1948 Chevy 5Window Pickup
Il fut un temps, où le Pick-up était un fourre-tout sur roues commun en Amérique, éloigné des us et coutumes du vieux continent européen. C’était un engin de fermier pour transporter le fourrage des bêtes, quelques bêtes aussi, surtout les chiens, avec les ouvriers mexicains, quelques putes et parfois un moins-que-rien qui voyageait gratis. C’était un truck pour cow-boy, basique, simple qu’on ne lavait jamais et qui se réparait à la masse et au marteau, comme une femme volage. Le Pick-up servait ensuite de corbillard pour déposer le corps dans un trou du fond du désert, à tout jamais. Embarquer les chiens dans la benne, du matos de pêche ou de chasse, le Pick-up ne servait pas seulement à frimer à la déchetterie. J’avais un Pick-up, c’était ailleurs, loin, là-bas, je ne sais plus où, mais loin et chaud… Très chaud, trop chaud… C’était à cent et mille et plus des limites aimées…
La chiquita-cheap cernait les heures sur le visage des hommes un matin de bordel, de guipures sales et d’embrocations, de nuisettes de satin synthétique et de ronflements de péons repus… En face, un solitaire prêchait le silence sur un mur de soleil pour pouvoir débiter sa science à la gloire de Jésus… En vain… Un prêchi-prêcha dans l’air du temps qui passe… Son monologue ne signifiait rien ! Il me fallait partir, dans le grand fracas des bruits, tandis que sonnait une cloche fêlée… J’avais perdu mes rêves… Je me suis levé et j’ai dit : “Je ne fuis pas je quitte ce monde de pourris. No way back ! Plus de veau gras plus de textes à écrire, plus de PC, de stylos en or, de voyages et de tamourés lascifs avec des putes surpayées pour me faire croire que je suis important ! Salopes ! Mon nom disparaîtra du registre des rêves, nul ne me reconnaîtra plus, je laisse là mon nom et pars sans amour, seul”…
Je n’ai rien ajouté, j’ai pris le Pick-up dont j’aimais la couleur de la violette et le moteur glou-glou-tant… Quelqu’un a hurlé de rester, j’ai accéléré… J’avais envie de routes, d’étapes et de détours… Je cherchais la quintessence du néant, c’est ce que je me suis dit… Que ça prendrait du temps… J’avais tout le temps… Mais je cause, je cause, je cause en écrits et vous êtes sur le point de ne plus lire, impatient que je daigne vous en raconter plus… Quoi vous en dire d’autre qui distille des sensations… Sans compromis, c’est à dire que le Pick-up ne sert pas à grand chose d’utile dans l’inutilité de la vie actuelle… Voilà un critère qui n’est guère habituel… J’ai pensé “Fuck”… Mais je n’ai rien ajouté, je n’en avais rien à f… Avant, j’avais cauchemardé le rêve des autres hommes, une maison cossue, mon nom sur le porche et les murs chaulés deux fois l’an… J’y aurais bu des verres de Batida de coco, de tequila ou des Mojito’s…
Un patio pour un peu de fraîcheur… Pour me servir, une veuve à mantille en souvenir d’une Madrilène… Calla te… Anamary Da Silva Saavedra, la Madone des SecretsInterdits… Cette pute au look d’araignée, duègne idéale, m’aurait regardé sans mot dire ! Qui sait si elle m’aurait fait jouir ? Puis elle m’aurait huché au hamac, ivre et fier, aveugle devant ma face et la promesse de ma mort… Mais une cloche a sonné, cassant net l’ambiance sans la moindre signification… Plus rien n’indiquait plus rien, il me fallait partir : Je lui ai dit : “Je ne te fuis pas je te quitte”… D’un seul souffle… Elle a répondu que je devais savoir que notre projet avait pris du plomb dans l’aile et était passé à la trappe… J’ai rétorqué : “Dois-je regretter ? Sûrement pas, vu la suite des événements”… Allez savoir ou se niche la vérité et la réalité dans l’amoncellement d’immondices déversées par les journaleux de sévices qui ne comprennent rien à GatsbyOnline…
Tout est loin et près en même temps. J’ai claqué là et je suis parti… J’ai voyagé longtemps… Loin, très loin, trop loin, si loin… J’ai connu trop d’étapes… J’étais trop rapide, j’ai doublé des voitures, des motos, un âne, des chevaux… J’ai traversé des contrées sans filles, bordées d’eau bruissant de laminaires dont les langues douces faisaient monter le plaisir… Mais déjà loin des frontières connues, rien pour me dire si un quelconque but était proche, si mon plaisir procédait d’intuition… Ensuite je me suis reposé dans un garage abandonné, près de carcasses d’autres autos, sans doute qu’elles papotaient durant mon sommeil… Et puis j’ai continué… Des Apaches aux longs foulards de soie ont ri à m’entendre raconter mes aventures… J’étais le fou qui cherchait le sel et le sel était rare par les mesas brûlées dont eux seuls découvraient les ombres secrètes, les herbes cachées…
Ils riaient en disant : “Il est assez barge pour aller se noyer en Mer noire” ! J’étais plus près de l’Esprit que le contraire, mais encore loin de tout… Et ils ont disparu après m’avoir donné de l’alcool et des champignons… “Continue !”, me disaient les nuages dont les figures coulaient comme fleurs d’eau sous le givre… “Continue !”… Poussière dans un vent de poussière sale entre deux rues désertes, j’ai continué :“Go on, go west, go anywhere but go”! C’était une seule même parole par toutes les contrées, “Anywhere far from this hell, please leave and tell what you have seen and what we have become, please go and tell”… J’ai promis et j’ai continué, sans autres détours que ceux du chemin… J’étais sans être, me retrouvant à sourire à des serveuses blondes aux seins lourds qui ne me disaient rien dans des chambres louées cher pour une demi-heure de draps douteux et d’eau de violette, ne sachant rien de ma dérive, ni de l’orée.
