C’était pas la semaine pour essayer un Captur…
L’histoire, bête mais verte, de la Ferrari 599 Hy-Kers nous a autant rapproché de la réalité qu’une bouée nous rapprocherait de Gibraltar, heureusement j’en connais une autre nettement moins pire qui prouve tout de même que je suis un journaliste sérieux.
C’était au salon de Francfort en 2013…, un salon sérieux lui aussi, plein d’escalators et de voitures grises où l’on se retrouve entre esthètes à palper le plastique du millésime nouveau et à mesurer en apothicaires des centièmes de litres ou de secondes sur des tréteaux thermoformés à l’école de l’insipidité, galbés pour être consommés, taillés pour la ménopause, affables comme des aides à domicile, qui font tout à votre place et tout pour vous faire oublier leur mécanisme préhistorique fonctionnant à huile lourde comme les gros bateaux, les locomotives ou les rouleaux compresseurs.
Mais on en est là… et on croit qu’on rêve…
En voyant cela, en les voyant s’extasier sur des bétaillères intergalactiques, en les voyant choisir un bien parmi tous ces maux, on se dit qu’il vaudrait mieux arrêter de fabriquer des voitures et de les exposer dans les salons pour les vendre aux gens… et qu’on ferait mieux de fabriquer des trains et des tramways.
En fait, le système nourrit les gros beaufs agglutinés autour d’un objet qui remplace le précédent…
Et moi, perdu, moi qui ne suis jamais au courant de rien, à voir ce gachis, je me dis : “Waouwww, ils la remplacent déjà ? Elle vient juste de sortir”…
Puis je suis passé chez Reno… et là tout était nouveau, flamboyant, multicolore, psychédélique, rubicond, rondouillard, mou et sec à tendance mate comme de la pâte à modeler, façon trip à l’opium avec des fleurs et des champis qui jaillissent tout sourire, mais au milieu de tout cela surnageaient pathétiquement quelques Modus et Scénic couleur vase parvenant encore (et toujours) à fasciner un grand nombre de mémères et d’inséminateurs lambda qui inondent le monde de normalité…, ce n’est finalement qu’une manifestation de la probabilité !
Bref, il y avait donc tout de même deux-trois trucs jaunes, rouges, oranges, en plastique, mats, brillants, les deux à la fois, qui s’ouvraient dans tous les sens comme des bacs de rangements qu’on glisse sous le lit ou qu’on replie ou qu’on empile…, enfin ça n’avait pas grand chose d’automobile hormis les roues…, si bien que j’en regrettais quasiment les gros torpédos La Buire ou De Dion des années 1910 qui roulaient à fond de ballon sur des non-routes de France pas profonde…
Mais pas trop, parce qu’en définitive, il ne ressemblait à rien d’autre qu’à un brugnon moisi, un gros yorkshire difforme sans poils, un cul de vieille godasse de traînard, un excrément de morue malade, un tas de flaques de bulles de merde posé comme une couille sur le plancher plastique massif du surnaturel stand Reno.
Il y avait encore un autre véhicule nouveau, chez Reno…, celui-ci était nettement moins projeté vers l’avenir que les choses pré-citées, il en paraissait même terne et teigneux…, pourtant il était tout neuf ou presque… et audacieux avec ça, genre qui tire vers le haut pour soutirer encore plus de maille aux mémères…, genre qui appâte sa proie à coups de premium et de hypitude…, le genre qui s’aventure dans les recoins de la conscience acheteuse…, qui repousse un peu les limites de l’affranchissement des codes et de l’affirmation de soi…
En fait, il était parfaitement calibré pour séduire un cœur de cible, pour le happer, le saisir, l’agripper, l’épingler, l’accrocher, le surprendre, l’atteindre…, en un mot, pour le capturer…, d’ailleurs, il s’appelait Captur et il était à Francfort pour capturer des sous-sous…
L’amour est une chose compliquée, tous les spécialistes le disent, y compris moi…, une altération de la perception comme une défonce à durée indéterminée…, mais quoi qu’il arrive, il demeure préférable de tomber amoureux de la première embobineuse venue que d’envisager d’acheter un Captur…, en effet, un Captur risque de vous coûter beaucoup plus cher…, il pourrait capturer votre compte en banque…
Et trouver un nom, c’est comme trouver un titre…, c’est comme être pris d’amour…, un accident…, une mise à jour neuronale…, un moment d’éblouissement…, une dilatation mémorielle…, un dérèglement climatique…, une crampe de l’âme…, une crispation des canaux…, une brûlure…, un doigt taillé et la petite bulle rubiconde qui en éclot.
