Alfa Roméo…
Que de souvenirs avec Giulia !
Par Marcel PIROTTE
Que le temps passe vite !
Je l’avais un peu oubliée, je m’en veux…
L’une de mes premières maitresses automobiles vient de fêter ses cinquante ans !
Giulia, elle s’appelait !
Un si joli prénom pour celle qui pendant une bonne quinzaine d’années va littéralement révolutionner l’automobile sportive à portée de (presque) toutes les bourses.
Avec au menu, des berlines TI, TI Super, S, des coupés Sprint GT Véloce, 1750, 2000 et GTA, sans oublier le cabriolet GTC mais également le fameux spider ainsi que le break très peu connu réalisé par le carrossier Colli.
Rien que du bonheur durant toutes ces années folles où l’on profitait pleinement de la vie avec en toile de fond des Alfa qui ne demandaient qu’à faire partie de la fête …
Rassurez-vous, je ne vais pas vous infliger un historique complet de la famille Giulia, de nombreux spécialistes de renom l’ont fait certainement mieux et bien avant moi, à travers de nombreux bouquins !
Mon intention ici, c’est de vous faire partager mes nombreuses expériences, tout en vous racontant certaines anecdotes vécues avec différents modèles Giulia.
Avec un regret tout d’abord, celui de ne pas avoir pu participer fin juin 1962 (j’ai seulement commencé à écrire trois ans plus tard), à la présentation de la toute première Giulia TI.
TI pour Turismo Internazionale…, une berline de caractère, plutôt compacte (4,14 m de long), caractérisée par une carrosserie tout à fait originale avec un arrière tronqué, de très importantes surfaces vitrées, quatre gros phares, des solutions stylistiques “filantes” sans oublier un élément qui à l’époque était sans doute à la pointe du progrès aérodynamique, un CX de 0,34… mais dont la majorité des acheteurs n’en avaient rien à cirer.
Et pourtant quel progrès, cette Giulia faisait mieux qu’une Porsche 911 apparue l’année suivante !
Sous le capot de cette berline à propulsion, qui pouvait à ses débuts accueillir 5/6 personnes grâce au levier de vitesses implanté sur la colonne de direction ( il va très vite émigrer avec une commande nettement plus directe au plancher ), on y retrouve toujours ce fameux bloc bialbero, double arbres à cames en tête, quatre cylindres, huit soupapes avec refroidissement des soupapes d’échappement au sodium (une première pour l’époque), mais dont la cylindrée a été portée à 1570 cm3.
D’où une puissance de 90 chevaux ainsi qu’un couple de 12,1 mkg transmis aux roues arrière via une boîte 5 vitesses, ce qui représentait un fameux plus vis-à-vis de la conconcurrence.
Côté liaison au sol, roues indépendantes à l’avant, pont rigide à l’arrière, mais plutôt correctement guidé et bien suspendu.
Bien vite, les quatre tambours vont céder la place à quatre disques et compte tenu de son poids, de l’ordre de 1060 kg, cette TI allait diablement vite : près de 170 km/h en pointe, de 0 à 100 km/h en moins de 12 secondes moyennant une consommation moyenne un rien supérieure à 10 l/100 km !
La concurrence ne pouvait faire aussi bien !
Du coup, Alfa va profiter de cette avance technologique pour applique cette recette à l’ensemble de la famille Giulia mais en augmentant au fur et à mesure les chiffres de puissance et de couple.
Mais pour le reste, pas question de modifier cette structure gagnante qui durant quinze ans va faire le succès de cette incroyable famille de modèles fabriqués à un peu plus de 900.000 exemplaires, toutes versions confondues.
Avec le spider Duetto, je me suis pris pour Dustin Hoffman !
1964, Alfa confie à Pininfarina la réalisation d’un spider dérivé de la Giulia avec un empattement ramené de 2,51 à 2,25 m, mais avec une longueur portée à 4,25 m !
Il apparaît deux ans plus tard, chacun retient son souffle, il est de toute beauté, les lignes très arrondies ainsi que ses flancs convexes sans oublier sa partie arrière effilée qui lui vaudra d’être baptisée osso di seppia, (os de sèche) !
Che Bella macchina, c’était le titre de mon article paru dans Vlan en juillet 1968 !
J’étais littéralement tombé sous le charme de la Bella Donna qui, n’ayons pas peur de l’écrire, était une véritable ramasse poulettes !
