Cobra MKIII Superformance 500 chevaux…
A Dulles, l’aéroport de Washington, lorsque le couteau suisse que je garde toujours dans ma poche, déclenche l’alarme du portique de sécurité, le préposé, après s’être inquiété de ma destination… et considérant, atterré, le modeste multilame helvétique, soupire : “A Miami où vous allez, ce machin-là ne vous servira pas à grand-chose”…
De toute évidence, il aurait préféré me voir m’envoler avec un bon Walter PKK sous le gilet !
Lorsque quelques heures plus tard on atterri à destination, les hôtesses distribuent aussitôt un document intitulé : “Importantes informations pour la sécurité du touriste”…, édité par la chambre de commerce de Miami.
Machinalement je fourre cette brochure dans mon sac et je me dirige vers les comptoirs des agences de location de voitures.
Chez Alamo Rent a Car, je constate, un peu surpris, qu’à l’orée des guichets une employée a pour seule fonction de remettre aux touristes déjà paniqués à la seule idée de voir la nuit tomber, un document semblable à celui distribué au sortir de l’avion, le titre étant un peu différent : “Mise en garde pour la sécurité des voyageurs”…
Mais je n’en ai rien à f… car “On” m’a dit d’aller chez Dollar, de m’y faire connaître… et, qu’en suite, “on” m’y confierait la Cobra MKIII Superformance, une “bagnole de ouf” affichant 500 chevaux…, me réservée pour un essai exclusif à paraître dans www.GatsbyOnline.com… et Chromes&Flammes magazine.
Chez Dollar, un employé hâbleur, très latin-loueur, tente de me fourguer à vil prix et sans préambule sécuritaire une espèce de barge oléo-pneumatique de marque Chrysler et de type New Yorker…
Je lui souligne qu’il y a erreur sur la personne, que je suis venu prendre les clés de la Cobra MKIII Superformance de 500 chevaux…, il me regarde du haut en bas puis l’inverse et tapote frénétiquement sur son Gsm en discussions diverses…, puis, enfin, il s’écrie :
–“Ahhhh, mais c’est vous l’éditeur Frenchie !”……
Ce à quoi je réponds par l’affirmative…, pourrait-il en être autrement ?
Ce n’est qu’après m’avoir fait signer une décharge de toutes responsabilités, qu’il agrafe à la partie du contrat me revenant, une feuille portant le titre : “Conseils de sécurité”…, la troisième notice d’information de graves dangers imminents…, je commence à me dire que finalement je risque ma vie en venant réaliser un essai de cette Cobra !
Ensuite, fixant mes yeux, il dit :
– “Surtout lisez tout ça attentivement. Ça peut vous sauver la vie. Il y a tellement d’agressions aux alentours de l’aéroport que j’ai de moins en moins de clients. La plupart préfèrent payer un taxi ou une navette et prendre leur voiture dans nos agences du centre-ville. Je travaille ici depuis longtemps. J’ai vu la violence s’installer, vous pouvez me croire”…
Tandis qu’on me conduit à la voiture, un haut parleur me dit à moi en personne : “Hello Patrice, avez-vous fait bon voyage ? Ne louez pas de voiture, allez à Fort-Lauderdale, votre destination finale, en toute sécurité avec un de nos hélicoptères pour seulement 300 dollars, vous éviterez les hauts lieux du crime”…, c’est un logiciel branché sur la compagnie aérienne qui détecte les clients potentiels et les accroche en affichant leur prénom !
Je m’en tape, je suis venu réaliser un test-trip, je continue… et quelques minutes plus tard me voilà au volant, seul dans la jungle pré-urbaine avec mon canif… au volant de la fameuse Cobra MKIII Superformance… et cet engin, pour ma plus grande sécurité, dispose de 500 chevaux et s’affiche toute noire avec des des échappements latéraux qui font un bruit infernal, ce qui va, sans aucun doute possible, réveiller et attirer toute la faune indigène alentours…
Derrière le stick, comme collé à la planche de bord se trouve une Nième brochure (c’est donc la quatrième) avec une indication en rouge : “Visitor Information / Danger de mort… Lisez ceci”… et moi de parcourir ce guide de survie devenant conscient que je risque ma vie : “Evitez surtout de consulter ces documents en conduisant, ceci pouvant attirer l’attention sur le fait que vous êtes étranger à la région. Comme de toute façon vous avez déjà commis l’irréparable, vous êtes repéré. Alors autant continuer à vous informer pour connaître le sort qui vous est réservé : Si quelqu’un essaie de s’approprier vos objets de valeur, surtout ne résistez pas, la vie est plus précieuse que les biens matériels… Soyez toujours sur vos gardes avant de vous mettre en route. Si votre pare-chocs arrière est heurté par une autre voiture, ne vous arrêtez pas, continuez jusqu’à la station-service la plus proche et appelez la police au 911. Ne vous arrêtez surtout pas si on vous fait des appels de phares. Soyez toujours sur vos gardes quand des piétons s’approchent de votre véhicule. Inspectez les alentours, le dessous et l’intérieur de votre véhicule avant de vous y installer. Si vous tombez en panne sur une grande artère, verrouillez vos portes, allumez vos feux de détresse et attendez l’arrivée de la police”….
