Bentley Corniche “Réplica” + Bentley Turbo “R”…
Bentley a gagné au Mans cinq années quasi consécutives et a passé les soixante-dix suivantes à s’en glorifier passivement sous obédience Rolls-Royce. Cette phrase résume l’histoire de Bentley et c’est suffisant comme préambule à cet article, outre que je vais en distiller par ailleurs quelques détails ! Ensuite, je vais me laisser aller à justifier ma sympathie pour la Bentley Turbo R et en finale je vais m’attarder sur la re-création d’une ancienne Bentley destinée à créer de l’émotion dans le cadre du centenaire de la marque : la Bentley Corniche !
Donc, Bentley a gagné au Mans cinq années quasi consécutives et a passé les soixante-dix suivantes à s’en glorifier passivement sous obédience Rolls-Royce… jusqu’au jour où la mode du turbo et les manies néo-rétro ont accouché de la pachydermique extravagance que j’ai acquise de mon plein-gré sans toutefois signer quelconque reconnaissance préalable et préjudiciable, me contentant, par ma contribution financière, de rendre un hommage littéral aux “camions les plus rapides du monde” raillés jadis par Ettore Bugatti qui pourtant, avec ses “Royale’s” pachydermiquement magnifiques, certes, mais ridiculement éléphantesques, n’avait pas de motif sincère à critiquer sa concurrence.
La passion a ses raisons que la raison ignore. Quand bien même Sir Montaigu of Beaulieu ne possédait qu’un brave carrosse agile comme peut l’être un morse hors de l’eau, il fallait faire “sport”, que dis-je, “racing”, tant il était vrai que les penchants pour le confort des happy few (ramollis dans l’aisance) relevait du délit d’impuissance. C’est ainsi que le plus célèbre fabriquant de tank recycla son unique base roulante déjà trentenaire en sportive pour les besoins de sa communication et, vu les moyens dérisoires dont disposait l’auguste manufacture en ces années à ne plus mettre un carrosse dehors, ce morceau de bravoure émeut encore jusqu’à la lecture de sa fiche technique.
Pensez-donc, 875 Newtons-mètre à 2200 tours/minute, voilà un chiffre faramineux dont l’ouïe abracadabrante bombarde toujours et encore les esprits initiés d’images dantesques quand l’illettré technique ne perçoit que barbares chinoiseries. 875 Newtons-mètre à 2200 tours/minute, pour l’amoureux des chiffres, c’est du Wagner, le souffle épique d’une loco Atlantic lancée à toute vapeur, la force irrépressible d’un brise-glace balayant tout sur passage et bien sûr, la charge onirique d’une Bentley s’ébrouant brusquement à la faveur d’un kick-down exalté. Ma Bentley Turbo R est un “Tyrannosaurus-Rex”... Avec son empattement aussi long que l’érection de Secco Siffredi (pour qui s’en souvient encore), ses trois tonnes de heavy metal et sa bonne grosse gamelle à la courbe de couple dantesque, cette Gargantua Turbo inquiète toutefois toujours aussi bien les turbo-bahuts et autres panzers des sables, que les bella machinas de la plus pure race.
Ce cétacé sorti de je ne sais quel Jurassic Parking défie à ce point l’entendement que toute tentative de jugement objectif se brise sur les fanons de son monumental fronton. Elle n’occupe pas l’espace, elle l’emplit, l’envahit sinon l’écrase en s’imposant aux regards plus qu’elle ne se propose à la plouquesque. Ni raisonnablement belle ni honnêtement laide, elle EST, tout simplement. Définitivement étrangère aux sempiternels critères d’évaluation contemporains, elle va jusqu’à se jouer des repères temporels. Elle naquit en 1996 mais aurait pu tout aussi bien voir le jour en 1986 ou en 1976 tant elle s’inscrit dans la parenté technique de toutes les Bentley’s…
Alors que s’éteignent les derniers dinosaures, alors que la création du Covid19 pour en obtenir les conséquences qu’on nous impose pour forcer la populace (un coup de force et de farce magnifique et dérisoire) à cracher sur les moteurs thermiques et se tourner vers la magie électrique comme un baroud d’honneur… quelques spécimens de dinosaures automobiles comme les Bentley circulent encore faisant fi d’être traités d’incommensurables absurdités ! Posséder un paquebot de sport de très grand luxe est donc politiquement-incorrect, ce dont j’aurais bien tort de me plaindre utiliser, tant cette vie est justement absurde !
