Prodigy-Vette-Z06
Ross Spurling avait pris l’habitude de dessiner des Corvettes sur son banc-pupitre d’école en 1966. Ce fantasme d’enfance n’a jamais faibli, mais alors que son rêve d’enfant était de posséder une Sting Ray Split-Windows 1963 il a créé la “Prodigy-Vette-Z06” le mariage d’une carrosserie’63 réadaptée sur le châssis d’une Corvette C5 Z06 2003, tout le reste n’étant qu’une combinaison de styles et de performances dignes d’un James Bond 007. Le re-design qu’il a créé m’a semblé une opportunité pour dialoguer…
Chromes&Flammes – Le design est un phénomène social plus qu’une activité professionnelle, du moins dans nos sociétés de consommation. À son propos, se demander ce qu’il est devenu depuis ses balbutiements dans les années 1930 est légitime et votre création constitue une manière de dialoguer du design. Le Bauhaus, montrait la pure beauté dans l’abstraction de la forme parfaite et ouvrait la voie au fonctionnalisme des ingénieurs » du design. S’ensuivit une grande époque de conception de produits issus de la collaboration d’ingénieurs et d’artistes dans les ateliers industriels, et souvent présents dans les musées. La production de masse a depuis imposé d’autres critères, le plus connu étant “La laideur se vend mal”, une affirmation ingénument cynique de Raymond Loewy, destiné à la promotion d’un de ses ouvrages célèbres, car il cherchait à s’accaparer du design industriel-ornemental. C’est en effet par la minoration du fonctionnalisme qui s’était nourri de l’ascèse des abstraits qu’a prévalu l’optique marketing dans le design, le designer a progressivement perdu sa place de concepteur, qu’il partageait avec l’ingénieur, pour être plus ordinairement chargé des embellissements de la carrosserie du produit et de l’entreprise, c’est-à-dire de l’ornementation qui fait vendre…
Russ Spurling – Vous savez, que… En fait, voilà… Je ne comprends pas grand chose à vos phrases intellectuelles. J’suis un gars simple venu d’Amérique ! Au cours des dernières décennies, j’ai restauré quelques Corvette, mais les vieilles voitures restent de vieilles voitures, je ne me suis jamais senti épanoui. J’avais une C5 “Daily-Driver” qui était rapide, économique et confortable, donc cela m’a semblé être une excellente idée de fusionner ma C5 Z06 50e anniversaire avec la carrosserie d’une C2, 10e anniversaire…
Chromes&Flammes – Votre re-création aurait du vous faire remarquer des studios de design de General-Motors-Corvette, or il n’en a rien été, vous avez réalisé un travail extraordinaire pour, comme on dit : “Les couilles du Pape”, autrement dit : “Pour rien que la gloriole de recevoir des coupes dérisoires en fer-blanc qui sont entreposées sur une étagère de votre box”. C’est déplorable ! Vous auriez du être sollicité et associé à divers projets automobiles en dialogue avec des chefs de produit et ainsi présider aux effets de mode qui conditionnent les changements concertés des marques, des enseignes, des produits de consommation de masse et assurent la prolongation de leur durée de vie.
Russ Spurling – Je voulais juste que le renflement du capot soit plus large et plus haut pour s’adapter au moteur et au compresseur, avec des écopes de capot plus courtes et comportant des enjolivures en acier inoxydable poli. Je voulais également monter un moteur spécial ! Alors que beaucoup de Corvettistes sur les forums américains m’écrivaient que cela ne fonctionnerait pas, avec ma femme Jan (toute aussi enthousiaste) et mon bon ami et maître fabricant Darryll Osborne, nous avons utilisé Photoshop et des modèles réduits pour travailler la conception en profondeur. La ligne modifiée de carrosserie a ainsi intégré les rétroviseurs C5, ma “Prodigy” fut ainsi imaginée et préparée. J’ai pas été contacté par des intellectuels du design, non, personne ! J’suis resté dans mon coin à besogner relax !
Chromes&Flammes – C’est incroyable ! Qui veut bien se rappeler la double postérité du mot “design” : dessein et dessin… comprend la nature intime et, pour ainsi dire, la double postulation du designer : proche de l’ingénieur, proche de l’artiste, et de surcroît souvent associés aux équipes marketing et de vente. De l’ingénieur, il conserve la technicité, l’analyse fonctionnelle, de l’artiste, le sens du beau ! Conciliant le beau et l’utile dans les cas les meilleurs, il travaille cependant, le plus communément, sur le rendement marginal et optimise les coûts comme un chef de produit… Vous n’y avez pas pensé ?
