Desert of Dreams :
Le monde coloré du roi du Kustom : Gene Winfield s’est éteint !
Robert Eugene Winfield, né le 16 juin 1927 à Mojave en Californie, célèbre personnalisateur de voitures âgé de 97 ans, est décédé d’un cancer ce 4 mars 2025. Son décès marque la fin d’un monde d’exubérances…
Pour découvrir Gene Winfield, qui jusqu’à ce 4 mars 2025 était le dernier survivant de la grande époque du Kustom, il vous fallait aller en Californie dans une oasis perdue, balayée sans cesse par le vent, située au centre d’une zone pourrie et déglinguée à environ 90 miles au nord d’Hollywood, le long d’un tronçon de l’ancienne Sierra Highway, juste au-delà de la ville poussiéreuse de Rosamond. On s’arrêtait lorsqu’on voyait son atelier automobile presque effondré, en stuc battu par le soleil entouré d’une clôture en acier destinée à éloigner les coyotes.
À l’avant se trouvait une navette de science-fiction des années 1970 déglinguée, vedette rescapée d’un film de série B dont personne ne se souvenait… Elle était entourée des épaves automobiles des voitures de RoboCop et Blade Runner ! C’était l’antre presque abandonnée de “Gene Winfield Rod & Custom”, qui fut un constructeur légendaire, le roi des Kustom-Cars, au niveau de Georges Barris, si pas plus, et que d’autres… Tous morts et enterrés… Jetés dans l’oubli de décharges… Plus personne n’ira plus là-bas, sauf quelques nostalgiques en pèlerinage, dont la plupart ne s’arrêteront pas car tout a disparu. J’y suis allé alors qu’il vivait encore et j’en suis revenu. Gene m’a dit qu’il ne pourrait pas m’attendre car il se sentait partir…
Le Royaume de Gene Winfield n’était alors plus qu’un atelier déglingué sur le point de s’écrouler : “Il n’y a plus de travail dans le Kustomising, plus de projets, plus de clients, plus de rêves, plus d’espoirs”… m’avait-il dit… C’était devenu un sanctuaire pour lui-même, l’un des rois survivants du monde de la Kustomisation. Le bâtiment principal était une sorte de dépotoir et de stockage d’encombrants qui s’étendaient sur la misère. Une antique cabine de peinture gisait abandonnée dans un coin, rien n’indiquait que ce fut en son sein que sortirent les Kustom-cars les plus dingues et exubérants de la planète-Terre !
C’est en effet ici qu’avait été créé la technique de mélange de peinture couleur bonbon “Winfield-Fade” qui avait rendu Gene Winfield célèbre. Le “Winfield-Fade” faisait sensation en 1960 lorsque Gene Winfield impressionnait la scène des voitures personnalisées avec la fameuse “Jade-Idol”, une Mercury de 1956 étirée et évasée, portant des nuances “feuillues” superbement mélangées, comme le seront par copie les Chrysler Forward-Look de 1957 de Virgil Exner… Autre fin d’une époque…
On n’entrait pas tellement dans le Royaume à l’abandon de Gene Winfield, la spéléologie en ce milieu Kustom était dangereuse, mieux valait rester en extérieur et en plein air. Quoiqu’en raison de l’exiguïté de ce qui restait de l’espace de travail qui, même à l’origine, était relativement petit, une grande partie de ses déchets restait à l’extérieur exposée aux éléments ! Oui… il y avait de l’organique aussi, les rats ne s’en privaient pas ! Gene Winfield qui avait alors encore gardé le sens de l’humeur et de l’humour m’avait dit que c’étaient des Rat-Rods : “Ils sont comme les Rat-Rodders, ils grouillent” !
