Carroll Shelby était un homme à part, venu de quelque part et issu d’une famille à part dont on ne connait quasi rien, c’était un être totalement improbable que j’ai eu grand plaisir à ne fréquenter que quelques brèves fois, dont une à Bruxelles chez l’importateur Claude Dubois qui sévissait calmement en ventes et réparations d’automobiles marginales dont les Shelby Cobra (j’avais en ces temps éloignés, une Mustang Shelby GT350 Cabriolet). Pour résumer sa psychologie, c’était un char Patton conduit par un psychopathe au cœur d’or… c’était un mélange de force, de violence mais aussi de sensibilité et de gentillesse (sic)… il a du léguer son caractère à Donald Trump (Gag !).
A côté de lui, à mes débuts, je tenais pour ma part plus de l’artiste d’affaire, nuancé… et si d’aventure on m’a parfois trouvé bourrin, sachez qu’à côté de celle de Carroll, ma bourrinitude faisait figure de ballon de Guebwiller à coté de l’Everest. Lui et moi, durant les quelques brefs laps de temps ou nous nous sommes croisés, nous entendions fort bien dans le sens ou la perte d’audition due à l’âge avancé ne nous accablait pas encore… de plus, sa démesure ne me gênait pas, tant elle rendait la mienne très acceptable, tandis que mon esprit nuancé ne lui était pas utile car nous ne coopérions pas…
J’étais stratège irraisonné et lui tacticien calculateur… en tout cas, il tenait une place de choix dans la galerie de personnes improbables que j’aurais aimé fréquenter régulièrement, à ses côtés, Claude Dubois faisait figure de puceau tatillon, c’est dire si Carroll Shelby était excessif !
Mangeur, buveur, baiseur, bosseur, joueur, Carroll ne connaissait que l’excès, mais au moins avait-il eu l’intelligence de ne pas cesser de boire… et c’est lui qui m’indiqua la première fois dans son bureau ou se trouvaient les toilettes (gag authentique !), une expérience que je n’oublierai jamais et sur laquelle j’avais fait un article voici bien des années.
Caroll Shelby était intelligent et aimait le risque, il avait fini par se créer une légende… il tenait son entreprise d’une main de fer, ses salariés le redoutaient autant qu’ils l’appréciaient, peu enclin aux négociations, c’était simple, ils faisaient ce qu’il leur demandait où il les virait, quelles qu’en soient les conséquences.
L’auraient-ils menacé d’une grève qu’il se serait levé pour leur dire d’aller se faire enculer avant de se rasseoir et de vaquer à ses occupations en rigolant… ceci dit/écrit, il n’était pas rancunier et la plupart du temps, il leur suffisait de se terrer le temps que sa colère passe… tous s’y habituaient.
Il était pourtant grandement apprécié par sa capacité à protéger ses troupes..; s’il se réservait le droit de pourrir la vie de ses gens comme un boyard l’aurait fait de celle de ses moujiks, il ne l’aurait permis de personne d’autre..; ainsi je me souviens d’avoir parlé à l’une de ses secrétaires, elle s’appelait Betty, était fille de général et avait été éduquée à la dure de façon militaire.
Je lui avais demandé s’il lui avait été facile de travailler sous les ordres de cet ogre de Carroll… elle m’avait alors dit que passé le moment de stupeur, quand elle avait compris à qui elle avait à faire, cela avait été simple.
“Carroll”, m’avait-elle expliqué, “n’était pas compliqué, il exigeait de la loyauté et de la bonne volonté mais rien de plus. Il pouvait apparaitre brutal mais ne l’était pas, c’était sa manière d’être et je l’avais même jugé bien plus sensible qu’il ne voulait le montrer. Il était plus d’une autre époque que d’une autre culture. S’il surprenait c’était forcément en bien car il se montrait bien plus bienveillant que ce que sa rudesse ne laissait deviner”…
Puis elle m’avait narré une aventure qui lui était arrivée l’année passée, elle débutait et n’était pas encore tout à fait rompue à la violence de certains acquéreurs de Cobra… un jour, lors d’une discussion houleuse, un client mécontent et ulcéré, l’avait traitée de “petite pute”.
Le lendemain, elle était encore sous le choc de la violence de l’insulte.. tant et si bien, que Carroll s’en était aperçu… elle avait alors craqué et lui avait avoué la manière odieuse dont elle avait été traitée… Carroll lui avait alors dit de se calmer une heure ou deux, de sortir prendre l’air et qu’à son retour, il règlerait le problème, le temps de s’apaiser.
A son retour, Carroll l’avait convoquée dans son bureau pour régler le différend l’opposant à ce client qu’il avait alors appelé et d’une voix suave et aimable lui avait dit qu’il était au courant que sa secrétaire ne faisait pas l’affaire… l’autre, ne se méfiant de rien, n’avait pas mâché ses mots disant pis que pendre de la “petite pute”… d’une voix toujours aussi suave, Carroll avait alors proposé à cet homme de le rencontrer dans les plus brefs délais, par exemple le soir même après dix-huit heures.
