconnus ces dieux, les mêmes qui éblouissaient notre enfance et nous émerveillaient sans que jamais nous les nommions, ceux-là même qui nous faisaient la vie douce et insouciante d’avant l’âge de raison.
Je les ai entendus aussi, et souvent, qui me disaient, dans une sorte de chant d’exhortation : “Fais lever la beauté, dis-lui de marcher, qu’elle soit ton guide. Ni le soleil, ni les étoiles, ni la lune, ni la voie lactée ne le peuvent ; toi seul, Quelqu’un, connait la beauté et peut la séduire parce que tu n’ignores rien de la noirceur de ton être. Nous les dieux n’avons pas ton pouvoir parce que nés imparfaitement de toi nous ne connaissons pas notre dimension, celle même que tu nous as donnée, que tu gardes secrète et qui t’effraie parce qu’elle t’est nécessaire. Le temps des prêtres est révolu. D’autres dieux vont naître par milliers, de nouveaux géants précaires et vous vous réconcilierez au nom de cette fragilité commune. Vous vous y reconnaitrez enfin et la vie, comme dans le mythe d’Eden, embaumera”...
Une poésie qui ne satisfait à rien, et surtout pas à un besoin.
Poésie de l’acte gratuit et de la débauche.
Poésie qui ne répond à aucune question mais qui, à l’heure où l’on voudrait dormir enfin, avec une sorte de cruauté amoureuse que seuls les grands amants connaissent, pose ses questions, obstinément , là où se rejoignent la mollesse de la dune et la verticalité du soleil, comme ça, sans raison, par amour quasi, si ce n’en est !
Une poésie impitoyable par la profusion des espaces qu’elle libère et des vertiges qu’elle induit, des esthétiques qu’elle fonde et déploie.
Une poésie cruelle parce qu’elle introduit à l’antichambre des dieux, nous les désigne, frères et bourreaux , indissolublement et dit à Moïse : “Tu nous as menti mais ils sont vivants”...
Une poésie qui acheva d’égarer le pauvre de Foucauld terminant son existence sous l’habit d’un armurier, inventoriant des fusils (c’est pour son dépôt d’armes et de provisions qu’il fut occis par les Sénousistes) et priant que l’Allemand n’arrive à Tamanrasset.
Poésie enfin, celle de mon propre chant, que je porte, là…, poésie lestée de mes propres déserts et de mes absences, de mes espaces et de mes impasses, de mes passes et de mes étranglements…, de cette indicible suffocation de celui qui se sait essentiellement et irrévocablement seul, parce qu’il n’y a qu’une vérité fondatrice : la mort … et parce qu’un soleil fou, aveugle et sourd à nos objurgations, éclaire jusqu’à l’absurde l’absence de sens qui, de toute façon, absout tout, tous et toutes rappelant à notre modestie ces paroles de Qohélet (Ancien Testament) : “Il n’y a qu’un souffle pour tous. L’homme n’a rien que n’a la bête. Tout est vent”. Mais, pour dire cela, il me reste à en inventer la langue, à en écrire le poème… et ce n’est pas simple…
Alors, fort heureusement, il y a des images.
Belles comme des miroirs aux alouettes.
Des images bien sages.
Retenez-en l’une ou l’autre afin que, quand à votre tour vous traverserez vos déserts, vous vous souveniez que vous n’êtes illusoirement pas seul…
Post-Sciptum :
A peine sortie, pas même encore commercialisée… et déjà “Tunée”, la Mercedes SLS fait flèche de tout bois afin de se vendre aux plus offrants et moins regardants…
Avec la Mercedes SLS AMG Panamerica, le mauvais goût entre en scène…, un signe des temps, que les temps sont durs à survivre pour les constructeurs qui tentent d’investir les rares niches ou l’argent circule encore !