Altière souveraine, elle croise au-delà de l’entendement, là où aucune comparaison trivialement automobile n’a de sens. Hors du temps, elle inspire toujours le même sentiment de puissance colossale qu’une icône de la locomotion à vapeur. Hors-norme, elle a toujours et encore la magnificence d’un transatlantique de la grande époque. On avait failli la croire éternelle, tant elle paraissait conforme à la lignée des Silent Sport Cars qui l’ont précédée, malgré, il est vrai, quelques concessions au “tuning-chic” sévissant chez les happy few. Et pourtant, la loi de l’évolution est venue sonner le glas des baroqueries de cuir et de bois précieux en nous priant de faire le deuil de presque un siècle de V8 gargantuesques. Adieu, donc à la dernière Bentley dérivée d’une Rolls-Royce, dernier paquebot pas tout à fait britannique mais pas encore totalement allemand et modèle charnière entre deux époques pour l’usine de Crewe.
A dire vrai, peu de modèles furent aussi fraîchement accueillis que ce carrosse sportif extrapolé de la même citrouille qu’était la Rolls-Royce Silver Spur. Si la presse automobile hexagonale broda un tissu niaiseux de clichés éculés à base de “meilleure voiture du monde” et autres suffisances fumeuses échappées de l’esprit dogmatique d’Henry Royce, on ne peut guère en dire autant des plumes anglo-saxonnes dont le professionnalisme critique outrepassait toutes les révérences verbeuses à l’égard de la mythologie britannique : “J’ai peine à expliquer comment Rolls-Royce a pu passer 8 ans et dépenser des millions de livres Sterling pour sortir une nouvelle voiture de même taille – énorme – de même poids – lourde – et utilisant le même moteur assoiffé que l’ancienne” écrivait Car&Driver ! “Une consommation d’essence gargantuesque aujourd’hui lamentable, devrait devenir franchement anti-sociale ou même illégale dans les années à venir” ajouta Motor la même année. “Sans son radiateur et son logo, elle serait simplement grosse, lourde et affreuse” renchérit Wheel.
Outre l’effarant bilan énergétique d’une bonne grosse gamelle de six litres trois quarts conçue en des temps plus prospères à destination du premier gaspilleur mondial de pétrole, on peut comprendre l’amertume des spécialistes quant à l’absence totale d’innovation de ce qui n’était qu’un simple re-carrossage de la précédente Silver Shadow, modèle emblématique lancé quinze ans plus tôt mais dont le pedigree technologique, quasi-révolutionnaires en 1965, avait fini par pâtir du manque de moyen du petit manufacturier de Crewe face à l’Empire de Stuttgart. Quant à l’esthétique certes moins empâtée que celle de la Shadow, la raideur monacale de ses lignes trop rébarbatives pour ne pas dire déjà vues sous des labels moins glorieux, n’incitait guère au lyrisme.
Alors qu’une baraka de leader palestinien avait préservé la maison britannique des crises pétrolières durant les seventies, la division par deux de la production annuelle constatée en l’espace de deux exercices convainquit les plus flegmatiques qu’il ne suffisait plus d’attendre patiemment que le candidat acquéreur veuille bien se donner la peine de vouloir débloquer ses comptes en Suisse.
