Authentiques Porscheries…
Accrochez-vous, je tâcherai de me montrer explicite et précis, bien que la débauche luxuriante d’explosions d’échappements m’aient quelque peu empêché de me concentrer sur la conduite en zigzag des différentes Porsche dont l’origine remonte aux VW Beetle-Cox rêvées par le Führer Adolf Hitler en personne…, c’est dire combien l’ingénierie et l’existence de cet engin, tiennent autant de l’imprudence que de la provocation.
Je vais ainsi essayer de vous décrire une poignée de faits, parmi ceux que j’ai à peu près compris… et dans l’ordre chronologique, pour vous permettre d’avoir une vision globale de cette bêtise haut de gamme : l’authentique est l’essence même de mon existence.
Alors que seule une vraie Rolex peut donner l’heure juste et que l’on ne saurait faire de vrai carnage sans tir à balle réelle, je me devais de posséder une vraie Porsche afin d’asseoir définitivement ma crédibilité dans la vie, la vraie…
Naturellement, à l’heure où tant de cuistres prennent de fausses 911 pour de vraies Porsche, aucune fausse Porsche n’aurait pu me confondre à la notable exception d’une vraie 911 !
Dernière Porsche en porte-à-faux du modernisme automobile, ma première 911 m’a permis de goûter aux joies des plus pures sorties de route et des véritables points de suture.
Avec elle, j’accédais enfin à la quintessence de la Vérité en même temps qu’à la réalité révélée du Porsche Fundamentalists Club.
Arrivé aux milieux des justes ne pouvant avoir tort, je convoitais déjà la première poule venue quand mon bolide heurta irrémédiablement les convictions de ma promise.
J’étais refroidi par eau, elle m’a refroidi à l’air.
Sacrilège impardonnable, entre elle et moi, sa 993 et ma 996, il n’y avait pas plus de compréhension possible qu’entre absolutistes résolus et farouches adversaires de la messe en latin.
Ayant promptement revendu ma fallacieuse acquisition pour un modèle antérieur forcément plus réel tant il paraît acquis que les Porsche étaient plus vraies au bon vieux temps d’autrefois…, je pus à mon tour entretenir le snobisme de la lamentation passéiste.
Fin de race ?
Fin d’une époque ?
Fin du monde ?
A l’évidence, ma 993 fournissait matière à toutes les pleurnicheries à la mode.
Réhabilité de fait parmi les gentlemen drivers, je pris la tête de la croisade anti-faussaire.
Malgré mon abnégation à disserter de l’impossibilité de vivre dignement sans pédalier articulé par le bas quand l’écrasante majorité ne cherche qu’un simple moyen de transport économique et pas trop cher, le pape de la 911, trouvant mon zèle encore trop timide, mit ma Carrera 4 à l’index, condamnant d’office son comportement quasi neutre.
Or, le propriétaire d’une vraie Porsche ne saurait ramollir le prestige de ses organes dans un cocon sécuritaire, mou d’allure, avachi sous le poids des restylages successifs.
D’objet de culte ultime, mon morceau d’histoire rétrograda au rang de décadente impie.
Un sévère camouflet qui me coûta la mise au rebut de l’aréopage.
Pour être franc, la Porsche représente à elle seule un grand moment de ringardise dont le responsable Heer Porsche, le meilleur copain d’Adolf, mérite de deux choses l’une : ou qu’on lui assène une franche accolade amicale (celle qu’on donne aux raconteurs des bonnes blagues des familles qui font bien rire), ou qu’on lui envoie un grand coup de pied posthume au cul pour le punir d’avoir si mâle travaillé.
Je fis longuement pénitence lorsque j’eus la révélation de la 964.
Rappelez les pleureuses et ressortez votre plus beau mouchoir, la der des ders, la pour toujours définitive, l’à jamais terminale, l’irréversiblement irrévocable et suprêmement irremplaçable, c’était elle !
Sur un fond de ferraille en fusion, m’était en effet apparu le fameux Flat’6 qu’on devait entièrement démonter et sortir de la voiture pour changer les bougies (c’est là qu’on reconnaît le génie Porsche), ce n’est qu’après ce genre de faits (et d’autres aussi pires), qu’après un certain temps que je me suis rendu compte que ce n’était qu’une espèce de resucée de VWCox auquel un génial technicien entiché d’une mitrailleuse à canons circulaires à la place du bras droit, d’un petit flingue dans la main gauche, d’un émetteur récepteur à viseur autour de sa tête chauve, d’une armure à faire pâlir Bioman… et d’un pagne fait du même métal (oui, vous avez bien lu : UN PAGNE, comme Rahan, mais en acier Krupp)…, aurait ajouté 2 cylindres…
Vu l’aspect mécanique en ouvrant le capot, c’était aussi effrayant qu’une boîte de suppositoires…
J’ai alors pensé dans un éclair de lucidité que le dit technicien ne s’était guère soucié de la crédibilité du visuel ni de la sienne… et que le respect des clients était pour lui une franche rigolade en même temps que prétexte à sodomiser ses collègues féminines en souvenir du bon vieux temps…
En revanche, il est vrai que dans son essence (son huile essentielle devrais-je dire), elle représentait malgré tout “une nouvelle génération de terreur”.
