Bons baisers de Russie…
En Russie, tout ce qui se rapporte à l’automobile donne des maux de tête.
À commencer par cette prime à la casse accordée seulement aux acheteurs de véhicules made in Russia, une politique qui suscite le mécontentement des automobilistes russes qui préfèrent les véhicules étrangers, plus fiables, plus modernes et surtout plus jolis que la production locale.
Au cours des dernières années, la Russie a permis à une vaste majorité de ses ressortissants de concrétiser leur rêve sur quatre roues, sans véritablement leur imposer une fibre patriotique.
Si on en a les moyens, on roule dans une voiture étrangère et non une marque domestique ou internationale qui produit, sous licence, de vieux modèles bon marché, certes, mais obsolètes et peu valorisants…, raisons pour lesquelles les russes évitent de les acheter.
Chez les nouveaux riches russes, on aime bien les gros 4×4 qui permettent de cruiser rapidement dans la neige tout en embarquant dans le coffre un maximum de cadavres calés par des caisses de bouteilles de Vodka.
C’est donc presque la larme à l’œil qu’ils ont vu arriver l’Audi Q7 V12 TDI dont le couple titanesque ralentit ou accélère la rotation de la Terre suivant dans quel sens il accélère, tout en proposant une soute à bagages que ne renierait pas un jumbo jet adulte. En fait, ces oligarques l’aiment à tel point qu’ils en viennent à tourner des clips (fort bien monté d’ailleurs) en son honneur, même si l’émotion leur fait commettre quelques erreurs (W12 au lieu de V12 et km/h au lieu de mph).
La Russie étant ce qu’elle est, on remarquera toutefois que la vérification des performances se fait en ville, après avoir chauffé les pneus avec une élégance d’hippopotame ballerine.
Les temps constatés sont un 0 à 100 en 4,9s, un 0 à 200 en 18,7s, avec une pointe à 210 km/h.
Ce qui semble tout à fait suffisant pour un parpaing de 2,5 tonnes lancé sur un boulevard.
Dans ce pays, à Moscou tout particulièrement, le très haut de gamme occupe une place de choix.
Les Audi A8 et autres berlines de prestige (y compris les Maybach) connaissent un franc succès, y compris chez la force policière qui véhicule là-bas ses plus haut placés au volant de BMW Série 7 dont le coût unitaire excède largement les 100.000 euros !
Il n’y a pas que des berlines de prestige…, à quelques minutes à pied de la place Rouge, tout le gratin automobile, de Ferrari à Lamborghini en passant par Maserati, a un point de vente.
Pour le commun des consommateurs russes, toutefois, le chic automobile prend la forme d’une berline classique, de marque internationale et noire de préférence.
Le 4×4 est aussi très bien vu en Russie en raison notamment des suspensions à grands débattements qui permettent d’atténuer les profondes crevasses qui lézardent le réseau routier.
Bien qu’ils étaient tous présents au salon de Moscou, les véhicules hybrides peinent à trouver leur place dans la rue.
Et très peu de voix s’élèvent contre le laxisme des autorités quant à la préservation de l’environnement et aux économies de carburant.
Les normes antipollution respectent la norme Euro 3, alors que la norme Euro 5 entrera en vigueur à compter du 1er janvier 2011 sur le Vieux Continent.
À ce retard s’en ajoute un autre : la sécurité.
Ainsi, la Lada 4×4 (qui a été commercialisée au début des années 80 sous le nom de Niva), fait toujours carrière en Russie.
Vendu 280.000 roubles (environ 10.000 euros), cet antique utilitaire a fait l’objet de multiples perfectionnements au cours des 30 dernières années.
Lesquels ?
La finition est toujours aussi approximative, les tissus des sièges respirent toujours aussi mal, le système antipollution collé à son moteur respecte seulement la norme Euro 3 et son habitacle ne compte pas le moindre airbag…, comme plusieurs autres véhicules de conception russe d’ailleurs.
Après avoir goûté au modernisme de la production étrangère, on peut aisément comprendre les Russes de ne plus vouloir reprendre le volant de véhicules aussi rustiques.
