CIZETA-MORODER V16T 1988
Si vous aimez les rares et obscures supercars des années ’90 , vous connaissez probablement la Cizeta-Moroder V16T et son design de robot-ménager, mixeur, batteur d’oeufs, presse-fruits et cafetière multi-fonction. J’en ai déjà réalisé un article qui se suffit à lui-même pour en faire le détour en un clic, ici : https://www.gatsbyonline.com/automobile/1991-cizeta-moroder-v16t-352570/
L’idée originale de l’ingénieur de développement chez Lamborghini : Claudio Zampolli, a été de proposer au producteur de musique Giorgio Moroder, de s’offrir une voiture faite pour lui et portant son nom… Le résultat se caricature d’une carrosserie pas très bien dessinée et proportionnée par Gandini, avec une face avant qui semble n’exister que pour s’illuminer d’un ensemble de phares escamotables empilés… La complication pouvant justifier un prix hallucinant à la gloire de Moroder étant un moteur V-16 monté transversalement, constitué de deux blocs V8 de Lamborghini Urraco, le tout ne développant que 500 malheureux et chétifs chevaux….
La Cizeta-Moroder V16T blanc-frigo qui illustre cet article est le tout premier prototype construit et le seul exemplaire à porter le badge “Cizeta-Moroder”. C’est donc ce numéro 001 qui a été révélé pour la première fois en 1988 lors d’un événement ponctuel à Los Angeles, avant d’être présenté au Salon de l’auto de Los Angeles 1989, puis au Salon de l’automobile de Genève peu de temps après. Moroder est resté “éternellement” propriétaire de sa voiture sans l’utiliser. En 2018 il a toutefois fait effectuer une remise en service mécanique complète par les ateliers “Conception Canepa” en Californie, pour s’assurer un bon fonctionnement pour les années à venir.
Étant le prototype des 10 Cizeta V16T construits (c’est un stratagème fiscal et technique aux USA, restant “Prototype” cet “engin” n’est pas soumis aux mêmes obligations légales sécuritaires incluant un crash-test), ce prototype particulier arbore une poignée d’éléments de conception qui n’apparaissaient pas sur les neuf véhicules de production suivants. Il y a des prises d’air latérales plus grandes avec plus de “virures”, un pli diagonal le long de la partie inférieure de la carrosserie, des clignotants différents, des phares antibrouillard uniques et des rétroviseurs latéraux exclusifs. Les acheteurs potentiels seront heureux de savoir que le #001 est entièrement fonctionnel et dispose même de son propre titre américain.
La voiture devait être mise aux enchères le week-end du 13 août 2021 lors de l’événement RM Sotheby’s à Peeble Beach. Il n’y avait pas d’estimation de prix répertoriée, mais avec les prix stupéfiants des supercars d’époque tels qu’ils sont, les habitants “hors-normes” et financièrement à l’abri pour les 10.000 ans à venir, de la planète entière (sic !), s’attendaient à ce que “La Moroder” atteigne un chiffre comportant un très grand nombre de zéros… Tout ce qui s’est passé fut “rien du tout” si ce n’est qu’un certain Sammy Hagar a jeté sa Ferrari Berlineta Boxer 512 contre un arbre ayant poussé depuis très longtemps avant que “La Moroder” se gare sous ses feuilles, et ce dans un dérapage hurlant et dantesque !
Claudio Zampolli, ayant assisté à la scène pour aider à donner une image chic et snob à la vente, n’a pu que sourire en retour, il aurait été inconvenant d’hurler sa peur au milieu des belles endimanchées sous leurs chapeaux ridicules…De surcroit, Claudio Zampolli est bien trop connu parmi l’élite de Beverly Hills comme une sorte de chuchoteur aux oreilles des chevaux développés par les moteurs des belles italiennes. De nombreux riches et célèbres locaux confient leurs machines à Claudio, il s’est taillé une niche lucrative pour lui-même et y a consommé la majeure partie de sa vie en réalisant les plans d’une automobile audacieuse.
Plus de trois décennies plus tard, Zampolli, choqué par l’accident qui n’a finalement qu’abimé l’arbre, était réticent à me parler de l’œuvre de sa vie. Il vit à Fountain Valley, ou il reste connu comme étant un ingénieur atypique disposant sans cesse de peu de temps pour discuter. Claudio Zampolli fait habituellement ses excuses en disant qu’il doit retourner dans son atelier, où il travaille sur un moteur. Quel type de moteur ? Encore un V-16 ? Il crie alors en s’encourant : “Il n’y a rien d’autre que je puisse faire de mieux”…
Né à Modène, Claudio Zampolli a grandi en regardant des Ferrari sur la piste d’essai de l’Autodromo di Modena et a été embauché par Lamborghini à 25 ans en tant que pilote d’essai et ingénieur. Plus tard, déménageant aux États-Unis dans le cadre des efforts de Lamborghini pour organiser un réseau de concessionnaires, il s’est rapidement retrouvé en Californie, le foyer naturel de nombreuses supercars italiennes. Il a ouvert une nouvelle concession Lamborghini sur Wilshire Boulevard. Plus tard, sans vergogne, il est passé au service de Ferrari, Maserati et d’autres marques italiennes.