La brochure “Visitor Information” contient d’autres conseils de sécurité, mais à quoi me sert-il de m’y attarder ?
Ce qui a déclenché ce processus d’alerte, ce sont les meurtres spectaculaires commis l’an dernier sur dix touristes…, mais aussi celui de trois journaleux venus essayer une n-ième version de la Shelby Mustang GT500 cabrio, qui est particulièrement prisée par les malfrats locaux, comme si l’insécurité de la voiture décapotable (les crapules sautent dedans)…, ne suffisait pas !
Voilà comment, en Floride, en juin dernier, venant benoitement faire le con à Miami au volant d’une Cobra MKIII Superformance de 500 chevaux…, je me suis senti transformé en cible mouvante, au milieu d’une “Sniper allée tropicale“, dans une ville piquée de mangroves, ville que je tenais pour familière… et qui jamais ne m’avait semblé hostile.
Les touristes sont souvent abattus puis dépouillés alors que, pour la plupart, perdus dans le labyrinthe des freeways, ils cherchent leur route.
Les agresseurs, jeunes pour la plupart (certains ont à peine 13 et 16 ans), procèdent de la même manière à chaque fois : ils foncent sur le véhicule de leur victime, l’emboutissent légèrement à l’arrière, puis profitant de l’effet de surprise, abattent le conducteur, les passagers aussi… sauf les jeunes femmes qu’ils emportent pour des affaires de viols et de prostitution sordide…, bien sur ils volent tous les bagages entassés dans l’automobile, à moins qu’ils ne partent avec la bagnole, les morts et les bagages !
Deux des trois journaleux ont subi plus ou moins le même sort (sauf qu’on le les a pas retrouvés…, pas plus qu’on n’a retrouvé les Mustang’s cabrio)…, par contre Uwe Willem Rakebrand, chef essayiste chez Auto und Sport, venu essayer la seule Enzo Ferrari FXX survivante aux USA…, s’en est mieux sorti…
Après avoir quitté l’aéroport avec l’Enzo Ferrari FXX, de même façon que moi avec la Cobra, il a eu l’idée saugrenue de lire les conseils de sécurité de la brochure “Visitor Information” sur le bas-côté de la route, quand il a été percuté à l’arrière par une grosse camionnette grise avec quatre types à bord…
Il a parfaitement appliqué la consigne : “La vie est plus importante que les biens matériels”…, cela lui a coûté 10.000 dollars en liquide, ses billets d’avion, tous ses papiers et effets personnels… ainsi que la voiture…
Au flic qui essayait de le réconforter il a dit : “L’Enzo Ferrari FXX, je m’en tape, je l’avais juste reçue pour un essai… Mais mes 10.000 dollars et mes bagages, y compris mes appareils photos et objectifs, là, c’est trop ! Jamais plus, jamais plus je ne remettrai les pieds ici !”…
Ce climat, on s’en doute, crée à Miami des conditions de circulation particulières…, la psychose est générale…, aujourd’hui, après un accrochage, plus personne ne s’arrête, puisque chacun suspecte l’autre d’avoir volontairement provoqué l’accident, préliminaires habituels d’une agression.
Ainsi, récemment, Sandy Stubbs, Stewart sur Delta-Airlines, et Patty Cantwell, médecin, se sont enfuis à toutes voiles, slalomant dans les embouteillages et grillant maints feux rouges avant de se faire écraser entre deux semi-remorques…, parce qu’un conducteur distrait avait légèrement embouti leur pare-choc arrière…, Sandy est décédé dans d’atroces souffrances, Patty est maintenant tétraplégique !