La haute administration Russe est toujours enclavée par les pro-nostalgique d’antan “Back To USSR” et que le cadre politique est à saveur Mafieuse en ce qui concerne la soit disant ”Nouvelle Économie”.
Fiat avait vendu mi des années ’60 sa vielle chaîne de montage aux Russes avec le modèle Fiat 124, modèle “Jigouli” en Russie et Lada à l’exportation.
Réparations et pièces de rechanges étaient parti prenante d’une bonne partie des revenus des deux fabricants, tant Russe en Russie qu’Italien en Italie.
Les dirigeants de la société d’État d’AvtoVAZ, ont décidé en 2000 d’utiliser le nom de la Lada, également en Russie…, économique mais faiblotte avec ses 90 chevaux et une chaîne de montage toujours dérivée de celle initiale de Fiat.
En 2001 la société GM-AvtoVAZ a vu le jour avec la Chevrolet Niva en 2002… qui était en fait une Lada Niva 4×4 avec le même châssis et même mécanique !
Depuis 2008 c’est Renault-Nissan qui s’est vu attribuer l’honneur de poursuivre la relève de modernisation de la Lada en Russie et sur le marché Européen.
Les Russes ne sont pas encore habitués aux bonnes voitures, ils en demandent toujours plus.
Pour un jeune cadre moyen, c’est une sensation proche de l’euphorie que d’acquérir enfin ce à quoi hier il ne pouvait que rêver.
L’abondance est un phénomène nouveau, l’idée qu’il vaut mieux épargner pour l’avenir, pour la descendance, n’a pas encore pris racine.
En plus, le niveau de l’inflation, même s’il est en baisse, reste encore assez élevé et les banques sont loin d’être toutes dignes de confiance.
L’argent doit être dépensé dans des gadgets étrangers épatants… et une voiture personnelle octroie, dans une certaine mesure, une sensation de liberté et de prestige aux yeux des copains et copines.
Les producteurs de voitures sentent bien qu’un tel état d’esprit joue en leur faveur.
En Russie, la publicité automobile prêche la vitesse, le dynamisme, un style de conduite sportif et autres valeurs “jeunistes”.
Nulle part vous n’entendrez dire que le style sportif ne convient qu’aux sportifs.
Dans les spots publicitaires, les voitures foncent comme des bolides, étalent les technologies dernier cri dont elles sont truffées, la puissance des moteurs, les distances qu’elles peuvent franchir.
Une telle publicité ne vise pas les acheteurs de voitures sportives luxueuses, l’auditoire de masse qui visionne ces publicités n’achète pas ce genre de joujoux.
Mais il est absolument nécessaire que les simples gens se retournent au passage de ces coûteux engins.
Alors l’heureux propriétaire sentira qu’il n’a pas été floué…, les autres, au revenu plus modeste, en tirent également parti, ayant la conviction de savoir quelle voiture est la meilleure et de comprendre clairement ce qu’est une vie luxueuse.
Même si c’est de façon virtuelle, on y participe en quelque sorte.
En Russie les voitures démarrent en trombe et se lancent dans la course à peine le feu passé au vert.
Et là, même les Lada bas de gamme peuvent, le temps d’une éclair, prendre le dessus sur une voiture étrangère puissante et couteuse.
Car c’est précisément le dynamisme, appelé “drive” par les Russes, que la publicité vante constamment.
La sécurité, d’ailleurs, n’est évoquée qu’en passant.
Quant à l’écologie, c’est une valeur éphémère et douteuse avec laquelle on n’attire point le Russe… et qui n’est que très rarement revendiquée.
Le système “start and stop” (qui éteint temporairement le moteur quand on appuie sur la pédale de frein afin de ne pas enfumer sans raison dans les bouchons et aux feux) n’est perçu que comme un parasite gênant.
C’est que le “rallumage” est trop long, excusez-moi mais deux secondes, tout de même…
“Non seulement tu ne peux doubler personne aux feux, mais tu risques d’enrager le flux nerveux des automobilistes moscovites”.. m’a dit mon taximan…, “derrière l’indolent, les klaxons nerveux commenceront à résonner…, en plus, l’allumage fréquent du moteur est une usure inutile. Et même si cette dernière est microscopique, une voiture achetée avec mes deniers kopeks vaut plus que toute l’écologie du monde”.