En définitive, ni l’un ni l’autre ne vous pompera le dard, vous vous branlerez toujours tard le soir, votre Captur au chaud dans le garage, vivre sans amour et d’eau tiède, apaisé par la possession et la morosité…, heureusement votre Captur est là, dans le garage, on l’aperçoit par la petite lucarne, coucou Captur !
Au moins il est là, pas comme l’embobineuse qui vous aura semé après quelques coups de javelot, emportée par la dictature de son ego, qui vous aura planté là comme un épais Laguiole aux épaules charpentées, dressé dans un nœud de bois…, chtong…
Votre Captur va peut-être capturer votre dépit…, avaler votre aigreur…, consommer votre fureur…
Youpi !
Allez, contact…, c’est parti pour l’essai routier…, brélébrélébrélé pfuiiiiii…, quel beau bruit…
Travailler toute sa vie pour entendre ça…
On ne sent rien, il y a une route ?
Allo ?
Une espèce de combiné de compteurs me fixe avec une tête de grosse mutation radioactive à base de mouche… et me renseigne sur des trucs dont je n’ai rien à secouer…, la conso…, les performances…, l’autonomie…, franchement, est-ce que j’ai une tête à vouloir traverser la Mongolie en Captur ?
C’est quoi, qui ?
Au bout de deux minutes de découverte émerveillée de ce kaléidoscope de tons de plastique gris clairs et foncés, tout plus brillants les uns que les autres, une sirène retentit : tiluliluliluli !
Les pompiers ? Les extra terrestres ? La femme de ménage ? Les témoins de Jéhovah ? Un colissimo ? Des mecs en blouse blanche ?
Non, c’est une porte mal fermée ou un défaut de ceinture ou une connerie du genre…, pas un truc qui va m’empêcher de voir ce que la bête a dans le ventre…, même si le vendredi soir c’est plein de flics…, mais je m’en fous, c’est au garage…, je leur ai capturé un Captur et vous pouvez toujours essayer de me capturer…, zwooooooof !
Ca monte quand même à près de 200 ce merdier (je n’ai pas noté le chiffre exact parce que je mangeais un sandwich en jetant un œil sur le Canard Enchaîné et que j’avais besoin de l’autre main pour envoyer des SMS en italien…, puis il pleuvait… et c’était plein de familles qui rentrent des courses…, mais de toutes manières on s’en tamponne car personne ne va rouler à 200 en Captur et vous saurez bientôt pourquoi)…
Et puis j’étais amoureux… et j’en avais rien à cirer de ce Captur de merde…
Alors je me suis arrêté chez un Turc que je connaissais des bordels d’Istamboul… et nous bûmes une grande quantité de bières et de rosés divers (certains plus que d’autres) en racontant des montagnes bosphoriques de choses sans aucun sens ni intérêt…, sauf qu’on a massacré Aznavour et violé une étudiante Kurde…
Une fois bourrés (nous, pas la Kurde), les choses allaient mieux…, à tel point que je décidai hardiment de tenter de la retrouver, persuadé qu’elle était là, quelque part.
Et je la trouvai…, mais cela ne se passa guère comme je l’entendais…, elle ne m’aimait pas…, elle se jouait de mon petit cœur tout sanguinolent…, une peste…, je la haïssais d’amour comme un ado vexé…, je voulais me suicider…, partir sur une fusée…, foncer dans la noirceur…, briller dans sa nuit comme elle brillait dans la mienne…, tiluliluliluli !
