Comparatif : Detroit Electric & Ford’T…
Nous remontons le temps qui passe inexorablement, en ce cas de plus de 100 ans, pour vous remettre en mémoire que le débat entre l’énergie électrique et le pétrole (l’essence en ce cas) est né avec l’automobile… Pour la première fois en plus de 100 ans, les deux sont des options viables à prix presque similaires (tout reste cependant relatif) pour de nombreux acheteurs/utilisateurs de voitures (mettez au féminin de vous même si vous le ressentez même si vous êtes transgenre), mais à quoi ressemblait cette décision au tournant du siècle dernier ? Nous voyageons dans le temps pour faire une comparaison, les voitures d’essai sont une Ford Model T Touring Car de 1921 et une Detroit Electric Model 90 Coupé de 1922.
En 1921, le modèle T approchait du sommet de sa popularité. Henry Ford avait apporté peu de modifications à la T depuis son introduction à l’automne 1908, et pourtant les ventes continuaient de grimper. De même, l’Anderson Electric Car Company n’avait pas apporté beaucoup de modifications à ses modèles Detroit Electric depuis 1914 environ. Les voitures électriques avaient rivalisé avec l’essence au cours de la décennie précédente, stimulées par les prix élevés du carburant pendant la Grande Guerre 1914/1918, mais les ventes ont commencé à décliner en 1922. À l’époque comme aujourd’hui, les voitures électriques étaient chères à construire, de sorte que la Detroit Electric s’est positionnée comme une voiture de luxe.
L’habitacle du modèle 90 est d’ailleurs, dans cet esprit aménagé comme un salon Edouardien, avec une moquette moelleuse, des rideaux, des vases à fleurs et, ce qui semble être une causeuse bien rembourrée le long du mur du fond. C’est en fait, le perchoir de la conductrice et de son compagnon (j’ai indiqué “conductrice” car les voitures électriques étaient invariablement commercialisées auprès des femmes ! Même Clara Ford, l’épouse d’Henry Ford, était l’une des clientes les plus importantes de Detroit Electric)… Il y a donc un siège baquet très moelleux à l’avant qui pivote vers la banquette arrière pour socialiser (à l’arrêt) et un petit tabouret rembourré pour un quatrième occupant.
Huit fenêtres géantes, avec du verre incurvé dans les coins, une nouveauté à l’époque, laissent entrer toute la lumière du soleil que vous pouvez demander. La finition de peinture bicolore, noire sur bleue ajoute au “chic/classieux” de cette automobile, catégorisée “haut de gamme”…
La Ford, en revanche, est aussi avare et basique que la Detroit est chic et classe. Les sièges sont simples recouverts d’un similicuir bon marché, et le plancher en bois brut est recouvert d’un tapis en caoutchouc coupé approximativement, il est supposé imperméable, puisque notre voiture d’essai a un toit rabattable mais pas de vitres latérales, mais rien n’est certain… Il n’y a pas non plus de porte conducteur, car pourquoi en avez-vous besoin ?
