Sexy Bronco /231.000$
Il est 8h30 du matin et moi, les yeux flous, je tâtonne sur la plage avec ce qui pourrait être le porte-clés le plus cher du monde pour orner les pochettes de mon jean Banana Republic bien usé et me balader en Bronco Icon avec la sulfureuse et sexy Bianca… En grimpant dans le 4×4 je me sens comme un barouder débutant sur le point d’embarquer une sadique en combinaison de latex rouge pour un sex-cross-country en duo. En essayant de me souvenir de la séquence d’allumage correcte que je dois parfaitement exécuter, je m’égare sexuellement une poignée de fois sur ses seins avant d’entreprendre cette mission, mais ensuite un récital de “Bronco-Mantra” fait l’affaire via des instructions préenregistrées : “Ouvrez la boîte à gants, insérez la clé secondaire, quart de tour dans le sens des aiguilles d’une montre, bascule d’allumage, embrayage, appuyez sur le bouton de démarrage !”... Ah, ça devient plus facile à chaque fois!
Le V8 tout en aluminium gronde à la vie Disposant de tous mes essentiels quotidiens de baroud (eau, lunettes de soleil, ChapStick, lubrifiants, préservatifs), je suis soulagé de ne pas avoir besoin de grand-chose d’autre que de l’essence en suffisance et Bianca pour la journée, et nous partons vers l’infini… Vous avez peut-être entendu parler du Bronco et d’Icon (encore plus maintenant que la société s’est refait une santé financière en œuvrant sur les 4X4 Bronco) ou peut-être même repéré l’un des quelques articles publiés ici, sur GatsbyOnline concernant les Bronco Icon, car ils ont été légalisés pour diffusion aux États-Unis depuis quelques années. Cependant, ce que vous ne savez peut-être pas, c’est que le Bronco est en fait une résurrection pour laquelle le slogan de la marque Spyker disparue corps et biens, s’applique encore mieux ; “Nulla tenaci invia est via” (Traduction : “Pour les tenaces, aucune route n’est impraticable”)…
En m’ installant dans le siège, aux cotés de la belle sexy en latex rouge qui est à considérer comme étant la pièce maîtresse magnifiquement alanguie de l’habitacle, j’appuie sur un bouton discret qui déclenche un solénoïde qui libère la sécurité du verrouillage inversé, un détail qui déconcerterait même les plus férus des voituriers. La boîte de vitesses est précise, ses tolérances étroitement usinées atteignant la sensation d’engagement positif sans être entaillées. Le petit volant, bien qu’il ne soit pas aussi orné que celui d’autres voitures, est ergonomiquement optimal. La seule plainte étant qu’elle cache les témoins de clignotants, ce qui pourrait entraîner des incidents occasionnels dûs au fameux “clignotant gériatrique” qui apparait en cas de masturbations réciproques dans la circulation. Et bien que l’absence d’airbags ne nous ait pas dérangés, j’étais rassuré que Bianca avait de quoi amortir divers chocs.
À cheval sur la fine ligne entre luxure et gaieté sexuelle débridée, j’ai toutefois noté que le tableau de bord était intelligemment minimisé en un seul mais complexe compteur qui s’illumine façon boite de partouze dès que la nuit s’installe. Ce rétro-éclairage dans un bleu kryptonite en sus des rangées d’interrupteurs à bascule imitant le tableau de bord d’un avion, est un ajout psychologique aux fonctions de base réservées au plaisir. En appuyant sur un interrupteur et un mode sport est activé, modifiant la sensibilité de l’accélérateur tout en ouvrant simultanément un ensemble de découpes d’échappement, raccourcissant la longueur du tuyau pour un grognement vraiment menaçant (non recommandé lors du passage d’une patrouille de police)… De son coté, l’architecture du groupe de pédales est le chef-d’œuvre d’un machiniste, semblant avoir été transplantée directement à partir d’un engin spatial !
C’est qu’elle ne nécessite pas de chaussures de conduite exceptionnellement étroites… Les freins non boostés (chacun refroidi par sa propre branchie ou conduit) nécessitent par contre de “l’habituation” et bénéficient d’un peu de chaleur dans les garnitures, mais fonctionnent comme une combinaison d’ancrage et de chute de traînée pour arrêter le Bronco Icon sur commande. Tout conducteur averti et émérite remarquera certaines caractéristiques frappantes comme la direction assistée électroniquement, qui, quoique rapide, nécessite progressivement plus d’efforts au fur et à mesure que vous la lancez, en raison de la quantité de roulettes qui a été composée dans la géométrie du train avant. Des doubles bras en A indépendants, des amortisseurs intelligents et un châssis communicatif conduisent au nirvana sur toutes les routes, mais ont tendance à s’ébouriffer lorsque vous rencontrez l’imprévisible.
L’équilibre et la maniabilité sont aussi neutres que dans un 4X4 de série, avec un survirage facilement invoqué avec un levage ou un plongeon dans l’accélérateur. Ce bonheur arrière fait du Bronco Icon un engin qui procure des frissons de bonheur à conduire, surtout si ce sentiment est aussi aidé par une une poignée en va et vient incessants à l’approche des limites sans filet de sécurité de de contrôle. Mis à part ces éléments, la perle de cette huître est le robuste V8 donné pour un puissant 840cv de haine envers toutes les autres automobiles. C’est un excellent test pour le châssis qui s’amuse de tout 0 à 60 mph en seulement 4,4 secondes ! Bien que mon temps avec ce Bronco ait été abrégé par un besoin de repos, je pense que la résurrection d’Icon en tant que transformateur d’automobiles renommées fera grands bruits, aidé par la société EV-Clinic.