Je voulais l’emmener loin, par sommets et saisons…, je voulais la marier pour l’éternité…, empêtré dans la béatitude neurologique de l’amour…, je voulais l’aimer all night long jusqu’aux premières lueurs…, partir en vacances dans ses grands yeux bruns…, lui raconter tout et son contraire pour la ravir…, voler des aérodromes pour la séduire…, chanter même si je ne sais rien dire…, tiluliluliluli !
Ta gueule Captur de merde…, car c’est du Captur dont il est question ici, bande de vicieux qui croyez surement que je vous causais de la Kurde !
Bande de nazes !
Et je me retrouvai là, seul dans la nuit…, seul dans mon Captur de merde que je songeais à aller fracasser contre un peuplier… mais fallait pas se louper parce qu’en plus ça protège plutôt bien, c’est plein d’airbags, on se croirait dans une montgolfière…, franchement, il vaut mieux que je prenne ma Golf GTI, et elle ne risquera pas de finir en projet german-look à mono-antibrouillard et capot rouillé…
Y’avait sûrement moyen… mais ça manquait de bourrins pour sortir…, c’est juste bon pour les papis cryogénisés qui vont chez Grand Frais le samedi…, ça ramollit tout, déjà que tout est mou…, quand on pense à tout ce qu’on peut acheter pour le prix d’un Captur….
Je voulais mourir… et mon Captur aussi…, je souhaitais tous nous suicider…, éventrer l’infortune d’un coup de glaive sans retour…, me fracasser contre la lune dans mon Captur… et mourir explosé comme une météorite pleine de luminescences se ramasserait la tronche sur le plancher argilo-calcaire…, elle envahissait chaque seconde, chaque lueur, chaque goutte…, je l’aimais au point de prendre les ronds-points à l’envers et de slalomer entre les îlots centraux…, même si le Captur en drift c’est zéro, pas fait pour ça…, mais c’est pas grave, parce que le drift, ça ne sert à rien non plus…, puis je me fis un gros travers à 160 sur des zébras pour voir…
Je pourrais ruminer ma contrition dans une M5 technoviolet cuir gris clair et bois noir à 300 sur la quatre-voies derrière chez moi…, là au moins j’aurais l’air d’un homme, d’un mâle alpha, d’un mec qui s’en fout parce qu’il a une M5 technoviolet cuir gris clair et bois noir… mais là je ne m’en foutais pas, j’avais un épouvantable Captur qui n’avançait pas et qui puait le gasoil…
Quel boulot de con…, c’est affreux…, quand on est amoureux d’une peste c’est encore pire…
Je remballe tout dans ma sacoche de journaliste supersonique et m’apprête à quitter le véhicule lorsque j’entends résonner le “clac” de la centralisation.
Quand elle a des grands yeux bruns et tant d’ondes qui l’environnent, c’est pas facile…, bon, bref, on est rassurés…, tout va bien…, le Captur nous a capturé…, on va aller voir un pingouin et signer le bon de commande et… je vérifie juste s’ils paient bien leurs annonces…, ah non, finalement on ne le prend pas.
Je suis enfermé…, capturé par le Captur…, ça me rappelle quelque chose…, mais là, rien à cirer, j’appelle direct les pompiers pour qu’ils me désincarcérent…, hors de question de passer une semaine dans ce cloaque…, tiluliluliluli !
Au secours…, la vie s’acharne sur moi… et puis merde…, je reste là…, je vais penser à elle dans une zone atemporelle où la froidure sera indolore et où seul mon esprit me nourrira…, en ascète amoureux désespéré, assis dans mon Captur.
Je vais tricoter un roman cérébral…, échafauder des avenirs…, imaginer des souvenirs… Finalement c’était pas mal…, une certaine forme de paix…, plus de loyer à payer ni de bouffe à acheter comme un con le vendredi soir…, plus besoin de sortir ni d’affronter le monde…
J’ai mis le siège en position couchette après avoir cherché longtemps comment faire…, puis me suis laissé envahir par la somnolence et le songe…, je rêvai même de champs de fleurs pleins de couleurs chaudes, de senteurs envoûtantes, de bruissements multiples, l’amour sans doutes, qui faisaient la nouba dans mon inconscient …
Je voudrais dormir trois mois…, me réveiller là-bas sur un rocher…, je voudrais planer…, me laisser voguer…, me disperser dans l’horizon…
Elles disent toutes ça…, elles font toutes ça…, à moins que ce soit moi qui fasse toujours autre chose : rester dans les clous…, épouser les codes…, sortir le chronographe et ne pas réfléchir.
