Mustang Boss 302 1969
On m’avait promis un choc émotif, culturel et thermique en signe de bienvenue aux USA. J’ai plutôt vécu d’abord la lente et lourde vulgarité des aéroports, tous labyrinthes sans doute savants d’organisations et de sécurités, invraisemblables concentrés de laideurs et d’agitations, dédalse d’escalators, d’ascenseurs, de sas de contrôle plus ou moins bienveillants et de vitrines trompeuses du luxe bling-bling… Tout ceci pour en arriver enfin à l’avion, via un bus quand même, qui ne partira que deux heures plus tard d’avoir perdu en route deux tiers de ses passagers dans les contrôles intermédiaires. J’aime assez ces télescopages de la modernité qui en disent long sur les vanités : il m’aura déjà fallu presque deux heures pour me rendre à l’aéroport, autant ou presque que le trajet lui-même, deux heures pour passer toutes les formalités, deux heures pour attendre et deux heures encore pour attendre les autres ! La vitesse (très relative) du déplacement se payant d’ailleurs de lenteurs presque immobiles.
Quand même, ronchonner déjà, fatigue plus qu’il n’en faut ! La beauté toujours surprenante des lieux survolés et la joie de croire les reconnaître et puis soudain surplomber les terres du Far-West d’une aridité sans appel, font presque peur d’être si obstinément étrangères aux prairies grasses de mon enfance. L’expérience est d’importance, même si la ressentir à chaque voyage d’Amérique, décidément tant de rochers nus à la sauvagerie revendiquée, effrayent. Des paysages superbes, certes, peut-être, mais sans humanité. Que de tribus amérindiennes massacrées par les colons… Je m’assoupis. Trop d’attentes pour ce premier jour pour n’être pas tenté de neutraliser la fin de journée ! Le trajet d’entre aéroport et chambre d’hôtel réservée laissant entrevoir des trainées de quelconques, m’oblige à prendre mes marques et le bonheur de mon air ébahi. Journée sans photos, histoire de voir avant de saisir. Les clichés viendront avec la Mustang Boss 302 1969, je sais déjà celles que je veux prendre.
Clichés sans doute, au double sens du terme et pourtant non. C’est au fond toujours la même histoire du sujet et de l’objet, du sujet cherchant à capter l’objet, l’histoire de la connaissance, de la technique, l’histoire de la séduction si quelques beautés éphémères et vénéneuses passent comme des créations artistiques qui ne s’ébrouent qu’en surface en posture tellement léchées, superbes mais tellement étriquées qu’elles croient pouvoir en finir avec l’objet-phallus érigé en lui imposant normes, règles, méthodes et logiques d’équarisseuses lubriques. Mais tout pénis, fut-il érigé n’a finalement qu’en faire. C’est là toute la difficulté mais tout le sel aussi des aventures sexuelles, rentrer dans l’épaisseur des bas-ventres… C’est au reste par une résistance feinte qu’elles se font désirer, au mieux tournons-nous autour ! L’essentiel pour moi étant de ne pas succomber à la perfidie imaginaire d’histoires qui dessinent trop d’extériorités. Donner sa chance à l’épaisseur, mais donc au silence, est bien meilleur.
Il me souvient d’avoir autrefois fustigé la vanité de mes voyages, de mes découvertes. Et quoi ? devrais-je être troublé ? Désarçonné au moins ? Je ne le suis pas… et puis, avec une franche délectation, j’avoue me laisser guider paresseusement, contrefaisant moins l’homme d’ailleurs que le niais. Disons le faux candide. Car pour faire savant, rien de plus à craindre que l’ethnocentrisme surtout pour qui confondrait la diversité des nations européennes pour la diversité totale des compossibles, sauf à considérer, pour peu que je me revendique philosophe, qu’en matière de jugement j’aurais appris au moins autant le principe de rigueur que celui de précaution qu’autrefois Aristote nommait la prudence. Ici, on plonge dans l’action et l’on échappe alors à la fois à l’universel et au nécessaire : le terrain de la morale est miné, il l’a toujours été, dangereux évidemment. Mais quoi ! Je suis pirate de mes croisières corsaires, mais à Venice et à Hollywood, Californie, pour l’engeance curieuse de dames, sans doute retraitées.