Le gémissement aigu d’une ponceuse métallique et les tons ternes du hit de “White Plains” de 1970 : “My Baby Loves Lovin” sortaient d’une Pontiac éventrée dans l’air raréfié torride du désert. Des conteneurs industriels étaient dispersés sur toute la propriété aride de 5.000 M². À l’arrière, un verger de voitures pourries de soleil se languissait. Prête pour un lifting depuis plus de 10 ans, une Chevrolet australienne de 1954 attendait un pare-chocs avant d’une Chevrolet ’57 et quelques retouches d’anciens mod’s avant de passer sous la ponceuse pour le célèbre travail de peinture “Winfield-Fade”. Son propriétaire était mort le mois dernier d’avoir trop attendu ! Gene s’en foutait, préférant se rajeunir les sens avec une super Girl de 50 années de moins…
Winfield employait malgré-tout encore 4 personnes, des Mexicains égarés ayant réussi à passer au travers des filets de la Police des frontières dans ce pays de Cocagne que sont les USA.. Ils regrettaient… Ils ne travaillaient que selon ce qui se présentait un des jours des semaines qui passaient à ne rien faire qu’attendre. Lindsay Ross, qui se gargarisait d’être LE directeur de bureau de Gene Winfield et son ami depuis 20 ans, avait remplacé l’ancien employé de bureau après qu’il soit allé en prison pour possession et utilisation de fusils d’assaut. Un carnage ! “Ici, dans le désert, on prend tout ce qui dérive pour survivre nous-même”, m’avait dit Ross à propos de leur liste de paie très éclectique, ce qui était à l’origine du massacre du seul supermarket du bled par l’ex-ancien employé de bureau ! “Il avait été fermé et en ruine depuis lors… Pour le ravitaillement il fallait se rendre à Rosamond à plus de 100 kms” !
Vous ne devinerez jamais en regardant les photos-souvenirs de Gene Winfield manœuvrer autour de ce qui restait de son Royaume en ruine, que son propre compteur kilométrique avait dépassé les 97 ans ! Il marchait alors encore fièrement à travers son chaos rouillé, ses cheveux ondulés du matin parfaitement soignés. Il m’avait présenté ses innombrables outils de façonnage du métal, dont la plupart avaient été fabriqués par lui-même, comme s’ils étaient de vieux amis lors d’un cocktail. C’était pathétiquement beau et totalement surréaliste… De l’antique Pullmax d’avant-guerre (de Sécession ?) une machine à piston électrique qui façonnait et coupait le métal, à ses nombreux rouleaux et marteaux, en passant par un vieux riveteur en acier massif de Lockheed, Gene Winfield les utilisait alors encore tous ! “La retraite, ce sera quand on me mettra en terre”..., plaisantait-il.
Winfield avait appris les techniques de soudage et de martelage alors qu’il était en poste à Tokyo lors de son passage dans l’armée américaine : “Avant d’aller au Japon, je soudais et pliais les tôles, mais je ne savais pas comment vraiment contrôler le métal. Mais alors, que je savais et pouvais enseigner, tout est devenu en plastique. J’enseignerais le métier à la prochaine génération de constructeurs, au Paradis”... Sa Piranha, était en ce sens un concept-car fabriqué à partir de plastique Cycolac formé sous vide, qui avait été utilisé dans la série télévisée “The Man from U.N.C.L.E”. et qui a rejoint depuis 20 ans la liste des restaurations en cours… “Je suis submergé de travail, mais finalement tout va bien !”.…
Brossant la couche omniprésente de poussière de la boutique-atelier, Gene Winfield m’avait avoué être nostalgique d’une époque où le travail sur mesure était un sport de compétition parmi des contemporains tels que George Barris, Ed Big Daddy Roth et Kenny Howard alias Von Dutch… “Chacun de nous essayait de surpasser l’autre”, m’avait-il dit. Winfield a parcouru le monde en créant des sortes de “cliniques-automobiles” spécialisées en techniques de martelage et de façonnage, déterminé à maintenir en vie son métier en voie de disparition… Echec et mat ! “Je n’ai rien vu venir. Même lorsque 20 magazines automobiles américains ont été stoppé, en ce compris Hot-Rod Magazine, le vétéran, je n’ai pas compris que le monde du Kustom s’effondrait. Je constate que vous avez connu aussi pire d’autant que le Groupe Hommel en France a tenté de vous assassiner, c’étaient des ordures incompétentes. Il y en a encore un qui traine ses savates, un chinois, mais il crève de faim et survit de trucs minables. un Tramp sans le sou” !