Ces incidents, bien sûr, influent singulièrement sur l’industrie du tourisme, qui rapporte chaque année 7,2 milliards de dollars à la ville…, compte tenu des derniers événements, l’Etat de Floride a annulé une campagne internationale de promotion de 6,7 millions de dollars.
Le moral des hommes d’affaires est au plus bas :
–“Toutes ces affaires de touristes attaqués nous ont fait le plus grand mal. Ces six dernières années, durant le mois d’octobre, je vendais douze logements. Cette année, aucun…, il faut dire aussi que tout va mal”…, m’a dit le président des commerçants de Fort-Lauderdale !
Sur Biscayne boulevard, Bob Dunbar, patron du magasin de sport Upwing Surfing, m’a affirmé pour sa part que son chiffre d’affaires avait chuté de 90%… et, suprême camouflet, des Colombiens ont annulé un congrès qu’ils devaient tenir à Miami, au prétexte qu’ils jugeaient maintenant l’endroit trop dangereux…, sans doute ignoraient-ils que le fait de résider à Miami ne fait qu’augmenter les risques d’avoir des ennuis.
Des petits malins ont essayé de tirer quelque profit de l’hécatombe touristique en éditant un T-shirt proclamant : “Don’t shoot, I’m a local !”… (Ne tirez pas, je suis du coin !)…, l’officier Ray Lang de la police de Miami produit sur ce sujet des statistiques édifiantes, pendant que 963 touristes déposaient à son bureau une plainte pour vol, c’était 7133 “locaux” qui étaient dépouillés.
Sur les 41 millions de visiteurs qui viennent chaque année en Floride, 10% sont volés ou victimes d’attaques, tandis que les résidents permanents doivent dans la même période faire face au taux de criminalité le plus élevé d’Amérique : 2.195 agressions par 100.000 habitants…, toute cette violence est induite par de grandes disparités sociales.., les trafics de drogue sont colossaux.
Pour fixer les idées, il suffit de dire que la police de Miami a intercepté l’an passé 49,5 tonnes de cocaïne…, on imagine les quantités qui lui sont passées sous le nez !
Cette ville est une véritable poudrière, au point que c’est le seul endroit des Etats-Unis où, lorsque vous demandez à la réception de votre hôtel l’emplacement de la Coke machine, qui dans toute l’Amérique se traduit par “Distributeur de Coca-Cola“, on vous répond, un peu embarrassé, que l’on ne vend pas de cocaïne à l’intérieur de l’établissement.
Pour tenter de sauver la saison touristique en jugulant la criminalité, les autorités de Miami ont pris ce mois-ci deux mesures spectaculaires.
-La première, est la mise en place d’un couvre-feu permanent pour les mineurs de moins de 17 ans… si ces adolescents sont pris dans la rue après 11 heures du soir, leurs parents devront acquitter une amende de 500 dollars…, on imagine la popularité d’une telle loi dans une ville tropicale, bouillonnante et de culture totalement latine.
-La seconde concerne les forces de police, qui, grâce à un budget supplémentaire de 1,8 million de dollars, recevront l’appui d’une unité spéciale et mobile, composée de vingt-trois officiers, dont l’unique mission sera de protéger les visiteurs dans le triangle de l’aéroport.
Maintenant, à 8 miles à peine de tous ces tracas, me voilà sans encombres à Miami Beach, je sirote un Mojito sous les palmes, à l’ombre poudrée des immeubles arts déco, assis à la terrasse du Sagamore, sur un fauteuil d’aluminium, parmi des vieillards qui ne sont plus très loin de la fin de leur histoire.
Je repense à la fierté de l’officier de police Boza quand il m’a annoncé qu’ici, il n’y avait pas eu un seul meurtre et à peine 323 touristes volés sans violence…, tout au plus déplorait-il, certains soirs, quelques castagnes mondaines, lorsque Dieu sait quelle mouche piquait l’acteur boxeur Mickey Rourke, alias Marielito (propriétaire du restaurant Mickey’s, situé sur Washington Boulevard, juste en face du commissariat)… et qu’aviné il se mettait à hurler en pleine nuit des obscénités sous les fenêtres de ses voisins flics.