À peu près au même moment où Zampolli côtoyait des célébrités. Eddie Van Halen attribue à Zampolli l’introduction de Sammy Hagar dans Van Halen, le son du moteur de sa chanson “Panama” provient de la Miura d’Eddie sur lequel Zampolli a travaillé. La célébrité de Claudio l’a ainsi mis en contact avec Giovanni Moroder, qui, mieux connu sous le nom de Giorgio, Moroder, est considéré comme le père de la musique disco et s’est imposé dans les années 1970 avec une série de tubes produits pour Donna Summer.
On peut également affirmer que Giorgio Moroder était responsable d’une grande partie de la bande originale des années 1980. Il a remporté trois Oscars, notamment celui de la meilleure chanson originale pour le film “Top Gun”... Comme il sied à une icône issue des années ’70 et ’80, Moroder conduisait une Lamborghini Countach, ce qui l’avait mis sur le chemin du garage de Zampolli… Giorgio Moroder n’était pas le premier partenaire potentiel de Zampolli. Selon Brian Wiklem, auteur d’un livre complet sur l’histoire de la Cizeta V16T, Sylvester Stallone a été initialement envisagé !
Il existe des photographies d’un capot de moteur de marque “Cizeta-Stallone”... Pourtant, que ce soit en raison de leur héritage italien commun ou simplement par amour des machines exotiques, Zampolli et Moroder ont formé un partenariat. L’idée de la Cizeta-Moroder est ainsi née. La moitié Cizeta de l’entreprise tire son nom de la prononciation italienne des initiales de Zampolli CZ… ” Chey Zeta”. Il a ensuite repris les couleurs bleu et jaune des armoiries de Modène et a adopté un motif de tête de loup basé sur le mythe romain de Romulus et Remus.
Zampolli travaillait déjà sur le concept d’une supercar dan sa boutique depuis la fin des années 1970. D’un point de vue pratique, son idée était de retourner à Modène, où de petits ateliers fournissaient le genre d’artisanat de haut niveau sur lequel il pouvait compter. Du côté moins pratique, il voulait construire une voiture autour d’un moteur V-16 monté transversalement. Personne n’avait jamais tenté une telle folie auparavant : Cadillac avait un V-16 dans les années 1930, mais qui était doté de beaucoup d’espace grâce à un long capot et menait une vie sans stress et à faible régime. VW-Bugatti n’existait pas encore !
Dans la version de Zampolli, le moteur était formé de deux V8 basés sur l’architecture du huit cylindres de l’Urraco P300. Le bloc était d’une seule pièce moulée en aluminium sur mesure, réalisée par un spécialiste de Modène et destinée à être montée transversalement, avec une boîte de vitesses longitudinale ZF à cinq vitesses. Cette disposition en forme de T a donné son nom au V16T et a été inspirée par la configuration de la Lamborghini Miura.
Zampolli savait qu’un simple V-12 ne ferait pas les gros titres comme un V-16, et il avait un ingénieur en chef expérimenté en Oliviero Pedrazzi. Déplaçant 6,0 litres, le V-16 comportait 64 soupapes, huit arbres à cames, deux systèmes d’injection de carburant, quatre culasses et deux chaînes de distribution. Il ne produisait toutefois que 540 chevaux à 8 000 tr/min et 400 lb-pi de couple à 6 000 tr/min.
L’installation d’un moteur aussi énorme dans une voiture exotique surbaissée nécessitait un maître du design. Heureusement, grâce aux relations établies à l’époque de Lamborghini, Zampolli a pu approcher Marcello Gandini, père de la Countach. La croyance répandue est que la Cizeta V16T est la Diablo telle que Gandini l’avait conçue à l’origine, avant que le rachat de Lamborghini par Chrysler en 1987 ne neutralise sa conception originale. C’est en partie exact, mais la conception originale de Gandini n’a pas non plus entièrement rencontré l’approbation de Zampolli.
