“Chiner” viendrait du verbe “s’échiner” : travailler dur.
Par quel miracle s’agit-il aujourd’hui d’une distraction ?
Le mystère reste entier, sauf à considérer que la plupart des plaisirs sont malheureusement fatigants.
Le chineur mène, du point de vue physique, une vie d’enfer.
Amateur, la chance ne lui sourit que s’il a d’abord fait l’acquisition d’un réveille-matin version campanile ou F1…, la vie de la famille du chineur s’en trouvant régulièrement perturbée peu avant l’aube.
Le pro, classe tous risques, rien ne lui échappe : c’est le seul individu capable de conduire de nuit un œil sur la chaussée, l’autre sur les rangées de poubelles.
En moins de cinq secondes, un chineur ayant dix ans d’expérience peut : serrer le frein à main, descendre de sa voiture en voltige, expertiser un vieux fauteuil abandonné et redémarrer.
Activité longtemps élitiste, parce que essentiellement pratiquée par des collectionneurs, “la chine” a vu, il y a deux douzaines d’années, son système socio-culturel bouleversé par le développement accéléré de la résidence secondaire à poutres apparentes et à l’arrivée de “la mode” de la seconde voiture d’occazzz ancienne.
Le citadin moyen se transforma, au moins deux jours par semaine, en décorateur-brocanteur, tout en s’imaginant devenir très riche en spéculant sur les automobiles anciennes à petit-prix qui “allaient bientôt valoir des fortunes”, tout comme l’une et l’autre Ferrari et Bugatti qui servaient alors de moyen de blanchiment…
Il fit exploser successivement le prix des fers à repasser (montés en lampes), des tables de ferme, des buffets chrome-Formica, des petits maîtres du xixe (ignorés du Benezit) ainsi et surtout des vieilles bagnoles insipides dont plus personne ne voulait… de même que tout et n’importe quoi se rapportant à l’automobile ancienne, plaques émaillées, pompes à essence, burettes d’huiles et bacs de récupération d’huiles usagées….
Il donna ainsi, au rustique, sur le tard, ses lettres de noblesse.
Le chineur a pris en charge une triple mission d’utilité publique.
La première participe de la sauvegarde du patrimoine, en tout cas d’aspects de ce patrimoine qui avaient échappé à la sagacité des conservateurs de musée.
La deuxième, découlant de la forte demande d’objets divers, de jouets, d’automobiles grandeur-nature et de pièces diverses qu’on jurerait anciennes, concerne l’emploi : le nombre de “restaurateurs” s’est multiplié, sans commune mesure, semble-t-il, avec le stock d’antiquités authentiques.
De son ultime vertu, la troisième…, le chineur paraît peu conscient.
Il assure, quoique de façon indirecte, l’animation des “bourses”, compensant ainsi la désolante désertification des campagnes.
A Ciney, par exemple, il participe à la continuation de la foire des marchands (qu’on surnomme “les boursiers” parce qu’ils participent aux bourses), qui colonisent les fameux abattoirs… et les terrains y attenants en attente des chineurs que les mauvaises langues nomment “les chineux”.
C’est ainsi que le Rétromoteur attire chaque année depuis longtemps, des “boursiers”, des “marchands d’occazzzz”, des “opportunistes du vieux sous toutes ses formes”, des brocanteurs et autres antiquaires-automobiles… mais aussi des vendeurs de pizza, de saucissons, de pâtés, de nouilles, de frites, de fromages, de glaces…, sans oublier quelques vendeurs de tout et n’importe quoi incluant des tamtams africains et de la verroterie datant du Congo-belge…
Dans ce micmac, dans ce souk qui s’apparente au bazar d’Istanbul, le chineur est le roi…, qu’importe s’il a froid, s’il a chaud, s’il fleure la frite, mais il est heureux.
Utile et heureux.
Une espèce rare.
Dressé pour éplucher les stands, le chineur est toujours équipé d’une lampe-torche pour farfouiller dans les recoins les plus sombres.
Le chineur est un animal solitaire, souvent nyctalope, qualité indispensable pour les nuits de chine et les fouilles à 5h du matin.
Il emplit ses poches de pièces de 1€uro et de billets de 10, 20, 50 euros, de sacs en plastique roulés en boules, voire de papier-bulles, de lingettes rafraîchissantes piquées dans les hôtels et s’habille mal pour éviter les prix “à la tête du client”.
Il n’aime rien tant que déstabiliser les vendeurs en faisant semblant de s’intéresser à une horreur alors que l’objet de sa convoitise est à l’opposé de l’étal…, ceci pour en tirer un bon prix.
Le chineur fuit comme la peste les particuliers imbus de leur marchandise trop bien exposée…
Le chineur méprise également les vendeurs qui écoulent leur marchandise très abîmée en se retranchant derrière des marques ou des signatures, tout en pratiquant des prix éhontés relevés dans les argus officiels.
Le chineur hait les argus.