Nous savons tous que l’homme est un chasseur !!!!
La police russe a bien compris, que les radars et les procès verbaux ne font pas ralentir les grosses berlines, ils dès-lors décidé de mettre des femmes en bikinis sur le bord de la route mais comme la température est souvent un peu fraiche…, ils ont choisi de les mettre en carton… et je peux vous dire que l’idée est très bonne même un peu trop, car les véhicules ralentissent jusqu’à créer des bouchons !!!
Certains automobilistes s’arrêtent même pour y faire quelques photos avec les filles en carton , comme quoi la méthode russe marche mieux que nos radars automatiques mais bien moins rémunératrice !!!!
Il est un sujet sur lequel les Moscovites sont nostalgiques de l’époque soviétique, c’est bien celui de la circulation automobile.
Aisée il y a quatorze ans à l’époque de l’URSS, quand les véhicules étaient rares, la circulation dans Moscou est désormais un vrai casse-tête.
Le thème, ressassé à l’envi, est devenu la bête noire de la municipalité, le cauchemar de la police de la route.
La municipalité de Moscou n’en finit plus de se pencher sur le problème.
Un système coordonné de fonctionnement des feux est à l’étude.
Le maire, Iouri Loujkov, parle de construire un périphérique supplémentaire : “Un cautère sur une jambe de bois”, maugrée Valentin, un retraité de l’armée qui améliore son ordinaire en faisant du voiturage et perd des heures chaque jour dans les embouteillages, “le problème, c’est qu’il y a de plus en plus de voitures. Aujourd’hui, 3 millions circulent. Comment les absorber ? Moscou est devenue trop petite”, argue-t-il.
A 65 ans passés, Valentin se souvient de l’époque soviétique : le citoyen ordinaire désireux d’acquérir une voiture devait alors attendre cinq ans…, mais fidèles à leur habitude, les Russes avaient tourné le sujet en dérision.
Valentin aime tout particulièrement la blague de “l’homme qui veut savoir si, dans cinq ans, on lui livrera la voiture le matin ou l’après-midi. A la préposée qui s’étonne, il répond qu’il a besoin de savoir car le plombier lui a déjà fixé un rendez-vous pour dans cinq ans, le matin”…
Aujourd’hui la pénurie n’est plus et les Moscovites sont de plus en plus nombreux à acquérir un véhicule.
Le pouvoir d’achat des ménages russes a crû de 9 %… et quoi de plus facile, depuis que les banques se sont mises à proposer des crédits pour l’achat d’une voiture ?
Des publicités sont visibles à chaque coin de rue.
Rien que l’année dernière, les ventes de voitures étrangères ont doublé en Russie.
A l’heure actuelle, les trois quarts des voitures sont japonaises, allemandes, coréennes ou américaines.
Conscients de l’intérêt qu’offre ce grand marché, Ford, Renault-Nissan, General Motors ont commencé à fabriquer en Russie, Toyota à également franchit le pas.
Peugeot y songe.
Incapables de résister à l’attrait du “brent” (la marque), les Russes affichent leur rang dans l’échelle sociale par le biais de leur voiture.
Les Mercedes, Volvo, BMW constituent l’ordinaire du parc en circulation.
Tout fonctionnaire ou homme d’affaires qui se respecte se doit d’avoir au moins une Mercedes de bonne taille, avec gardes du corps et vitres fumées, quand bien même celles-ci sont interdites par la loi.
Les 4 × 4 sont aussi très prisés, et parmi eux le Hummer, ce véhicule blindé tout-terrain utilisé par l’armée américaine en Irak.
Sa version civile, malgré son prix élevé (entre 80 000 et 130 000 dollars), a beaucoup de succès ici, alors que General Motors en a arrété la fabrication depuis deux ans aux USA !
En dehors du Hummer, il n’est pas rare de croiser à Moscou des Jaguar, Bentley, Porsche ou Lamborghini.
