Atlantis 2, l’automobile éphémère durable…
Il fut un temps ou toutes les automobiles conféraient un fort pouvoir d’attraction sexuelle à leurs propriétaires, même les plus moches ahuris qui avaient acheté à crédit (ou volé) une occasion pourrie pouvaient espérer que leur basique Renault où Citroën où Peugeot, permettrait d’obtenir des privautés sous formes de doigtés mouillés…
Les temps ont évolués, on ne “jing-jing” plus dans les automobiles qui bien souvent ne se prêtent plus aux acrobaties aériennes… les inamovibles Ferrari, Lamborghini et autres du même genre, en ce compris less Corvette, si elles continuent d’exalter le degré d’hydrométrie féminine, n’ont plus le plancher plat et les dossiers de sièges démontables, tandis que la console centrale empêche toutes les manoeuvres en direction de l’entre-jambes…
Et les familiales “tue-l’amour” souvent citées en tant qu’engins d’avenir écologique, qui portent les logos rédhibitoires des marques désignées politiquement-correctes avec en cadeau gouvernemental des primes de toutes sortes pour favoriser un nouvel esclavage au consumérisme de masse, ces prêts à consommer automobiles donc, suscitent le même degré de lyrisme qu’un four à micro-onde en promo dans un supermarché !
Icône de la platitude universelle, plus petit dénominateur commun de la niaiserie planétaire, symptôme du broyage des goûts et des couleurs en une seule bouillie informe, fossoyeuse de tout élan créatif forcément non rentable, adversaire résolue de l’avant-garde au point de conserver le même patronyme éculé d’une génération sur l’autre, la bagnole actuelle fatigue sans même qu’on l’utilise.
Le voilà devenu palpable, le rêve de modernité, aseptisé, déshumanisé, du meilleur des mondes possibles… et la réalité du “way of life” dépasse les plus effroyables fictions d’Huxley ou d’Orwell… dramatiquement anonyme, sans histoires et sans histoire non plus, les insignifiances sur roues fonctionnent à l’ordinaire sinon au quelconque, distillant leurs triviaux services/sévices sans heurt ni saveur particulière, n’attirant pas plus le blâme que l’envie : “Rase les murs et marche à l’ombre”…
L’automobile de masse actuelle évoque la navrante insipidité des collègues de travail toujours tirées à quatre épingles et propres sur elles, ces bêcheuses désopilantes qui arrivent toujours à l’heure au boulot et se tiennent raides dans leurs petites bottines, le bloc-note serré au plus prêt du corps, ces proprettes à binocle qui écrivent comme des institutrices de CP et rebouchent consciencieusement le capuchon de leurs petits stylos ro-roses, ces frigides dont on aimerait qu’elles aient pour une fois cette petite mèche revêche ou ce bouton de chemisier défait… hélas, elles ne décroisent pas leurs cuisses pas plus qu’elles ne se dérident le minois (Par ailleurs, leur a-t-on seulement déridé l’aumônière ?…
Il vous faut hélas apprendre à supporter l’insupportable, car depuis trente ans à force de mépriser les clients considérés au mieux comme des propriétés privées dans les concessions de marque, au pire, comme des cobayes chez les vendeurs d’obscénités roulables un certain temps (incertain), les vieilles gloires du vieux monde sont fabriquées dans d’improbables ailleurs… elles deviennent hybrides (à voile et à vapeur, car le transgenre est devenu un must dans les partouzes), le snobisme est une bulle de champagne qui hésite entre le rot et le pet disait Gainsbourg en acteur lucide de cette grotesque comédie qu’est devenu notre univers.
Il n’avait pas tort… regardez les péteurs dans la soie qui nous culpabilisent façon BHL et nous entrainent dans la haine et des actions militaires démentes avant de s’enfuir dans leurs Yachts et leurs Jet-Lear, s’afficher ostensiblement dans leurs ailleurs, se complaisant à longueur de garden-party entre futiles minauderies et flagorneries surfaites autour d’un verre de Sauternes fruit du labeur de cul-terreux dont les châteaux Yquem et autres La Tour Blanche seraient bien en peine d’exhiber de peur d’offusquer leur aimable clientèle.