Claudio s’est demandé comment aborder au mieux le sujet avec le célèbre designer. Quand il a commencé à parler, il a trouvé Gandini déjà d’accord et le produit final n’était une collaboration partielle. La moitié avant de la voiture était d’emblée conforme à l’intention de Gandini ; la moitié arrière contenait beaucoup plus de l’influence de Zampolli. Une partie de la forme était dictée par l’ampleur (la longueur) du moteur 16 cylindres. À son point le plus large, la Cizeta s’étendait sur 81 pouces.
Le châssis utilisait un cadre spatial tubulaire classique et la carrosserie était en aluminium formé à la main plutôt qu’en composite. Les phares escamotables quadruples étaient un ajout tardif, une autre facette inhabituelle d’une machine scandaleuse. Malgré l’immensité du moteur V16T son compartiment avait été conçu pour que l’accès soit facile aux entretiens et services.
Zampolli a courtisé le maître artisan Giancarlo Guerra loin de Lamborghini et a recruté des techniciens et carrossiers expérimentés Ernesto Barbolini et Luca Schiavi. Moroder détenait 50% des parts de l’entreprise, il a donc fourni un financement alors que l’équipe de Zampolli travaillait fébrilement pour donner vie au prototype.
Présentée pour la première fois en Californie en décembre 1988, la Cizeta-Moroder V16T a battu de justesse la Diablo en date de dévoilement/présentation. Jay Leno, a enregistré l’événement et diffusé dans son émission TV, et la Cizeta V16T a ensuite été présentée au Salon de l’auto de Los Angeles, où elle a suscité un vif intérêt. Quatorze dépôts initiaux de 100.000 $ ont été déposés en acompte pour la voiture, mais cinq se sont désistés car il croyaient pouvoir être livrés immédiatement !
Les problèmes ont commencé presque immédiatement. Premièrement, la vision inflexible de Zampolli du V16T en tant qu’expression ultime de l’exclusivité artisanale n’était pas une voie facile vers les profits ! Le prix était alors de 280.000 $ de 1989 (c’est près de 600.000 $ aujourd’hui). La production a été lente ce qui a frustré Moroder qui, malgré ses origines italiennes, avait passé suffisamment de temps à Berlin pour développer un sens aigu du pragmatisme germanique. À l’insu de Zampolli, il a commencé à parler aux ingénieurs de Porsche, examinant l’utilisation de la fibre de verre pour la carrosserie au lieu de l’aluminium capricieux.
Un désaccord s’est ensuivi et a dissout le partenariat. La rupture s’est terminée, avec Moroder conservant le premier prototype, qu’il possède toujours aujourd’hui en Californie. La voiture est toujours appelée Cizeta-Moroder par de nombreux fans, mais les modèles de production suivant ne portaient que le nom de Cizeta. Le plus gros problème qui s’est ensuite profilé sur la Cizeta était que le V16T n’était pas légal aux États-Unis ! Heureusement, les commandes initiales étaient fortes en provenance d’Asie et du Moyen-Orient (deux vendues du sultan de Brunei). L’effondrement de la bulle japonaise n’interviendra que dans quelques années.
La suspension de la Cizeta V16T comportait des doubles triangles et des amortisseurs Koni intérieurs, les freins étaient des rotors de 12 pouces avec des étriers Brembo à quatre pots, et les roues OZ de 17 pouces portaient des Pirelli 245 à l’avant et 335 à l’arrière. La performance ultime était de 205 mph revendiquée, avec un temps de 0 à 60 secondes de 4,5 secondes, bien que la Cizeta n’a jamais vu de soufflerie ! Quoi qu’il en soit, la forme et le son ont enflammé l’imagination. Présentée dans toutes les publications majeures de l’époque, la Cizeta V16T semblait prête à percer le marché exotique, attirant ceux qui considéraient une Testarossa ou une Diablo comme beaucoup trop courante.
Les choses se sont dénouées différemment et rapidement. Zampolli avait vendu certaines de ses voitures de sport personnelles, dont une Miura et une Ferrari 250 pour financer le projet initial, et avait transféré les bénéfices de la vente de chaque V16T à Cizeta. Lorsque le marché s’est effondré, la récession de 1990 aux États-Unis suivie du krach boursier au Japon en 1991, la société est morte. Le crédit de Cizeta avec les commandes à petite échelle des ateliers de Modène a été réduit, et, en outre, les fournisseurs ont soudainement commencé à exiger que des commandes plus importantes soient passées et payées à l’avance.