Le chineur part toujours sans idée préconçue mais est suffisamment prévoyant pour organiser le rapatriement d’une grosse pièce de rencontre.
Le chineur évite les heures de pointe et les après-midi encombrés de familles et préfère évidemment la fine pointe de l’aube, sinon, décidément roublard, les fins de matinée ou de journées pluvieuses quand les marchands sont au bord de la crise de nerfs et préfèrent se séparer de leurs “trésors” imbibés d’eau plutôt de les remballer.
Si “Chiner” demande de la débrouillardise et une sensibilité pour déceler rapidement “l’art de l’enroule” pratiqué par les vendeurs…, il faut aimer “les chineurs” quand on est vendeur (toutes catégories confondues) et se doter d’un savoir-faire artisanal…, ça peut être intéressant mais la rentabilité est aléatoire.
En attente des chineurs…, deux métiers se disputent les meilleures places qu’on découvre sur la bourse de Ciney : antiquaire automobile (c’est plus beau que d’écrire “marchand d’occazzes”) et brocanteur !
Ces “vendeurs” axent leur activité professionnelle (ou non) sur la vente (sic !), l’échange et l’acquisition d’objets automobiles usagés.
Une différence tout de même les sépare : le brocanteur vend sans garantie, tandis que l’antiquaire (le marchand) identifie des objets et formule un diagnostic sur leur authenticité, avec une garantie très aléatoire.
Chacun est doté d’un carnet d’adresses, enrichi au fil des rencontres.
Les noms des commissaires-priseurs y figurent en bonne place, car entre deux “bourses” ils font parfois appel à eux pour écouler rapidement “des collections” qui ne trouvent pas preneurs auprès des chineurs et autres collègues marchands…
La clientèle de ces antiquaires-marchands se compose principalement des chineurs, mais aussi d’acheteurs exerçant une profession libérale friands d’objets précieux, recherchant davantage de l’insolite.
54 % des gens ont fréquenté une brocante, une foire, une bourse, au cours des six derniers mois.
La part de ce “marché” à l’exportation demeure très importante : les vendeurs réalisent jusqu’à 80 % de leur chiffre d’affaires auprès de clients étrangers.
L’antiquaire-marchand débutant rencontre de grandes difficultés pour constituer un stock, alors que le brocanteur, avec un capital de 15.000 euros, peut espérer s’en sortir.
Adopter le statut de marchand ambulant ou prendre en dépôt des pièces d’un confrère peut faciliter un début d’activité difficile, mais c’est rare puisque la base de tout ce “souk” c’est justement de faire vite et bien et de s’en retourner dans le lointain et l’anonymat…
Le brocanteur “patenté” subit ainsi de plein fouet la concurrence des vendeurs non professionnels.
Cette présence est d’autant plus ressentie que certains, sans expérience, bradent leurs objets sans connaître leur vraie valeur.
La profession d’antiquaire en est valorisée par contraste puisqu’elle est garante d’une éthique jugée supérieure… tout en permettant à ceux-ci de vite acquérir dans une bourse, ce que les “sans expérience” cherchent à vendre très rapidement.
Ces 20 dernières années ont ainsi vu évoluer une forme particulière du monde étonnant de la collection des voitures anciennes : “Les shows de vieilles bagnoles”, entendez par là des expositions de voitures plus ou moins anciennes au milieu desquelles sont exposé des bazars plus ou moins modernes, souvent déclassés, rarement en parfait état…
Il n’existe que deux catégories de shows, les shows snobs chics et chers et les “bourses d’ancêtres”…, appellation équivoque laissant croire à une connotation sexuelle pourtant totalement inexistante…, sauf sous l’aspect sadomasochiste !
J’ai participé masochistement pendant plus de 20 ans aux deux catégories…
Le bilan de ces foires est, pour moi, plus que mitigé…
A écrire vrai, le bilan est totalement négatif !
Outre, donc, que personne n’est jamais responsable de rien dans ce type de “Bourses d’ancêtres”, (des shows ou les bourses sont vides)…, trois constats sont à établir en vue d’un procès médiatique…
– Le premier constat est que ce sont les exposants (payeurs) de voitures qui font le spectacle… Cela leur coûte une fortune : les transports aller/retour avec deux ou trois jours d’attente en weekend…, les nettoyages détaillés (façon show-room) une fois sur le show ainsi qu’après le retour…, les risques de vandalismes ordinaires (les griffes et petits vols), les risques de vandalismes extraordinaires, les sabotages et gros vols… et le temps passé pour ces “foires” ainsi qu’un jour avant et un jour après… etc.etc…
– Le second constat est que ce sont les organisateurs qui empochent le prix des tickets d’entrée et le prix des emplacements…, sans assurer quoi que ce soit au profit des exposants…
– Le troisième constat est qu’au fil des années qui passent, les gens n’achètent plus de voitures dans les foires…, sauf celles qui sont super bradées…, les exposants étant traités pire que des marchands de tapis !
En finale, les 9/10 ièmes des exposants reviennent de ces foires totalement désabusés et dépressifs, fatigués et appauvris !