Carroll avait accepté de se rendre au bureau du client et expliqué à sa secrétaire qu’ils iraient ensemble et qu’il règlerait le problème… à l’heure dite, elle montait dans la Cobra 289 perso de Carroll Shelby en sa compagnie pour rencontrer le malotru.
Une fois chez lui, Carroll s’était présenté de manière sympathique puis, d’un seul coup, comme me le raconta sa secrétaire, il s’était approché très près de l’homme, jusqu’à le toucher et lui avait demandé : “Et moi, est-ce que je suis une petite pute ?”…
L’homme interloqué n’avait pas su quoi répondre alors Carroll avait réitéré sa question en le tutoyant, toujours aussi menaçant : “Il parait que Betty est une petite pute alors je voudrais savoir si moi aussi, j’en suis une ?”….
Le type assez mal à l’aise avait tenté de le calmer en arguant d’un malentendu, en expliquant qu’il s’était laissé entrainer par sa colère… Carroll, le regardant toujours aussi fixement avait encore demandé si lui, aussi était une petite pute… l’autre de plus en plus mal à l’aise lui avait demandé de se calmer… mais une fois que Carroll Shelby était lancé, rien ne l’arrêtait.
Il l’avait alors saisi par l’oreille en lui intimant l’ordre de se mettre à genoux et l’autre lui avait obéi… puis, une fois à genoux il lui avait demandé de présenter ses excuses à la jeune Betty, ce que l’autre avait fait en bafouillant… puis, le tenant toujours par l’oreille, il l’avait aidé à se relever et lui avait expliqué que tout cela resterait entre eux trois s’il achetait enfin la Cobra CSX3042 au prix discuté…
Les gens très agressifs sont rarement des gens qui ont connu la violence mais ils la mime face à des salariés qu’ils imaginent pieds et poings liés… ce sont souvent des habitués à la soumission des cadres du tertiaire… le pouvoir et l’argent qu’ils détiennent les rend souvent odieux plus que véritablement dangereux.
C’est ce qui s’était passé… face à une gamine de vingt-six ans le malotru s’était laissé aller aux insultes, mais face à Carroll Shelby et à son physique d’habitué depuis tout petit à la vraie violence, il avait cédé… il faut dire qu’ayant vu à une ou deux reprises, Carroll très en colère, il était vraiment très impressionnant… son visage dans ces moments était celui du dingue qui s’en fout de tout.
Mais il était aussi redoutablement intelligent et il en jouait car il avait compris que dans une bagarre, ce n’est pas forcément le plus fort qui gagne mais celui qui a l’air le plus dingue… pour un type comme Carroll, obliger un big-boss d’une multinationale à acheter une 427S/C c’était comme tancer un gamin pénible.
Betty m’a dit qu’une autre fois, alors qu’elle avait préparé un contrat pour une autre Cobra et l’avait amené à Carroll, il lui avait alors demandé si tout était correct, ajoutant : “Je suis un brave gars qui fait confiance et ça me fait chier de tout relire. Mais si tu as décidé de m’enculer tu le regretteras. Moi, on ne m’encule pas. Si tu le fais je te viole et je mets le feu à ton pavillon. Compris ?”….
Une fois sortie, elle s’est dit que Carroll était complètement dingue et que personne ne lui avait jamais parlé comme ça… mais que connaissant une partie du cinéma que Carroll faisait à tout le monde… et qu’il la payait très très bien et que d’autre part c’était déjà une légende, il lui fallait faire mine de rien, mais que n’empêche… c’était trop !
C’était ça Carroll, comme je le disais en préambule : un char Patton conduit par un psychopathe au cœur d’or… un type improbable et totalement anachronique mais particulièrement attachant, un gars qui n’aurait pas hésité à massacrer quiconque qu’il n’appréciait pas… mais qui était d’autre-part prêt à prendre des risques inouïs pour les gens qu’il aimait… je suis donc heureux de l’avoir connu, même brièvement.
Carroll Sheby n’est plus… il s’en est allé… il s’est éteint d’une crise cardiaque foudroyante.