Sans le savoir, Boza venait de m’apprendre que j’étais ici chez moi… et, qu’avec le tire-bouchon de mon couteau suisse…, je me sortirai toujours d’affaire dans ce Miami-là !
On peut dire toutefois que j’ai eu ensuite de la poisse, lorsque mon verre de Mojito fut vide…, une certaine Jessica est venue s’asseoir à côté de moi pour bavarder…, la chance m’avait vraiment laissé tomber…, essayant pourtant de rester calme et poli, j’ai gardé mes mains bien en évidence, à plat sur la table.
Surtout, ne jamais s’aviser…, jamais, jamais…, à Miami et partout ailleurs aux USA, de glisser ses mains sous le T-shirt d’une dame, même demoiselle…, ca peut valoir la prison à vie !
Pintade dodue à la poitrine dotée, Jessica portait un t-shirt un peu ample qui tombait sur ses hanches…, me défiant, j’ai été édifié en voyant sa croupe garnie, Jessica dissimulait trois gros pistolets… elle était équipée pour chasser l’ours…, dans le dos elle portait un Smith & Wesson 44 magnum et un Glock…, sur le ventre, un Smith & Wesson 45 auto.
L’Amérique est pleine de ce genre de surprises, l’Amérique, elle est bouffie de crosses, obèse de ces abdomens corsetés dans de la lingerie pour culasses.
Ce pays est un gigantesque holster, un endroit où l’on n’est rien si, en se déshabillant, on ne dévoile pas son attirail pour chasser l’ours.
Qu’ils habitent Manhattan, Venice ou Miami, tous ces porte-flingues affirment que s’ils charrient une telle artillerie, c’est avant tout pour se protéger des autres, comme leur père l’a fait avant eux, en vertu du 2e amendement de la Constitution des Etats-Unis, qui donne à chacun : “le droit de détenir et de porter des armes”…, autant dire celui de s’en servir.
Ce soir à la télévision, on a annoncé la mort d’un chauffeur de taxi…, un type sans histoires, à quelques mois de la retraite, qui venait de charger une gamine de 15 ans…, arrivée dans un coin perdu de banlieue, sans aucune raison, la gosse a sorti un revolver et vidé le chargeur dans la nuque du conducteur…, ensuite elle est rentrée chez elle à pied.
La présentatrice d’Action News 7 a dit : “N’oubliez pas que ce genre de choses peut arriver à tout le monde et partout”…, demain, ce sera la ruée chez les armuriers de la ville…, les choses marchent ainsi.
Un événement tragique que la télévision martèle, dramatise, et aussitôt la population court soigner son angoisse chez le marchand de brownings…, c’est un cercle infernal.., dans les semaines qui suivent de grandes et spectaculaires tueries, les sociétés fabriquant des armes avouent multiplier leurs ventes par dix ou quinze, préparant ainsi d’autres massacres, encore plus meurtriers.
Mais je continue de rouler, vers le ciel, rendant grâce en hurlant ma prière contre les cons…, le vent gifle mon visage, secoue mes épaules, s’accroche à mes vêtements, qui battent comme de pauvres toiles.
A peine sortis de ma bouche, mes mots sont emportés, dispersés…, mais je crie ma joie, dit que le Seigneur m’a visité, que Dieu m’a reçu, là, au Sagamore…, alors que j’avais fini mon Mojito et que Jessica m’est apparue…
Je fonce au volant de cette Cobra MKIII Superformance de 500chevaux…, au milieu de centaines de camions crasseux et d’hommes guère plus reluisants, souvent sans foi, qui, comme moi, conduisent vers le lointain.
Je ravitaille au 76 Auto Truck Plaza…., 76 est une marque d’essence…, quant au Truck Plaza, on peut le voir à la façon d’une aire de repos, comme il n’en existe qu’en Amérique : un gigantesque parking regroupant des centaines de camions autour d’un unique bâtiment vendant du gazole mais offrant aussi des douches, une salle de cinéma, d’innombrables jeux d’arcades, un petit supermarché, deux coiffeurs, un restaurant avec douze téléviseurs accrochés au plafond, des plats déprimants, des serveuses épuisées… et une bourse des marchés où l’on propose aux chauffeurs de nouveaux chargements pour des destinations lointaines…
Certains peuvent passer là une ou deux semaines à attendre la bonne affaire…, pendant ce temps, ils vivent dans la cabine de leur camion et, saoulés de bières, rôdent d’un bout à l’autre du parking…, autrefois, ce genre d’endroit avait tout ce qu’il fallait pour faire patienter les routiers.