Seuls les passagers arrière supposés être des enfants, ont le droit de faire l’extravagance d’entrer et de sortir de la voiture de n’importe quel côté. En ce qui concerne la peinture, vous n’avez pas à demander, c’est la même couleur que les 971.609 autres modèles T construits par Ford cette année-là… Noir/noir sur noir… Bien sûr, le niveau de luxe se reflète dans les prix : en 1921, Henry Ford avait réduit le prix de base de sa voiture à 370 $ (5.300 $ ajustés à une valeur 2024), et une voiture de tourisme comme celle de l’essai aurait été de 415 $ (6.000 $ 2024). Le prix “de base” de la Detroit Electric était tout autre, soit de 2.985 $ (38.500 $ 2024), mais pour notre voiture d’essai il fallait compter 4.000 $ de l’époque, soit près de 61.500 $ en US dollars d’aujourd’hui…
C’est donc quasiment 10 fois plus que pour la Ford T… Et conduire la Ford modèle T vous aide à comprendre l’attrait de la Detroit électrique… La Ford T est exceptionnellement équipée d’un démarreur électrique (une option). Comme pour beaucoup de choses, Ford a toujours été lent à adopter trop de technologie moderne. La Ford T de l’essai est l’une des rares T équipées de démarreurs électriques. C’était pour des raisons de sécurité que cette option était proposée car démarrer à la manivelle est une activité dangereuse, si elle n’est pas faite avec soin, et parfois même si elle est faite avec soin, elle peut entraîner des fractures aux poignets, aux bras et aux mâchoires… Non pas que le démarrage électrique, de la T soit clé en main : facile. Quoique…
Voici comment procéder : si la voiture est froide, tirez sur le levier d’amorçage à côté du radiateur pour régler le starter. Tirez le levier du frein à main aussi loin que possible vers l’arrière et assurez-vous que le levier de calage de l’allumage, c’est-à-dire celui de gauche sur la colonne de direction, est jusqu’à la position complètement ralentie. Tirez l’accélérateur (c’est-à-dire le levier de droite) jusqu’au cinquième ou sixième cran et tournez le contacteur d’allumage sur Batterie. Si le moteur est chaud et que le calage de l’allumage est légèrement avancé, le moteur peut s’allumer tout seul à ce stade. En supposant que ce ne soit pas le cas, appuyez sur le bouton de démarrage et le moteur devrait démarrer immédiatement.
Tournez le contacteur d’allumage sur Magnéto et vous êtes prêt à conduire. Si vous lancez votre modèle T, réglez le frein à main et l’accélérateur. Le manuel du propriétaire de 1919 recommande d’avancer le chronométrage de trois ou quatre crans, bien que cela augmente le risque de rebond et de blessures. Si le moteur est froid, amorcez-le avec le contact coupé en tirant sur le levier d’amorçage tout en donnant au moteur quelques demi-tours avec la manivelle de démarrage. Tournez le contacteur d’allumage sur Magnéto et engagez la manivelle à environ 9 heures par rapport au cadran de votre montre. Le démarrage doit être effectué avec la main gauche, paume vers le haut et ouverte, de sorte que si le moteur rebondit, le levier ne tire pas votre bras vers le bas…
Ben oui… c’est pour que cela ne disloque pas votre épaule. Vous voudrez également garder votre visage et votre épaule droite dégagés pour vous éviter d’éventuelles fractures, un foulard s’emmêlant autour de la manivelle et PAF ! Handicapé à vie ou mort d’atroce manière…. Tirez brusquement vers le haut et, avec quelques bons tirages, le moteur devrait démarrer après quelques tentatives… Le démarrage de la Detroit Electric est plus simple, de même que prendre la route dans la Detroit Electric. C’est un rêve en comparaison qui vaut de devoir payer 10 fois plus que pour la Ford T… Mais tout le monde n’a pas les moyens financiers d’acquérir la Detroit Electrique parce qu’on y est installé confortablement dans le canapé,…
Bref, vous repliez deux leviers à partir du montant de la porte. L’un est l’accélérateur, qui a une position neutre et quatre encoches de puissance, et l’autre est la barre franche. En appuyant sur une pédale à la base du siège du conducteur, on enclenche la marche arrière, et une double pédale devant le conducteur applique et verrouille les freins. C’est également compliqué, mais plus simple… Mécaniquement, la Detroit Electrique est aussi simple que vous pouvez vous y attendre : l’accélérateur est relié à un contrôleur de tambour avec des contacts en cuivre qui se trouve sous le siège du conducteur. Les batteries sont situées dans les boîtes à l’avant et à l’arrière de la cabine, des “Nickel-fer Edison” en option qui avait une autonomie annoncée de 80 miles.
Le moteur électrique est suspendu sous le châssis et entraîne le différentiel sur l’essieu arrière. Les freins sont mécaniques, roues arrière uniquement, et l’ensemble du “match de tir aux pigeons” se déroule sur des essieux suspendus par des ressorts à lames. La Ford Model T a une configuration de châssis similaire, mais c’est là que s’arrêtent les similitudes. Le moteur est un modèle de simplicité d’ingénierie : un quatre cylindres à soupapes latérales de 2,9 litres (177ci) à tête plate (Flathead) qui n’a même pas de pompe à eau, s’appuyant sur la convection pour faire circuler son eau de refroidissement. Un carburateur à tirage ascendant à barillet unique fournit du carburant tandis qu’une magnéto montée sur le volant d’inertie fournit l’énergie pour l’étincelle.