Pour draguer, il n’y avait pas mieux, c’est ce que faisait d’ailleurs, tel Dustin Hoffman de l’autre côté de l’Atlantique dans le film The graduate !
Je ne m’en suis pas privé, d’autant qu’avec 109 chevaux sous le capot, ce spider deux places ne chômait jamais sur la route !
A l’époque, j’avais même atteint 210 compteur sur l’autoroute, soit un bon 190 chrono !
Des vitesses aujourd’hui à jamais révolues !
C’est aussi avec cette Duetto que j’ai appris comment il fallait traiter une Alfa !
Avec tout d’abord un contrôle régulier des niveaux d’eau et d’huile, sans oublier de ne jamais monter dans les tours lorsque le moteur est froid… et surtout d’attendre quelques minutes afin que l’huile soit à bonne température !
Après cela, c’était parti jusque 6.300 tr/min avec des vitesses qui passaient à la volée et surtout ce bruit tellement mélodieux de ce moteur bialbero dont on ne se lassait jamais.
Certes, il ne fallait pas trop être regardant sur la qualité de fabrication et d’assemblage, en revanche, l’étanchéité de la capote faisait plaisir à voir… mais certains exemplaires présentaient déjà de légères taches de rouille alors qu’ils venaient à peine de sortir de l’usine !
En outre et comme le service après-vente n’était pas très étendu avec des tarifs bien souvent à la tête du client, cette Duetto tout comme les autres Giulia était sans doute une merveilleuse maitresse… mais qui revenait souvent très cher à l’entretien !
Mais quand ça fonctionnait, c’était le pied …
Tout comme le comportement routier, du moins sur sol sec car sur revêtement humide ou glissant, cette Duetto ne tenait pas la route mais bien… toute la route !
Ca faisait partie de son charme, mais en conduite sportive, mieux valait bien soigner les trajectoires et surtout ne pas trop la brusquer.
Mais à 4.000 euros de l’époque, ainsi qu’une consommation moyenne oscillant entre 9 et 13 l/100 km, il n’y avait sans doute pas mieux sur le marché.
La Fiat 124 sport spider de 90 chevaux ne lui arrivait pas à la cheville, seule la MGB de 96 chevaux pouvait venir la taquiner.
Au printemps de 1969, je me retrouve au volant du superbe coupé GT à moteur 1750 de 132 chevaux.
Un modèle qui a vu le jour en 1963 et qui était l’œuvre d’un tout jeune dessinateur, un certain Giorgietto Giugiaro, salarié chez Bertone.
Un coupé 2+2 de toute beauté qui sera d’ailleurs le premier modèle Alfa à être fabriqué dans la toute nouvelle usine d’Arese située dans la grande banlieue milanaise.
Avec une plate-forme raccourcie de 16 cm, l’empattement passe de 2,51 m à 2,35 m pour une longueur totale un rien supérieure à 4 m, cette version est assurément l’une des plus belles de la grande famille Giulia qui va également compter un cabriolet GTC réalisé à très peu d’exemplaires, un bon millier, par un autre carrossier italien, Touring !
Avec ce nouveau moteur de 1779 cm3 livrant 132 chevaux, ainsi qu’un couple moteur de 19 mkg, ce coupé pesant un peu plus de 1000 kg et reprenant bien évidemment la structure des autres Giulia, était à l’époque l’un des plus rapides (190 chrono, de 0 à 100 km/h en un peu plus de 10 secondes), mais également l’un des plus amusants à conduire !
Difficile de se lasser du bruit rageur de ce bloc entièrement fabriqué en aluminium qui, lorsqu’on ouvrait le capot, se voulait une bien belle pièce d’horlogerie.
Avec bien évidemment la double culasse, véritable marque de fabrique !
Avec ce modèle, je me souviens avoir emmené l’un des mes amis pour une longue balade.
Je savais que lui aussi était un amoureux d’Alfa (tout comme moi, je ne m’en suis jamais caché et je le revendique haut et fort, du moins pour les modèles Giulia)… et que secrètement, il voulait acquérir une Alfa, lui qui conduisait une Peugeot 404, bien trop sage à son goût.
Moins d’une heure plus tard, il était convaincu !
Le lendemain, il est allé commander une berline 1300 TI, il n’a jamais regretté son achat…
De Bruxelles à Naples… et retour !
Parlons-en justement de cette berline Giulia 1300 Ti !