– “Il y a quelques années, avant que les flics et les bigots ne s’en mêlent, dans des Plaza comme ça, tu vois, des putes, il y en avait plus que des essieux”, se souvient Michael…, “ça rigolait dans tous les coins… et pour la dope, c’était pareil : tu n’avais qu’à tendre la main hors du camion pour t’approvisionner. Aujourd’hui, tout ça, c’est fini. Maintenant, quand on veut tuer le temps c’est difficile à croire, ce que je vais te dire , eh bien, on va faire un tour à la chapelle”…
A la mobile chapel, en fait…, imaginez une petite église aménagée à l’intérieur de la remorque d’un semi de 18 roues, sur les flancs duquel on a peint une grande croix et ce slogan biblique : “Transport for Christ, proclaiming a dynamic gospel to a dynamic industry”…, on trouve ainsi 22 mobile chapels disséminées sur tout le territoire, plus une autre implantée au Canada et deux toutes nouvelles qui viennent d’ouvrir à Moscou.
Transport for Christ International est une société chrétienne, basée à Denver, Colorado, qui s’est donné pour but d’évangéliser le monde des routiers en s’implantant sur les plus importants truck stops d’Amérique.
– “Il y a six millions de routiers aux Etats-Unis, et ces gens vivent constamment loin de chez eux et loin de Dieu”, m’explique Howard Jones, président de Transport For Christ…, “ils sont soumis à toutes les tentations : la drogue, le sexe, la pornographie. Notre devoir est de leur apporter et de leur rappeler la parole de Dieu. Nous sommes les nouveaux missionnaires de la route”.
A l’intérieur de ces remorques porteuses de telles ambitions, officient un chapelain et sa femme, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, ils accueillent les fidèles dans les relents d’essence, et à l’intérieur de cet oratoire de tôle, catholiques, protestants ou baptistes, tous ensemble, curieux, pasteurs et convertis, chantent, prient, lisent la Bible, la commentent, et parfois aussi débloquent à plein tube.
Doug et Carolyn Young sont sans doute ce qui se fait de plus convaincant en matière de chapelains…, Doug a fait la guerre de Corée, et Carolyn a décoré la remorque…, elle parle du regard du Christ et lui l’accompagne les yeux fermés à la guitare…, à la main il tient un livre intitulé “The World’s Most Dangerous Places”.
Un homme couvert de tatouages vient d’entrer dans la chapelle, avec sa barbe hirsute, son cuir pelé, ses peintures de guerre, il semble sorti tout droit des entrailles de la terre…, son regard court sur les murs, les brochures religieuses, les autres routiers qui discutent avec Carolyn, puis, soudain, sa voix caverneuse emplit la chapelle :
-“Je m’appelle Jim et je vous pose cette question. Je la pose à vous tous. Combien Jésus avait-il de petites amies ? Combien ? Je vais vous le dire. Trente-six. Il avait trente-six petites amies. Trente-six. Pas une de moins”…
Carolyn s’approche de Jim et lui fait son plus beau sourire de missionnaire :
-“Jim, vous confondez. Jésus avait des amies, mais pas de petites amies, vous comprenez la différence ?”...
Jim ne veut rien entendre de cette nuance…, il brandit une Bible qu’il avait dans sa poche… et après avoir cité un passage de Jean, poursuit :
-“Attends, moi, je veux bien. Mais ces prétendues amies, elles lui lavaient les pieds et lui mettaient même des trucs dans les oreilles. C’est plutôt un boulot de petite amie, ça, non ? Au fait, tu sais ce qu’elles lui mettaient dans les oreilles ?”…
Une heure durant, le plus sérieusement du monde, la remorque ne va bruire que de ces ontologiques questionnements sur la nature des onguents et la matérialité de ces trente-six maîtresses, les camionneurs faisant cercle autour de Carolyn, qui s’acharnera à réfuter point par point les blasphèmes de l’autre diable jonglant avec les Ecritures à la manière d’un théologien enjoué tatoué et barbu.