Viennent ensuite les voitures de marque japonaise ou coréenne qui font le bonheur de la classe moyenne.
Tout en bas de l’échelle enfin, il y a les “Jigouli”, des petites voitures de l’époque soviétique.
Rouillées, mille fois rafistolées, elles tiennent encore le coup.
Celle de Valentin a un pare-brise cassé, un système complexe de démarrage, mais “elle roule, et c’est l’essentiel”, se console-t-il.
Souvent “klaxonné et houspillé” par les luxueuses voitures qui roulent à tombeau ouvert sur l’avenue circulaire à huit voies (Sadovoe Koltso) du centre de la capitale, il reconnaît qu’il n’est pas de taille à lutter contre les Mercedes et les puissants 4 × 4 : “Dès que je les vois arriver, je me rabats sur le côté”…
Pour les conducteurs de grosses cylindrées, conduire à 160 kilomètres à l’heure en pleine agglomération est un nouveau hobby.
Le réflexe est d’autant plus acquis qu’aucune limitation de vitesse n’est jamais visible.
Et si des panneaux venaient à apparaître, rien ne dit qu’ils seraient plus respectés que les sens interdits, les feux rouges ou les passages cloutés, des notions plus que relatives dans la conduite à la russe.
Résultat : une centaine de morts par jour en Russie, soit 35.000 morts chaque année, dont un millier d’enfants.
Un chiffre révélé par le ministre russe de l’intérieur… et qui commence à alarmer les autorités.
Un accident sur trois est dû aux excès de vitesse, a souligné le ministre.
Avec 12 accidents pour 10.000 voitures, la Russie occupe la triste première place mondiale.
En novembre 2005, Vladimir Poutine, jugeant que cette hécatombe portait atteinte aux “réserves démographiques” du pays, a demandé un renforcement du contrôle sur l’octroi du permis de conduire, mais 6 ans plus tard, en 2010, rien n’a changé !
L’étude du code de la route est en effet facultative pour ceux qui ont les moyens (300 euros) de se procurer un vrai-faux permis.
Une fois au volant, le chauffard qui ne veut pas tomber entre les pattes des gaishnikis (policiers de la route) peut acquérir, sous le manteau pour une somme coquette, soit 200.000 dollars, la plaque d’immatriculation officielle aux trois lettres magiques, “AAA”, qui rend toute verbalisation impossible.
Et puis, il y a la migalka, le gyrophare des voitures officielles, véritable sésame de la circulation.
En vente elle aussi sous le manteau, il faut compter 25.000 dollars, la petite lumière clignotante bleue suscite convoitises et rancœurs.
Elle est la hantise du chauffeur ordinaire, contraint d’immobiliser séance tenante son véhicule pour laisser le passage dès que le signal lumineux apparaît dans son rétroviseur.
Reliquat de l’époque soviétique, la migalka est, depuis peu, contestée par une association d’automobilistes nommée “Liberté de choix”, qui voudrait voir son usage restreint.
Rue Bolguina, à Moscou, devant l’université du ministère de l’Intérieur, des dizaines de voitures de police sont garées sur le trottoir, d’autres en double file, les piétons se fraient difficilement un passage entre les véhicules des forces de l’ordre.
La circulation patine et les autobus peinent à marquer l’arrêt.
Dans cette mégalopole de 10 millions d’habitants bruyante et encombrée, voici le quotidien aberrant auquel sont confrontés les Moscovites, impuissants face à des gardiens de la loi aussi omniprésents que laxistes. Lors de son discours d’investiture devant la Douma, le nouveau maire de Moscou, Sergueï Sobyanine, a promis de s’attaquer aux problèmes de circulation qui gangrènent la ville.
Selon un sondage récent de l’institut Vtsiom, les embouteillages, couplés au mauvais état des routes, sont devenus la principale source de préoccupation pour 42% des habitants (28% l’an dernier).
En moyenne, les automobilistes affirment passer trois heures dans les bouchons.