Je demandais à la fantaisie des lits visités quelque amer au cercle noir d’où j’aurais pu pointer le lointain… Je savais le ciel sans étoiles, et les étoiles nues dans le gouffre de ma mémoire, sans nom, sans être ni figure, sans naissance… J’aimais les parcours sans espoir, sans omettre d’espérer de mes pas et ma voix n’était que questions aux compagnes d’un soir, les lentes femmes aux gestes sûrs les matins blancs, leurs mains tendres sur ma peau comme à l’offre du café, toujours un peu brûlé… Leur douceur sans tristesse ne liait rien en moi, leurs lèvres n’attachaient pas, leurs langues n’étaient qu’adieux sans regrets ni désirs… Leurs yeux attendaient déjà le prochain voyageur, déjà j’étais un souvenir et mes rêves vains leur revenaient comme un sourire. Seules les métisses dont les songes sont brassés, me demandaient de leur écrire l’issue de mon histoire… Je promettais, ne m’engageant à rien…
Je les quittais à l’aube et leurs enfants pouilleux m’indiquaient le chemin avant d’aller creuser des galeries de mines dans les veines argentifères. Ils ne trouvaient rien qui puisse leur appartenir, et, poitrinaires, ils mouraient à dix ans plus vieux qu’on ne saurait être, poussiéreux pour toujours, avec des rêves de poneys enfouis en eux… Je le savais ! J’avais eu les mêmes… Rien ne m’arrêtait, ni la carte de Golconde, ni l’œil des vieux qui murmuraient au passage de mon Pick-up, en fatigue, ni les crachats sur mon blason aux trois gemmes sodées sur ciel ultramarin, qui gondolaient le carton et brouillaient le dessin. Parfois une putain tiède me parlait de sexe, sifflant des mots mous comme des bouts de viande, m’insultant et m’encourageant ensemble : “Va”, disait-elle ; “Venge-moi des salauds, va me tuer un peu plus, les baisers de bâtards me combleront d’urticaire”… Je devenais fou, je l’étais déjà… Sauf que j’étais mort !
Mes mains n’étaient qu’ampoules et mes joues crevasses… J’étais monde même au monde, de douleur, de souffrances… Et mon seul onguent résonnait d’échos pleins… Alors je repartais, dépliant ma vieille carcasse, ne pensant plus que par éclipses, désormais si abîmé que je n’attirais plus les voleurs, et que les filles ne croyaient pas que je puisse les payer… J’ai tué des renards et des ours, j’ai vendu des fourrures et des esclaves, j’ai joué aux dés, j’ai tout perdu, j’ai tué les joueurs mais pas retrouvé mon or… Et je suis reparti… Il y avait des vergers dans les déserts, des faux édens tracés comme au compas autour des rampes d’irrigation… Je survivais et dieu ne m’était rien… Moïse sans magie, je le méprisais face à face, lui disant que rien, même lui, surtout lui, n’était important… J’ai laissé ses anges aux duvets d’éphèbes nordiques louanger leur seigneur rogue et brandir leurs anathèmes aux cuivres pâles sur mes pas…
D’aucun monde, pas même de celui que ma quête essayait de tracer, ils pouvaient disparaître, comme s’évanouissent les ombres au crépuscule, et leur dieu continuer de mourir en leur compagnie d’ectoplasmes… Il faut désespérer des illusions sans beauté… Vous êtes toujours là à me lire, vous faut-il en connaître encore plus ?… Que vous importe vraiment de savoir ? C’est la vie… Le temps passe, je fatigue de vous écrire, l’heure est venue d’en finir… J’en ai assez vu… Il me reste un peu d’énergie pour vous dire qu’il est temps de laisser parler la poudre… Je cherchais l’infini… Je ne l’imaginais pas… Je le savais lointain… J’attendais des amours médusées dont les saillies brûlantes me seraient plus nécessaires que le plaisir, par légions… Assoiffé, je rêvais d’écraser bigots et bigotes aux chapelets d’ivoire, à chaque passage de canine entre leurs doigts parcheminés, avant l’incisive je-vous-salue-marie !