Pendant ce temps, dans la partie boutique du camion, Doug est en train de vendre un petit crucifix de néon rouge que l’on branche sur l’allume-cigare.., tandis que Mike s’écarte un peu des débats et feuillette “Highway, news and good news”, la revue de ces nouveaux croisés de la route :
-“Moi, je viens de Floride. Je suis vraiment loin de chez moi. J’attends un chargement, ici. Je sais pas quand je reviendrai à la maison. Notre plus gros problème à tous, c’est la solitude. Cette solitude qui nous ronge. Malgré les copains et la CB. Alors dans les mobile chapels on vient chercher une nourriture spirituelle, mais aussi échanger avec les autres”…
Le grand modèle à 45 dollars qui se fixe en haut du pare-brise, lui, clignote comme une enseigne de strip-tease… et c’est bien cela le plus étrange…, ces camionneurs qui jadis épinglaient des pin-ups sur les radiateurs de leurs Mack ou de leurs Freightliner, qui salariaient au mois des prostituées dans leurs cabines, achètent aujourd’hui des casquettes bénies, des images pieuses, des Bibles en cassettes ou des bavettes de roues sur lesquelles est inscrit : “Don’t follow me, follow Jesus ou Keep on truckin for Jesus”…
En quelques années, le milieu des routiers américains a changé…, les syndicats professionnels ont voulu donner une image plus respectable, moins rebelle, de leur métier, qui s’est par ailleurs fortement féminisé… et petit à petit comme cela s’est produit dans d’autres secteurs de la société, avec leurs églises camouflées, leurs remorques absidiales et leurs christs de néon, les “Transport for Christ” se sont faufilés dans cet univers qui leur était jadis hostile et fermé.
Tina est une habituée de la chapelle…, toute l’année, elle conduit un semi-remorque à travers le pays en compagnie de Riba, sa petite fille :
–“Il y a de plus en plus de familles qui vivent dans les camions. Financièrement on s’en sort mieux. Chaque fois que je suis dans le coin, je m’arrête voir Doug et Carolyn. C’est bon de prier un moment avec eux, bon de savoir que quand je suis sur la route ils prient pour moi”…
Tous les dimanches, pendant les offices du matin et du soir, la remorque est remplie de monde et il se trouve toujours un chauffeur pour être visité par Dieu à la fin des prières…, ce type étreint alors ses frères qui ont connu pareille joie avant lui, rend grâces au Très Haut, avant de rejoindre, courbé en deux, son volant dans le souffle des bourrasques.
-“Moi, je conduis des engins depuis 74, raconte Nick, et j’ai toujours eu une fille qui traînait à l’arrière, dans la cabine. Et puis, il y a trois ans, j’ai été touché par Dieu en plein désert. Ce jour-là, en appelant chez moi, j’ai appris que ma femme m’avait quitté et que mon fils venait de bousiller mon pick-up. Je roulais au sud de Dallas en écoutant la radio. Et tout à coup, dans le poste, j’entends un prêche qui s’adressait à moi, une voix qui me disait que j’étais allé trop loin, que je devais me repentir. Vous savez ce que j’ai fait ? Je me suis mis à pleurer, j’ai arrêté le camion sur le bas-côté, j’en suis descendu, et j’ai reçu Dieu, comme ça, à genoux, au bord de la route”…
Doug adore cette histoire…, il la trouve forte, très masculine et édifiante…, il se tourne vers Nick, pose sa main sur son épaule et avec une incroyable solennité lui assène :
-“Oui, conduire en Amérique mène souvent à sa perte. Le pays est trop grand et l’Homme trop petit”…
Jim, lui, un instant assagi, a repris de la vigueur…, toujours à la recherche d’un passage qui conforterait sa thèse libidineuse, il tourmente les pages cornées de sa Bible, puis se tourne vers Doug :
-“Quand j’étais gosse, on m’a foutu hors de l’école. Et tu sais pourquoi ? Parce que je disais ce que je pensais. Je disais la vérité. Et la vérité, je te la dis encore aujourd’hui avec l’histoire des trente-six fiancées. Alors tu vas me foutre dehors, toi aussi ?”…
Il patiente depuis quatre jours…., à l’intérieur du bâtiment principal du Truck Plaza, Randall attend un nouveau chargement…, il n’a jamais mis les pieds à la mobile chapel…, il appartient à l’ancienne école :
–Si le chapelain traverse devant mon Mack, je crois pas que je freinerai”, dit-il en rigolant…”Plutôt que d’écouter ses salades, moi je passe mon temps ici à me taper des parties de Blitz 99, de Time Crisis ou de The House of the Dead. Ces types-là, ils ont des églises pour raconter leurs histoires. Ils n’ont rien à faire sur nos parkings. C’est ce que je pense”…
La nuit est tombée…, Doug et Carolyn vivent du produit de leur quête, des ventes de leur bimbeloterie et du soutien de quelques transporteurs qui subventionnent leur remorque.