L’amour était ce jour là une chose si folle que je me laissai séquestrer par un engin infâme et sinistre incarnant tout ce que je n’aimais pas…, je me laissai réincarner en papi-crédit à casquette…, en clampin dominical…, en bovidé inutile…, en votant inculte…, en une nouvelle race d’automobilistes de la quinzième dimension nouvellement créée par Reno : le conducteur de Captur… et le conducteur de Captur vit dans un autre espace-temps.
Les trois couleurs d’un feu tricolore ont pour lui la même signification : s’arrêter…, à la différence que le vert lui indique qu’il est autorisé à reprendre sa route s’il le désire.
L’âme du conducteur de Captur s’élève dans un émerveillement permanent…, chaque rond-point, chaque zébra, chaque nid-de-poule, chaque rainure le fascinent…, chaque dos d’âne lui envoie un défi : le franchir…, chaque stationnement le renvoie aux limites de ses propres forces motrices.
Le conducteur de Captur a le temps…, les autres aussi.
Hé oui, une si belle bête, ça se ménage, ça se promène à un train de sénateur, ça fait montre de ses obédiences à la foule, ça flâne au cœur des places commerciales en remuant son lourd séant de gros dindon métallisé…
Pléonasme…
Je dormais encore, imaginant des pistils au vent un soir sucré de juin, de l’herbe douce et fraîche où s’estomper, elle et moi ou bien une autre…, je ne sais plus…, tandis que déclinait le bleu du ciel, égaré aux confins de cette romance improbable et filoguidée…, lorsque quelque chose de désagréable me réveilla…
Subitement j’avais chaud, je suffoquais même, il faisait tout jaune, moite, putride, comme si je me trouvais au milieu d’un charnier…, mais autour de moi tout vivait, tout bougeait, tout s’exprimait, je percevais des petits éclats de voix étouffés, l’un d’eux se répétait dans l’espace, son insistance allait croissante et son timbre s’incrustant de manière insistante dans la bande sonore de ma rêverie.
– S’il vous plaît ? S’il vous plaît ? Monsieur ? …
Ma tête se redressa d’un coup…, j’étais chez Reno…, un type collé à la vitre me matait avec une tronche de mérou pasteurisé.
– Ca va ? Ca fait au moins une heure que vous êtes là ! Nous aussi on aimerait s’asseoir dans la voiture ! On est venus exprès pour celle-là !
Je ne savais plus quoi faire…, je contactai Dieu.
– Dieu ?
– Oui ?
– C’est quoi ce bordel ? C’est quoi le message là ? Enfermé dans un Captur, mais pourquoi ?
– Mais tu n’es pas enfermé mon petit. Tu t’es enfermé tout seul. Les portes sont ouvertes. C’est un peu comme ton histoire d’amour, là, mais je t’expliquerai une autre fois parce que là je mate le catch sur RTL9.
Flouipchhh…
Et guéri…
J’en jaillis comme le diable d’une boite sous le regard ahuri des badauds à crédits sur le dos. Libre !
Reparti zoner comme un riff de blues, mais pas plus loin que devant le bureau d’une chargée de com’ qui en sortait justement…, putain, elle avait des joues rondes, de grands yeux bruns et plein de cheveux ondulés (ou pas), avec une frange (ou pas), et elle me proposa cash un rendez-vous le mercredi suivant…
– Vous me rappelez une Kurde que j’ai…
– Etrange, je suis Kurde…
Et moi qui peinait désespérément à en obtenir un avec l’autre (peste), je lui répondis oui tout de suite.
-Très bien ! Ce sera donc pour l’essai du nouveau Scénic III restylé et vous serez reçu par Antoine car je serai en RTT…
Au secouuuuuuurs !
Moralité : faut jamais déranger Dieu pendant le catch…
Roulax Photographe à Ferraille