Elles sont appareillées à rien mais arcboutées à une libido d’autant plus tyrannique qu’expirante, promptes à frétiller devant tout Adonis dont la fermeté des muscles fessiers vaudrait promesse d’extase même seulement sublimée. C’est comme une curiosité touristique. Vulgaires sont-elles ? Comment dire ? Non plutôt guiguittes ! Bavardes comme si leurs vies ne tenaient qu’au fil ininterrompu de leurs billevesées, en boucle répétées comme si l’horizon obstrué de leurs espérances interdisait que rien de nouveau puisse seulement se dire à défaut de se vivre, ces volailles empesées poussent le luxe jusqu’à joindre le geste à la parole esquissant pas de danse, enfin plutôt trace poussive que pas rustique, bourrée plutôt que danse folklorique pour cow-boys et call-girls, juste pour l’extase contrefaite. Les poules n’ont jamais brillé par leur intelligence, surtout les poules rassises, bestioles uniquement préoccupées d’elles-mêmes, disposées à contrefaire la modernité en s’échangeant, via leurs portables, quelques traces de raids antérieurs… Pfffffff !
Je ne sais pas si la vieillesse est un naufrage mais la retraitée californienne, elle, est autiste de l’âme. Elle bloque sur des segments de phrases, des parcelles dépareillées de comportements, des éclisses éparpillées de sens. Pas un disque rayé, non, le hoquet de l’être. Bien sûr, j’aurais pu remarquer autre chose : que sais-je ? La diversité des américaines, certaines drapées de magnifiques parures sulfureuses. Il m’en souvient, là, maintenant, parce que je vais en chercher les traces dans ma mémoire, sans idéaliser pour autant car ce n’est ni un état, ni une vertu, tout au mieux une tension, comme écorcher ses doigts à la sclérose des belles. Mais ne s’excentre pas qui veut et le déplacement n’en est qu’une aisée mais médiocre métaphore… Une expérience inédite ? J’ai alors entendu en mon moi profond, l’effroi d’un Pascal, déchiré entre l’immodestie de l’infiniment petit et la balourdise de l’infiniment grand ; d’un Montaigne s’offusquant de la boursouflure de qui n’est en fin de compte qu’éloïse dans le cours infini d’une nuit éternelle.
Ces deux-là, savaient, mais dans leur siècle, combien peu dans l’être s’orchestrait de nécessité, combien d’aléas, de circonvolutions, d’impasses et de ressacs en emberlificotaient l’improbable lignée. Qui croit tenir les rênes de sa destinée n’engourdit jamais ses doigts qu’autour de sa propre suffisance. Si vous y voyez l’image d’une masturbation faites de même ! On m’aura beaucoup dit comment il me fallait regarder ou aborder l’autre, m’ouvrir à la découverte de la radicale altérité comme si de n’être jamais sorti de moi-même j’eusse été impotent à vivre, regarder et juger. Ultime subside d’orgueil ? Je ne sais, tout en espérant que non. Je l’avoue néanmoins, tout en conservant l’œil le plus aiguisé qu’il m’est encore possible et l’oreille à l’affût, je répugne aux conseils, y résiste en tout cas. Non que j’eusse la prétention de tout savoir ou savoir-faire non plus que l’audace de supposer jamais en rabattre mieux ou plus que les autres… Non ! Simplement le désir d’affûter moi-même mes sens !