Demain, vers 10 heures, Doug parcourra à nouveau le Truck Plaza en criant ses rituelles invitations :
-“Hello, drivers, nous avons un service à la chapelle dans une heure. Vous êtes les bienvenus”…
A l’instant de se séparer, le chapelain et Jim se serrent la main comme deux hommes qui ont trouvé un terrain d’entente…, Doug dit :
-“Demain matin on fera une prière pour le président, il en a bien besoin, en ce moment avec les Iraniens”…
Jim gratte un instant sa barbe puis, tels deux néons malicieux, ses yeux obsessionnels se rallument :
-“Tous ces ennuis pour une seule petite amie… Tu imagines si comme Jésus il en avait eu trente-six ?”
Il me faut en terminer, je dois encore tester la Cobra MKIII Superformance de 500chevaux……, je décide de réaliser l’essai en retournant relax à l’aéroport de Miami duquel je m’envolerai vers New-York et retour vers l’Europe…, l’amérique me saoule !
GO…, je roule sur l’asphalte, je me laisse bercer…, à chaque virage j’ai la nuque molle et les tempes en sueur, comme lors d’un cauchemar tropical qui brouille le corps et l’esprit, puis la route plonge d’un coup et je hurle de joie, accroché à mon volant et bloqué dans mon siège comme un condamné à mort sur une chaise électrique…, les yeux écarquillés.
Miami est là… et la ville brille aussi fort que la mer des Sargasses une nuit de pleine lune…, des millions de lumières, une débauche d’ampoules, de lampadaires, de phares de voitures, de fenêtres éclairées et d’enseignes arrogantes et lumineuses qui tremblent dans la nuit, comme les yeux glauques d’une cellule monstrueuse, une amibe qui s’étalerait sur l’enveloppe sombre de la terre.
Je roule à tombeau ouvert… et très vite mon regard devient douloureux…, ici, la lumière est prisonnière ; elle se reflète dans la masse d’un ciel épais, une chape mauvaise qui enveloppe la cité‚ l’arrête au ras des toits, l’étouffe, l’empoisonne, la tue dans une étreinte mortelle qui n’a rien d’amoureuse…., vivre cette Amérique là, c’est souffrir.
Soudain, un arbre traverse la route sans prévenir, le salaud, n’a n’a n’a pas regardé avant de s’aventurer sur la route…, un coup de volant pluche tard, je l’embrasse d’amour dans un vacarme de craquements sinistres…
Je suis sonné mais indemne, les flics sont de suite sur place, j’explique que l’arbre est 100% en faute et ils acquiescent me disant que cet arbre est connu pour traverser sans regarder… et moi de commenter en détail en citant quantité de filousophes et autres célébrités
Pourquoi un arbre traverse-t-il la route sans regarder ?
-Est-ce une obligation historique que la mentalité étriquée des petits-bourgeois esclaves de leurs préjugés ne saurait remettre en question ?
-Est-ce pour chercher une explication à la correspondance existant entre la représentation externe de l’objet-route et la conceptualisation interne du concept-route ?
-Est-ce pour tenter dans un effort désespéré d’échapper aux forces ténébreuses impies, émanations de Cthulhu et de Shub-Niggurath, qui le poursuivaient sans relâche, avides de s’emparer de chaque parcelle de son âme à jamais brisée ?
-Est-ce en cause de la confluence des événements dans le gelstat culturel nécessitant que cet arbre traverse la route durant cette conjonction historique, entraînant synchroniquement une occurence de l’état de non-existence à celui de réalité ?
-Est-ce la dérégulation du marché du côté de la route ou je me trouvais qui menaçait la position dominante de l’arbre, qui était confronté à des challenges significatifs pour développer et créer les compétences requises pour le nouveau marché global compétitif.., redéployant ses forces, savoirs, capitaux et technologies pour supporter une nouvelle stratégie dans un cadre de programmes d’analystes de routes et spécialisés dans l’industrie des transports ? Avis venit, vidit, traversit !
