1954 Kaiser Darrin : Jouissance médicalisée / 136.000$ Sold 10/27/22
Le principal à en dire est une exclamation : Waaaaaah !… Le gros à en écrire concerne les portes coulissantes, je le publie ci-après : Bof !… Le reste, je vous le dévoile d’entrée d’article : C’est atrocement laid, esthétiquement et intellectuellement désastreux !… Son non-design caricatural, dont l’analyse narrative explicative, ne peut qu’être supputative, assortie d’une mise en abime parsemée d’altérations, dont certaines dites “de précaution” quoique pas vraiment indispensables, comme en partitions musicales !… Compatissez chers tousses, mais prenez des précautions avant lecture de ce qui suit, car au travers de mes mots en phrases, la description clinique de cette bizarrerie peut vous causer des troubles psychologiques dégénératifs irréversibles !… Changez de sujet, il y en a 4.000 sur ce site, où alors protégez-vous efficacement contre la transmissibilité des idées toutes faites ! Cette Kaiser Darrin est en effet pire qu’un vaccin anti-Covid engendrant nausées, palpitations cardiaques, troubles érectiles, malaises, mal-être, dysfonctionnement neuronaux, et chocs septiques!
En 1942, alors que “la guerre” donne opportunément l’occasion à l’Amérique de consolider son rôle de larron en foire, le magnat de la construction, Henry J. Kaiser décide de se lancer dans le secteur automobile militaire avec l’invention de la Jeep qui lui sera détournée, le renvoyant au rôle clownesque de celui qui a des idées mais se les fait voler. Il s’associe alors à Joseph W Frazer pour fonder la Kaiser-Frazer Corporation qui devient Kaiser Motors suite au départ de Frazer en 1949. Howard “Dutch” Darrin, concepteur de génie méconnu, est débauché en 1952 de chez Packard pour rejoindre à nouveau la direction des ingénieurs au sein de Kaiser (de forts désaccords avec le dirigeant l’avaient fait quitter le groupe en 1946). Il va donc travailler deux années avec obstination pour engendrer en 1954 une des plus laides voiture “de sport” 2 places en fibre de verre de l’univers connu à l’époque.
L’attribution du nom de la voiture vient tout naturellement de son nom “Darrin” qui est le sien et celui de son père et son père avant-lui au fil de multiples générations… Croyant ainsi faire fortune, il réactive son brevet dénommé “Ouverture à glissières de portières automobiles” déjà déposé en 1946 et dont l’application du procédé est utilisé sur cette voiture. Y-a-t-il du génie à ce que les portes en plastique coulissent sur des rails situés à l’intérieur des ailes avant dont le seul but est d’être différent dans la complexité, de proposer une mauvaise solution même pas adaptative afin de créer un genre particulièrement spectaculaire même si l’espace d’ouverture se trouve considérablement réduit et totalement inadapté à des entrées/sorties avec la capote en place. Le design est erratiquement disproportionné de manière caricaturale, c’est saugrenu et particulièrement stupide à l’usage.
La place dévolue à la motorisation est restreinte due à un budget particulièrement limité. Si au départ le désir d’un V8 puissant devait être acheté à Oldsmobile, il a vite été délaissé au désavantage d’un 6 cylindres riquiqui quelque peu dommageable à l’image, repris du moteur Willys type 161ci 2L6 développant 90cv !… En fin d’année après le départ de Kaiser dégouté du résultat obtenu, Darrin avait pris l’initiative d’une version “supercharged” pour sa voiture : un V8 Cadillac de 304 chevaux installé majestueusement sous le capot. La voiture atteignait dès lors 225 km/h, bien mieux que les 156 km/h en standard. Avec un prix de 3.668 $, la Kaiser Darrin dépassait allègrement les tarifs des divisions luxueuses des Big Three. Avec le Big Block, elle s’affichait encore plus onéreusement à 4.350 $.
Malgré le manque de compétitivité dans cette niche du marché, la Kaiser Darrin aurait pu avec son style décalé atteindre des objectifs de vente intéressants. Les éléments disponibles en standard étaient en effet plus complets que certaines rivales : pneumatiques à bande blanche, tachymètre, essuie-glaces électriques. L’habitacle était correct bien conçu, la tenue de route et le freinage étaient même (curieusement) à la hauteur des attentes (très basses), la voiture, de plus, était réputée plaisante en conduite en cause des commentaires dithyrambiques de la presse payée en conséquence. C’est finalement la difficulté (matinée d’impossibilité) à entrer et sortir du véhicule, le manque de puissance, la faible agilité et son caractère “Toupie” en virages serrés sans oublier le chauffage inefficace et les fenêtres-latérales inexistantes, qui rebutaient les concessionnaires Kaiser à bien promouvoir la Darrin.
