1939 LINCOLN ZEPHYR CUSTOM / 46,200$
Il y a des automobiles qu’on dit belles et attirantes mais dont la beauté laisse indifférent et n’attire que les choix des secondes mains baladeuses… Et puis, un jour au hasard d’un show de bagnoles atypiquement Kustomisées, je tombe en arrêt devant une Lincoln Zéphyr qui a une forte symbolique. Tomber en arrêt, c’est peu dire : face à elle, face à ce déchaînement de flamboyances, je suffoque… Avez-vous jamais senti le foudroiement ? N’avez-vous jamais été remué de fond en comble au point de vivre sa découverte comme une commotion décérébrale issue d’un lien mystérieux qui s’établit. Ce jour-là un attrait irrésistible a soudain débordé les formes de l’attirance. Comment s’appelle un tel excès ? Est-ce que c’est de la folie ? Oui, ça doit être ça, cet engloutissement passionné dans un objet qui vous annule. Ce jour de hasard, j’étais hors de moi, mais pour la première fois une ivresse se donnait à l’égal du monde : ce n’était pas cet oubli éphémère que procure une fête, mais un élargissement calme, comme si j’accédais à une vérité… L’adoration est-elle plus forte que l’amour ? Je crois que oui : l’adoration est spirituelle. L’amour veut tout, l’adoration ne veut rien. Il faut être un saint ou un fou pour être capable d’adorer. Ou un écrivain, qui parfois, à sa manière discrète, obstinée, tordue, est un peu des deux.
Bref, j’ai regardé cette Lincoln à m’en arracher les yeux. Plus je l’observais, plus je devenais fou en étanchant ma soif de folies en même temps qu’elles l’aiguisaient. Baudelaire parlait de “l’horreur de la vie” et de “l’extase de la vie”. Eh bien, à peine m’étais-je rassasié d’extase et d’horreur que j’avais de nouveau envie de folies. Je crus ce jour-là que cette Lincoln allait entièrement m’avaler, comme Jonas avec la baleine. Peut-être suis-je encore aujourd’hui prisonnier de cette automobile, peut-être mon esprit est-il toujours captif de cette vision éblouissante. J’ai découvert en effet que la folie déchire les limites et brouille la raison : adoration, soif, ivresse, extase, avant même de savoir mettre des mots sur ce qui m’attirait, je sentais que mon existence pouvait basculer et que peut-être je ne ferais que cheminer toute ma vie à la recherche de passions plus fortes encore qui transportent en prodiguant leur intensité. Est-il possible qu’une telle chose qui vous émeut, en même temps vous égare ? Comment atteindre dans sa vie la béance qu’a ouverte une telle vision ? Comment survivre à la hauteur de son illumination ? Cet instant allait-il créer l’éclair me conduisant vers de nouveaux mots en phrases composant un article encore plus surréaliste que les précédents ?
Sans doute aurait-il été préférable de fuir ! Mais c’est ainsi : j’aime ce qui est brûlant, secret, fatal dans un monde où l’épaississement de la sensibilité ne nous destine plus qu’à l’insensé, ou la sensation devient une forme de salut et le trouble une éthique, même s’il n’est pas sûr que nous voulions tellement savoir ce dont il s’agit. Lorsqu’on passe, devant un grand morceau de violence, lorsqu’on s’approche des mauvais anges comme disait Baudelaire, que voit-on ? Ce qu’on voit, à travers les sensualités et les passions, c’est le carnage du monde, dans un tourbillon de couleurs, dans un cyclone de détails luxueux, l’inouï s’offre sans cesse à travers les cataractes de joyaux, l’abondance des envies, les étincellements orgiaques des beautés vénéneuses, tout un splendide chaos qui ruisselle à l’intérieur de toutes dépenses. J’ai soudain en reflet du miroir des vanités, eut l’air ennuyé d’un dandy perdu dans un songe, ou d’un débauché aspiré par l’abîme duquel sortent des fantômes. Depuis lors, durant mes nuits agitées d’insomnies, je perds la tête : je vois des Customiseurs, des Hot-Rodders, des kitteurs d’autos invraisemblables, morts sous la terre, évoluant comme des zombies dans un parking souterrain.