Je m’explique : tous les soupçons auraient du se porter vers l’usine chimique du coin !
Sans nul doute que directeur de l’usine, ancien directeur de camp…, devait avoir pris la mauvaise habitude de faire déverser discrètement ses déchets toxiques dans le parking de l’usine Porsche d’à côté.
Renforcé dans mon puritanisme après cet épisode, j’allais de concentrations en rassemblements de m’as-tu-vu tout heureux de gaspiller du pétrole et de la gomme aux yeux des promeneurs fauchés du dimanche après-midi.
De dérapages clownesques en cascades imbéciles, je démontrais brillamment comment les vraies 911 font les vrais crétins…, jusqu’au jour où un vieux de la vieille me traita de jeune inculte incapable de faire la différence entre une grosse GT et une Porsche.
Trahison !
Aux yeux des gardiens du culte, assistances hydrauliques et injection électronique, ces enfants terribles du progrès impie insultaient irrémédiablement la mémoire des anciens.
Ne pouvant supporter que l’on puisse posséder 911 plus véritable que ma Carrera 2, je répudiais aussitôt l’infamante.
Ayant abjurés mes erreurs de jeunesse, je m’approchais au plus près de la vérité révélée au volant d’une type « G ».
Promis, juré, craché, aussi incontestable qu’il n’y a pas de salut possible sur cette terre sans jantes Fuchs, ma Carrera 3.2 demeurerait pour toujours et à jamais la dernière des vraies de vraies, l’immaculée, l’immortelle, l’irremplaçable 911.
Malheureusement pour mon niveau d’avancement dans le gotha des passéistes, le prestige de mes pare-chocs caoutchoutés n’égalait pas tout à fait la grâce des fines lames chromées alors que l’image sécuritaire rabat-joie des années post-’73 surpassait avec grand peine le parfum d’insouciance des swinging sixties.
Plus vraiment d’occasion mais pas encore de collection, ma vraie 911 avait en définitive tout faux.
M’aurait-on menti ?
De guerre lasse, ma soif d’absolu m’emmena aux sources même de la légende.
Sachant que la carte grise collection légitime jusqu’aux plus notables merdes quand la patine du temps vous arroge la bienveillance aveugle des meutes chagrines, il me fallait une 911 sous alibi historique, en d’autres termes, techniquement obsolète, spartiate à en mourir, rapide comme une honnête familiale moderne, garante de l’insécurité routière les jours de pluie mais tellement plus crédible, cela va sans dire, qu’une Porsche honteusement moderne.
L’immaculée non sans mal dénichée, je trouvai enfin la paix intérieure et m’apprêtais à extraire la quintessence de ma savonnette à la faveur d’un sol gras…, quand un puriste encore plus pur que tous les autres bouleversa une nouvelle fois ma conception du monde.
Fier comme Artaban aux commande de sa 356, le janséniste jeta à ma pouliche le regard condescendant que l’on porte habituellement aux coupés bourgeois.
J’avais encore une fois failli dans l’orthodoxie en oubliant que la 911 descendait de la 356, la seule, unique et définitive détentrice de l’esprit originel, cela va de soi.
Déboussolé dans mes certitudes, je découvris quelques temps plus tard que la 356 dérivait en fait de la Volkswagen, le seul vrai jalon de l’histoire d’après les disciples de la bête à bon dieu.
Reste la fin, que je ne raconterai pas complètement ici, mais dont j’écrirai simplement qu’elle m’a laissé stupéfait, en faisant, dans la version sa plus courante, s’achever l’histoire en queue de poisson intégrale, me laissant dans des abîmes de perplexité.
La direction de Porsche aurait du avoir le culot d’inscrire l’avertissement suivant à l’arrière du pare-soleil du conducteur : “Ne soyez pas démoniaques, ne détruisez pas l’intérêt que pourraient prendre vos amis à cette voiture, ne leur racontez pas ce que vous avez vécu !”.
Parce que le monde doit savoir que c’est quand même top nazi top naze !
Puis, ma quête essentialiste vira carrément au chaos intellectuel dès lors que j’appris d’un cocher demeuré au XIXème siècle, que les seules vraies voitures ne pouvaient qu’être hippomobiles, comme au bon vieux temps…
De révélations explosives en bouleversements existentiels, mes troubles obsessionnels ne trouvèrent de remède qu’une fois suffisamment à l’écart de l’évolution humaine.
De ma chaumière en torchis d’où je vous écris aujourd’hui au milieu de mes bœufs et gallinacés, je savoure pour la première fois depuis longtemps la satisfaction d’être dans le Vrai, ou plus précisément, dans la fiente et la bouse séchée.
Certes, mes sabots garnis de paille ne relèvent pas du même confort que mon ex-paire de Church’s, le culte du Frigidaire ne m’apparaît plus aussi futile comparé aux contraintes de la salaison et je me surprends parfois à rêver de cuvettes Jacob & Delafon, assis sur mon pot de chambre…, mais rien de ces subversives pensées ne pourraient ternir mon bonheur fondamentaliste, libéré que je suis de l’insidieuse fourberie du progrès impur…