La production s’est donc arrêtée en Août 1954 avec moins de 500 véhicules sortis de la minichaîne de montage. Il en reste aujourd’hui moins de 300 toutes proposées à des montants stratosphériques ! L’appât d’un gain me paraissant facile, car pour basiquement gagner gros il suffit d’acheter pas cher et de vendre très cher… je me suis mis en quête d’un modèle “convenable”... Ce qui en résulte je l’ai nommé : Kaiser Darrin 1954 : Jouissance médicalisée !
Tout ce qui m’a touché de cette automobile sans âme, foncièrement déprimante, agaçante dans son style, c’est son intérieur rococo rouge vif “à sang” d’intensité galvanisante et ne déméritant pas aux côtés d’autres pires fumisteries pourtant plus radicales et désespérantes. Et pourtant elle m’a fait bander ! Il me restait à en jouir masochistement. Voici comment j’y suis arrivé…
Elle stationnait devant une maison du siècle dernier, de médiocre apparence, que l’avarice de son propriétaire laissait lentement tomber en ruine. Ses murs semblaient des murailles grises que la pluie avait vermiculées et qui étaient frappées çà et là de larges taches de mousse jaune, comme le tronc des vieux frênes. Les ardoises du toit n’avaient plus de couleur, le bois de la porte se dissolvait en poussière et semblait près de voler en éclats au moindre coup de marteau. De fausses fenêtres, autrefois barbouillées en noir pour simuler les carreaux et dont la peinture avait coulé du second étage jusqu’au premier, montraient que l’on avait fait, en bâtissant la maison, les efforts les moins heureux pour atteindre à la symétrie. Mon coup de poing frappant la porte d’un coup magistral, faillit l’effondrer. Un loustic effaré de surprise, a passé sa tête par un carreau cassé qui lui servait de vasistas et de guichet…
Il tenait à la fois du mufle, de la hure et du groin, son nez, d’un cramoisi violent, taillé en forme de bouchon de carafe, était tout diapré d’étincelantes bubelettes ! Ses verrues, ornées chacune de trois ou quatre poils blancs, d’une raideur et d’une longueur démesurées, pareils à ceux qui hérissent le museau des hippopotames, donnaient à son nez l’air d’un goupillon, ses deux joues, traversées de fibrilles rouges et martelées de plaques jaunes, ressemblaient à deux feuilles de vigne safranées par l’automne et grillées par la gelée. Un petit œil vairon, affreusement écarquillé, tremblotait au fond de son orbite comme une chandelle au fond d’une cave, une espèce de croc, d’un ivoire douteux, relevait le coin de sa lèvre supérieure en manière de défense de sanglier et complétait l’horreur de sa physionomie flasque et plissée comme des oreilles d’éléphant.
Une voix éraillée se fit entendre dans les profondeurs mystérieuses de cette abominable battisse. Deux ou trois portes s’ouvrirent et se refermèrent dans le lointain, une toux sèche se fit entendre et un bruit de pas alourdis s’approcha de la porte. Ce fut ensuite pendant quelques minutes, un bruit de clefs et de ferraille, de verrous tirés, de cadenas ouverts, puis la porte, légèrement entre-bâillée, donna passage au nez pointu et inquisiteur d’une beauté hors d’âge et ne marquant plus ses envies lubriques depuis longtemps.
– C’est pourquoi que vous venez nous casser les pieds ?
– La vieille et moche guimbarde qui ressemble à une antiquité sans valeur qui rouille devant votre splendide chateau est-elle à vendre ?
Sa physionomie prit soudain une expression revêche, tempérée par le respect que lui inspirait la possibilité de me prendre mes économies.
– Oui, bien sûr et certain, elle est à vendre pour un bon prix !
La beauté hors d’âge ouvrit la porte tout à fait et m’introduisit dans une antichambre servant aussi de salle à manger, tapissée d’un papier vert jaspé, ornée de gravures encadrées représentant les quatre saisons et d’un baromètre enveloppé d’une chemise de gaze pour le préserver des mouches. Un poêle de faïence blanche dont le tuyau allait s’enfoncer dans le mur opposé, une table en noyer et quelques chaises foncées de paille formaient tout l’ameublement, de petits ronds de toile cirée étaient placés devant chaque siège pour ménager la couleur rouge du carreau.