Connaissez-vous la société EV-Clinic ? Non ? Vous risquez d’entendre parler d’eux ! Cette entreprise basée à Zagreb existe depuis 2009 et s’est depuis quelques mois fait une spécialité : dénoncer l’obsolescence programmée de véhicules électrifiés de tous genres (Mild ou full-hybrid, PHEV ou full electric). Les Croates vont faire trembler l’industrie automobile mondiale… Vous risquez d’entendre parler d’eux ! Chez EV-Clinic, quasiment tous les véhicules électrifiés de manière partielle ou complète sont passés sur pont, et certains modèles n’ont plus beaucoup de secrets pour eux. C’est ainsi qu’ils démontrent que les constructeurs créent de toutes pièces des pannes par simple principe de précaution si on voit le verre à moitié plein… ou dans le but de discréditer la fiabilité de ces véhicules et nuire à leur réputation de fiabilité, si on voit le verre à moitié vide.
Quel intérêt ? Gagner des sous sur le service après-vente bien sûr, rendant assez souvent hors de prix les prestations de remise en état. Ils tombent en revanche d’accord sur le fait que ce genre de panne est globalement programmée à l’avance au niveau des “firmwares” des véhicules, pas vraiment sur le matériel. D’où la suspicion de vouloir de la part des industriels que leurs véhicules passent plus souvent qu’actuellement par la case “garage”. Aucun véhicule n’est vraiment épargné (tout comme n’importe quel véhicule thermique a ses défauts). Mais certaines pannes sont plus embarrassantes que d’autres pour la réputation de cachotiers des constructeurs. On peut par exemple citer une panne un peu étrange arrivée en fin d’année sur les Renault Zoé avec un message sur le tableau de bord demandant de ne pas recharger le véhicule. Deux raisons invoquées, toutes deux liées au principe de location des batteries.
Soit le paiement de la location des batteries n’est pas à jour (ce qui est rarement le cas a priori), soit c’est ne faille au niveau du logiciel de la voiture, apparemment seulement connue de Renault, permettant de pirater ces pratiques de paiement. Ils ne sont également pas tendres avec Nissan au sujet de la Leaf 2, dont la batterie ne peut tout simplement pas être réparée, à des kilométrages parfois assez précoces : “Seule leur batterie n’est pas réparable, cette dernière s’effondre à 100.000 km et coute plus cher à elle seule que l’ensemble de la voiture”… Cela permet de jouer sur la crédulité des clients, et d’échanger d’autres pièces non incriminées comme le chargeur, ou d’imposer des diagnostics inutiles.. Autre boulet rouge, le Van électrique Mercedes EQV, utilisant le même bloc batterie que les modèles utilitaires du groupe Stellantis ayant le même gabarit que la base de Vito.
Sur ce modèle, le problème serait à la fois mécanique et électronique. Par exemple, en cas de choc léger (ne sollicitant pas le déploiement des airbags), la batterie peut limiter sa puissance et le groupe de traction du véhicule se stoppe pour imposer le changement de batterie. Somme demandée par Mercedes pour cette prestation : 75.000 Euros. Ouille ! Et impossible de faire disparaitre l’anomalie, les ingénieurs Mercedes ont créé un code que même eux ne peuvent pas supprimer avec les outils développeurs. A noter que d’autres modèles de la gamme hybride électrique de Mercedes sont touchés par cette “avarie programmée” immobilisante et couteuse à régler. Bien évidemment, les constructeurs américain ne sont pas épargnés. Les soucis arrivent à des échéances plus raisonnables, mais à quelques exceptions près les pannes sont réparables jusqu’à 20 fois moins cher que pour les mêmes avaries !
Je signale par exemple que les groupes motopropulseurs d’une Tesla Model S ne peuvent être sollicités que jusqu’à 250.000 à 300.000 km. Au-delà, un nettoyage des pièces et roulements, ainsi qu’un changement d’huile de la transmission est obligatoire. Au vu de la manière dont sont traitées ses autos et des performances qu’elles sont capables de délivrer, ce délai parait relativement raisonnable. Trois signes avant-coureurs des soucis énoncés plus haut : Bruits au roulage, vibrations et échauffement des huiles. Les plus grands triomphes, en matière d’escroqueries et de propagandes, ont été accomplis, non pas en faisant quelque chose, mais en s’abstenant de faire. Grande est la vérité, mais plus grand encore, du point de vue pratique, est le silence au sujet de la vérité. Cela est réalisé en s’abstenant simplement de faire mention de certains sujets, en abaissant ce que Churchill appelait un “rideau de fer” entre les masses !