C’est parce que je veux croire qu’il n’est pas de meilleurs apprentissages que ceux de ses propres doigts fussent-ils déjà gourds. On appelle ceci expérience même si je n’aime pas le mot : l’existence n’est pas test que l’on oserait au jeu de l’échec et de la réussite. Il serait tout aussi faux de prétendre avoir toujours réponse à tout, que faussement humble d’arguer tout ignorer. D’entre soi et le réel, il se peut avoir rencontre et même dialogue, encore faut-il qu’aucun ne cède devant l’autre. Que l’expérience soit inédite, soit ! Pour autant je n’éprouve nulle culpabilité de n’être que ce que je suis, à mille lieux de tout. Pour autant je ne me sens droit en rien d’exciper de mon être pour en imposer au monde. Bref, la différence comme la singularité supposent une relation qui s’effondrerait sitôt que l’un ou l’autre, par modestie ou faiblesse, feindrait de se retirer ou effacer. Rien ne peut faire que je ne regarde, entende et comprenne avec mes yeux, oreilles et préjugés de vieil européen de 74 ans pétri de son histoire et de ses pensées.
Il m’est temps de passer à la Ford Mustang Boss 302 1969 que je suis venu acheter. De l’archive, elle est la réponse de Ford à la Camaro Z/28. J’en ai eu quelques unes, elles sont, d’expériences, facilement bien meilleures Mustang’s que les Mach 1 et Shelby GT350. La Mustang Boss 302 a toujours conservé sa dignité sur le parcours des manipulations de Ford. Et son vendeur est là, garé, ou plutôt posé, à l’entrée de l’hôtel, ne faisant rien, pour diluer une atmosphère Western qui se renforce à l’approche du moment de la fusillade. La Mustang n’aide pas beaucoup non plus, assise là comme un 357 Magnum armé prêt à faire sa spécialité avec rien de plus qu’un coup de pouce. Son propriétaire prend son poste de combat au volant. Je dois juger le premier tour du côté passager. Ceintures; cliquer. Bretelles; cliquer. Clé dans la fente, tourner… et le V8 Boss 302 se réveille avec une belligérance non dissimulée, première vitesse, deuxième, troisième et un gémissement sourd et angoissé des gros pneus alors que la Mustang s’enfile dans le premier virage.
Mon cou se fatigue déjà pour garder ma tête lourde en équilibre sur mes épaules. Dans le virage suivant, un rayon serré à gauche, les roues avant ripent le tarmac. Virage à gauche, virage à droite, tour après tour à des vitesses exaltantes. OK c’est convaincant. C’est mon tour. Facile en me souvenant de mon ancienne qui labourait tout droit avec ses pneus avant fumant si j’essayais de faire le zouave. Mais cette Boss 302 est d’un autre type de Mustang. Elle se conduit simplement dans les virages avec une sorte de détachement que je n’ai jamais connu auparavant. De plus en plus vite, mais mon sang-froid ne la pousse pas à glisser du cul. J’ajuste avec le volant et l’accélérateur et hop elle balance son gros cul queue avec un coup rapide, la voiture est conforme à la précision de son ombre. Très simplement, la Boss 302 est inébranlable. Les manœuvres qui sont toujours très troublantes voire suicidaires dans les Mustangs Mach One ont un air récréatif dans la Boss 302.
La voiture sous-vire, mais pas beaucoup, elle a exactement le bon équilibre pour permettre de conduire au lieu de labourer les virages. La direction réagit aux corrections, la voiture en virage est extraordinairement sensible à la puissance. Cela veut dire qu’on commande et maintient n’importe quel angle de dérive. Mieux encore, les caractéristiques de maniabilité restent les mêmes, qu’on tourne à six ou neuf dixièmes de la capacité de la voiture. Sans aucun doute, la Boss 302 est la Ford la plus maniable jamais sortie de Dearborn durant les sixties, seventies et eighties jusqu’au retour des nouvelles Mustang’s et Shelby’s. Alors que je suis sous le choc je me dois de décompresser en revenant aux début (1969) et examiner les motivations de Ford à cette époque ou avait été créé “le marché des jeunes” qui semblaient avoir un appétit insatiable pour les voitures performantes sauvagement taillées et pouvaient payer pour se faire plaisir. Ford était convaincu que son alliance avec Shelby et le triplé victorieux des Ford GT40 étaient suffisant pour rester en tête des ventes.