Une bande de tapisserie allait de la porte d’entrée à celle de l’autre chambre dans le but de conserver la précieuse couche d’ocre de Prusse, soigneusement cirée et passée au torchon. La seconde pièce était un salon tendu de jaune avec un divan dont les dossiers limés et râpés prouvaient de longs et loyaux services. Les bustes de Voltaire et de Rousseau en biscuit ornaient la cheminée, conjointement avec une paire de flambeaux de cuivre garnis de bougies. Un portrait à l’huile d’un aïeul en habit de grande cérémonie garnissait tout un pan de murs… Je fis semblant d’être troublé de tant de magnificence, la beauté hors d’âge me pria alors d’avoir la bonté d’attendre quelques minutes, et qu’elle allait prévenir “Monsieur”, qui était occupé par des recherches savantes.
– Si ce n’était abuser de votre complaisance et de votre savoir, je désirerai connaître le montant auquel vous vendez l’épave qui stationne au dehors.
Il était impossible de voir rien de plus triste et de plus évidemment frappé de nostalgie que le pauvre diable dénommé “Monsieur”, sans doute se berçait-il d’avance dans quelque inexprimable rêverie, toute pleine de reflets d’or, imprégnée de parfums étranges et retentissante de bruits joyeux, car il tressaillit comme un homme qu’on réveille en sursaut et me jeta d’un jet en pleine figure :
– La Kaiser Darrin est une voiture américaine inhabituelle qui est beaucoup moins célèbre qu’elle ne mérite de l’être. La Darrin a été la première voiture de sport en fibre de verre produite en série dans le monde, ce qui signifie bien sûr qu’elle était aussi la première voiture de production à corps composite.
– J’en sais tout autant, déjà, j’ai simplement besoin de connaître le montant que vous désirez en obtenir.
– Bien plus encore ! Inestimable ! Tout comme la Lamborghini Miura qui sera développée des décennies plus tard, la Kaiser Darrin a été développée complètement en secret, hors de la vue des dirigeants de l’entreprise Kaiser. Cette approche a été décidée parce que la direction de Kaiser voulait se concentrer sur la vente d’une automobile de sport abordable basée sur la berline Henry J. Designer automobile américain Howard Dutch Darrin a de suite, pensé pouvoir adapter et transformer le châssis et le groupe motopropulseur de la Henry J en une voiture de sport élégante. L’utilisation d’acier pour la nouvelle carrosserie était hors de question car il aurait fallu un équipement coûteux et l’aluminium s’avérerait tout aussi cher en raison de l’artisanat intensif des panneaux. Il a donc choisi d’utiliser de la fibre de verre.
– Du plastique !
– La fibre de verre était un matériau nouveau et avancé à l’époque qui promettait de révolutionner l’industrie automobile. Une fois qu’un moule a été créé, le tissu en fibre de verre est posé et recouvert de résine, puis laissé à sécher. Il s’agissait d’un processus simple, si simple que les travailleurs pouvaient généralement être formés en une seule journée. Darrin a utilisé le savoir de Bill Tritt, un homme qui avait été le pionnier de l’utilisation de la fibre de verre ! La réaction de Kaiser a été férocement négative, mais Darrin a rapidement expliqué que la voiture n’avait pas été développée avec les fonds de l’entreprise, ce qui a calmé le patron qui restait toujours catégorique que cette “chose” ne serait jamais mise en production !
– Jusqu’à ce que sa femme lui dise que c’était la plus belle automobile qu’elle avait jamais vue… Je connais l’histoire ! Fixez-moi votre prix de vente !
– J’y viens ! Auparavant, il avait existé quelques petites entreprises aux États-Unis offrant à la fois des voitures en fibre de verre clés en main et des carrosseries en kit en fibre de verre qui pouvaient être montés sur des châssis préexistants. La Darrin a été dévoilée en 1952 au Los Angeles Motorama, deux mois avant la première Corvette.
– Votre prix ?
– Les retards ont fait en sorte que même si les gens pouvaient commander leur voiture, aucune n’a été livrée avant 1954.
– Votre prix ?