Créer de tels faits que les chefs politiques considèrent officiellement comme indésirables mais qu’en tant que propagandistes totalitaires ils leurs rapportent énormément de “dessous de table” influencent l’opinion publique d’une façon beaucoup plus efficace qu’ils ne l’auraient pu au moyen des dénonciations plus éloquentes, des réfutations logiques plus probantes. Mais le silence ne suffit pas. Pour que soient évités la persécution, la liquidation et les autres symptômes de frottement social, il faut que les côtés positifs de la propagande soient rendus aussi efficaces que le négatif. Les plus importants des projets de l’avenir sont de vastes enquêtes instituées par les gouvernements, sur ce que les hommes politiques et les hommes de science qui y participent appellent “le problème du bonheur”, en d’autres termes, le problème consistant à faire aimer aux gens leur servitude.
Sans la sécurité économique, l’amour de la servitude n’a aucune possibilité de naître, la sécurité ayant tendance à être très rapidement prise comme allant de soi. Sa réalisation est simplement une révolution superficielle, extérieure… L’amour de la servitude ne peut être établi, sinon comme le résultat d’une révolution profonde, personnelle, dans les esprits et les corps humains. Pour effectuer cette révolution, il faut, entre autres, des découvertes et les inventions. D’abord une technique fortement améliorée et la suggestion, au moyen du conditionnement dans l’enfance, et plus tard, à l’aide de drogues déguisées en vaccins. Ensuite, une science complètement développée des différences humaines, doit permettre aux gestionnaires gouvernementaux d’assigner à tout individu donné sa place dans la hiérarchie sociale et économique.
Les chevilles rondes dans des trous carrés ont tendance à avoir des idées dangereuses sur le système social et à contaminer les autres de leur mécontentement. ! Et puisque la réalité, quelque utopique qu’elle soit, est une chose dont on sent le besoin de s’évader assez fréquemment, il faut introduire un succédané de l’alcool et autres narcotiques, quelque chose qui soit à la fois nocif et plus dispensateur de plaisir que l’alcool et l’l’héroïne. Pour arriver au but, mais c’est là un projet à longue échéance, qui exige, pour être mené à une conclusion satisfaisante, des générations de mainmise totalitaire, il faut un système eugénique à toute épreuve, conçu de façon à standardiser le produit humain et à faciliter ainsi la tâche des gestionnaires. Dans “Le Meilleur des mondes” cette standardisation des produits humains a été poussée à des extrêmes fantastiques, bien que peut-être non impossibles.
Techniquement et idéologiquement, les bébés en flacon existent en 2023 tout comme les groupes de semi-imbéciles gangrénés de jeux télévisés et de football. Mais quand et qui sait ce qui pourra se produire avec une guerre atomique ? D’ici là, les autres caractéristiques de ce monde plus heureux et plus stable, les équivalents du soma, de l’hypnopédie et du système scientifique des castes, ne sont probablement pas éloignées de plus d’une génération. Et la promiscuité sexuelle du livre “Le Meilleur des mondes” ne semble pas, non plus, devoir être fort éloignée. Le nombre des divorces est égal au nombre des mariages Quasi partout dans le monde. Dans quelques années, sans doute, on vendra des permis de mariage comme on vend des permis d’adoption de chiens, valables pour une période de douze mois, sans aucun règlement interdisant de changer de chien ou d’avoir plus d’un animal à la fois.
À mesure que diminue la liberté économique et politique, la liberté sexuelle a tendance à s’accroître en compensation. Et les divers dictateurs (à moins qu’ils n’aient besoin de chair à canon et de familles pour coloniser les territoires vides ou conquis) feront bien d’encourager cette liberté-là. Conjointement avec la liberté de se livrer aux songes en plein jour sous l’influence des drogues, de la TV, du cinéma et de la radio, elle contribuera à réconcilier ses sujets avec la servitude qui sera leur sort. C’est déjà le cas avec LC et BFMTV championnes toutes catégories des Fake-News en ragôts d’égouts… À tout bien considérer, il semble que l’Utopie soit beaucoup plus proche de nous que quiconque ne l’eût pu imaginer. Aujourd’hui, cette horreur s’est abattue sur nous. En vérité, nous n’avons le choix qu’entre deux solutions : Ou bien participer à un certain nombre de totalitarismes nationaux, militarisés, ayant comme racine la terreur !
La terreur de la bombe atomique est imparable car ayant comme conséquence la destruction de la civilisation, ou, si la guerre est limitée, l’accentualisation du militarisme ; ou alors un seul totalitarisme supranational (comme l’Europe qu’on nous a imposée), suscité par le chaos social résultant des progrès technologiques rapides et de la révolution atomique, et se développant, sous le besoin du rendement et de la stabilité, pour prendre la forme de la tyrannie-providence de l’Utopie. On paie son argent et l’on fait son choix. Nos sociétés sont contrôlées presque exclusivement par les sanctions unilatérales, les punitions et la peur des sanctions et des punitions. Le contrôle presque parfait exercé par les gouvernements est obtenu par le renforcement systématique des comportements souhaitables, par de nombreux types de manipulations à la fois physiques et psychologiques.
Egalement par une standardisation génétique via des fausses pandémies organisées. Chaque fois que la vie économique d’une nation devient précaire, le gouvernement central est obligé d’assumer des responsabilités supplémentaires pour le bien-être général. Il doit élaborer des plans pour faire face à diverses situations critiques ; il doit imposer des restrictions toujours plus grandes aux activités des sujets et pour cela la création d’aggravations des conditions économiques qui entraînent des troubles politiques voire une rébellion ouverte, permettant aux gouvernements eux-mêmes aux ordres, d’intervenir massivement pour “préserver l’ordre public” en réalité leur propre autorité. De plus en plus de pouvoir est ainsi concentré entre les mains des dirigeants et de leurs cadres bureaucratiques.