Mais lorsque Ford a découvert que Chevrolet avait vendu 7.000 Camaro Z/28 en 1968 et que les démographes du marketing avaient prédit que jusqu’à 20.000 pourraient être vendues en 1969, il n’y avait pas d’autre choix pour Ford que de hisser le drapeau, sonner le clairon pour charger l’ennemi. Non seulement Chevrolet vendait des voitures à des clients qui auraient pu acheter une Mustang équivalente si elle était disponible, mais Chevrolet acquérait également une réputation fantastique chaque fois que les Z/28 “à la David” dépoussiéraient les “Mustang’Goliath”. Ce n’est pas que Chevrolet ait créé une automobile particulièrement remarquable, mais la combinaison de la présence d’une mécanique attachante et de performances étincelantes dans la Z/28 en avait fait la voiture en vogue. Ford avait besoin de la Boss 302 pour une autre raison. La SCCA disait que pour qu’une pièce de trucage soit légale dans la Trans-Am, elle devait apparaître sur au moins 1.000 tramways.
Cela signifiait que les spoilers ou les améliorations aérodynamiques de toutes sortes, ainsi que les pièces de moteur de haute performance, comme les big-blocs avec culasses aluminium, devaient être au moins des éléments de production limités. Construire seulement une poignée de pièces était définitivement “verboten”. Donc, puisque Ford devait construire au moins 1.000 de ces pseudo-voitures de course s’il voulait jouer dans la Trans-Am, Ford pouvait tout aussi bien les rendre visibles et tenter d’étouffer la concurrence de la Z/28. Ce sont les raisons qui dans la guerre de prolifération des modèles de Detroit pour concurrencer et devancer la prolifération des modèles de toutes les autres marques, que Ford a poussé la Boss 302 comme étant “LA” voiture des “VRAIS” passionnés. C’est ce que les Shelby GT 350 et 500 auraient dû être mais ne l’ont pas été parce que Ford voulait direct la plus grosse part du gâteau. Les stylistes Ford ont fait un travail admirable en créant une image de performance visuelle pour les variantes Mustang’s et la Boss 302 était la reine.
C’était clairement une Mustang mais distinctement unique en même temps. La peinture noire mate appliquée sur le capot, l’arrière et autour des feux, n’était que la partie standard de l’ensemble, tout comme les bandes «C» avec l’insert Boss 302 sur les côtés de la carrosserie. Étant donné que le spoiler en forme de pelle sous le pare-chocs avant fonctionnait sur les pistes de course, il s’agissait également d’un équipement standard, de même que l’aileron racing et la persienne façon Miura, car Ford voulait s’assurer que 1000 d’entre-elles seraient vendues avant la première course. Le style n’était qu’une fraction de l’histoire des Boss 302. Le moteur, puisqu’il était la base des courses Trans-Am, n’a pas été négligé. Chaque printemps, c’était l’heure du changement annuel des culasses dans le département performance de Ford. La configuration de course tunnel-port de l’année précédente a été remplacée par un tout nouveau design avec des soupapes inclinées comme le 429ci Ford et les 396/427ci de Chevrolet.
Les soupapes d’admission, d’un diamètre de 2,23 pouces, n’étaient que 0,02 plus petites que celles d’une Chrysler 426ci Hemi. Les ports, eux aussi, étaient de taille généreuse. Les autres caractéristiques pour 1969 comprenaient de nouveaux pistons pour se conformer à la nouvelle forme de la chambre de combustion et des capuchons de roulement principaux à 4 boulons pour la résistance de l’extrémité inférieure. Un collecteur d’admission en aluminium de grande taille avec un Holley 780-bbl de 4 pieds cubes par minute complétaient l’emballage. Ford évaluait la puissance à 390cv (la Z/28 n’avait que 290cv @ 5800 tr/min), et personne ne contestait. De série avec le moteur était monté une transmission à rapports larges (2,78) et un essieu de 3,50, ce qui semblait être un compromis idéal pour l’accélération et les cruisings confortables sur autoroute. En plus du nouveau moteur, c’est la maniabilité de la Boss 302 qui rendait la voiture exceptionnelle et cela a été accompli avec relativement peu de changements.