Derrière les briques rouges de Pyms-Lane, on se mit à implorer le dieu Mercure. Et c’est alors, ô miracle, qu’un cerveau avisé eut l’idée de lancer “LA” Bentley Turbo, mot magique s’il en est en ces temps avides de superlatifs technico-m’as-tu-vu. Certes, l’intention dépassait largement la réalité des modestes moyens techniques disponibles. Même turbocompressé, le paisible V8 n’en restait que faiblement sollicité, la puissance maximum estimée de quelques trois-cent percherons s’obtenant à des régimes de compresseur à mazout, là où les turbos de compétition bénéficiaient encore d’une confortable plage de régime avant de daigner s’éveiller. Ravie de se taper autre chose que des minimums automobiles aseptisés à force de boîte longue et autres brides anémiantes, la presse anglophone succomba à l’euphorie de célébrer “le retour de la Browler Bentley”… S’il était tout de même bien difficile de trouver une quelconque continuité entre deux engins séparés par un demi-siècle de léthargie, ce moteur au tempérament pachydermique, capable de fournir un couple camionnesque si bas dans les tours, n’en rappelait pas moins ce qu’Ettore Bugatti qualifiait avec ironie de “camion le plus rapide du monde” soixante-ans plus tôt. Avant que les journalistes avides de rapprochement historiques n’aient été tentés de mettre à l’épreuve la Mulsanne dans la courbe éponyme, au risque de mettre à jour de peu gracieux déhanchements, le bureau d’étude Rolls-Royce fit en sorte que l’enthousiasme soulevé par la voiture survive au premier virage serré.
En 1985, le renfort salutaire des barres anti-roulis, de pneumatiques élargis et d’une poignée de quadrupèdes supplémentaires portant l’écurie à 389 spécimens, annonça l’évolution Turbo R. “R” comme Roadholding ! “Not Roller”, précisa Motor-Trend, rappelant non sans malice que l’analogie entre le nom Rolls et le verbe to roll ne tenait pas seulement de la proximité sémantique. Une nouvelle fois, l’effet surprise fit mouche. “Elle a une vivacité, une agilité sans rapport avec sa taille et ses origines” s’emballa le magazine US Automobile. “Imaginez, si vous le pouvez, une Rolls avec des performances de Porsche” asséna le célèbre Motor Trend. Bon an, mal an, la baraka dura. Avec ses moyens dérisoires, Rolls-Royce battit tous ses records de vente en 1990. Trois mille carrosses produits cette année-là ! Il faudra attendre une bonne quinzaine d’exercices et les capitaux de Volkswagen pour pulvériser ce chiffre. Certes, les méfaits d’une nouvelle crise venue du Golfe et la volonté du groupe Vickers de se défaire de son joyau bicéphale relancèrent les pires spéculations, mais les folies de quelques généreux clients moyen-orientaux permirent de maintenir le navire à flot et même de donner encore quelques beaux coups de griffe. Signe des temps, la Rolls-Royce type est maintenant une Bentley turbocompressée. Au fil du temps, les noms commerciaux sont changés en Brooklands R ou Turbo RT et le V8 flirte avec les quatre-cents horse power !
Je l’affirme sans férir, en inventant la première Bentley Turbo, le constructeur le plus suffisant de la planète fit plus que découvrir le marketing. Mon propos ne manquera pas d’étonner ceux qui relèguent d’ordinaire les Mulsanne Turbo et compagnies aux milieux des verrues eighties genre Maserati Biturbo, Porsche 944, Aston Martin Vantage Zagato et autres regrettables erreurs de parcours dans l’itinéraire de grands noms, mais allez savoir si, sans ces citrouilles gavées aux hormones, nous pourrions encore parler aujourd’hui de Bentley au présent ! Quoique… Le marketing et les opportunités calculées sont sans limites. Pour séduire une nouvelle clientèle, Bentley intégré chez Volkswagen qui a acheté Audi, Bugatti, Seat, Cupra, Škoda, Porsche, Lamborghini, Ducati, Scania MAN et JETTA (Chine) s’est lancé un défi :
En 1939, Bentley aurait dû commercialiser un nouveau modèle : la Corniche. Mais à cause de la Seconde Guerre Mondiale, la carrosserie de la voiture a disparu. Jusqu’à aujourd’hui, puisque la marque a décidé de reconstruire le seul exemplaire créé avec l’aide de la division Mulliner. Les années 1930 étaient plutôt fastes pour Bentley, avec des modèles devenus iconiques. Mais certains ont été totalement oubliés, voire même disparus littéralement.