Mais la nature du pouvoir est telle que même ceux qui ne l’ont pas cherché, mais à qui on l’a imposé, ont tendance à en apprécier le goût car lorsque les êtres humains sont tentés de manière trop séduisante ou trop longue, ils cèdent généralement. Comment cette évolution affectera-t-elle les pays européens surpeuplés ? Comme la mise au banc d’infamie de la Russie ne reste pas sans réaction des Russes qui se sentant trompés et humiliés par les Occidentaux, rassemblent avec eux toutes les nations qui vivent les mêmes abominations, le flux normal des matières premières en provenance des pays sous-développés est délibérément interrompu, les nations occidentales se retrouvant en effet dans une très mauvaise passe. Nous le constatons, le système industriel s’effondre et la technologie hautement développée, ne nous protègera plus !
Pourtant, jusqu’à présent si elle nous a permis de maintenir une population beaucoup plus importante que celle qui pourrait être soutenue par des ressources disponibles localement, elle ne nous protégera plus contre les conséquences d’avoir trop de personnes dans un territoire trop petit alors que les nations que nous dominions, s’étant libérées de l’esclavagisme imposé ainsi que du mépris dont nous les déconsidérions, se vengent en se regroupant avec la Russie, la Chine, l’Inde, la Corée du nord, l’Afrique du sud, l’Amérique du sud et les pays du Moyen-Orient, Iran inclus, en s’armant d’armes atomiques tr!s dissuasives et en nous coupant définitivement tout approvisionnement ! Les énormes pouvoirs imposés par ses conditions défavorables vont être utilisés par l’Union Européenne militairement encadrée par L’Otan-Américanisé pour nous enfermer dans une dictature totalitaire Moyen-Âgeuse !
Je conseille bien sûr de lire entièrement l’ouvrage “La Prosopopée” de Serge Carfantan, inspiré de Günter Anders, pour que vous vous rendiez compte de notre non-avenir. Mais en voici quelques extraits qui permettent de mieux comprendre les propos dont “L’obsolescence de l’homme”, dont “La Prosopopée” de Serge Carfantan a voulu se faire écho. Certes c’est plus complexe qu’un magazine de Football ou de tricoteries… mais cela s’adresse en priorité aux consommateurs intelligents où en passe de le devenir, celles et ceux auxquels il est déjà arrivé de se demander pendant ou après une émission : “Qu’est-ce que je fais là à regarder et vivre toutes ces conneries ? Qu’est-on en train de me faire ? Comment sortir de ce merdier ? Pourquoi en suis-je arrivé à en être aussi débile, aussi crédule, aussi imbécile ? Que n’ai-je lu plus tôt les chroniques de Patrice De Bruyne dans www.GatsbyOnline.com ? “…
La consommation de masse, aujourd’hui est une activité solitaire, quasi de la masturbation cérébrale. Chacun se masturbe les neurones à domicile, c’est non rémunéré et contribue à la production de l’homme de masse. Avant que l’on ait installé ces robinets d’inculture que sont la radio et la télévision de masse dans tous leurs foyers, les gens se précipitaient au cinéma pour y consommer collectivement, c’est-à-dire en tant que masse, les marchandises stéréotypées produites en masse à leur intention. On serait tenté de voir dans cette situation une certaine unité de style, d’y voir la convergence de la production de masse et de la consommation de masse ! Ce serait faux. Rien ne contredit plus violemment les desseins de la production de masse qu’une situation de consommation dans laquelle d’innombrables consommateurs, jouissent simultanément d’un seul et même exemplaire d’une marchandise.
Il est indifférent aux intérêts de ceux qui produisent en masse de savoir si cette consommation commune constitue un véritable vécu social ou bien une simple somme de vécus individuels. Ce qui les intéresse, ce n’est pas la masse agglomérée en tant que telle, mais la masse fractionnée en un nombre maximal d’acheteurs ; ce n’est pas qu’ils puissent tous consommer la même chose, mais que chacun achète la même chose pour satisfaire un même besoin (à la production duquel il faut également pourvoir). Cet idéal est déjà atteint dans de nombreuses industries. Il semblait douteux qu’il puisse jamais être atteint de façon optimale par l’industrie cinématographique parce que celle-ci, perpétuant la tradition théâtrale, servait encore ses marchandises comme un spectacle destiné à de nombreuses personnes en même temps ce qui constituait indubitablement un archaïsme.
Il n’est pas étonnant que les industries de la radio et de la télévision aient pu entrer en concurrence avec le film malgré la gigantesque expansion que celui-ci avait connue : ces deux industries avaient précisément l’avantage de pouvoir écouler comme marchandise, en plus de la marchandise à consommer elle-même, les instruments qu’exige sa consommation, et cela chez presque tout le monde. La pandémie a aidé à minimiser la fréquentation en salles de cinéma en augmentant le cinéma à domicile comme et par la TV… Netflix a ainsi emporté un marché gigantesque. Il n’est pas étonnant non plus que presque tout le monde ait marché : ils n’avaient plus à aller consommer la marchandise au cinéma, c’était la marchandise qui venait à eux, livrée à domicile par la télévision. La consommation, par une masse, de marchandises de masse a été redirigée sans que cela entraîne la moindre baisse de la production de masse.