Au lieu d’un distributeur, la Ford modèle T utilise quatre bobines de tremblement. Contrairement aux systèmes d’allumage modernes, ils produisent une étincelle constante tant qu’ils sont engagés par la minuterie, c’est pourquoi vous pouvez parfois démarrer un moteur modèle T sans démarrer. La puissance est de 20 chevaux à 1.600 tr/min, et le couple est étonnamment fort de 83 lb-pi à seulement 900 tr/min. La transmission à deux vitesses est un engrenage planétaire, un peu comme celui utilisé dans les automatiques modernes, sauf qu’il n’y a rien d’automatique à ce sujet. Le modèle T a trois pédales, mais elles ne font pas ce qu’un conducteur moderne attendrait. Voici qu’arrive (enfin) votre introduction de base à la conduite du modèle T …
Soyez attentifs… Placez votre pied gauche sur la pédale gauche, qui contrôle l’embrayage et la gamme basse/haute, et qui est actuellement maintenue dans sa position centrale (neutre) par le levier de frein à main. Utilisez votre pied droit pour appuyer sur la pédale droite, ce qui applique le frein de transmission. Maintenant, serrez la poignée du levier du frein à main et poussez-la à fond vers l’avant, ce qui libère les freins de roue et le verrouillage à haute gamme (le gadget maintenant la pédale gauche en position neutre). Donnez-lui un peu d’essence en tirant sur la manette des gaz. Retirez votre pied droit du frein et poussez la pédale gauche à fond jusqu’au sol pour engager la vitesse basse. C’est parti !
Une fois que vous vous mettez en mouvement, il est préférable de passer à droite dans la gamme haute. Cela demande un peu de pratique pour s’accomplir en douceur… En gros, vous voudrez baisser l’accélérateur au ralenti lorsque vous levez votre pied à fond de la pédale gauche, qui, avec le levier de frein à main à fond vers l’arrière, est maintenant libre de se déplacer vers la position la plus haute qui engage la vitesse élevée. Vous voudrez déplacer la pédale rapidement au point mort et lentement dans l’aigu. Une fois le changement de vitesse effectué, vous pouvez conduire avec l’accélérateur à main. Le moteur de la T ne craint pas le bas régime, et vous pouvez ralentir suffisamment pour prendre des virages (de préférence à un rythme de marche) sans rétrograder.
Pour arrêter la voiture, poussez la pédale gauche en position centrale, appuyez sur la pédale droite et espérez (priez si vous êtes croyant) que vous avez suffisamment d’espace. Pour un arrêt d’urgence, vous pouvez fermer l’accélérateur et rétrograder au plus bas lorsque vous freinez. Assurez-vous simplement de vous mettre au point mort lorsque la voiture s’arrête, afin qu’elle ne cale pas. En cas de besoin, vous pouvez tirer sur le frein à main pour engager les freins de la roue arrière. Pour reculer, arrêtez la voiture, maintenez la pédale gauche en position centrale (ou trichez en mettant le frein à main en position médiane, ce qui engage le verrouillage mais pas les freins) et poussez la pédale centrale au sol pour enclencher la marche arrière.