“Depuis longtemps, les experts ont identifié les sources de ces débâcles : un système de circulation aberrant copié sur les circuits de Formule 1, où il est pratiquement impossible de tourner à gauche, ainsi qu’un mépris général, et rarement sanctionné, pour le Code de la route”, m’explique Mikhaïl Blinkine, directeur de l’Institut du transport, “avant la perestroïka, il y avait très peu de voitures et la priorité était axé sur le développement des transports publics, mais en quinze ans, le parc automobile a explosé tout comme la densité des immeubles. Une disproportion est ainsi apparue entre les surfaces consacrées à la route -moins de 9% contre 25% en Europe- et celles destinées à la construction”.
Situé au sud-ouest de la ville, le quartier d’affaires Moskva City, est le meilleur exemple de cette gestion anarchique de l’espace urbain.
“Symbole des années Loujkov, ce projet fut une erreur, mais il doit être poursuivi”, estime Sergueï Sobyanine, moyennant la création d’une infrastructure de transport adapté.
À la différence de la sophistiquée Saint-Pétersbourg, Moscou ne dévoile aucun charme immédiat à ses visiteurs.
Dans le faubourg Kadachi, la superbe église de la résurrection du Christ est déjà cernée par des immeubles d’élite à côté desquels sont garés de rutilants 4×4.
Néanmoins, Iouri Loujkov, qui se considérait comme un créateur, s’est toujours efforcé de concilier ses intérêts financiers (sa femme dirige une énorme entreprise de travaux publics) et son goût pour l’art pompier !
“À la différence des communistes de l’ère soviétique, l’ancien maire avait une compréhension de la ville européenne, dotée de services, et qui se donne en spectacle”, m’explique le peintre Andreï Erofeev. Parfois jusqu’à l’overdose : les magasins de la ville sont toujours ouverts et la publicité envahit les rues.
“Les Moscovites ont des dollars dans la prunelle de leurs yeux”, critique Maria, professeur de russe à Saint-Pétersbourg.
À Moscou, l’argent a toujours coulé à flots, ce qui n’empêche pas que 20% des ascenseurs de la ville soient hors d’usage et défectueux et que les canalisations d’eau, à ciel ouvert, devraient être remplacées.
Grâce aux subsides de la ville, devenue un État dans l’État, les retraités sont assurés de recevoir une pension minimale de 10.200 roubles (237 euros) et les policiers un bonus de 232 euros.
Pour leur part, les médecins moscovites sont mieux payés que leurs confrères du secteur d’État.
Cet aimant financier a attiré une forte immigration d’Asie centrale, que le nouveau magistrat de la ville souhaite enrayer.
Les chantiers de construction devraient diminuer, mais les avantages sociaux seront conservés.
“Les dépenses consacrées au développement de Moscou feront l’objet d’un audit annuel”, a affirmé Sobyanine, en dénonçant la bureaucratie et la corruption.
Un mal qui, en Russie, est loin d’être l’apanage de la capitale.
Avec une amie de Géorgie (relisez ma saga en Géorgie), j’ai décidé d’aller filmer le Silk way Rally 2010, ou ne participent que des fous furieux, principalement avec des 4×4, mais aussi avec des voitures d’avant guerre…
Pour réaliser ce que je pensais qu’allait être cet évènement, nous nous sommes lancés dans la traversée de la Russie, de Moscou à Vladivostok en faisant un petit tour par la Yakoutie, le pays des rennes et du record mondial de froid (-71,3°C).
Mais avant de raconter les tours et les détours de ce petit tour, il me faut absolument commencer par le commencement, et décrire l’une des créatures les plus curieuses et les plus redoutables que l’on puisse rencontrer, hélas trop souvent, sur les routes de Russie : les gaishnikis.
Les hommes de la GAI ne sont pas vraiment différents des autres hommes.
Comme nous, ils ont deux bras et deux jambes, une paire d’yeux et un nez au milieu de la figure.
Ils sont doués de l’usage de la parole et disposent d’un pouce préhensile qui leur permet de survivre en territoire hostile.
Mais en réalité, ils ne sont pas vraiment comme nous.