Russ Spurling – J’ai pas eu le temps de penser à tout ça. Plus de 2000 heures ont été consacrées à la préparation de la construction. Toutes les pièces devaient être uniques. Je ne voulais pas réaliser des reproductions, alors j’ai contacté 50 clubs aux États-Unis pour obtenir des pièces d’origines, j’ai suivi les annonces eBay et j’ai demandé à un revendeur à Los Angeles de chercher une carrosserie. Après neuf mois, ce concessionnaire en a découvert une de 1963 qui avait été abandonnée dans une grange depuis les 15 dernières années, c’est tout ce qu’il a pu trouver. En 2007, j’ai résolu de migrer vers l’Australie avec ma femme mes outils et mes deux ‘Vettes et le vrai travail a commencé. Je n’ai donc pas été contacté par les grands designers, ni les usines, ni par le Président des USA qui n’en avaient rien à foutre de ma gueule. J’suis parti, point barre…
Chromes&Flammes – On voit bien avec votre réaction pourquoi dorénavant le design s’assimile et bien trop souvent se réduit à un acte de communication interne aux entreprises qui ne cherchent pas des talents comme vous qui pourtant leur apporteraient ce qu’on appelle : le design de communication qui s’est développé au rythme de l’externalisation des coûts industriels, les entreprises abandonnant leurs ateliers internes de conception et d’évolution de leurs produits, de leurs architectures, de leurs marques. Évolution périlleuse pour les uns et les autres, on le sait, mais dans la droite ligne du projet d’une société marchande qui se globalisait peu à peu. Tristesse. Quoiqu’il en soit, qu’avez-vous fait arrivé en Australie ?
Russ Sterling – Nous nous sommes d’abord attaqués au squelette, autrement défini sous le nom de cage à oiseaux, c’est le cadre métallique qui se monte sur le châssis, permettant d’y reposer la carrosserie en fibre de verre, il a fallu neuf jours pour arriver au résultat que je voulais obtenir. Ensuite, le châssis C5 a été redressé, puis il y a eu le travail extrêmement délicat d’accoupler la cage à oiseaux C2 avec le châssis C5 plus grand et beaucoup plus moderne. Comme l’emplacement de la cage à oiseaux concernait les sièges, les portes, la direction et les commandes, la carrosserie devait s’adapter à cet alignement…
Chromes&Flammes – Le designer qui se cache en vous est-il un artiste ?
Russ Sterling – Oui assurément, mais mon industrie est artisanale-perso ! Ce n’est plus un art appliqué ! J’ai formé à la main les panneaux avant et arrière, le capot et les seuils. L’extérieur courbé est sérieusement plus large qu’une C2 (10 pouces à l’arrière, six pouces aux portes et à l’arrière et huit pouces à l’avant). Nous voulions accentuer/adapter le design de la bouteille de Coca-Cola, réaliser une ’63 bourrée de stéroïdes ! Les commandes C5 ont été déplacées au centre du tableau de bord. Derrière se cache la climatisation à deux zones. Avec la carrosserie prête, Michael Falzon a passé plus de 1000 heures (c’est-à-dire 25 semaines si vous travailliez huit heures par jour, cinq jours par semaine) à peaufiner la nouvelle carrosserie puis à la préparer et à la peindre dans une teinte Mazda Mid-Silver. Nous ne voulions pas d’une couleur fantaisiste qui serait difficile à retoucher à l’avenir…
Chromes&Flammes – La production de masse ne requiert plus que de l’efficace et des produits dont l’image évoluera au gré des rendements acquis. On devrait encourager les gens comme vous à des assistances-formatives qui leurs ouvriraient de nombreuses portes dans l’industrie !
Russ Sterling – L’ingénieur GM Zora Duntov avait eu l’idée de créer une version Z06 lorsque le Sports Car Club of America a interdit les courses sponsorisées par l’usine. Pour contourner l’interdiction, des pièces de course ont été créées selon ses idées pour convenir à la nouvelle Corvette Sting Ray Z06 ! Voilà pour répondre à ce que vous me dites. Vous savez, déjà aux USA ces gens n’en avaient rien à foutre de ce que je voulais créer et en finale en Australie ou j’étais parti parce que je n’en avais plus rien à foutre d’eux, personne ne s’est manifesté pour m’aider ou pour me proposer un job ! Je suis même certain qu’après la publication des photos de ma bagnole dans votre web-site, personne ne viendra me proposer quoique ce soit d’autre que de me l’acheter pour quasi rien ! Bref, je continue de vous commenter ma Corvette… Au moins cela est une forme pour vous remercier d’être là, car que le Boss de Chromes&Flammes se déplace pour causer avec moi, c’est comme si j’avais le Pape du Kustom devant moi ! Merci ! Donc, à l’intérieur de ma “Prodigy”, il y a du cuir Connolly rouge classique partout, y compris les sièges C5 Z06. C’est mon ami Roger Davis qui est responsable du travail de couture mais c’est encore Darryll qui a créé le design de l’habitacle. Il a passé 550 heures à fabriquer à la main les nacelles de tableau de bord de style C2 tout en conservant les caractéristiques de la C5. Les seules pièces qui sont C2 sont la grille du haut-parleur, l’horloge et la porte de la boîte à gants…
Chromes&Flammes – Une bonne connaissance de votre perspicacité créative devrait permettre aux internautes qui lisent GatsbyOnline -ChromesFlammes, de se situer avec lucidité dans la chaîne de production-consommation de ce qui constitue le monde et ce n’est pas un mince bénéfice.