Facile, n’est-ce pas ? Qu’en est-il de la performance brute ? La Detroit Electric peut s’échapper assez rapidement si vous tirez la barre directement vers l’arrière au quatrième cran, bien qu’il est recommandé d’être plus doux avec cet artefact centenaire. Comme pour une voiture électrique moderne, la puissance est douce et uniforme et, à l’exception d’un léger grognement des vitesses, étrangement silencieuse. Comparez cela avec le modèle T, qui fait “un boucan” plus fort que prévu et vibre comme un lit électrique de baise d’un bordel. La Ford T a beaucoup de couple à bas régime et vous pouvez vous en sortir rapidement si vous la laissez grogner à bas régime et faites la course avec le moteur, mais la rigolade du passage à la vitesse supérieure ralentit les choses…
La vitesse de pointe dépend en grande partie de l’état de la voiture et du culot du conducteur : 40 mph sont possibles, mais le modèle T est un danger public à même la moitié de cette vitesse, en cause d’une direction rapide et lâche, d’une inclinaison excessive de la carrosserie même à un rythme de parking (la Ford T n’a pas d’amortisseurs ni de barres antiroulis), et les distances d’arrêt sont semblables à celles d’un train de marchandises. Conduire vite n’est pas pour les âmes sensibles ni pour les faibles de la vessie. La Detroit Electric atteint une vitesse plus calme de 25 mph, ce qui est largement suffisant car les limites de vitesse à l’époque (lorsqu’elles existaient) étaient généralement de 10 mph en ville et de 15 mph sur les routes rurales.
Bien qu’il faille s’habituer à la conduite à l’aide de la barre, l’habitacle étant calme car ressemblant à un salon, cela vous isole du monde extérieur et rend la conduite beaucoup plus relaxante. Il y a cent ans, l’autonomie et l’infrastructure étaient les principaux défis auxquels étaient confrontées les voitures électriques. Le problème d’infrastructure n’était pas simplement un manque de chargeurs, mais plutôt un manque d’électricité. La plupart des grandes villes étaient câblées, mais pour une grande partie de l’Amérique, l’électrification rurale était encore loin dans le futur, rappelez-vous que lorsque ce modèle 90 a été construit, la Tennessee Valley Authority n’existait pas encore et la Rural Electrification Administration ne serait pas formée avant près de 15 ans.
L’essence, la vapeur et les chevaux étaient les seules alternatives viables. Les voitures électriques sont restées populaires auprès des médecins, qui avaient besoin d’un démarrage rapide et fiable, et des “Dames” citadines aisées, qui préféraient le fonctionnement simple et sans odeur de l’électrique. Malgré cela, le démarreur électrique de Charles Kettering de 1912 était l’application qui a mis la fin (temporaire) de la voiture électrique en vue. L’électrification, lorsqu’elle est arrivée, s’est répandue rapidement, mais les Américains ont massivement choisi l’essence pour leurs voitures. Detroit Electric a construit sa dernière voiture en 1939, après en avoir vendu quelque 13.000 depuis 1907, soit une fraction des 15 millions de modèles T construits par Ford entre 1908 et 1927.
Tout comme pour les voitures électriques modernes, il est difficile de ne pas aimer la Detroit Electric une fois que vous en avez fait l’expérience. L’habitacle confortable, la conduite silencieuse et les commandes simples en font un jeu d’enfant à conduire, et il est facile de plaindre le conducteur du modèle T, ses bras, ses mains et ses jambes en mouvement constant, exposé aux éléments, ses oreilles bourdonnant et ses narines piquantes à cause des sous-produits de son moteur. La Detroit Electric est lente et son autonomie est courte, mais elle semble beaucoup plus judicieuse. Quoiqu’ il y a quelque chose d’enchanteur dans le modèle T, aussi complexe et simple soit-il. C’est une voiture qui supprime presque toutes les barrières entre l’organisme et le mécanisme…
Le conducteur d’une Ford modèle T est intimement impliqué dans le processus d’introduction du carburant dans le moteur et d’allumage, en manipulant littéralement les éléments internes de la transmission avec ses propres pieds. Sa simplicité basique oblige à une unité avec la machine. Conduire la Ford T demande beaucoup de travail, mais c’est une forme de magie que vous n’obtenez tout simplement pas dans le salon sur roues qu’est la Detroit Electric qui est un Yacht urbain, alors que le modèle T est un radeau motorisé qui a été conçu pour aller n’importe où… Dès que vous serez familiarisé avec ses commandes, vous commencez à avoir l’impression que n’importe où est exactement là où vous pouvez aller, avec l’aide de quelques clés et de quelques stations-service…
Je vous dépose une surprise en finale, un Super modèle T Hot Rod… et une Tesla électrique…