Une Ford ’40 était là en attente depuis 15 ans, depuis Mathusalem, qui devait faire ses débuts mondiaux au Detroit Autorama et se disputer le très convoité Ridler Award, la seule reconnaissance que Winfield n’a jamais capturée. Le Détroit Autorama n’existe plus depuis des années ! À côté de la Ford, une Pontiac ’53 a besoin depuis 15 ans de travaux de fabrication de pare-chocs arrière et de feux arrière personnalisés avant de retourner en Australie. “Je ne sais que faire car j’ai reçu un un courrier d’un notaire australien m’informant que ce client était décédé depuis 5 ans”… La douce lumière du soleil scintillait sur une Mercury ’49, peinte en “Winfield-Fade” qui était devenue quasi transparente en cause des tempêtes de sable doré au babeurre en passant par la chartreuse et le nénuphar… Oui, gene devenait fou, je sais, c’est l’endroit la cause…
Le projet le plus important de Winfield, sa “Jade-Idol” originale, se trouvait à l’avant et au centre, exactement à cette place depuis 15 ans ! “Elle a été entreposée dans le Massachusetts pendant 30 ans. Puis un homme de l’Oregon l’a acheté et m’a demandé de la restaurer comme elle était à l’origine. Son apprêt gris mat attend la magie colorée. Mais depuis 8 ans ce bonhomme a disparu en mer lors d’une balade ! C’est un autre cas insoluble qui en fait ne me préoccupe pas ! Je règne sur la domination aride du temps, dans ce qui était autrefois un chantier de démolition”... me dit Winfield en riant.
“Lorsque vous aurez fini de photographier la ferronnerie, je me ferais un plaisir de vous faire visiter ma maison. Je réside sur place dans un coin du hangar aménagé en musée relatant ma vie”.… Les murs étaient recouverts de ses photos personnelles et de souvenirs, depuis qu’il avait fait la navette pour la série télévisée originale Star Trek, il y avait un espace entièrement consacré aux accessoires de la série. Il avait des guitares qu’il concevait et vendait, des pin-ups et même l’ancienne salle de bain de son précédent domicile qui selon lui était un hommage sépulcral au beau-père de son ancienne femme, le célèbre designer Kelly Johnson. “Veuillez signer le livre d’or avant de partir. Je suis heureux que vous avez fait toute cette route pour venir me saluer”. furent les dernières paroles qu’il m’adressa…
Au crépuscule, Winfield avait sorti deux torches qu’il a allumé pour chasser les Coyotes et y voir clair. “Vous pouvez revenir demain. Je vous apprendrais à façonner le métal à l’ancienne, ça peut toujours servir lorsque vous serez de retour à Saint-Tropez. Et si vous cherchez la couleur parfaite pour votre Kustom, je suis votre homme”… Esquivant alors la faucheuse qui avait pris ses vieux amis et rivaux, vivant toujours comme si c’était en 1962, les années se fondaient toutes dans son rêve éveillé couleur bonbon “Winfield-Fade”… La feuille (de choux) locale que je lisais au petit déjeuner exposait l’énigme que la Police de Rosamond n’arrivait pas à résoudre : Un habitant de notre village s’est suicidé et se coupant en morceaux qu’il a placé dans des sacs poubelles et regroupés dans sa baignoire. La Police ne parvenait pas à comprendre comment il avait pu nouer les sacs...
6 commentaires
En ce qui concerne le boulanger du petit village si les habitants du village n’aiment pas le pain ou le trouvent paresseux, ils peuvent lui rendre la vie impossible, il vit hélas en société !
Pagnol en a fait un roman, non ? Il part à la fin…
J’aurais plutôt dit que le boulanger fait son job et s’adapte aux souhaits des clients car il n’a pas d’autre choix : trimer ou mourir de faim et se faire lyncher car le village meurt de faim ! Nous sommes tous un peu esclaves…
Une vie d’esclave est-elle donc préférable à partir au loin ? Qu’ils crèvent tous s’ils n’aiment pas mon pain !
Une fois de plus sublime mon cher Gatsby, le capitaine qui se meurt en refusant de quitter le navire, le dernier soldat qui refuse de se rendre et va mourir au combat… Inconscience ou devoir d’accomplir la mission qu’on s’est donnée sur terre ?
C’est comme un boulanger dans le pétrin, il s’y complait car c’est son job, s’il ne s’y complait point son pain n’aura plus de saveur, ni pour lui, ni pour ses clients. Faut-il qu’il y est encore des clients…