Desert of Dreams : Le monde coloré du roi du Kustom : Gene Winfield !
Pour découvrir Gene Winfield, presque dernier survivant de la grande époque du Kustom, il vous faut aller en Californie dans une oasis perdue, balayée sans cesse par le vent, située au centre d’une zone pourrie et déglinguée à environ 90 miles au nord d’Hollywood, le long d’un tronçon de l’ancienne Sierra Highway, juste au-delà de la ville poussiéreuse de Rosamond. Arrêtez-vous lorsque vous verrez un atelier automobile presque effondré, en stuc battu par le soleil entouré d’une clôture en acier destinée à éloigner les coyotes.
À l’avant se trouve une navette de science-fiction des années 1970 déglinguée, vedette rescapée d’un film de série B dont personne ne se souvient… Elle est entourée des épaves automobiles des voitures de RoboCop et Blade Runner ! C’est l’antre presque abandonnée de “Gene Winfield Rod & Custom”, qui fut un constructeur légendaire, le roi des Kustom-Cars, au niveau de Georges Barris, si pas plus, et que d’autres… Tous morts et enterrés… Jetés dans l’oubli de décharges… Plus personne n’y va, sauf quelques nostalgiques en pèlerinage, dont la plupart ne s’arrêtent plus. J’en suis revenu !
Le Royaume de Gene Winfield n’est plus qu’un atelier déglingué sur le point de s’écrouler, il n’y a plus de travail dans le Kustomising, plus de projets, plus de clients, plus de rêves, plus d’espoirs… C’est devenu un sanctuaire pour lui-même, l’un des rois survivants du monde de la Kustomisation. Le bâtiment principal est une sorte de dépotoir et de stockage d’encombrants qui s’étend sur la misère. Une antique cabine de peinture git abandonnée dans un coin, rien n’indique que c’est en son sein que sortirent les Kustom-cars les plus dingues et exubérants de la planète-Terre !
C’est en effet ici qu’avait été créé la technique de mélange de peinture couleur bonbon “Winfield-Fade” qui a rendu Gene Winfield célèbre. Le “Winfield-Fade” faisait sensation en 1960 lorsque Gene Winfield impressionnait la scène des voitures personnalisées avec la fameuse “Jade-Idol”, une Mercury de 1956 étirée et évasée, portant des nuances “feuillues” superbement mélangées, comme le seront par copie les Chrysler Forward-Look de 1957 de Virgil Exner…
On n’entre pas tellement dans le Royaume à l’abandon de Gene Winfield, la spéléologie en ce milieu Kustom est dangereuse, mieux vaut rester en extérieur et en plein air. Quoiqu’en raison de l’exiguïté de ce qui reste de l’espace de travail qui, même à l’origine, était relativement petit, une grande partie de ses déchets reste à l’extérieur exposée aux éléments ! Oui… il y a de l’organique aussi, les rats ne s’en privent pas ! Gene Winfield qui a gardé le sens de l’humeur et de l’humour me dit que ce sont des Rat-Rods : “Ils sont comme les Rat-Rodders, ils grouillent” !
Le gémissement aigu d’une ponceuse métallique et les tons ternes du hit de “White Plains” de 1970 : “My Baby Loves Lovin” sortent d’une Pontiac éventrée dans l’air raréfié torride du désert. Des conteneurs industriels sont dispersés sur toute la propriété aride de 5.000 M². À l’arrière, un verger de voitures pourries de soleil se languit. Prête pour un lifting depuis 10 ans, une Chevrolet australienne de 1954 attend un pare-chocs avant d’une Chevrolet ’57 et quelques retouches d’anciens mod’s avant de passer sous la ponceuse pour le célèbre travail de peinture “Winfield-Fade”. Son propriétaire est mort le mois dernier d’avoir trop attendu !
Winfield emploie malgré-tout encore 4 personnes, des Mexicains égarés ayant réussi à passer au travers des filets de la Police des frontières dans ce pays de Cocagne que sont les USA.. Ils regrettent… Ils ne travaillent que selon ce qui se présente un des jours des semaines qui passent à ne rien faire qu’attendre. Lindsay Ross, l’actuel directeur de bureau de Gene Winfield et son ami depuis 20 ans, a récemment remplacé l’ancien employé de bureau après qu’il soit allé en prison pour possession et utilisation de fusils d’assaut. Un carnage ! “Ici, dans le désert, on prend tout ce qui dérive pour survivre nous-même”, me dit Ross à propos de leur liste de paie très éclectique, ce qui est à l’origine du massacre du seul supermarket du bled par l’ex-ancien employé de bureau ! “Il est fermé et en ruine depuis lors… Pour le ravitaillement il faut se rendre à Rosamond à plus de 100 kms” !
Vous ne devinerez jamais en regardant Gene Winfield manœuvrer autour des restes de son Royaume en ruine que son propre compteur kilométrique a dépassé les 95 ans ! Il marche fièrement à travers son chaos rouillé, ses cheveux ondulés du matin parfaitement soignés. Il me présente ses innombrables outils de façonnage du métal, dont la plupart sont fabriqués par lui-même, comme s’ils étaient de vieux amis lors d’un cocktail. C’est pathétiquement beau et totalement surréaliste… De l’antique Pullmax d’avant-guerre (de Secession ?) une machine à piston électrique qui façonne et coupe le métal, à ses nombreux rouleaux et marteaux, en passant par un vieux riveteur en acier massif de Lockheed, Gene Winfield les utilise toujours tous ! “La retraite, c’est quand ils vous mettent en terre”..., plaisante-t-il.