– De plus, elle n’a été produite que pendant un an seulement, seulement 435 ont été fabriquées. C’est donc une voiture rare. Et qui dit rare dit “cher” ! Aujourd’hui, les exemples survivants de cette voiture inhabituelle sont de plus en plus populaires dans n’importe quel salon de l’auto, les gens aiment à commenter son histoire et sont subjugués par les portes qui disparaissent dans les ailes avant. L’importance historique de la voiture est reconnue !
– Dites-moi son prix !
– Ma voiture a été restaurée dans les années 1990 ! Elle est dans un état correct d’époque avec son 161ci de 91 chevaux Willys 6 cylindres, !
– L’intérieur rouge est effectivement très attirant !
– La couleur la plus “Fun” pour la Darrin était blanc et intérieur rouge, cette voiture est l’un des plus beaux exemples qui existent encore.
– Dites-moi le prix que vous en voulez !!!!!
– Si vous souhaitez en savoir plus sur cette voiture il vous faudra attendre. Je dois y réfléchir? Vraisemblablement 125.000$ Sur ce, je vous salue. Je ne vous retiens pas. Merci de votre visite !
– Votre prix est donc 125.000$ Vous pouviez l’afficher sur le pare-brise où me le dire d’emblée ! Quelle perte de temps !
Je suis sorti de cette maison aussi peu instruit sur cette voiture, que lorsque j’y étais entré, le cerveau travaillé de la plus irritante curiosité et le cœur bouleversé par un commencement de passion sincère. Par la suite, dans les jours qui s’en sont suivis, personne ne pouvait rien comprendre à la maladie qui me minait lentement, quoique jamais une plainte ne sortait de mes lèvres, et cependant je dépérissais à vue d’œil. Interrogé par les médecins que me forçaient à consulter la sollicitude de mes amis, je n’accusais aucune souffrance précise et la science ne découvrait en moi nul symptôme alarmant : ma poitrine auscultée rendait un son favorable, et à peine si une oreille appliquée sur mon cœur y surprenait quelque battement trop lent ou trop précipité. Je ne toussais pas, n’avais pas la fièvre, mais la vie se retirait de moi et fuyait par une de ces fentes invisibles dont l’homme est plein.
Quelquefois une bizarre syncope me faisait pâlir et froidir comme un marbre. Pendant une ou deux minutes on eût pu me croire mort ; puis le balancier, arrêté par un doigt mystérieux, n’étant plus retenu, reprenait son mouvement, et je me réveillais d’un songe. Un voyage en Corse ne produisit pas un meilleur résultat. Le beau soleil si vanté m’avait semblé noir comme celui de la gravure d’Albert Dürer qui orne le mur devant mon lit : la chauve-souris qui porte écrit dans son aile ce mot : melancholia, fouettait cet azur étincelant de ses membranes poussiéreuses et voletait entre la lumière et moi ! Je m’étais peu à peu attristé, le timbre des heures ennuyées parlait bas comme on fait dans une chambre de malade, les portes retombaient silencieuses et les pas des rares visiteurs s’amortissaient sur la moquette, les rires s’arrêtaient d’eux-mêmes en pénétrant dans mon antre où cependant rien ne manquait du luxe moderne.
Un article commencé, dont le papier avait jauni, semblait attendre depuis des mois que je l’achève et s’étalait comme un muet reproche au milieu du bureau. La vie était absente de mes sens, et en entrant dans mes locaux les visiteurs et visiteuses recevaient en pleine figure, une bouffée d’air froid semblant sortir d’un tombeau. Dans ma demeure où plus aucune femme n’osait aventurer ses tétons, je me trouvais plus à l’aise que partout ailleurs, ce silence, cette tristesse et cet abandon me convenaient ; le joyeux tumulte de la vie m’effarouchait, et quoique je faisais parfois des efforts pour m’y mêler, je revenais plus sombre des mascarades, des parties ou des diners où mes amantes m’entraînaient, aussi je ne luttais plus contre cette douleur mystérieuse et je me laissais aller avec l’indifférence d’un homme qui ne compte pas sur le lendemain. Je ne formais plus aucun projet, ne croyant plus à l’avenir.