Au contraire, la production de masse destinée à l’homme de masse et celle de l’homme de masse lui-même avaient plutôt accéléré leur cadence quotidienne. On sert la même nourriture sonore et visuelle : chacun est traité en masse, en article indéfini, par cette nourriture produite en masse ; elle confirme chacun dans son absence de qualité. Mais du même coup, et à cause précisément de la production en masse, la consommation collective est devenue superflue. Voilà pourquoi désormais les produits de masse sont consommé seuls d’autant plus abondamment d’ailleurs que plus isolés. Le type de l’ermite de masse est né. Maintenant, nous sommes assis à des millions d’exemplaires, séparés mais pourtant identiques, enfermés dans nos cages tels des ermites, non pas pour fuir le monde, mais plutôt pour ne jamais, jamais manquer la moindre bribe du monde en effigie.
Chacun sait que l’industrie a renoncé, le plus souvent pour des raisons stratégiques, au principe de la centralisation, encore incontesté il y a une génération, pour adopter celui de la dissémination de la production. On sait moins en revanche qu’aujourd’hui ce principe de la dissémination vaut aussi désormais pour la production des hommes de masse. Mais ce qui justifie ce passage de la consommation à la production, c’est qu’elles coïncident l’une avec l’autre de la façon la plus singulière ; c’est que (dans un sens non matérialiste) l’homme est ce qu’il mange, et que par conséquent l’on produit les hommes de masse en leur faisant consommer des marchandises de masse, ce qui signifie en même temps que le consommateur de marchandises de masse collabore, en consommant, à la production des hommes de masse à sa propre transformation en homme de masse. Ici consommation et production coïncident donc.
Si la consommation se dissémine, il en va de même pour la production des hommes de masse. Et cela partout où la consommation a lieu : devant chaque poste de radio, devant chaque récepteur de télévision. Tout le monde est d’une certaine manière occupé et employé comme travailleur à domicile. Un travailleur à domicile d’un genre pourtant très particulier. Car c’est en consommant la marchandise de masse, c’est-à-dire grâce à ses loisirs qu’il accomplit sa tâche, qui consiste à se transformer lui-même en homme de masse. Alors que le travailleur à domicile classique fabriquait des produits pour s’assurer un minimum de biens de consommation et de loisirs, celui d’aujourd’hui consomme au cours de ses loisirs un maximum de produits pour, ce faisant, collaborer à la production des hommes de masse.
Le processus tourne même résolument au paradoxe puisque le travailleur à domicile, au lieu d’être rémunéré pour sa collaboration, doit au contraire lui-même la payer, c’est-à-dire payer les moyens de production dont l’usage fait de lui un homme de masse (l’appareil et, le cas échéant, dans de nombreux pays, les émissions elles-mêmes). Il paie donc pour se vendre. Sa propre servitude, celle-là même qu’il contribue à produire, il doit l’acquérir en l’achetant puisqu’elle est, elle aussi, devenue une marchandise. Même si l’on rejette cette idée insolite, même si l’on refuse de voir dans le consommateur de marchandises de masse un collaborateur de la production de l’homme de masse, on ne pourra pourtant pas nier que, pour fabriquer le type d’homme de masse que l’époque réclame, on n’a plus besoin de réunir effectivement les hommes sous la forme d’un rassemblement de masse.
Les considérations sur la transformation de l’homme par les situations de masse sont aujourd’hui caduques, puisque l’effacement de la personnalité et l’abaissement de l’intelligence sont déjà accomplis avant même que l’homme ne sorte de chez lui. Diriger les masses dans le style de Hitler est désormais inutile : si l’on veut dépersonnaliser l’homme (et même faire en sorte qu’il soit fier de n’avoir plus de personnalité), on n’a plus besoin de le noyer dans les flots de la masse ni de le sceller dans le béton de la masse. L’effacement, l’abaissement de l’homme en tant qu’homme réussissent d’autant mieux qu’ils continuent à garantir en apparence la liberté de la personne et les droits de l’individu. Chacun subit séparément le procédé du conditioning, qui fonctionne tout aussi bien dans les cages où sont désormais confinés les individus, malgré leur solitude, malgré leurs millions de solitudes.
Puisque ce traitement se fait passer pour “fun” ; puisqu’il dissimule à sa victime le sacrifice qu’il exige d’elle ; puisqu’il lui laisse l’illusion d’une vie privée ou tout au moins d’un espace privé, il agit avec une totale discrétion. Il semble que le vieux proverbe allemand “Un chez-soi vaut de l’or” soit à nouveau vrai ; mais dans un tout nouveau sens. Si un chez-soi vaut aujourd’hui de l’or, ce n’est pas du point de vue du propriétaire qui y mange sa soupe conditionnée, mais du point de vue des propriétaires du propriétaire de ce chez-soi, ces cuisiniers et ces fournisseurs qui lui font croire que sa soupe est faite maison. La radio et l’écran de télévision deviennent la négation de la table familiale ; la famille devient un public en miniature, alors qu’avant, la table rendait la famille centripète, invitait ceux qui étaient assis autour d’elle à faire circuler la navette des préoccupations, des regards et des conversations !