Ils ont ce petit quelque chose dans le regard et cette façon particulière de s’habiller qui vous fait dire tout de suite, quand vous en apercevez un : “Il en est”…
Ceux de la GAI sont des êtres étranges, à la fois discrets et extravertis.
Affublés comme de règle d’une tenue particulièrement voyante, ils préfèrent, pour mener leurs affaires que la morale réprouve, se cacher dans leur voiture, à l’orée des sous-bois.
Là, à l’abri propice d’un fossé, le regard fuyant sous leur chapska en poil de nylonne, les GAIshnikis s’adonnent à leurs plaisirs coupables.
N’allez cependant pas leur faire part de votre désapprobation face à leur conduite contre-nature ; dans ce pays aux valeurs déliquescentes, la loi est de leur côté.
Pire, encouragés par le laxisme ambiant, ils se croient même autorisés à la faire respecter !
Demandez-le à n’importe qui : rien n’est plus révulsant pour l’honnête automobiliste russe que la vue de leurs gilets jaunes fluo moulant maladroitement, par dessus leur veste bleue, un ventre boudiné de bourrelets satisfaits – car leur “activité” peut leur rapporter gros !
Vous ne verrez jamais un membre de la GAI tout chétif et racorni.
Au contraire !
Tous sont bouffis d’embonpoint, les bajoues rouges et gavées de saucisson de luxe, fièrement dressés sur le bord des routes, leur matraque noire et blanche jouant nonchalamment dans le vent rude de la steppe.
Et plus ils sont vieux, pire c’est : essayez sans vomir de regarder un couple de GAIshnikis vieillissants, scrutant l’horizon du fond de leurs prunelles porcines.
Vous ne pourrez pas.
C’est dégoûtant.
Les joues tombent, le nez empâté, rougeaud, est rongé par les maladies, ou Dieu sait ce que ces gens-là peuvent attraper.
Le poil déserte le cuir chevelu.
Seul subsiste le regard, planté au-dessus de leur bouche énorme et avide, un regard pervers, empli de vice et de sadisme.
D’un signe du petit bâton qui pend mollement à ses côtés, il m’intime de m’arrêter.
Me voici sur le bas-côté, de son côté.
Je suis en danger.
J’ouvre la fenêtre, maladroitement, ne sachant pas vraiment comment faire.
Machinalement, dans le feu de l’action, je glisse à travers ce que j’ai de plus précieux.
Mais ça ne lui suffit pas.
Avec horreur, je le vois ouvrir la bouche.
Mais quoi, quoi ?
Que veut-il enfin ?
– Inspecteur Dourine, votre permis de conduire, s’il vous plaît.
Autant dire que l’exhibition d’un permis français perturbe d’emblée l’homme de la GAI.
Il comprend qu’il a à faire à un homme, un vrai, qui vient d’un pays civilisé, où on ne laisse pas les types de son genre se pavaner impunément dans la rue.
– Et où est-ce que vous allez comme ça ?
– Oh, nous sommes des journalistes, nous allons en Yakoutie. On écrit un article sur le Silk Rallye Raid.
– Un article ? Pour quel journal ? Pour quel magazine ?
– Oui, ben non… C’est pour un site-web !
– Un site-web ! Voyez-vous ça ! C’est étrange, vous êtes des agents provocateurs américains ? C’est ça, avouez !
– Non, non, on veut parler de la Russie, de ses habitants, comment on y vit… C’est pour ça qu’on a acheté une voiture russe, pour voir comment ça se passe vraiment, sur les routes…, nous allons réaliser des photos du Silk way Raid…
– C’est quoi ça ?
– Le Silk Way Rally 2010 a été créé sous le signe des Jeux, un “Dakar Series”, qui se disputera pour sa deuxième édition en Russie du 11 au 19 septembre. Une présentation officielle de la course a eu lieu le 15 avril à Saint-Pétersbourg pour l’ouverture des inscriptions.
– C’est quoi ce rallye ?
– Le succès du Silk Way Rally 2009 a incité le gouvernement russe à s’engager significativement et durablement en rallye raid, en soutenant ce projet sur cinq ans. Au terme d’une réunion présidée par le premier ministre Vladimir Poutine à Naberezhnye Chelnys, la décision a été prise d’installer l’épreuve sur le long terme, avec l’ambition de lier son destin à celui des Jeux Olympiques d’hiver de Sochi en 2014.