Pourtant, si vous vous imaginez une figure amaigrie et creusée, un teint terreux, des membres exténués, un grand ravage extérieur, vous vous trompez, tout au plus apercevait-on quelques meurtrissures et l’étincelle de l’âme ne brillant plus dans mes yeux, ma volonté, mon espérance et le désir s’étant envolés. Comment se faisait-il qu’avec tant de raisons d’être heureux, je me consumais si misérablement ? Certes, j’étais blasé, car mes articles m’avaient gâté la cervelle d’idées malsaines, je ne croyais plus à rien ! Comme les médecins ordinaires n’entendaient rien à ma maladie étrange, car on n’a pas encore disséqué d’âme aux amphithéâtres d’anatomie, mes proches eurent recours en dernier lieu à un doctoresse singulière, revenue des Indes après un long séjour, et qui passait pour opérer des cures merveilleuses.
Pressentant une perspicacité supérieure et qu’elle fut capable de pénétrer mes SecretsInterdits, elle semblait redouter de me visiter mais elle vint quand même ! L’aspect bizarre de cette doctoresse me frappa, elle avait une figure échappée d’un conte fantastique d’Hoffmann. Je fus stupéfait de la voir. Son visage extrêmement basané était comme dévoré par un crâne énorme que la chute de ses cheveux faisait paraître plus vaste encore. Ce crâne presque nu, poli comme de l’ivoire, avait gardé des teintes blanches, tandis que son facies, exposé aux rayons du soleil, s’était revêtu, grâce aux superpositions des couches du hâle, d’un ton de vieux chêne ou de portrait enfumé. Les méplats, les cavités et les saillies des os s’y accentuaient si vigoureusement, que le peu de chair qui les recouvrait ressemblait, avec ses mille rides fripées, à une peau mouillée appliquée sur une tête de mort.
Les rares poils gris qui flânaient encore sur l’occiput, massés en trois maigres mèches dont deux se dressaient au-dessus des oreilles et dont la troisième partait de la nuque pour mourir à la naissance du front, faisaient regretter l’usage de l’antique perruque à marteaux ou de la moderne tignasse de chiendent, et couronnaient d’une façon grotesque cette physionomie de casse-noisette. Mais ce qui attirait invinciblement chez cette doctoresse, c’étaient ses yeux ; au milieu de son visage tanné par l’âge, calciné à des cieux incandescents, usé dans l’étude, où les fatigues de la science et de la vie s’écrivaient en sillages profonds, en pattes d’oie rayonnantes, en plis plus pressés que les feuillets d’un livre, étincelaient deux prunelles d’un bleu de turquoise, d’une limpidité, d’une fraîcheur et d’une jeunesse inconcevables.
Ces étoiles bleues brillaient au fond d’orbites brunes et de membranes concentriques dont les cercles fauves rappelaient vaguement les plumes disposées en auréole autour de la prunelle nyctalope des hiboux. On eût dit que, par quelque sorcellerie apprise des brahmes et des pandits, la doctoresse avait volé des yeux d’enfant et se les était ajustés dans sa face de cadavre. Ses vêtements flottaient comme s’ils eussent été accrochés à un portemanteau et dessinaient des plis perpendiculaires que les fémurs et les tibias de la doctoresse cassaient en angles aigus lorsqu’elle s’asseyait. Pour produire cette maigreur phénoménale, le dévorant soleil de l’Inde n’avait pas suffi. Sans doute s’était-elle soumise, dans quelque but d’initiation aux longs jeûnes des fakirs, mais cette déperdition de substance n’accusait aucun affaiblissement.
La doctoresse s’assit sur le siège que je lui désignais de la main à côté du divan, en faisant des coudes comme un mètre qu’on reploie et avec des mouvements qui indiquaient l’habitude invétérée de s’accroupir sur des nattes. Quoique la figure de la doctoresse fût baignée d’ombre et que le haut de son crâne arrondi comme un gigantesque œuf d’autruche, accrochât seul au passage un rayon du jour, je distinguais la scintillation des étranges prunelles bleues qui semblaient douées d’une lueur propre comme les corps phosphorescents : il en jaillissait un rayon aigu et clair que je recevais en pleine poitrine…
– Eh bien, monsieur Gatsby, dit la doctoresse après un moment de silence pendant lequel elle parut résumer les indices reconnus dans son inspection rapide… je vois déjà qu’il ne s’agit pas avec vous d’un cas de pathologie vulgaire, vous n’avez aucune de ces maladies cataloguées, à symptômes bien connus.