Il y en a des strates entières, et leurs corps s’entassent comme un engrais, comme une mémoire. Je tremble, il est quatre heures du matin et je tapote sur mon clavier sans plus savoir quoi… “Sensation d’être, entre deux points, le fantôme d’un trait d’union qui lui-même ne repose sur rien. Je suis la cassure plutôt que le saut. Le désir donne sur le plaisir sexuel tant que celui-ci ouvre la porte interdite”. C’est du Sade… Relire Sade pour écrire sur les bagnoles interdites ? Tout est confus dans ma tête, mais en sortant de ma nigauderie customaniaque (en m’en expulsant moi-même), j’ai noté cette nuit-là des phrases avec une fébrilité que lacérait un mal de crâne insoutenable ! Une joie, pourtant, m’illuminait que je résume maintenant, en gros, comme une révélation : Si le désir dévoile l’orgie, l’orgie dévoile le meurtre, mais seule l’écriture déroute le crime : le passage par l’écriture métamorphose la pulsion de mort en autre chose dont ce grand X qui en barrant le mot “meurtre”, en rend compte mystérieusement. En tout cas, la structure est claire, et ce sera désormais la mienne, dans la vie, entrer dans l’écriture, c’est maintenir l’intensité du désir jusqu’à l’extrême sans le prolonger jusqu’à l’absurde des dévots.
Cette nuit-là, je ne me demandais pas si désirer sans écrire conduit nécessairement au crime (je ne le crois pas, car la planète serait peuplée en majorité de meurtriers), mais l’écriture transfère l’intensité dans la symbolique et cette déviation dont l’écriture témoigne, fonde la littérature. Ce matin-là, les yeux éclatés, blanc d’insomnie, titubant à la recherche de café, j’en étais sûr : pas besoin de tuer les chimères, la littérature réalise le désir. Le désir mène aux étreintes qui appellent la poésie. Et la poésie (l’écriture, les textes), en empêchant le meurtre, ouvre à la vérité de l’existence, au secret de son extase ! Voyez donc la métamorphose, je peux maintenant en écrire sur cette voiture, sans bailler d’ennui… Je vais malgré cela, faire court ! La Lincoln-Zephyr est un modèle de la marque d’automobiles américaine Lincoln, conçu comme un type de voitures de luxe de gamme moyenne et de prix relativement accessible, produit de 1936 à 1940. Les Lincoln-Zephyr et Mercury, introduites en 1939, comblent l’écart important entre la gamme V-8 De Luxe de Ford et les K-series de Lincoln dans la stratégie commerciale de Ford. La voiture a été conçue par Edsel Ford et Eugene Turenne Gregorie de manière innovante…
Lancée en 1936 sous la direction d’Edsel Ford alors que la carrosserie est construite par Briggs Manufacturing sous la direction de John Tjaarda père de Tom, qui dessinera l’infame DeTomaso Pantera ! Pour la première fois chez Ford, elle est composée d’une structure monocoque en acier fixée sur un châssis. Sur la proposition de John Tjaarda et le crayon du styliste maison Bob Gregorie, naît une silhouette inhabituellement fluide et aérodynamique qui correspond bien à son nom. Le pare-brise est très incliné, les phares sont intégrés aux ailes, les ailes arrière sont recouvertes d’un capot. Elle est même plus aérodynamique que la malheureuse Chrysler Eight Airflow qui fera un flop. Il faut dire qu’elle est aussi plus agréable à l’œil et plus conventionnelle avec ses ailes avant rebondies. En 1939, la Lincoln Zephyr était disponible en 6 carrosseries. Toutes animées par le même moteur V12.