Avec elle, j’ai gagné un fameux pari, celui de relier Bruxelles à Naples, 1807 km à plus de 100 km/h de moyenne !
Vous allez me dire qu’il fallait être complètement cinglé pour tenter ce genre de pari !
Avec le recul, je vous donne entièrement raison mais à l’époque, j’avais 27 ans, j’avais encore tellement de choses à expérimenter et à prouver !
Du coup, l’importateur avait mis à ma disposition une bien jolie berline blanche de 94 chevaux équipée de bons pneus (des Kleber V10 165/14), de phares antibrouillard Cibié et de… ceintures de sécurité !
A l’époque, très peu d’autoroutes, sinon en Suisse ainsi qu’en Italie.
Avec mon copilote aussi taré que moi, départ d’Uccle un samedi soir d’octobre à 22 h précises !
Après 23 minutes de route, Mons est dépassé, pas encore d’E42 à cette époque, pas le temps non plus de succomber au clair de lune à Maubeuge, un brouillard tenace va nous accompagner jusque Reims…
Un plein d’essence à Chaumont, 104 km/h de moyenne, pas mal !
Les montagnes russes entre Gray et Besançon sont avalées le pied au plancher, la voiture rebondit lourdement à chaque bosse…
Après 563 km de route, le tableau de marche indique plus de 100 km/h de moyenne !
Après un autre plein d’essence qui nous a coûté plus de huit minutes (le pompiste avait bien du mal à se réveiller), Lausanne endormie est bien vite dépassée…
On grimpe vers le Saint Bernard, le temps est sec, il commence à faire clair, le paysage est splendide. Descente vers Aoste, dans la vallée le tachymètre indique 817 km pour une moyenne de 92,4 km !
Vivement les autoroutes italiennes pour rattraper ce retard !
Jusque Milan, cette 1300 TI soutien sans sourciller un bon 180 compteur à 6200 tr/min, soit 164 au chrono !
Mais en quittant la grande plaine milanaise, le brouillard refait son apparition et ce pendant 120 km…, difficile de dépasser 80-90 km/h, mon copilote fait mieux que les antibrouillards de la voiture !
A Parme, la situation se clarifie, c’est le cas de le dire, pas le temps d’acheter un bon jambon.
Au kilomètre 1577, Rome est en vue, près de 103 km de moyenne, j’en profite pour donner le cerceau à mon ami André, mes gants sont hors d’usage, ils me collent à la peau… et oui, on ne faisait pas les choses à moitié !
Mon copilote est lui aussi fasciné par cette petite Alfa qui peut aller aussi vite !
Après 1807 km et le dernier poste de péage, Naples nous tend les bras, 17 heures de route, 106 km/h, pari gagné pour une consommation moyenne de 12,4 l/100 km tout en ayant rajouté un litre et demi d’huile !
Il nous faudra 14 heures de sommeil pour récupérer et deux jours plus tard, nous sommes remontés vers Bruxelles, toujours à la même allure et sans la moindre défaillance de la voiture tout au long de ces 4000 km accomplis le pied à la planche !
Plutôt impressionné par ce genre de performances, mais surtout après ce que j’avais écrit de positif à propos de cette 1300 TI, l’importateur Novarobel établi chaussée de Charleroi à Bruxelles, me propose de rejoindre le clan des essayeurs du salon de l’auto, qui devait avoir lieu en janvier 1970.
Mais au préalable, il fallait passer un examen de conduite sportive et surtout le réussir !
C’est donc en compagnie de pilotes de renom, tels Teddy Pilette , Christine Beckers et Vic mais également de très charmantes hôtesses… que j’ai pu vivre mon premier salon de l’auto côté coulisses.
Rien que des souvenirs extraordinaires où dans le haut de Laeken, on recherchait les pavés ainsi que les rails de tram afin de prouver la stabilité de la voiture.
Ne parlons pas non plus du rond point de Grand Bigard marquant l’entrée de l’autoroute “de la mer” que l’on abordait de préférence en travers, il fallait en effet en mettre plein la vue aux futurs acheteurs, tous des passionnés déjà convaincus !
Ne pas oublier non plus de mettre en exergue la fabuleuse souplesse et les montées en régime de ce moteur tout en montrant la puissance du freinage !
En 21 minutes, la messe était dite, chaque passager était inoculé par le virus Alfa.
J’en profitais également pour les interroger sans révéler mon identité de journaliste…, j’en ai appris des choses en si peu de temps !