Winfield a appris les techniques de soudage et de martelage alors qu’il était en poste à Tokyo lors de son passage dans l’armée américaine : “Avant d’aller au Japon, je soudais et pliais les tôles, mais je ne savais pas comment vraiment contrôler le métal. Maintenant, que je sais et pourrais enseigner, tout est en plastique. J’enseignerais le métier à la prochaine génération de constructeurs, au Paradis”... Sa Piranha, est en ce sens un concept-car fabriqué à partir de plastique Cycolac formé sous vide, qui a été utilisé dans la série télévisée “The Man from U.N.C.L.E”. et a rejoint depuis 15 ans la liste des restaurations en cours… “Je suis submergé de travail, mais finalement tout va bien !”...
Brossant la couche omniprésente de poussière de la boutique-atelier, Gene Winfield m’avoue être nostalgique d’une époque où le travail sur mesure était un sport de compétition parmi des contemporains tels que George Barris, Ed Big Daddy Roth et Kenny Howard alias Von Dutch… “Chacun de nous essayait de surpasser l’autre”, me dit-il. Winfield a parcouru le monde en créant des sortes de “cliniques-automobiles” spécialisées en techniques de martelage et de façonnage, déterminé à maintenir en vie son métier en voie de disparition… Echec et mat ! “Je n’ai rien vu venir. Même lorsque 20 magazines automobiles américains ont été stoppé, en ce compris Hot-Rod Magazine, le vétéran, je n’ai pas compris que le monde du Kustom s’effondrait” !
Une Ford ’40 en attente depuis Mathusalem, devait faire ses débuts mondiaux au Detroit Autorama et se disputer le très convoité Ridler Award, la seule reconnaissance que Winfield n’a jamais capturée. Le Détroit Autorama n’existe plus depuis des années ! À côté de la Ford, une Pontiac ’53 a besoin depuis 12 ans de travaux de fabrication de pare-chocs arrière et de feux arrière personnalisés avant de retourner en Australie. “Je ne sais que faire car j’ai reçu un un courrier d’un notaire australien m’informant que ce client était décédé depuis 5 ans”… La douce lumière du soleil scintille sur une Mercury ’49, peinte en “Winfield-Fade” qui est devenue quasi transparente en cause des tempêtes de sable doré au babeurre en passant par la chartreuse et le nénuphar… Oui, je deviens fou, je sais, c’est l’endroit la cause…
Le projet le plus important de Winfield, sa “Jade-Idol” originale, se trouve à l’avant et au centre, exactement à cette place depuis 15 ans ! “Elle a été entreposée dans le Massachusetts pendant 30 ans. Puis un homme de l’Oregon l’a acheté et m’a demandé de la restaurer comme elle était à l’origine. Son apprêt gris mat attend la magie colorée. Mais depuis 5 ans ce bonhomme a disparu en mer lors d’une balade ! C’est un autre cas insoluble qui en fait ne me préoccupe pas ! Je règne sur la domination aride du temps, dans ce qui était autrefois un chantier de démolition”... me dit Winfield en riant.
“Lorsque vous aurez fini de photographier la ferronnerie, je me ferais un plaisir de vous faire visiter ma maison. Je réside sur place dans un coin du hangar aménagé en musée relatant ma vie”.… Les murs sont recouverts de ses photos personnelles et de souvenirs, depuis qu’il a fait la navette pour la série télévisée originale Star Trek, il y a un espace entièrement consacré aux accessoires de la série. Il a des guitares qu’il conçoit et vend, des pin-ups et même l’ancienne salle de bain de son précédent domicile qui selon lui est un hommage sépulcral au beau-père de son ancienne femme, le célèbre designer Kelly Johnson. “Veuillez signer le livre d’or avant de partir. Je suis heureux que vous avez fait toute cette route pour venir me saluer”.
Au crépuscule, Winfield sort deux torches qu’il allume pour chasser les Coyotes et y voir clair. “Vous pouvez revenir demain. Je vous apprendrais à façonner le métal à l’ancienne, ça peut toujours servir lorsque vous serez à Saint-Tropez. Et si vous cherchez la couleur parfaite pour votre Kustom, je suis votre homme”… Esquivant toujours la faucheuse qui a pris ses vieux amis et rivaux, vivant toujours comme si c’était en 1962, les années suivantes se fondent toutes dans son rêve éveillé couleur bonbon “Winfield-Fade”… La feuille (de choux) locale que je lisais au petit déjeuner exposait l’énigme que la Police de Rosamond n’arrivait pas à résoudre : un habitant s’était suicidé et se coupant en morceaux qu’il avait placé dans des sacs poubelles et regroupés dans la baignoire. La Police ne parvenait pas à comprendre comment il avait pu nouer les sacs…
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En ce qui concerne le boulanger du petit village si les habitants du village n’aiment pas le pain ou le trouvent paresseux, ils peuvent lui rendre la vie impossible, il vit hélas en société !
Pagnol en a fait un roman, non ? Il part à la fin…
J’aurais plutôt dit que le boulanger fait son job et s’adapte aux souhaits des clients car il n’a pas d’autre choix : trimer ou mourir de faim et se faire lyncher car le village meurt de faim ! Nous sommes tous un peu esclaves…
Une vie d’esclave est-elle donc préférable à partir au loin ? Qu’ils crèvent tous s’ils n’aiment pas mon pain !
Une fois de plus sublime mon cher Gatsby, le capitaine qui se meurt en refusant de quitter le navire, le dernier soldat qui refuse de se rendre et va mourir au combat… Inconscience ou devoir d’accomplir la mission qu’on s’est donnée sur terre ?
C’est comme un boulanger dans le pétrin, il s’y complait car c’est son job, s’il ne s’y complait point son pain n’aura plus de saveur, ni pour lui, ni pour ses clients. Faut-il qu’il y est encore des clients…
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