Les problèmes de santé de Zampolli ont encore compliqué les choses, rendant le voyage entre Los Angeles et Modène difficile. Créer la Cizeta V16T était une chose, mais la maintenir en production régulière s’est avéré impossible. Cizeta a déménagé à Los Angeles et Zampolli a connu une faillite personnelle. Seulement neuf voitures ont été produites dans la course initiale, bien en deçà de la douzaine prévue par an, et l’entreprise semblait fatalement touchée. Pourtant, Cizeta a lutté avec son idée originale tandis que le reste du monde de l’automobile a évolué.
Une version cabriolet, la Cizeta Fenice TTJ Spyder, a été achevée pour un client japonais en 2003, et présentée au Concorso Italiano à Monterey, en Californie. Dans le même temps, Zampolli et son entreprise traversaient une période marquée par des poursuites et des problèmes juridiques. Plus célèbre encore, Zampolli a poursuivi Jay Leno pour 150 millions de dollars de dommages et intérêts pour diffamation suite à des commentaires houleux faits par le comédien lors d’une exposition automobile en février 1999 à Van Nuys, en Californie. Le procès a finalement été rejeté, mais l’amitié de Zampolli avec Leno a été irrémédiablement endommagée, et une vilaine rupture est apparue plus tard entre Zampolli et son avocat !
En 2009, des agents des douanes fédérales sont arrivés chez un concessionnaire de voitures anciennes à San Juan Capistrano et ont saisi une Cizeta rouge. La V16T n’était toujours pas homologuée pour la route aux États-Unis, mais la voiture était arrivée en 2001 avec une garantie d’un an pour faire effectuer quelques travaux. La caution avait été prolongée de quelques années, mais avait expiré depuis longtemps à ce stade. Zampolli a finalement réussi à récupérer la voiture, qui appartenait à un propriétaire autrichien.
Cependant, même maintenant, il est impliqué dans plusieurs querelles publiques, notamment avec l’ancien pilote d’essai Lamborghini Valentino Balboni. Sa page Facebook attaque également Brian Wiklem (l’auteur et fan de Cizeta avec qui il était autrefois en bons termes) ainsi que Jay Leno, et l’avocat original de Zampolli : Tristram Buckley. Malgré tout, Cizeta persiste. L’atelier est là, tout comme l’outillage. Comme le dit Zampolli, l’entreprise respire toujours et il répond par l’affirmative à la question de savoir si un client peut encore commander une Cizeta aujourd’hui : “Il y a eu un retard dû au déplacement de l’ensemble de l’équipement. Mais la Cizeta V16T est toujours disponible, bien sûr sur commande spéciale uniquement»…
Même si Zampolli avait fermé boutique, abandonné… la réalisation de la construction de la Cizeta V16T en premier lieu serait une réalisation digne. Parce que si peu ont été fabriquées, il est parfois à la mode d’étiqueter la voiture comme un échec, mais si la Cizeta V16T n’a pas eu le succès que Zampolli espérait, quelle autre exotique a jamais été fabriquée avec un 16 cylindres si ce n’est VW Bugatti plusieurs années plus tard ?
La Cizeta V16T était d’abord un rêve, puis est devenue une réalité. Puis elle est devenue un cauchemar. Trente ans plus près de nous, elle reste peut-être la plus exotique de toutes les supercars : rare, improbablement audacieuse, condamnée mais triomphante. Claudio avait créé l’incroyable ! J’ajoute un point important, contrairement à toutes, elle était fiable, ne tombait pas en panne et avait été conçue pour que les réparations soient simples, l’exact opposé de la plus “merdique” de toutes les exotiques ; la DeTomaso Pantera…
2 commentaires
Mon cher Gatsby,
Cet article est capable de générer de très fortes émotions, par l’usage de la nostalgie, par la qualité de l’iconographie, par la puissance évocatrice de la musique et par les protagonistes qui sont pour le vulgus pecum les acteurs de la réussite à l’italienne vue par la télévision des années 80. Sa puissance onirique ne fait aucun doute pour moi.
Trois vraies questions : est-ce qu’il a été donné au rédacteur de l’article d’essayer l’auto ? Si c’est le cas, il ne fait aucun doute que l’exemplaire essayé verra sa côte exploser lors d’une vente aux enchères à Poubelle bitches ! Le choix d’une injection Kjetronic me semble un peu curieux lorsqu’on recherche vraiment de la puissance ? Bon, pourquoi pas, ça n’a pas dû empêcher les acheteurs potentiels de dormir. Ne sommes-nous pas au fond fascinés par tous ces Icare de l’automobile ?
Marketing de la nostalgie
J’ai plusieurs fois conduit ce bestiau… Je conseille la location de la Citroën AMI qui est d’un meilleur qualité (passable) prix (faible) usage (comme un sac de course non jetable) agrément (on est content d’en sortir sans trop de couts.
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