– Tout médecin guérit ou empire…
– Certes Monsieur Gatsby mais quand j’aurai causé quelques minutes, je ne vous demanderai pas du papier pour y tracer une anodine formule du Codex au bas de laquelle j’apposerai une signature hiéroglyphique. Mais, ne vous réjouissez pas si vite, de ce que vous n’avez ni hypertrophie du cœur, ni tubercules au poumon, ni ramollissement de la moelle épinière, ni épanchement séreux au cerveau, ni fièvre typhoïde ou nerveuse. Donnez-moi votre main…
Sans chercher du pouce cette pulsation rapide ou lente qui indique si l’horloge de la vie est détraquée chez l’homme, elle prit ma main, la palpa, la pétrit, la malaxa en quelque sorte comme pour se mettre en communication magnétique avec mon moi intérieur. Je ne pouvais m’empêcher d’afficher une érection !
– Cher Monsieur Gatsby, votre situation est plus grave que vous ne pensez et la science n’y peut rien : votre âme se détache insensiblement de votre corps, il n’y a chez vous ni hypocondrie, ni lypémanie, ni tendance mélancolique au suicide, cas rare et curieux ! Il était temps de m’appeler, car l’esprit ne tient plus à la chair que par un fil, mais nous allons y faire un bon nœud…
– Il me semble que mon corps est devenu perméable et laisse échapper mon moi comme un crible l’eau par ses trous. Je me sens fondre dans le grand tout et j’ai peine à me distinguer du milieu où je plonge. La vie dont j’accomplis, autant que possible, la pantomime habituelle, pour ne pas chagriner mes amantes, me paraît si loin de moi, qu’il y a des instants où je me crois déjà sorti de la sphère humaine : je vais et je viens par les motifs qui me déterminaient autrefois.
– Je constate à votre membre érigé que l’impulsion mécanique dure encore.
Je me mets à table aux heures ordinaires, et je parais manger et boire, quoique je ne sente aucun goût aux plats les plus épicés et aux vins les plus forts ; la lumière du soleil me semble pâle comme celle de la lune, et les bougies ont des flammes noires. J’ai froid aux plus chauds jours de l’été ; parfois il se fait en moi un grand silence comme si mon cœur ne battait plus et que les rouages intérieurs fussent arrêtés par une cause inconnue. La mort ne doit pas être différente de cet état si elle est appréciable par les défunts.
– Vous avez une impossibilité de vivre chronique, maladie toute morale et plus fréquente qu’on ne pense.
– La pensée est une force qui peut tuer !
– Oui Monsieur Gatsby, comme l’acide prussique, comme l’étincelle de la bouteille de Leyde, quoique la trace de ses ravages ne soit pas saisissable aux faibles moyens d’analyse dont la science vulgaire dispose. Quel chagrin a enfoncé son bec crochu dans votre foie ? Du haut de quelle ambition secrète êtes-vous retombé brisé et moulu ? Quel désespoir amer ruminez-vous dans l’immobilité ? Est-ce la soif du pouvoir qui vous tourmente ? Avez-vous renoncé volontairement à un but placé hors de la portée humaine ? Une femme vous a-t-elle trompé ?
– Non, je n’ai pas même eu ce bonheur.
La doctoresse avait reployé une de ses jambes sur l’autre, ce qui produisait l’effet des os en sautoir gravés sur les tombes, et elle se tenait le pied avec la main à la mode orientale. Ses yeux bleus se plongeaient dans mes yeux verts et les interrogeaient d’un regard impérieux et doux.
– Allons, Monsieur Gatsby, ouvrez-vous à moi, je suis doctoresse des âmes, vous êtes mon malade, je vous demande une confession complète et vous pourrez la faire sans vous mettre à genoux. Laissez-vous faire… Et elle glissa ses mains sous les draps à la recherche de mon intimité… En vérité, j’ai honte de faire quelque chose de si vulgaire à un homme tel que vous Monsieur Gatsby, qui avez vécu dans les pays les plus fabuleux et les plus chimériques et publié tant de magazines. Mais surtout qui avez toujours possédé des voitures si mythiques… Mais j’en avais envie !
Flop ! Flop ! Flop ! Flop ! Flop !
– N’ayez aucune crainte, laissez-vous aller à jouir, il n’y a plus que le commun qui soit extraordinaire pour moi, dit la doctoresse en souriant.
Flop ! Flop ! Flop ! Flop ! Flop !
– Eh bien, ma chère, je me meurs d’amour pour une Kaiser Darrin de 125.000$. Voilà l’histoire…
Flop ! Flop ! Flop ! Flop ! Flop !
– Vous êtes fou ! Ecrivez donc cette histoire, vous vous sentirez bien mieux ensuite !