En effet, les pauvres, ces gens vulgaires et sans raffinement, n’ont pas la décence de brandir l’alibi culturel lorsqu’ils parlent de merde… ceci écrit, tous les riches ne pensent pas qu’un ouvrier ressemble à une statistique, loin s’en faut, en effet, depuis quelques années, le dernier chic dans les milieux distingués consiste à s’afficher dans une voiture de luxe faite des mains d’un ouvrier, un vrai…
De la masse laborieuse, les propriétaires d’Aston Martin, de Bentley, de Lamborghini et Ferrari n’avaient aperçu jusqu’alors que des photos, à longueur de brochures publicitaires, où les mains expérimentées besognent amoureusement l’aluminium ou la loupe d’orme… depuis, les firmes de luxe ont pris l’habitude de convier leurs clients à venir faire les touristes en leur “manufacture” afin d’admirer les braves gars œuvrant à l’édification de leur gloire ambulante (à quand une visite guidée des hautes sphères dirigeantes à l’intention des cols bleus ?).
Le succès rencontré par ces nouveaux zoos humains implique bien sûr son cortège de prestations folkloriques telles que le reportage photo et le moteur dédicacé… évidemment, on a scrupuleusement veillé à dépunaiser les calendriers pornos et à cacher les revues ‘de charme’ de derrière les établis… des fois que l’on soupçonnerait les mains expérimentées de besogner autre chose que l’aluminium et la loupe d’orme !
En politique comme dans le commerce, le leadership ne se prend pas, il se ramasse, et nous ne sommes pas loin de traiter les responsables de ce hold-up de gros cons, ce que nous nous garderons bien de faire, de peur d’insulter injustement ce trésor d’anatomie féminine complice de nos plus inavouables émois.
Fatale inhérence de l’horreur ordinaire, elle est la platitude quotidienne de notre mal commun, complice par défaut des hauts et des ébats de toute une Nation, elle est le plus petit dénominateur commun du peuple français… et comme avec la pastille Valda et la capote, il faut se résoudre à ce mal nécessaire que sont les nouvelles électriques désignées par un chiffre anodin ou un nom sibyllin, plutôt rondes ou coupées au carré, aujourd’hui consommées, demain consumées, ex-nouvelles voitures et futures voitures poubelles, leur vie est déjà écrite, n’en parlons plus… alors, une de plus ou de moins, cela nous émeut à peu près autant que la littérature des Grandes-Surfaces qui échoit chaque jour dans notre boîte à ordure.
Malgré l’implacable loi des séries infligées par la production de masse, certaines automobiles, miraculeusement, échappent à l’assommoir industriel, à la médiocrité routinière dans laquelle elles stagnent, un vent de folie nous offre de temps à autre une appétissante friandise acidulée… mais pourchassées par les shérifs, condamnées à une existence précaire par une rentabilité trop fragile, ces automobiles pour mauvais garçons n’écrivent qu’une histoire éparse faite de petits miracles et d’espoirs déçus.
Pour la première fois en nos temps changeants, l’automobile a cessé d’exalter le progrès, la liberté, le plaisir… à raison sans doute… sauf masochisme refoulé, je n’éprouve pour ma part aucune jouissance particulière à me saigner pour une boîte de métal et de plastique qui m’attaque le porte-monnaie jusque dans mon sommeil et dont je ne puis goûter aux performances sans réveiller ma haine pathologique du képi.
Oui, l’automobile telle que je l’ai rêvée au siècle dernier sur les pages des auto-journaux paternels appartient sans doute au passé… au rythme où va le moralisme écolo-hygiéniste, il se pourrait bien qu’afficher la silhouette suggestive d’un phallique bolide soit aussi repréhensible qu’exhiber un bout de sein devant l’Amérique puritaine… et viendra le jour où l’on mettra à l’index le moteur à explosion tel un licencieux pousse-au-crime, quand la police des mœurs poursuivra les internautes écoutant des enregistrements pirates de six et huit et douze cylindres hurlant à plus de 6000 tours… tolérance zéro pour incitation au gaspillage d’énergie non renouvelable !