C’était le cas de la Corniche, une version voulue plus sportive de la MkV. Mais, encore à l’état de prototype, le seul exemplaire avait disparu en 1939 au début de la Seconde Guerre Mondiale. Bentley a donc reconstruit la Corniche de 1939, une voiture unique emportée par la Seconde Guerre Mondiale et ses bombardements. Les travaux ont pu être terminés en 2019, année du centenaire de la marque anglaise.
La Corniche en question devait se positionner comme la variante sportive de la berline MkV. Son dessin fut confié au Français Georges Paulin et la carrosserie fut réalisée par la société Vanvooren, à Paris. Après quelques premiers tests concluants en mai 1939 sur le circuit de Brooklands, la voiture fut envoyée en France pour des essais routiers. Elle fut endommagée une première fois par un bus puis un arbre qui traversait la route a été “LE” responsable d’un accident.
Souhaitant réagir promptement pour ne pas retarder les débuts de sa Corniche, qui devait être exposée aux salons de Londres et de Paris, Bentley envoya le châssis à Crewe et fit réparer la carrosserie par un atelier local en France. Une fois remise en état, celle-ci arriva à Dieppe pour être envoyée en Angleterre. Elle attendait patiemment son transport, entreposée au port de Dieppe, mais elle n’a pas survécu aux importants raids aériens en 1939, qui la font totalement disparaître des radars.
Un projet de reconstruction fut entamé en 2001 par des bénévoles de la “W.O. Bentley Memorial Foundation” et de la “Sir Henry Royce Memorial Foundation”, soutenu par Bentley à partir de 2008 puis finalement récupéré par le constructeur en 2018 qui a confié à Mulliner (le département en charge des projets spéciaux) de réaliser une réplique 100% faussement authentique de A à Z….
Les équipes œuvrant à la reconstruction de la voiture ont pu s’appuyer sur des dessins techniques d’époque. Elles ont utilisé quelques composants mécaniques de la Mk-V et de la Corniche d’origine, mais ont entièrement reconstitué le chassis, la carrosserie et d’autres éléments ainsi que la mécanique.
Bentley/Volkswagen recréant l’unique Corniche de 1939, reste toutefois relativement embarrassant d’un point-de-vue “vérité historique”, même si Bentley l’a présentée comme la résurrection d’une sorte de “chaînon manquant” selon l’explication d’un pathétique communiqué de presse !
Il affirmait que : “Bentley a travaillé avec le soutien de l’atelier de transformation Mulliner, plus habitué aux voitures très exclusives et aux transformations de véhicules pour les personnalités publiques comme la famille royale. Des croquis fournis par la famille du designer originel, le français Georges Paulin, ont été nécessaires pour reconstruire à l’identique cette Corniche. Certaines pièces, qui avaient été produites à l’époque pour fabriquer d’autres Corniche en petite série, avaient été conservées jusque dans les années 1970 avant d’être vendues par la suite. Il aura donc fallu des années pour en rassembler certaines et en reconstruire d’autres grâce à la CAO (création assistée par ordinateur). Quant à la peinture, elle a été ajustée pendant des heures par des spécialistes pour trouver un mélange qui se rapprocherait le plus de la teinte “Imperial Maroon” originale. Des centaines d’heures, parfois sur leur temps libre, ont été nécessaires aux équipes qui ont travaillé sur cette Corniche”...
La “réplique”, nouvelle-vieille Bentley Corniche by Mulliner… a ensuite été exposée lors des festivités du centenaire de Bentley et a ensuite été placée dans la collection privée de la marque !