Et la molaire notre-père, que la peau nicotinée de mes doigts astiquait… Mécanique, de ce geste échappé d’une autre ère, d’avant la mort de ces gens qui se croyaient vivants alors qu’ils puaient la charogne. Les corsages noirs des vieilles, deuil de leur deuil, se secouaient avec mépris à mon passage, dispersant au vent des cendres de mauvais cigare, elles crachaient en mâcheuses de chiques de longs jets marrons de salive qui retombaient entre leurs jambes… Le sable immédiatement, redevenait blanc comme leur rage à me maudire… Elles en appelaient au peuple, à la race, au clan, à tous les saints qui dorment par leurs cimetières, sans réveiller grand monde… Je ne faisais pourtant que passer, laissant parfois un bâtard à leur fille, et/ou une balle dans le ventre des fils arrogants. Je rêvais de brûler les étapes… J’ai beaucoup brûlé de bois au bivouac, quelques cervelles aussi, par nécessité plus que par conviction…
Mais aucun détour ne me fut épargné, ni aucune épreuve… Qu’on me lise si l’on veut comprendre que mes traits scarifiés attestent que je n’ai jamais fui ni dévié, quand bien même mon errance pouvait le justifier… J’ai crié sous les brandons, mordu ma ceinture quand le poinçon m’a percé l’arcade… Mes pas n’ont pas tremblé lorsque j’ai voulu savoir si la souffrance ressemblait au chemin, j’ai même aimé sentir les flèches de Géronimo éprouver ma folie : je croyais qu’elles m’indiquaient une voie dérobée, mais elles restaient indéchiffrables… Mes dents sont tombées une à une dans mon cauchemar, mes cheveux par touffes… Je suis devenu presque aveugle au monde et sourd aux supplications de la vulgate que je tirais au jugé, sans même me repérer aux bruits, je n’ai jamais bien entendu leurs pleurs de trop me masturber l’esprit, le reste aussi, d’ennui d’envies…
Dans mes cauchemars, je ne me lève plus qu’avec peine et l’on ne me craint plus quand j’entre en ville frapper au bureau de l’aide sociale pour avoir de quoi me payer un café… Il y a là une jeune femme très propre qui se force à me sourire, qui m’appelle “Monsieur”, et soupire en regardant mon dossier… Elle remplit pour moi les papiers nécessaires pour l’allocation logement et le remboursement de mon râtelier… Bientôt, j’aurai des nouvelles lunettes… J’ai déjà un bon pour entrer aux bains municipaux… On ne me veut que du bien… On fait comme si tout allait bien, était normal. Moi aussi… Très poli avec la dame, je lui souris avec mes dents neuves qui sentent bon le spray riclès… Moi aussi je fais semblant… J’attends que l’aide sociale me répare pour repartir… Quand je me réveille, le Pick-up est toujours là, je le remet en marche, et on repart au loin… C’est que je cherche toujours un but à l’inexistence…
C’est si loin, avant que je meure ou que je m’endorme, ou qu’on me tue, je ne sais, je ne sais plus, je dors, je cauchemarde, je crie et personne ne répond sauf l’écho qui ricane… Vous, oui vous qui lisez ceci, peut-être… En ces jours, m’imaginant piloter des engins dantesques, entre deux instants d’éternité où j’agonise à coté de mon chien Cocker Blacky à Saint-Tropez d’avoir trop cherché la mer et le ciel bleu, un sens aux non-sens… D’avoir trop écrit de textes emplis entre les lignes de glapissements étranglés qui rappellent l’ours pris au piège… Ces bruits-là, ce n’est pas moi, ce n’est déjà plus moi, plus celui qui fut moi avant d’être personne, ce n’est plus que ma souffrance, que la durée de ma souffrance qui m’a tout brûlé, jusqu’à la force de crier. Au-delà, il semble que la nuit soit toujours en avance, le crépuscule toujours prématuré…
Ni dedans — la mort vous ne pouvez la partager — ni dehors — tant vous désemparent l’évanouissement de la perspective, la disparition de l’horizon dans le chien et loup… L’avenir, comme un lavis m’échappe par dilution, à mesure que s’effacent les massifs d’alentour… Désespoir de l’amante, désespoir des autres, les mois des seuls jours de fêtes, le panache des inutilités, tout ça revient toujours… Ces images-là qu’on n’aurait pas crues si nettes au moment de les vivre, dans ma tête c’était un jour de soleil et de cygnes, de canards en queue-leu-leu, un jour parfait dont les reflets se sont prolongés sur les jours suivants, à la façon du bonheur. Plénitude telle que rien ne m’affecte plus que ça… Oh ! vous y êtes allé… Bien sûr, devoir, toujours, sans doute aussi par tendresse, mais vous m’avez mis entre parenthèses, un petit chagrin bien clos, sans conséquence, vous me deviez bien ça !