C’était pour continuer ainsi à tramer le tissu familial, alors que l’écran, lui, oriente la famille d’une manière centrifuge. Maintenant, les membres de la famille ne sont plus assis les uns en face des autres, ils sont seulement juxtaposés face à l’écran. C’est seulement par mégarde qu’ils peuvent encore se voir, se regarder ; c’est seulement par hasard qu’ils peuvent encore se parler (à condition qu’ils le veuillent ou le puissent encore). Ils ne sont plus ensemble mais côte à côte ou, plus exactement, juxtaposés les uns aux autres. Ils sont de simples spectateurs. Il ne reste plus aux membres de la famille qu’une chose à vivre véritablement ensemble, et non pas seulement simultanément ou juxtaposés dans l’espace : c’est l’attente du moment où ils auront terminé de payer l’appareil (et le travail qu’ils fournissent pour y parvenir). Une fois l’appareil payé, c’en sera alors fini une bonne fois pour toutes de leur communauté.
L’objectif inconscient de leur ultime projet commun est ainsi l’extinction de leur communauté. La solution du système est d’en tirer profit en leur faisant acheter un nouveau même appareil… En nous retirant la parole, les instruments nous privent aussi du langage. Ils nous privent de notre capacité d’expression, de toutes les occasions de parler et de notre désir même de le faire ! De plus, plus personne n’écrit voire ne sait écrire, ils ne lisent d’ailleurs plus que les légendes photos et les sous-titres, parfois les stupidités “Hashtaguées” des réseaux asociaux ! La plupart des gens écoutent la radio même en faisant l’amour : tout le monde le sait et fait comme si cela allait de soi ; En fait, la radio qu’on laisse allumée ou qu’on allume exprès en toute situation (comme la lampe de chevet) joue le rôle de ce chaperon tenant la chandelle auquel les anciens avaient recours pour surveiller les rendez-vous des amoureux.
La seule différence tient au fait que le chaperon d’aujourd’hui est un service public mécanisé ; qu’avec sa chandelle, il doit non seulement éclairer les amoureux, mais aussi éveiller leur ardeur ; et qu’il ne doit surtout jamais se taire mais, au contraire, bavarder sans cesse, de façon à constituer un bruit de fond couvrant cette “horreur du vide” qui, même dans l’accomplissement de l’acte sexuel, ne quitte jamais les amants. Puisque la parole leur est désormais garantie, livrée toute prête et instillée goutte à goutte dans l’oreille, ils ont cessé d’être des animaux doués de logos, tout comme ils ont cessé, en tant que mangeurs de pain, de se rattacher à l’homo faber. Désormais, ils ne préparent pas davantage leur propre nourriture linguistique qu’ils ne cuisent leur propre pain. Les mots ne sont plus pour eux quelque chose qui se prononce, mais qui s’écoute ; la parole n’est plus pour eux un acte mais une réception passive.
Peu importe dans quelle civilisation et dans quel espace politique a lieu cette évolution vers un être privé de logos : les conséquences en seront nécessairement partout les mêmes. Elle produira un type d’homme qui, parce qu’il ne parle plus lui-même, n’a plus rien à dire ! Un type d’homme qui, parce qu’il se contente d’écouter, de toujours écouter, n’est qu’un esclave. Un type d’homme qui à force de ne plus lire, ne sait plus écrire ! Combien de Facebookiens métalobotomisés m’injurient de ne pas pouvoir lire mes textes trop longs ! Le traitement auquel est soumis l’homme lui est fourni à domicile, exactement comme le gaz ou l’électricité. Mais ce qui est distribué, ce ne sont pas seulement des produits artistiques tels que la musique ou bien des jeux radiophoniques, ce sont aussi les événements réels.
Du moins ceux qui ont été sélectionnés, chimiquement purifiés et préparés pour être présentés aux masses d’abruti(e)s comme une réalité, ou tout simplement pour remplacer la réalité elle-même. Il suffit à celui qui veut être au courant, qui veut savoir ce qui se passe ailleurs, de rentrer chez lui, où les événements sélectionnés pour lui être montrés, ne demandent qu’à jaillir du poste comme l’eau du robinet. Comment pourrait-il, à l’extérieur, dans le chaos du réel, être en mesure de saisir autre chose que des réalités de portée infime, locale ? Le monde extérieur nous dissimule le monde extérieur. C’est seulement lorsque la porte d’entrée se referme en faisant entendre le déclic de sa serrure que le dehors redevient visible aux idiots ; c’est seulement une fois qu’ils sont redevenus des monades sans fenêtres que l’univers se réfléchit en eux !
C’est seulement lorsque nous promettons à la tour de rester enfermés entre ses murs au lieu de scruter le monde depuis son sommet que le monde vient à nous, que le monde nous plaît. Ce sont les événements eux-mêmes, non des informations les concernant, les matchs de football, les services religieux, les explosions atomiques qui nous rendent visite, c’est la montagne qui vient au prophète, le monde qui vient à l’homme et non l’homme au monde : telle est, après la fabrication de l’ermite de masse et la transformation de la famille en public miniature, la nouvelle réussite proprement bouleversante de la radio et de la télévision. Si grandes que soient les fenêtres que les postes de radio et de télévision nous ouvrent sur le monde, ils transforment toujours les consommateurs du monde en idéalistes. Puisqu’on nous fournit le monde, nous n’avons pas à en faire l’expérience ; nous restons inexpérimentés.