Les plus visibles étaient les pneus F60-15 qui mettaient plus de huit pouces de caoutchouc sur la route montés sur des jantes de 15 et 7 pouces de large. Les pneus étaient si larges pour l’époque que des ailes avant et arrière avaient été subtilement modifiées. Pour dégager la suspension avant, il fallait également que les roues soient décalées plus loin vers l’extérieur de la voiture, ce qui, à son tour, nécessitait de nouvelles broches avant avec les roulements de roues plus grands. Les gros pneus devaient vraiment adhérer à la chaussée pour valoir autant de peine, c’était le cas. La nouvelle maniabilité de la Mustang a exigé une plus grande révision de la philosophie du département d’ingénierie que des pièces de suspension. Se débarrasser de l’habitude de sous-virage n’est pas plus facile que d’abandonner l’herbe ou les noix de peyotl et Ford doit encore tant d’années plus tard être félicité pour sa réhabilitation. Une chose était en sa faveur dès le début, c’est la répartition du poids – 55,7% sur les roues avant de la Boss 302 contre 59,3% pour la 428 Mach I.
Mais ce n’était pas tout. Les ressorts avant et la barre anti-balancement étaient plus souples sur la Boss tandis que les ressorts à lames arrière étaient plus rigides, ce qui tendait à réduire le sous-virage. Que l’on commandait une direction manuelle ou assistée, le rapport de démultiplication était le même, à 16 pour un. Malheureusement, dans ce monde encombré d’alors vous ne pouviez pas vous battre tout en gardant une bonne prise sur votre permis de conduire. La Boss 302 a un tempérament complètement différent de la Z/28. LA Boss tourne au ralenti en douceur et silencieusement avec presque aucun bruit mécanique jusqu’à ce que les secondaires du Holley s’ouvrent. Rugir avec la Boss 302 a fait de moi un fanatique convaincu que la Boss 302 est la meilleure Mustang des sixties et seventies et cela inclut toutes les Shelby et Mach One. Eh quoi ? Qui est-il d’ailleurs celui qui s’aventure à m’indiquer le chemin et la manière de poser mes pieds sur le sentier ?
Qu’il soit grand ou petit, sage ou follement vaniteux, qu’il m’eût précédé en tout ou se fût seulement attardé sur des sentiers de traverse, que m’importe au fond ? Je suis rétif à entendre les voix qui s’entreprennent de s’interposer. J’aime les histoires, j’écoute avec passion les témoignages et éprouve un indicible respect pour les corps burinés par l’effort, les mains calleuses d’avoir trop œuvrés et les visages déchirés de rides, j’y devine le combat d’avec le temps et la résistance. Mais j’y vois des témoignages au sens où le grec dit martyr qui porte sur son corps les signes de son chemin. Je suis en vie depuis longtemps pour savoir qu’il n’est rien qui se transmette qui se réduirait à une technique. Je peux aussi toujours expliquer tel texte, tel poème, la métaphore sophistiquée, ou l’allusion tellement voilée qu’elle illumine toute la strophe, pour autant de ce savoir ne découle aucun savoir-non-faire. Non décidément, point de vanité ; bien au contraire !