C’était moi dont vous aviez peut-être un peu honte, de ce temps-là où vous aimiez aussi ces temps de gênes, de fêtes. Ahhhhhh ! Reviennent les jours, pluie de percale, boue… Litanie des instantanés de l’amour, où gisent tour à tour les temps de l’existence, enfin… Des années à aimer, mais aussi à craindre, guetter les marbrures sur les visages aimés… Ces mois d’années ne se ressentent pas… Et même s’il m’avait semblé alors que disparaissait cette fatalité, des ombres des regards, du manteau d’angoisse dont est vêtue la forme noire qui chevauche l’homme terrorisé par les nuits… Et me voici mourant de cauchemarder à mon tour que résigné vous figurez dans le confinement aux odeurs de drap tiède, de fièvre et de médications superflues… Vous vieillissez ? Moi je m’émacie… La fatalité me rattrape… Déjà, elle s’est emparée de mon corps, l’a creusé d’ombres, en m’arrachant des cris, des gémissements, des soupirs rauques… La lumière triture mes reliefs, cave mes fossettes, évide mes arcades, ravine mes joues, fouille jusqu’aux tempes et mon visage, le cimetière…
Je suis comme un forcené, entre lit et fenêtre, aveugle à la pluie, aveugle à tout… Hier cependant, quand tout s’est réconcilié dans la transparence de mon esprit embrouillé, j’ai scruté l’horizon, puis de nouveau les lointains, la limite entre ciel et terre — intuition d’un miroir parfait — enfin le fond encore, invisible, hors d’atteinte…, là où se cachent nos ruptures et nos retrouvailles… Vous êtes encore là ? Vous m’assistez, vous réinstallez les coussins sous ma tête, tout en me regardant mourir, les jours s’arrêtent ici, entre fenêtre et lit… Peine perdue, j’ai la main sur la poitrine, comme en déréliction… Vous êtes-vous rendu compte de la cruauté des choses ? Assurément, c’est une vanité que vous avez composée, avec les accessoires d’usage, dont la montre du compte à rebours… Vous avez renoncé depuis aux allégories, aux colifichets symboliques, à tout ce qui fonderait un sens au-delà de ce corps qui souffre…
Vous vous déprenez de tout, des courbes, des verticales, à tel point que les couleurs grincent en vos yeux aveuglés, vert olive, gris, sienne, beiges et noirs incisent les aplats blancs des draps que quiconque n’aurait plus la force de tourmenter…, croyez-vous à ce point que je me désincarne autour d’un râle sec, sans salive, sans voix ?. Vous vous posez des questions me concernant ? Se hâterait-il ? Gribouillerait-il ? Bifurquerait-il ? Hésiterait-il ? Se déciderait-il dans le même mouvement du poignet qui l’assourdit, paraissant vouloir prendre la mort de vitesse, au moins la saisir, follement, à s’en calciner, s’éloignant toujours davantage ? L’agonie surviendrait alors, comme un apaisement dont on ne sait s’il est le vôtre ou le mien… Vous croyez fuir ? Vous me retrouvez qui vit dehors, vous retrouvez alors mes lignes de mots…
Je ne gîs pas, je vis, dedans comme dehors, et gagne l’étendue d’horizontales successives, rouges, bleues, jaunes, de ce jaune doré des dernières lueurs.
Moi aussi je fais semblant… J’attends que je me répare, pour repartir… “Et le Pick-Up violet ?” hurlez-vous en voyant la fin du texte, que vous ne lisez pas, arriver quand même ? Pffffffff il roule, il est violet et va vite… Quoi vous en dire d’autre que vous ne connaissiez déjà de l’avoir trop vu dans ce texte dans l’écran de votre ordinateur… Eteignez-le avant qu’il vous éteigne, vous fasse écrire des bêtises et autres stupidités qui ne vous avancent à rien ! De toute façon, avant que vous ne compreniez, vous aurez vu les années passer, des dizaines et dizaines et au moment de dire :”Putain, le vieux avait raison, la vie ce n’est qu’une merde moisie”, et paf terminé… Alors je serais mort… Vous restera un vague souvenir… Mais lequel ?