La connaissance des chemins du monde que nous prenions autrefois et sur lesquels nous acquérions de l’expérience a fini par se perdre, et avec elle les chemins eux-mêmes. Le monde a perdu ses chemins. Nous ne parcourons plus les chemins, on nous restitue le monde (au sens où l’on restitue une marchandise mise de côté) ; nous n’allons plus au-devant des événements, on nous les apporte. Ce portrait de nos contemporains paraîtra de prime abord infidèle. Car on voit habituellement, au contraire, dans la voiture et dans l’avion les symboles de l’homme d’aujourd’hui. On l’a même défini comme “homo viator”, l’être qui voyage. Pourquoi donc ? Là est précisément la question. S’il attache de la valeur à son voyage, ce n’est pas parce que la région qu’il traverse ou les lieux où il se fait expédier en express comme une marchandise l’intéressent, ce n’est pas pour l’expérience qu’il peut en retirer… Non…
C’est pour satisfaire sa faim d’omniprésence et son goût pour la bougeotte. En outre, à cause de la vitesse, il se prive de l’occasion même de faire des expériences (au point que la vitesse est devenue sa seule et ultime expérience), sans oublier qu’avec l’uniformisation du monde à laquelle il se livre par ailleurs, il réduit effectivement le nombre des objets dignes d’expérience et capables d’en procurer, et qu’aujourd’hui déjà, partout où il atterrit, il se retrouve chez lui et ne trouve donc nulle part matière à expérience. Le consommateur de radio et de télévision qui, affalé dans son fauteuil, reste immobile et dirige le monde en effigie sans sortir de chez lui existe à des millions d’exemplaires. Il allume le monde, le laisse avoir lieu devant lui, puis l’éteint à nouveau. L’imposture réside en ceci : Nous vivons dans un monde distancié !
Mais nous avons le sentiment, en tant que consommateurs de films, de radio ou de télévision (mais pas seulement en tant que tels), de nous trouver avec tout, absolument tout, les hommes, les régions, les situations, les événements, et surtout les plus étrangers, sur un même pied d’intimité. Comme tout phénomène historique de cette ampleur, elle est surdéterminée, c’est-à-dire qu’elle doit son existence à différentes causes qui ont convergé et se sont unies pour en faire une réalité historique. La démocratisation de l’univers, c’est quand absolument tout, le lointain comme le proche, est en relation avec soi, quand absolument tout a le même droit à se faire entendre et est assez familier pour qu’on le reçoive dans l’intimité ; quand à toute préférence s’attache déjà le caractère odieux d’un privilège, on présuppose alors d’une façon certainement inconsciente un “Tout” structurellement démocratique.
C’est un univers auquel sont appliqués les principes (issus de la morale et de la politique) de l’égalité des droits et de la tolérance universelle. L’homme s’est toujours représenté l’univers à l’image de sa propre société. Certes, le principal facteur de neutralisation, aujourd’hui, n’est pas de nature politique mais économique : c’est le fait que tout soit transformé en marchandise. Est-il, lui aussi, une des causes de la familiarisation ? Impossible, dira-t-on. C’est impossible parce que la transformation en marchandise, c’est bien connu, est déjà une distanciation : aussi la “familiarisation”, qui cherche à rapprocher les choses de nous, paraît-elle précisément être le contraire même de l’aliénation. Mais les choses ne sont pas aussi simples. Il est vrai en effet que tout ce qui est transformé en marchandise se distancie, mais il n’est pas moins vrai que toute marchandise, si l’on veut qu’elle soit achetée, doit être rendue familière.
Voici plus précisément comment les choses se passent. Toute marchandise tend à être maniable, taillée sur mesure pour les besoins, le style et le mode de vie de chacun, agréable à la bouche ou à l’œil. Sa qualité se mesure à cette adéquation. Dit négativement, elle se mesure au peu de résistance qu’elle oppose à son usage et au peu d’étrangeté irréductible qui subsiste après son usage. Puisque aujourd’hui l’émission de radio ou de télévision est également une marchandise, elle doit s’adapter de la même façon à l’audition ou à la vision. Elle doit donc aussi tenir compte de l’œil ou de l’oreille et nous être servie dans les meilleures conditions pour nous donner satisfaction. Elle doit être familiarisée, dénoyautée et rendue assimilable afin de nous apparaître comme notre semblable, comme une chose taillée à notre mesure, comme si elle était des nôtres.
Il est indiscutable que tout travail est, en un certain sens, une familiarisation. L’acception élargie du terme “familiarisation”, à laquelle nous associons une nuance de mépris, serait dès lors complètement déplacée puisque nous ne pouvons tout de même pas reprocher au travail d’être ce qu’il est. Nous ne pouvons pas reprocher au menuisier, par exemple, de ne pas nous livrer le bois brut plutôt qu’une table, qui nous convient de fait incomparablement mieux. Il n’y a véritablement là aucune tromperie. La transformation ne devient une tromperie que lorsqu’on présente une chose fabriquée comme si elle était ce dont elle est faite. Or c’est précisément le cas du monde familiarisé. Celui-ci est un produit qui, en raison de son caractère de marchandise et en vue de sa commercialisation, est taillé à la mesure de l’acheteur et adapté à son confort : c’est un monde travesti, puisque le monde est l’inconfort même !