– Sedan 4 portes,
– Sedan Coupe 2 portes,
– Coupe 2 portes,
– Town car Limousine 4 portes,
– Convertible 2 portes,
– Convertible 4 portes
Sur la Zephyr, les phares sont repoussés sur les ailes, ce qui permet cette étonnante calandre en forme d’ailes de papillon, offrant ainsi une refroidissement correct au moteur. La forme des ailes et du capot vont toutefois évoluer pour former une face avant plus plate et plus massive. La Zephyr, vendue à un prix attractif, permet à la clientèle des classes moyennes d’accéder à une marque de luxe. Elle connaît un succès inhabituel pour la marque, pendant les 5 années de sa diffusion. 15.000 exemplaires sont vendus dès la première année soit 80% des ventes de Lincoln. La carrière de la Zephyr s’arrête début 1942, la Seconde Guerre Mondiale modifiant les priorités du groupe Ford…. J’ai oublié cette Lincoln Zephyr et mes élucubrations durant quelques temps, plongé dans les empêchements qui accompagnaient les re-débuts de ChromesFlammes, le désir devenu jouissance et la jouissance devenue monde, redécouvrant une luxure à l’intérieur de l’écriture. Le plaisir débordant son propre excès, cela m’a amené à re-éditer mon site-web SecretsInterdits, tout se mêlant au point que je ne distinguais plus le mariage de l’auto et du sexe. Connaît-on un jour son désir ? Connaît-on sa jouissance ? Son plaisir ?
L’écriture procure un étrange savoir, elle ouvre à une clarté qui pousse à écrire encore, et se donner tout entier à ce courant qui emporte. En un sens, ce savoir est simple, il occupe toutes les places. Pas seulement le désir comme l’attente de la volupté, mais comme son accomplissement sans fin dans une féérie de saisons ardentes. Les soirs, les matins, les nuits, les jours, tout s’écrivant sous le signe exubérant du désir, et l’univers, me croirez-vous, se change en trésor. Il n’a pas de contraire, tout réside à la fois dans l’assouvissement et dans l’inassouvissement, s’allume au gré des attirances et devient l’attirance elle-même, réveille l’écriture et se déploie en elle. Désir et littérature deviennent alors une même chose, et si à l’époque les livres de Michel Houellebecq déclaraient la guerre au désir avec le succès que l’on sait, j’y voyais au contraire ce qui seul nous délivre du monde servile, le secret des phrases, leur dimension poétique. À travers la mise à mort houellebecquienne, c’est la poésie que la société liquidait. La pesanteur d’un monde où le désir s’absente nous assigne à ne plus être que la proie du contrôle, à pourrir à l’étroit en nous-mêmes, dans l’infernalité d’un langage dévitalisé !
Nous sommes offert à la goule des réseaux de communication contrôlés par des abrutis pourtant multimilliardaires qui sévissent pour un sein exhibé… Le désir est ma politique : rien ne nous engage plus. Les adeptes du manque se trompent : dans la poésie, le désir ne manque de rien, il se rejoint, la jouissance est plus forte que la perte, car le désir ne manque de rien. Ici commence l’inépuisable. La profusion nourrit ce qui nourrit la profusion. Le désir fertilise le désir. Autrement dit, le désir n’est pas un affect, ni une tendance capricieuse de la volonté, mais une région de l’être, voire l’être lui-même, qui sait. La vie et la mort, en s’échangeant, ne cessent de masquer un secret : il est ici à découvert il vous saute aux yeux, comme le réel lui-même. Voilà, le rapport de chacun avec ses propres feux compose un étrange univers où je suis le sacrificateur masqué, toujours obscur, qui vous fait participer à mes troubles récits aussi lumineux que ténébreux, et sans cesse recommencés !
2 commentaires
Superbe texte, cette Lincoln vous inspire ! Il me semble que Cioran écrivait que celui qui ignore le désir de tuer aura beau professer des opinions subversives, il ne sera jamais qu’un conformiste.
Le bonheur que j’éprouve d’avoir amené GatsbyOnline à un niveau jamais lu ni observé dans aucun autre organe de presse, où les embobinages enfantins lobotomisateurs consuméristes sont la règle, n’est entaché que d’avoir pu et su le réaliser que tard dans ma vie, heureusement avant que la sénilité naturelle détruise mes capacités et ce alors que le joug dictatorial se développe.
Personne ne me semble avoir osé aller aussi loin. Il me semble que la masse humaine n’a pas suivi mon même chemin ni tenté d’en emprunter d’autre à défaut d’avoir les capacités d’en créer.
Vous êtes donc le plus attentionné de mes apôtres !
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