En sais-je pour autant écrire des lignes qui vaillent ; parviens-je pour autant à cerner cette vérité dont j’aurai fait métier ? Non évidemment ; la certitude tout au plus que des tréfonds de l’âme seulement peut éclore ce qui meut et qui émeut. J’attends non des sentences, encore moins des leçons, surtout pas des morales… mais des histoires, des parcours, des chemins, surtout s’ils se perdent ou n’aboutissent qu’à des clairières désertées. Qu’il en faut, je le devine aujourd’hui, de longues heures de philosophies, d’amoncellement de pages raturées pour sentir enfin que rien ne se prouve qui ne s’éprouve préalablement ; qu’il n’est pas de plus belles idées que celles qui se racontent ; d’idées plus généreuses que le récit que l’autre vous en esquisse. Je ne veux pas venir au réel en suivant quelque recette d’un manuel de savoir vivre, visiter, découvrir. Ecoutez bien : l’éducation bourgeoise aura bien été capable d’inventer – et de les consigner – des règles de savoir-vivre ; elle ne sut jamais concevoir ou même imaginer de manuel du bon savoir exister !
Je ne sais si c’est désormais de silence dont le monde a besoin ; mais de leçons sûrement non. Apprend-on le premier regard de sa mère ? Apprend-on à sourire ? A aimer ? Apprend-on sa propre humanité ? Que faisons-nous au reste, aux efforts ahanés, sinon l’inventer constamment, pour nous, pour l’autre. Je sais l’humain fragile, terrible à ses heures et détestable parfois. Mais quoi peut-on s’en écarter sans risquer le monstre, l’horreur plus ample encore, sans renoncer à l’espoir ? J’ai honte de voir les hommes, enivrés de sottes humeurs, s’effarouchant des formes contraires aux leurs. La plupart ne prenant l’aller que pour le venir. Ils voyagent couverts et resserrés, d’une prudence taciturne et incommunicable, se défendant de la contagion d’un air inconnu jusqu’à porter des masques… Aller à la rencontre de l’autre, dialoguer, s’ouvrir est d’abord affaire intime , d’artifices assurément non quand bien même fussent-ils habiles et acérés. Montaigne le savait : c’est d’abord de complexion de l’âme dont il s’agit…
Une disposition où l’on se met, d’une position que l’on adopte pour accueillir ce qui de l’être éclot. J’ai appris ceci au moins de la philosophie que rien, jamais, ne nous assure jamais de la réalité de nos perceptions, que nous ne sortons jamais de nous-mêmes, ni de nos sens, ni de notre intellection, encore moins de l’espace étroit de notre langage – de ne jamais le pouvoir tant nous sommes prisonniers en forteresse infranchissable. Qui me garantira que regardant, je ne fasse pas ployer le réel à mes propres normes, formes ne serait ce que pour le percevoir. Or, dans percevoir, comme dans expérience, je déniche ce per qui dit le sas, le filtre – la crise. Je ne sais qui de moi ou de l’autre, qui de moi ou du réel, filtre ainsi l’autre ; je sais seulement qu’il n’est de regard qu’à distance ; qu’il n’est d’altérité que par écart à soi ; qu’il n’est de relation que par cette transition ou ce filtre ; par cette transaction qui nous fait mimer le décentrement. Kant avait vu les catégories c’est-à-dire le jugement ; le procès. Il avait oublié l’essentiel, l’imagination et le rêve, le silence et la mémoire du silence.
2 commentaires
Maître,
Spermettez-moi de vous adresser mes sincères compliments pour votre remarquable article. Les photographies qui l’accompagnent sont certes d’une beauté indéniable, mais surtout votre réflexion ne se limite pas aux considérations superficielles, allant bien au-delà de la simple taille des soupapes. C’est précisément cette profondeur et cette qualité que je recherche en lisant vos articles, et je suis rarement déçu…
Une certaine stupéfaction pré-traumatique est la cause réelle de la vision que vous en avez eu. J’avais pressenti que mon lectorat pouvait capter le sens et l’essence du fond de l’histoire en relation avec les pompes qui ont un double sens et une double fonction dont celle de conserver un sens de lecture géométrique nécessaire aux variables de compréhension subjective de chacun. Je crois que comme vous avez pu m’en écrire, que vous avez pu surmonter le sens caché de l’ensemble. Vos commentaires bienvenus guideront sans nul doute d’autres Âmes perdue vers le droit chemin.
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