C’est de ces sombres anticipations que doivent me venir mes envies brutales d’en revenir aux fumeuses répliques telles les Panther et Excalibur, comme une ultime envie d’enconner ma gueuse à l’approche de la phase terminale, je ressens l’irrésistible attrait de ces automobiles fantasques aux destins chaotiques, capable d’enfanter au gré des infortunes mais qui ne laissent jamais de marbre, la folle mélodie de ces virtuoses bêtises ne cessant d’exciter mes nuits blanches tel un graal obsédant.
Le ver est dans le fruit et le virus libéré de ses scellés, géniales autant qu’affligeantes, certaines ne cessent d’hanter mes nuits… avant la fin du monde, faites-moi penser à en re-essayer une, c’est assez urgent… à force de redites l’art, on le sait, s’appauvrit, l’avant-garde prisonnière des musées ne remet plus rien en cause, on a couché mai 68 sur papier glacé comme dans une tombe quand Lucien Ginzburg considérait lui-même l’anthologie “de Gainsbourg à Gainsbarre” comme son propre sarcophage… du reste, il faut bien reconnaître que le néo-classicisme – pour ne pas sacrifier à la terminologie Anglo maniaque de retro-design – s’est imposée comme une tendance un peu trop lourde de l’esthétique et de la vente automobile.
La resurrection des fer à repasser est à nos portes de garage, pourquoi-ne pas battre les records d’anachronismes des années précédentes comme la “nouvelle” Bentley Mulsanne et son pastiche de radiateur en nid d’abeille façon années 20, ses yeux exorbités de carrosse années 30, sa ligne de caisse ondulante très années 50 et son nom déjà usité dans les années 80, sans oublier bien sûr l’immémorial V8 culbuté dont les origines remontent au Crétacé mais que les ingénieurs VW parvenaient à faire encore fonctionner lorsqu’on pensait pourtant qu’on ne trouverait bientôt plus guère d’énergie fossile que dans les livres d’histoire.
Les nécessités du commerce s’accommodent fort bien, reconnaissons-le, d’une vision superficielle et sélective de l’histoire, quitte à passer sous silence certains “détails” embarrassants… à ce propos, on sera gré à VW de faire (discrètement) mention des origines nazies de la bête à bon Dieu dans son temple d’autocélébration de Wolfsburg… cette mémoire sélective a cependant trouvé ses limites chez Jaguar où le cours du temps semble s’être arrêté aux années 60 et à trois icônes – E-type, Mk II, XJ – autant de modèles fondateurs dont on s’est évertué à “extraire l’ADN” pour les siècles des siècles de sorte qu’aucune nouvelle orientation esthétique n’a pu percer depuis la sortie de la XJ6, en 1968. Dès 1972, pourtant, Pininfarina avait imaginé l’après-XJ via une intéressante étude XJ12PF tellement admirée du côté de Coventry qu’aucune occurrence Google n’en rappelle aujourd’hui le souvenir.
Las, à force de pasticher des pastiches, l’on imaginait guère l’habitacle d’une nouvelle Jaguar sans l’indispensable portrait officiel d’Elizabeth II trônant au beau milieu d’une orgie de cuir crémeux et de boiseries rococo, mais de ces clichés ambulants, même la clientèle la plus conservatrice en a eu la nausée, n’en pouvant plus de rappeler la série II, la dernière XJ fut le duplicata de trop, particulièrement dans sa variante Daimler dégoulinant de chrome… il faut donc rendre grâce au félin bondissant d’avoir rompu ce cercle vicieux avec la XF, première berline Jaguar “moderniste” depuis 40 ans dont l’habitacle enfin contemporain évoque d’avantage un ensemble hi-fi Bang & Olufsen que le décadent boudoir éculé.
Mais, fi de tout cela avec la “chose” qui illustre cet article, une version 2 évolutive de l’Atlantis 1, dont je n’écrirai rien parce qu’il n’y a rien à en raconter/dire/écrire, c’est une automobile éphémère durable, exclusivement personnelle, destinée à un usage indéfini, incluant le besoin de se montrer à des gens qui s’en tamponnent totalement et qui se termine par une mise au garage indéfinie…
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