Il a brulé la chandelle par les deux bouts… il a bu, mangé, couché plus que de raison… il a aussi beaucoup travaillé pour s’extirper de sa triste condition de pauvre gosse… il avait réussi à l’aube de la quarantaine… il gagnait beaucoup d’argent, il savait que son passage sur terre serait limité, c’était un type excessif, mais Betty m’a dit que dans l’Apocalypse 3, il est dit que “Dieu vomira les tièdes”… ajoutant que : “Carroll était excessif, gelé ou bouillant mais n’a jamais connu la tiédeur. Je suis sûr que Dieu l’a accueilli avec bienveillance dans son paradis. Ce n’est pas un adieu, tout juste un au revoir. Ici-bas, personne ne t’oubliera, sois en sur !”…
Cette Shelby 427 Cobra 1967, CSX3042, est l’une des 29 S/C (Semi-Competition) produites en usine… commandée neuve par John Grappene de Grappone en Octobre 1966, dont le début de l’histoire est ci-dessus narré…
Cette Cobra est dans un état superbe “concours” et affiche seulement 10.760 miles d’origine… son histoire avec ses cinq propriétaires successifs, est soigneusement documentée dans le registre Shelby, qui indique qu’il l’a achetée pour 7.395 $ et a pris livraison de cette Cobra Sapphire Blue le 28 octobre 1966.
Au début de 1967, Grappone qui souffrait de lubbies chroniques, seulement quelques mois après l’avoir achetée, il va la démonter pour y installer des pièces Hi-Tech Holman Moody, augmentant la compression de 10,4:1 à 12,5:1 ce qui nécessitait d’adapter le collecteur d’admission double-quad…
Cette modification importante a rendu CSX3042 plus redoutable que jamais et John Grappone aurait ainsi avec elle amassé un record de victoires s’étendant à travers des dizaines d’affrontements de fin de nuit contre d’autres coureurs de rue !
À la fin de 1984, Grappone a commandé à Geoff Howard de Accurate Restorations à Danbury, Connecticut, d’effectuer un “rafraichissement” général qui comprenait une nouvelle peinture Black Imron sur le châssis, de nouveaux amortisseurs Koni, des conduites de frein Aeroquip, un nouveau radiateur, des carburateurs reconstruits, les échappements latéraux repeints, une suspension entièrement reconstruite et plusieurs améliorations mécaniques.
CSX3042 a ensuite été exposée dans un de ces shows ou se déroule le sempiternel concours de vanité et a terminé au 4e Salon annuel de l’auto Saac Tri-State à Shawnee, Pennsylvanie, en mai 1986, où lui a été décerné le “Best in Show”…
CSX3042 a ensuite remporté la première place au New Hope, Pennsylvania Auto Show, trois années consécutives (1985-86-87)… à la fin de 1996, avec seulement environ 10.000 milles au compteur, John Grappone a déposé sa CSX3042 chez Phil Spaid, de Jamesville, New York, pour une seconde restauration qui comprenait une seconde reconstruction du moteur (par Ron Mack de Grand Haven, Michigan), et une nouvelle peinture 1966 Ford Sapphire Blue réalisée par Randy DeLisio de Clyde, New York.
En 2002, la Cobra a remporté le Premier Award dans le concours SAAC-27 à Fontana, en Californie, qui a ajouté une mention spéciale pour être montée en pneus Goodyear Blue Streak originaux provenant d’un concessionnaire Ford: Stan Hallinan, qui les avait soigneusement rangés une trentaine d’années plus tôt et montés sur des jantes Halibrand en magnésium originales !
En 2004, CSX3042 est vendue à Wayne Odle de Mountain Lakes, New Jersey, qui décide en 2005 d’une troisième restauration professionnelle, cette fois par le célèbre spécialiste Cobra Mike McCluskey de Torrence, en Californie… la Cobra a été repeinte en bleu métallique clair avec des bandes blanches, et le moteur a été reconfiguré avec un seule Holley 4 corps.
En 2007, Wayne Odle a vendu la voiture à Steven Juliano, qui a décidé de façon prévisible (gag !) de faire de CSX3042 la 427 S/C Cobra la plus correcte et la plus parfaite possible… il a fait appel à Dave Riley pour une quatrième restauration totale (!) le duo investissant beaucoup de temps et d’efforts pour ramener la voiture à son état actuel de qualité irréprochable… complètement dépourvue de toute pièce de reproduction… pour les non-initiés, cela peut ne pas sembler une distinction importante, mais il s’agit en réalité d’un exploit herculéen !
Aujourd’hui, CSX3042 est considérée à juste titre comme la plus belle et la meilleure 427 S /C Cobra existante “servant d’exemple de référence pour les générations à venir” grâce à un historique impressionnant et bien documenté .
En plus d’une entrée détaillée dans le “World Registry of Cobras and GT40s”, cette Cobra est apparue dans trois numéros de “The Shelby American”, dans “Cars Illustrated”, “Muscle Mustangs and Fast Ford”, “Cool Classics – Cobra” (par Jay Schleifer), “AC Cobra : The Truth Behind the Anglo-American Legend” (par Rinsey Mills) et dans GatsbyOnline…, bientôt dans “GatsbyMagazine”… dans le monde des rares et authentiques 427 Street Cobras, les 29 exemples s/c d’usine seront toujours considérées comme les versions ultimes… et dans le monde de 427 Cobras S/C, la CSX3042 n’a pas d’égale !!!
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