– Ahhhh, bon, vous connaissez Vladimir Poutine ?
– Un peu… Avec la deuxième édition du Silk Way Rally, dont le parcours sera dessiné entre Saint-Pétersbourg et Sochi, la Russie accueillera pour la première fois sur son territoire une course automobile d’envergure internationale. La perspective d’un rendez-vous régulier, avec un défi technique et physique à relever sur plusieurs milliers de kilomètres, posera rapidement la course comme une échéance majeure dans le calendrier sportif. Les spectateurs attendus en nombre sur les sites de départ et d’arrivée du rallye prendront autant de plaisir que les pilotes venus en quête de sensations et de performance. Après Saint-Pétersbourg, l’ancienne capitale reconnue comme un des joyaux du patrimoine mondial par l’UNESCO, les voitures et camions mettront le cap vers le sud du pays, direction la mer noire, en reprenant l’itinéraire anciennement emprunté par les Vikings sur leur route vers l’Orient. Au-delà de l’aspect historique, le Silk Way Rally offre un parcours varié alliant toutes les composantes du rallye raid et met aux prises les champions de la discipline dont Volkswagen en auto, et Kamaz en camion, appelés à défendre leurs titres. Les organisateurs du Silk Way Rally sont Semen Yakubov, directeur du projet…, Frédéric Lequien, directeur Dakar Series…, Sergey Girya, directeur exécutif et Bulat Yanborisov, directeur créatif !
– J’ignorai tout cela !
– Les représentants de la Fédération Russe d’Automobile en font également partie…
Je lui glisse une carte de visite et un prospectus sur papier cartonné vernis à l’entête de GatsbyOnline… qui est en réalité un ancien tarif publicitaire qui n’a jamais servi, qui date de l’époque ou j’imaginais pouvoir placer des annonces lucratives en finale de mes articles afin de devenir aussi riche que Bill Gates…, un échec !
Normalement, à ce stade, l’homme de la GAI (Gossoudarstvennaya Avtodorojnaya Inspektsia – Inspection routière d’État), complètement dépassé par les événements, devrait commencer à jeter des coups d’oeils affolés aux alentours en cherchant du soutien auprès de son collègue.
Mais il sait que c’est peine perdue.
Rien ne pourra plus le sauver, ses sombres desseins ont été déjoués.
Mal à l’aise, il regarde une dernière fois mes papiers, puis vous les rend d’un air gauche.
– Bon, eh bien, on ne va pas vous déranger alors… Bonne route !
Ce coup-ci, je l’avoue, j’ai eu de la chance.
Mais attention, certains sont plus coriaces.
Si on a le malheur de commettre ce, qu’entre eux, ils appellent un “dépassement non-autorisé”, ils sauront alors déployer toute leur malice pour faire plonger le pauvre contrevenant qui devra, après de dures négociations, glisser une coupure sale dans un endroit à l’abri des regards… et repartir, l’air penaud, honteux de ce qu’il vient de faire.
A la merci du prochain poste de GAI.
– Vous allez en Yakoutie ? Bon courage !
Combien en aurai-je rencontré, de ces petits-bourgeois de l’aventure, de ces Cassandres rabat-horizon, saisis par l’incompréhension, la stupeur et l’effroi, ou parfois simplement et sincèrement compatissants à l’exposé de nos intentions automobiles ?
J’aurai tout entendu : “vous tomberez en panne dans la taïga… Vous devrez brûler vos pneus pour ne pas mourir de froid… Vous serez mangés par les loups”…
– Ah, en général c’est l’essieu arrière qui casse en premier…
Mais ces gens-là n’avaient rien compris, car le secret dans l’aventure, c’est précisément de partir sans savoir dans quelle merde on vient se planter.
Sinon on ne partirait pas !
