Pour la première fois de sa vie Mister “X” tournait en rond dans son garage à la recherche de sens à donner à son existence.
“Je ne me reconnais plus“ m’avait-il avoué, “j’ai toujours été hyperactif en me donnant à fond dans mes créations automobiles, je dis bien “Mes” créations automobiles car c’est en créant que j’ai connu mes plus grandes satisfactions ! Jusqu’à ce que tout s’écroule !“…
Reconnaissance sociale, bénéfices confortables, épanouissement personnel, son engin était le cocktail idéal pour un carrossier transformateur qui avait enfin réussi sa vie dans la création d’une absurdité roulante :
“J’ai craqué physiquement, c’est arrivé subitement, un gros malaise…, je me suis traîné jusqu’au bistrot du coin, et là, pour la première fois, là toute première fois, tout en éclusant quelques pintes de bière, j’ai culpabilisé au maximum parce que le show de Hoogstraten (c’est en Belgitude Néerlandophone) approchait et que j’allais y présenter mon oeuvre majeure et maîtresse, ma Corvette Prototype…, pas pour la voiture en elle-même, mais à cause du baratin que j’avais créé autour d’elle… et que j’allais créer autour d’elle, c’est à dire prétendre qu’il s’agissait d’un prototype d’usine, pour faire croire aux gens simples (d’esprit) que ma Corvette était l’oeuvre d’Harley Earl, voire d’Harley Davidson son frère spirituel, ou encore d’Harvey Keitel, leur cousin…, car, soudain, j’ai réalisé qu’une ancienne Corvette accidentée de 1975 (la mienne), celle avec les pare-chocs avant et arrière en plastique, ne pouvait être le prototype des fabuleuses Corvette nées en 1968…“
On pourrait mieux comprendre en se rappelant d’une autre maxime célèbre : “Faire prendre des vessies pour des lanternes“, cette soif inextingible de raconter des bobards pour se faire mousser tout en “descendant” quelques mousses (de bière)…
Le mâle abattu était atteint d’un mal parfois qualifié “D’épuisement caractéristique des raconteurs de couilles“, le genre qui tend à hurler : “La bourse c’est la vie“, lorsqu’il à l’idée de copuler, par extension à la maxime : “La bourse ou la vie“, qui est le cri de guerre des commerçants…
C’était un mâle assez sournois atteint d’un mal assez sournois dont les symptômes sont communs à bien d’autres affections et arnaques qui se déclarent suite à une grande fatigue de devoir répéter sans cesse les mêmes conneries à des gens qui en redemandent… le mal met alors en marche un surinvestissement “spiralesque” au service d’un idéal pas vraiment très clair, quoique…
Cette attitude frappe essentiellement les personnes totalement engagées dans des voies sans issues…
“Mon stress a augmenté sans que je puisse en maîtriser la cause, dans mon cas, c’est la vue de la face avant de ma Corvette refabriquée avec un kit pour VW mélangé avec des pièces de Ford Granada… qui m’a donné un choc existentialiste, c’est cela qui m’a tout déréglé…, pourtant la face arrière récupérée d’une Renault Fuego m’apportait des joies profondes, une sorte de sodomisation latente, j’en avais le cul par terre… je jouissais… mais en tournant autour de mon engin comme une bête en rut, j’ai soudain eu une sombre illumination… sans raison apparente, ni explication de mon moi-interne, d’un coup je ne pouvais plus m’adapter à cette imparable évidence, l’avant ne valait pas l’arrière train… de plus le fantôme d’Harley et celui d’Harvey, comme quoi une simple lettre peut changer beaucoup de choses, n’arrêtaient plus de me hanter…, comment faire croire qu’un prototype multi-marque est sorti APRES la voiture de production et ce alors et en plus, qu’aucun livre au monde n’a jamais parlé de mon prototype…, finalement j’ai eu peur d’attraper une crise cardiaque et j’ai voulu me faire vacciner… mais je ne regrette pas mon surinvestissement car je m’y suis épanoui, quoique je conseille aux plus jeunes de limer plus dru, euhhhhhhhhhh…., de limiter leurs engagements tout en restant attentifs aux opportunités…, vous savez que j’ai refusé des offres mirobolantes pour cette Corvette, même alors que je sentais que le vent commençait à tourner et que ça puait le roussi…“ !
Pour mieux comprendre cette affaire de dingue, j’avais consulté un neuropsychiatre spécialiste du burnout qui m’avait été conseillé par un club de dragsters…
Aimablement, il m’avait dit : “Il n’y a pas de Burnout type, ce qui rend le diagnostic malaisé, le mal du mâle évolue de manière insidieuse et augmente au fur et à mesure que le sujet tente maladroitement de s’y adapter, jusqu’au moment ou la crise d’existentialité éclate comme un pneu chauffé à blanc dans une accélération infernale…“
Il m’avait demandé 100 euros pour la consultation…
Toute cette histoire était le fruit pourri d’un épuisement physique, émotionnel, mental et financier, accompagné d’une insatisfaction de l’histoire racontée et d’une déshumanisation des relations entre le vendeur et ses clients potentiellement cons…
Il y avait donc ici une progression de la connerie qui passe par le déni, banalisant le surmenage et le stress dû aux mensonges, accentuant la colère de n’être plus crédible, le doute de ses capacités à raconter des bobards et l’incertitude quant à l’avenir…
La perte d’intérêt pour son job alors qu’il s’y investissait à 200% constituait un signal pour le mâle atteint, il réprimait un conflit entre ses valeurs et celles des autres tout en s’interrogeant sur le sens (interdit) de ce qu’il faisait.
Tout mâle (ou femelle car il y en a et elles sont pires car dotées de seins et de fesses), atteint de ce mal présente des sympômes d’épuisement, ne parvient jamais plus à récupérer (ni son mental ni sa mise financière) et a le sentiment que plus il en fait, moins il est efficace.
Généralement, le mâle atteint (femelle comprise ou non) devient irritable, s’enferme dans l’indifférence ou le cynisme, s’isolant, refusant toutes les invitations… et compense en surfant compulsivement sur le Web ou en s’écroulant devant sa télévision…
Pour fêter l’événement, des fleurs avaient été déposées sur le capot par une main anonyme… (parce qu’il n’y avait pas de couronne)…, fleurs qui ont aussitôt été enlevées et déposées tout aussi anonymement sur une Corvette voisine ayant soi-disant appartenu à Marylin Monroe !
Finalement, Mister “X” avait décidé d’exposer sa voiture à la Hoogstraatse Oldtimerbeurs, mais de ne pas la vendre, afin de conserver au sein de sa famille ce patrimoine de l’humanité…
La réalisation technique était fort bien faite, particulièrement les lignes des flancs, avec un design retravaillé pour récupérer les formes initiales malgré les importants élargissement des ailes, particulièrement arrière… la peinture, de même était irréprochable, comme un miroir de vanité…
Dommage, tout simplement d’avoir inventé l’histoire “bidouillée” du “Prototype” alors qu’il aurait été si simple de montrer son savoir-faire en re-design et carrosserie… mais les gens ont tellement besoin qu’on leur raconte des histoires, particulièrement celles à dormir debout, que bien des vendeurs succombent et en rajoutent quelques couches… les gens n’ont alors que ce qu’ils méritent !