Pas un mois, pas une semaine même où une gent ; tantôt fébrile pour réaliser ou profiter de coups d’affaires sur le dos des autres ; tantôt un peu snob voire un peu mondaine soucieuse de collectionner l’une ou l’autre soi-disant perle rare ; tantôt amateur éclairé ou non d’une passion “mécanico-maniaque” parfois déprimante pour qui doit écouter leurs sommets, leurs records, leurs ascensions… et aussi leurs dépressions ; ne se voit sollicitée par l’un des nombreux salons, foires, shows, bourses d’ancêtres qui se déroulent un peu partout dans les pays de la Communauté Européenne.
Si les expositions automobiles d’Essen et de Paris sont devenues des institutions à part entière dont le “management” est censé appartenir à des professionnels de l’automobile ancienne et de la gérance financière “à l’ancienne”, qui ont leurs enjeux propres, économiques et “idéologiques“…, les “Bourses d’ancêtres” s’avèrent d’une toute autre réalité…
Les exposants “lambda” y sont comme du bétail de foire, le but des organisateurs, n’étant que de “faire du blé”… sans y connaître grand chose !
Ce “marché” a, depuis belle lurette, été capté par diverses mouvances : marchands officiels ou “en chambre“, collectionneurs avisés ou non, ferrailleurs, brocanteurs et magouilleurs…..
Un phénomène dont les États-Unis, une fois de plus, sont le faux modèle et dont les participants en amont, ne peuvent pas ne pas tenir compte (sic !), fût-ce plus ou moins consciemment…, quoique le modèle de l’immense foire de Hershey (20.000 voitures anciennes sur 60 kms d’allées), ainsi que les shows de ventes aux enchères (Kruse, Barrett-Jackson etc etc par centaines chaque semaine), n’ont strictement rien à voir avec ce qui se passe en Europe…
Ciney par exemple, n’a aucun rapport avec Hershey…
Voyez, à la modeste échelle des petit pays européens, les “Bourses d’ancêtres” qui s’y déroulent chaque année.
Moins les voitures proposées sont engageantes et mieux cela vaut, un peu comme si la connotation “crasse” était garante de “bonnes affaires“.
L’attitude de ce public faussement “acheteur“, rend dépités les véritables connaisseurs de la chose automobile ancienne de par le manque de dynamisme du marché, ce qui les décident à produire finalement peu d’animation autour des “expositions” !
Pour bon nombre de nos contemporains, ces “foires” représentent pourtant (et à tort) l’essentiel du marché.
Si les “shows-room-marchands” continuent d’exister, c’est moins pour eux-mêmes, ils sont désormais peu fréquentés, que comme antichambre de ces “foires“.
Il y a quelques années, l’acquéreur type d’une automobile de collection, était non seulement pressé (de la revendre plus cher), exigeant comme dans la tragédie classique, unité de temps, de lieu et d’action (une foire, un lieu, une date) mais il se sentait à défaut d’être vraiment “internationalisé”, au courant de tout et notamment des “valeurs“.
Actuellement, ce type de client n’existe plus dans les “foires”…, il perdure dans les ventes aux enchères d’automobiles de collection, mais a également déserté les shows-room marchands.
Il n’y a plus que les grands shows-expositions comme à Essen et Paris, qui répondent à ses attentes au risque, toutefois de les voir se standardiser.
Il n’en est pas de même pour les “foires” et “bourses d’ancêtres”, mais heureusement, leur banalisation même sécrète un antidote.
Elles se ressemblent toutes et finissent par provoquer l’indifférence, voire un ennui débilitant…, toutes choses qui ont offert à quelques adversaires de ce “collectivisme“, de nouvelles armes.
Les gens vont toutefois de moins en moins dans les “foires” et “bourses d’ancêtres”… et ceux qui s’y risquent encore ne se souviennent même plus, après leur visite, des marchands qu’ils ont vus.
Et pour cause, les marchands locaux ne vont plus dans ces foires, elles sont devenues trop chères, n’attirent plus grand monde et plus aucun acheteur ne s’y manifeste.
Sans entrer dans trop de détails, voitures typiques de ces “foires & bourses d’ancêtres”, les Corvette C3 à nez-plastique y pullulent à des prix qui naviguent entre le simple et le triple sans qu’on en sache le pourquoi !
Un modèle semblable s’annonce à 10.000 euros, là ou trois autres s’affichent à 14.000… tandis que plus loin et mieux exposées l’une est proposée 18.000 et encore une autre à 29.000…
Idem pour les quelques fausses “Cobra” en plastique, l’une est à 65.000 €uros, l’autre à 39.000 et une troisième à 25.000…, aucune n’est authentique…
Et c’est de même pour toutes…
En finale, le public préfère la sécurité d’une Smart Roadster ou d’une Mini cabriolet récente, histoire de passer leur cerveau au Karchër et ne plus se sentir en mal d’aise…, mal à l’aise…
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