Par la suite et à plusieurs reprises, je participerai à d’autres salons de l’auto, mais cette fois en tant que responsable de tous les essayeurs.
Et là, ce n’était pas une mince affaire…
De la 1300 Super au Nürburgring !
Par la suite, j’ai encore essayé pas mal de modèles Giulia dont la berline 1300 Super de 103 chevaux qui faisait bien évidemment partie de la même lignée.
Mais l’un des mes plus beaux souvenirs reste l’essai du coupé 2000 GT en août 1971 dans des circonstances un rien particulières et de plus sur l’un des plus beaux circuits du monde : l’ancien Nürburgring.
Du 17 au 22 août avait lieu en effet le dernier Marathon de la route organisé par le Royal Motor Union de Liège.
Une épreuve de d’endurance avec au menu 96 heures à couvrir non stop sur le circuit allemand !
Un véritable enfer !
Comme c’était le service de santé de l’armée belge qui assurait la sécurité mais également le traitement des blessés éventuels, j’avais réussi à convaincre l’Etat-major qu’il leur fallait sur place un officier de liaison chargé tout spécialement des relations avec la presse et les organisateurs.
C’est donc en mission que je me suis retrouvé dans l’Eifel avec ce superbe coupé mais également plusieurs hélicoptères Alouette II que je pouvais mettre à la disposition des journalistes et des organisateurs !
Autant dire que j’avais des tas de copains et qu’on ne me refusait rien…
Comme il fallait être présent sur le circuit bien avant la course, j’ai donc pu en profiter un maximum mais également effectuer des centaines de tours gratuitement dans cet enfer vert de 174 virages sur un tour de 22,835 km !
Autant vous dire que cette fois-là, j’ai eu beaucoup de volontaires pour m’accompagner… et que mon budget carburant a littéralement crevé tous les plafonds !
Pire, les quatre pneus pourtant surveillés par Pirelli ont rendu l’âme, il a fallu bien évidemment les remplacer !
Heureusement, je n’ai pas dû les payer, l’importateur ayant conclu un deal avec le manufacturier italien !
Je ne sais pas combien de kilomètres j’ai accompli avec précision, pas loin de 1500… mais après plus de 60 tours de ce circuit, on croit le connaître mais en fait, il faut “le limer bien encore plus”, pour savoir déceler tous ces pièges.
Tous les meilleurs pilotes vous le confirmeront, dont Jacky Ickx en personne.
Ce qui m’a permis de constater que ce coupé 2000 méritait à merveille son appellation de GT : pas le moindre problème de refroidissement ou de température d’huile… et pourtant il n’a pas été ménagé, que de merveilleux souvenirs.
Cette dernière édition de ce fameux Marathon de la route s’est achevé sur la victoire d’une Alpine pilotée par le trio Henry-Thérier-Nusbaumer, l’expérience n’ayant plus été renouvelée par la suite.
Dommage car j’étais à nouveau partant…
La carrière de cette Giulia va s’achever en 1977 !
Avec tout d’abord un restylage pas très heureux qui rendait cette Nuova Super beaucoup trop lourde et plus du tout dans le coup, mais aussi par l’arrivée en 1976 d’un modèle indigne de porter le nom de Giulia, la version diesel !
Imaginez un moteur de tracteur dans une Alfa !
Et qui plus est un Perkins anglais, 1760 cm3 de 52 chevaux et seulement 12 mkg de couple !
De quoi atteindre 135 km/h en pointe !
J’avais essayé ce modèle poussif dont les vibrations envahissaient tout l’habitacle sans parler du bruit de fonctionnement tout simplement assourdissant !
Un modèle qu’Alfa n’aurait jamais dû produire… mais comme d’autres constructeurs, le fabricant milanais devait faire face à la crise pétrolière et se tourner lui aussi vers le diesel !
Mais les pontes de Milan auraient mieux fait de s’abstenir, ils ont tout de même réussi à fabriquer 6573 exemplaires et du coup s’attirer à tout jamais les foudres de 6573 clients estimant à juste titre d’ailleurs : s’être fait copieusement rouler dans le gazole…
Je vais pourtant terminer sur une bonne note, une d’espoir, Giulia devrait renaître de ses cendres fin de l’année ou début 2013.
Un modèle chargé de succéder à la 159, dont la production s’est arrêtée en septembre dernier…
Marcel Pirotte, pour www.GatsbyOnline.com