Je remercie donc sincèrement les quelques gens qui ont cru en nous dès le début… et qui nous ont même envié un peu (comme ils avaient raison !) : le taxi de Kazan…, Sergueï, notre “sherpa” qui nous a conduit à notre premier garage…, les gars d’Ichim… et bien sûr, tous ceux qui ne croyaient pas en nous mais qui du coup nous ont sacrément aidé…, comme quoi, le manque de foi a du bon.
Allez, c’est parti…
En route pour l’aventure !
Pré-postscriptum : Ayant égaré toutes mes autres notes et effacé par erreur les 9/10 ièmes de mon reportage photo, il ne reste que quelques souvenirs épars (ci-dessus) et moins d’une dizaine de photos avec lesquelles vous devrez vous contenter de revivre mon épopée…
“Que t’arrive-t-il ? Tu conduis comme un fou ! On a tout notre temps !”…, mon amie parisienne me regarde avec inquiétude.
Dans ma tête, j’étais encore à Moscou.
Pas eu le temps de m’acclimater.
D’habitude, cela prend une semaine, le temps de me détendre, d’évacuer le stress, de transformer une conduite moscovite trop nerveuse en une maîtrise du volant légère, aérienne.
Paris en voiture, c’est aussi ne pas dépasser les 30-50 km/h, parce qu’il n’est généralement pas possible de rouler plus vite, et surtout, parce que c’est sévèrement puni.
Là-bas, je suis toujours pressé, je change de file en permanence, je démarre au quart de tour lorsque le feu passe au vert, faute de quoi, je suis sûr de subir un lynchage sonore.
De ma conduite dans ces deux villes, un seul comportement commun : je m’arrête pour laisser passer les piétons.
Un geste pas souvent approuvé par les conducteurs moscovites.
À Paris, je suis la patience incarnée en voiture.
À chaque coin de rue, un camion peut s’arrêter pour décharger des tableaux dans une galerie d’art.
Au moins 10 minutes d’attente.
À Moscou, c’eût été l’hystérie collective.
En tous cas, impossible de se faufiler entre les rues étroites de la capitale, à moins d’être en deux roues.
Ah, les motards (et les cyclistes) !
À Moscou, ils sont encore rares.
La seule fois où j’ai vu un automobiliste parisien perdre son sang froid, c’était justement à cause d’un motard.
À un tournant sur le quai de la rive gauche, un motard avait déboulé, me coupant la route.
Prenant le virage à trop grande vitesse, son engin l’avait entraîné dans une chute, juste sous mes roues, le motard s’en est sorti sans une égratignure, mais il a essuyé la colère des automobilistes témoins de l’accident.
Jamais on ne m’avait défendue avec autant d’ardeur !
Une anecdote révélatrice de la tension qui règne entre quatre et deux roues.
À Moscou, il s’agit surtout d’être attentif aux chauffards qui reçoivent leur permis dans une pochette-surprise et qui se pavanent dans des voitures de marque sans savoir conduire du tout.
À Paris en revanche, le danger vient plutôt des personnes âgées qui conduisent comme si elles étaient seules sur la route.
En Russie, il est désormais interdit de boire au volant.
Pas une goutte.
Mais même sans cela, les Russes se comportent en voiture comme s’ils avaient bu un litre de vodka.
Le parking, à Moscou, c’est où tu veux, quand tu veux… et c’est le plus souvent gratuit.
À Moscou, si vous êtes sur la voie la plus à gauche et que vous devez tourner à droite à la prochaine, vous risquez l’accrochage.
À Paris, on assiste à un comportement placide des automobilistes.
On freine, parfois on klaxonne, et le plus souvent, on laisse passer.
Une chose unit les deux villes : la peur du gendarme.
La différence, c’est qu’à Moscou le problème se règle souvent sur place, en liquide et cela revient moins cher.
À Paris, c’est plus long, plus coûteux… et pour les pots-de-vin, tintin !
Pourtant, à la vue d’un policier russe, étrangement, je me fige, mon pouls bat plus vite.
En France, aucune accélération cardiaque, même lorsque je suis en faute.
Un Moscovite peut prendre l’habitude de conduire à Paris.
Pour un parisien, l’expérience moscovite est formellement déconseillée !