Russ Sterling – Ouaihhh ! C’est certain ! Je les salue ! Mais c’est pas ça qui va me nourrir ! Donc je vais en terminer avec mes commentaires explicatifs. Après on ira se saouler la gueule au bar du coin. En substance, l’intérieur a été modifié pour donner l’impression d’avoir un tas d’options d’usine ’63, des options qui n’existaient pas à l’époque. Maintenant conduite à droite parce que la voiture ne va rouler qu’en Australie où on roule “à l’anglaise” la Vette arbore un volant Grant d’époque et un levier de vitesses C3 Corvette de 1970. Je ne voulais pas voir un moteur moderne, alors les packs de bobines ont été déplacés et j’ai acheté des caches-culbuteurs à l’ancienne. J’ai ajouté un compresseur à double vis Kenne Bell de 2,6 litres, uniquement pour s’adapter au design. Le bloc V8 en alliage d’alu cube 5,7 litres avec une compression 11:1. Quelques éléments clés ont été renforcés pour s’adapter à l’induction forcée, notamment les ressorts de soupape, les injecteurs 60psi et l’ECU chenillé réglable. D’usine, les Z06 LS6 pompent 405chevaux facile, j’estime qu’il a plus de 500 “neddies” avec l’induction forcée…
Chromes&Flammes – Nombre de graphistes, de sémiologues, d’architectes et d’urbanistes peuplent le design et leurs créations parlent pour la profession. Beaucoup gardent aussi leur jardin secret d’artistes confirmés, ce qui souligne la nature spécifique des uns et des autres et de leur multiple, dans l’art et dans l’industrie. Après lecture de notre discussion, d’aucuns méditeront sur ce qu’est devenue notre inculture : une civilisation de la production de masse qui inclut les séries limitées…
Russ Sterling – C’est une société de consommation de moins en moins sélective, ce qui renvoie au paradoxe de la solitude du designer qui n’est libre que dans son seul design ! Celui de maVette se réduit à des données plus pratiques. Je m’en f… que le design a viré à la consommation de masse, ma seule préoccupation est pratique et basique, par exemple oeuvrer pour obtenir sans ordinateurs et sans l’appui de grandes technologies, une bonne répartition du poids 50/50 de la chaîne cinématique C5. Ma préoccupation a été que la boîte de vitesses à six vitesses M56 Tremec se trouve à l’arrière, boulonnée directement au différentiel Getrag. Que les bobines Phadt-Racing aux quatre coins et les rotors percés en croix pour aider les étriers standard se détachent du moule d’usine. Voilà. En finale, vous avez oublié de souligner le bonheur créatif du designer-bricoleur ! Regardez le monde de différence. Moi j’en suis à être heureux des quatre superbes jantes en alliage fabriquées par Ian Splatt de Dragway, une version contemporaine des jantes corvette des années’60… Voilà ! En tout pour fabriquer ma bagnole, c’est plus de 7000 heures, et ce fut une course contre la montre pour tout terminer pour les débuts dans un show local ! Pire que tout j’ai cabossé une aile la veille de notre départ pour le spectacle. J’étais tellement fatigué et ému que j’ai pleuré. Mais tout a été arrangé en une nuit ! Tout cela en valait la peine, Prodigy remportant cinq trophées “Street Elite”. Puis, à l’Extreme Auto Expo, la Corvette a remporté la première place dans le Top 5 Elite, puis la médaille du People’s Choice ainsi qu’une invitation à participer au Superstars Showdown MotorEx…
Chromes&Flammes – Ouvrir l’avenir et l’évolution, et faire attention à la sécurité du passé. Toute votre histoire et les contraintes du design se résument dans ce paradoxe : associer la forme et l’esthétique à une fonction et maximiser, en même temps, sa marginalité. Ca devrait vite devenir un article de référence en la matière… Wait and see…
Russ Sterling – Bien que ce soit cette Corvette qui nous réunis, sachez que malgré tout, ce qui compte pour moi c’est mon équipe ! Ils s’entendent comme des amis de longue date. La voiture a été une construction monumentale et quelle fasse l’article dans GatsbyOnline/ChromesFlammes, c’est cool, merci, c’est un hommage à Team Prodigy. Cousu dans le panneau arrière de l’intérieur est écrit : Osez rêver, osez croire, osez réaliser… Indiquez-le pour vos internautes !
2 commentaires
Cet article se veut une conversation, mais les questions de l’interviewer contiennent tout au tant, sinon plus d’éléments intéressants que les réponses de l’interviewer !
Je précise bien sûr qu’il s’agit là d’un compliment !
L’affaire s’est déroulée en plusieurs temps… Ce que le proprio avait à dire était en dessous du QI d’un anal-fa-bête, en dessous de tout, mais la voiture était percutante. Donc, je me suis débrouillé…
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