Tout s’est embrouillé dans les nuages, puis, progressivement, le coton des cumulus a commencé à briller et enfin, comme une accession…, un autre monde est revenu…, un soleil aveuglant, la lumière du ciel retrouvé et une sensation oubliée : la paix…,
– “Comme ville du tiers-monde, je trouve que Miami est une ville merveilleuse”… ai-je dit à la jeune femme à qui j’ai rendu les clés de la Cobra accidentée…
– “Vous avez aimé la voiture au moins ?”…
Elle avait les yeux rouges…, des cheveux d’un noir de jais, les dents blanches d’une jeunette de vingt et un ans, la peau mat des filles de la terre mais des yeux gonflés, injectés de sang, malades et irrités, comme quelqu’un qui passe son temps à se frotter les orbites du revers du poignet…
J’ai crevé la couche de nuage et la cité a disparu dans la brume…
Ah… merde, j’ai oublié de commenter l’essai de la Cobra MKIII Superformance de 500chevaux…!
Superformance LLC (ou Superformance Replicars) est un constructeur automobile américain spécialisé dans les répliques clés en main de voitures sportives…, la compagnie a été fondée en 1996 par Hi-Tech Automotive sous le nom “Superformance International”…, en 2017, Superformance comptait 16 concessionnaires dans le monde (dont 10 aux États-Unis), Allemagne, Belgique, Grande-Bretagne, Dubai, Australie et Japon.
La Superformance MKIII est la réplique de la 3e génération de la Shelby Cobra 427 et elle est disponible en deux versions de carrosserie : semi-compétition et roadster “citadin”…, ce modèle constitue le gros des ventes de la marque, elle est l’un des rares répliques de Shelby Cobra construites sous licence officielle de Carroll Shelby.
À l’achat, la MkIII est livrée sans le groupe motopropulseur…, le moteur et la transmission (boîte de vitesses et arbre) ainsi que tous les accessoires nécessaires, doivent être commandés en sus…, à part cette spécificité, la voiture est livrée complète, avec suspension, différentiel arrière, câblage et instrumentation… elle dispose ainsi d’une qualité de fabrication “usine” stable et peut être personnalisée par son propriétaire ou le concessionnaire (La majorité des MkIII sont motorisée par un bloc dérivé du Ford Windor 351, mais il est possible d’installer en option des moteurs Ford 289/302, FE Big block, ou l’un des blocs de la famille 385…, la MkIII se distingue des autres répliques par le fait qu’elle est construite à partir de nouvelles pièces modernes et pas à partir des pièces anciennes refabriquées).
Rapport de la police de Miami concernant la Shelby Cobra Superformance MKIII “20th Anniversary Edition”, #19 de 20 produites.
“Livrée neuve à Miami pour un essai destiné au magazine Frenchie Chromes&Flammes et au site-web Européen www.GatsbyOnline, le conducteur après avoir effectué 40 milles, a affirmé qu’un arbre avait soudain traversé la route.
Par défaut de témoins, et l’arbre refusant de se défendre, force nous a été d’admettre cette version des faits d’autant plus que l’éditeur irresponsable a marqué son accord d’acheter l’épave en l’état…
Le compartiment moteur et le châssis sont OK, mais la carrosserie devra être refaite, le bras de suspension avant gauche est tordu de même que la jante.
Les autres dommages comprennent le pare-brise fissuré, le volant tordu, la colonne de direction brisée et les rétroviseurs ont curieusement disparus.
La valeur totale de la voiture était de plus de 130.000 $, la société Superformance ayant perçu un dédommagement de 65.000 $ de l’office des routes de Floride, propriétaire responsable de l’arbre étant dans l’incapacité de prouver que la version du conducteur n’était pas exacte… et comme ce dernier a offert 65.000 $ pour la Cobra Superformance, celle-ci lui a été allouée et toutes poursuites sont abandonnées.
Le moteur est un Corvette Z06 LT4 de 6,2 L SC de 500 chevaux pour un couple de 650 lb-pi.
Les soupapes sont en titane, les pistons sont en aluminium forgé”.
J’y suis retourné, près de mon arbre…, il ne disait rien, comme s’il faisait la gueule…, je voyais bien qu’il regardait ailleurs.
Il a des jours comme çà, le vague à l’arbre lui a pris les branches comme le retour d’amertume m’enveloppe…, on se ressemble tous les deux.
Je me suis dit : “c’est con”…
Ca vous arrive non ?