Une autre cause de cette familiarisation qui place tout dans une égale proximité est l’attitude du scientifique, légitimement fier d’être capable, dans le cadre de ses recherches, de rapprocher ce qui est le plus lointain et de mettre à distance, pendant qu’il travaille, les choses qui lui sont le plus proches dans la vie ; de se consacrer avec zèle à ce qui ne le concerne pas en tant qu’individu, et de n’éprouver aucune passion pour ce qui le touche de plus près : de neutraliser la différence entre proche et lointain. Le scientifique ne peut néanmoins adopter, puis conserver, cette attitude de neutralisation totale, son “objectivité” qu’au prix d’un grandiose artifice moral, qu’en se faisant violence à lui-même : par l’ascèse du point de vue naturel sur le monde. Croire que l’on peut séparer cette neutralité de son fondement moral et l’offrir à tout le monde, même à ceux qui mènent une vie résolument non ascétique,
Cette incompréhension est au principe de bien des activités. En un certain sens, le lecteur, l’auditeur de radio, le consommateur de télévision, le spectateur de films culturels est aujourd’hui devenu un vulgaire double du scientifique : on attend désormais de lui aussi qu’il considère tout comme également proche et également lointain ce qui le plus souvent ne signifie certes pas qu’il doive désormais accorder à chaque phénomène un droit égal à être connu de lui, mais un droit égal à être pour lui objet de jouissance. Puisque aujourd’hui la connaissance est un “pleasure” et l’apprentissage une promesse de ‘fun”, les frontières sont brouillées. Qui croit sincèrement à la familiarisation, qui voit en elle la véritable force d’opposition à la distanciation, tombe dans le piège qu’elle tend. En fin de compte, on peut considérer que les deux processus n’en font qu’un et que la familiarisation elle-même n’est qu’une opération de camouflage !
La distanciation s’avance, innocente, déguisée, pour témoigner apparemment contre elle-même, affirmer un équilibre des forces et démentir sa toute-puissance. Exactement comme Metternich, qui fonda un journal d’opposition libérale dirigé en apparence contre sa propre politique. Un conte raconte l’histoire d’une méchante fée qui guérit un aveugle, non pas en lui dessillant les yeux mais en lui infligeant une cécité supplémentaire : elle le rendit également aveugle à l’existence de son infirmité et lui fit oublier à quoi ressemblait la réalité, elle obtint ce résultat en lui envoyant sans cesse de nouveaux rêves. Cette fée ressemble fort à la distanciation déguisée en familiarisation. Elle aussi cherche, par des images, à maintenir l’homme privé de monde dans l’illusion qu’il en a toujours un : non seulement son monde, mais tout un univers qui lui est familier en tous ses détails, qui est le sien, qui lui ressemble.
Elle parvient à lui faire oublier à quoi peuvent ressembler une existence et un monde non distanciés. Nous sommes donc bel et bien victimes d’un envoûtement, comme l’aveugle du conte. Mais la fée qui nous dissimule notre propre cécité est celle-là même qui nous a auparavant aveuglés. On ne doit certes pas s’étonner que la distanciation conduise en secret cette opération d’autoreniernent, qu’elle ne la signale pas expressément à notre attention. Où serait l’intérêt, pour ces puissances qui éloignent le monde de nous, d’éveiller notre méfiance en nous faisant remarquer, ne serait-ce que par le biais d’un terme spécifique, qu’il leur faut dissimuler la réussite de leur entreprise, cette distanciation qu’elles opèrent, en nous livrant des images-ersatz ? Ce qui est étonnant, c’est qu’elles parviennent effectivement à occulter ainsi, en ne le nommant pas, un phénomène quotidien d’une aussi grande ampleur.
Elles livrent leurs images mais ne disent rien sur la finalité de cette opération. Et elles le font d’autant plus tranquillement que nous, les destinataires, nous nous laissons abuser sans paraître nous en porter plus mal ; comme si la blessure infligée par la distanciation nous rendait incapables de sentir que nous sommes sous l’empire des drogues de la familiarisation, et leur effet anesthésiant de sentir la blessure : comme si les deux processus se renforçaient mutuellement. Même si l’on refuse de reconnaître que la familiarisation relève du camouflage et de la tromperie opérés par la distanciation, il reste incontestable qu’elle est, elle aussi, une mise à distance. Oui, elle aussi. Que l’on rende le proche lointain, comme le fait la distanciation, ou le lointain intime, comme le fait la familiarisation, l’effet de neutralisation est le même.
Rien ne nous aliène à nous-mêmes et ne nous aliène le monde plus désastreusement que de passer notre vie, désormais presque constamment, en compagnie de ces êtres faussement intimes, de ces esclaves fantômes que nous faisons entrer dans notre salon d’une main engourdie par le sommeil, car l’alternance du sommeil et de la veille a cédé la place à l’alternance du sommeil et de la radio, pour écouter les émissions du matin au cours desquelles, premiers fragments du monde que nous rencontrons, ils nous parlent, nous regardent, nous chantent des chansons, nous encouragent, nous consolent et, en nous détendant ou en nous stimulant, nous donnent le la d’une journée qui ne sera pas la nôtre. Rien ne rend l’auto-aliénation plus définitive que de continuer la journée sous l’égide de ces apparences d’amis : car ensuite, nous préférerons rester en compagnie de nos copains portatifs.