Corvette C1-1953/1962…
Elle est née lourde et laide, si elle doit mourir un jour, bien des gens conserveront ces deux adjectifs dans son épitaphe. Emprunté à la topnymie maritime au sein de laquelle il désignait un croiseur de haute mer, le nom de Corvette est maintenant aussi célèbre dans le jargon automobile que celui de Porsche, Jaguar et Ferrari. Au même titre, il fait partie de cette branche de la légende automobile qui prit ses racines sur l’autre rivage de l’océan Atlantique…
Les américains ont longtemps vu en ce nom de Corvette (ce nom a été suggéré par Myron Scott, employé de Campbell-Ewald, l’agence de publicité de Chevrolet en 1951)…, la concrétisation intégrale du concept de sport automobile, pourtant, c’est un peu par hasard que la première Corvette vit le jour, c’était à l’époque où Ford et Chevrolet s’affrontaient sur les circuits américains en des batailles farouches.
Tour à tour, l’un et l’autre des deux antagonistes prenaient l’avantage… et Chevrolet avait eu la main particulièrement heureuse en s’adjoignant les services d’un jeune pilote qui lui avait été recommandé par sa filiale Argentine et qui n’était autre que le jeune Juan-Manuel Fangio. Mais, le succès aidant, le jeune pilote rêvait de gloire et commença à se distinguer en Grands-Prix, Chevrolet se retrouva dès lors sans pilote de premier plan…
Ses voitures marquèrent alors le pas par rapport aux Ford. C’était l’époque également où les voitures de sport connaissaient une vogue croissante dans trois pays européens qui se disputaient la suprématie en ce domaine : l’Italie, l’Allemagne et l’Angleterre. Aux États Unis, Ford avait sorti sa Thunderbird dont le succès fut immédiat, c’était l’époque où de grandes courses vivaient leurs heures les plus prestigieuses telles les 24 Heures du Mans et la Coupe des Alpes.
Depuis toujours (on peut même dire : depuis la naissance de l’automobile), Ford et General Motors se disputaient les lauriers des meilleurs scores de vente sur le continent américain, la bataille avait commencé très tôt entre eux et bien avant que ne soit fondé le groupe géant qu’est G.M. Tout avait commencé à l’aube de ce siècle lorsque deux ingénieurs suisses, les frères Chevrolet, décidèrent de s’installer en Amérique pour tenter de trouver la fortune…
Ce monde était neuf, on le disait plein de promesses. Ils commencèrent par travailler l’acier dans un petit atelier où, bien vite, ils se mirent à fabriquer des pièces pour l’industrie automobile. William Capo Durant dirigeait les destinées de Buick, il remarqua les deux frères dont l’un d’eux, Louis, se distinguait en compétition et les incita à entrer à son service. Mais, pour avoir promu un programme d’expansion trop ambitieux, Durant perdit sa place chez Buick.
Il est parvenu néanmoins à convaincre les frères Chevrolet à le suivre et à créer, à trois, une marque automobile qui porterait leur nom. Bientôt naquirent les premiers prototypes de la Chevrolet Motor Company of Michigan, c’étaient des voitures de luxe et de haut niveau où primait la qualité de construction. Elles étaient mues par des moteurs à six cylindres de 4,9 litres qui, très vite, connurent un important succès auprès du public.
D’emblée, un des principaux objectifs de Chevrolet fut de construire des modèles de haut standing que l’on pouvait proposer à des prix compétitifs grâce à une extrême rationalisation de la construction. Par la suite, Chevrolet fut rattaché à la General Motors et, dès lors, entra directement en concurrence avec Ford ; une concurrence qui débuta avec le lancement du modèle 490 dont l’objectif était de rivaliser avec la célèbre Ford T.
L’expansion de Chevrolet fut foudroyante et, en 1927, la firme passa en tête de la production américaine avec un chiffre de ventes dépassant le million d’exemplaires. Ford reprit le dessus peu après et Chevrolet le lui ravit à nouveau deux ans plus tard…, puis il eut la Grande-Crise, suivie du New-Deal et intervint la guerre 41/45, après laquelle l’intense chassé-croisé repris de plus belle, qui, en 1953 donna incidemment lieu à la naissance de la Corvette.
Deux ans plus tard, elle fut contrée par la Ford Thunderbird. John MacLean ingénieur chez Chevrolet, qui se singularisait par des méthodes sortant de l’ordinaire, était convaincu qu’il était impérieux de créer un “petit” roadster sportif avant-gardiste construit à moindres coûts en fibres de verre…, comme c’était le seul ingénieur qui sortait du lot commun, Maurice Olley, directeur de la section développement de G.M., sous la supervision de Harvey Earl.
En mars 1952, il avait été impressionné par le concept-car Alambic créé par Earl Ebers de Naugatuck chemical pour montrer les possibilités offertes par le plastique renforcé de verre…, lui confia la “responsabilité” de la nouvelle sportive. Quand il se mit à l’ouvrage, au lieu de penser à une toute nouvelle automobile d’avant-garde, il commença par dessiner l’arrière d’une carrosserie simpliste, installant les deux sièges le plus près possible du pont…
C’était afin de donner à la voiture un long capot avant et lui faire suivre ainsi la tendance instaurée par la mode anglaise des voitures de sport !
C’était mal-parti… et dans cette ligne en zigzag arrondie John MacLean se simplifia la vie en réutilisant tout ce qui était possible dans les catalogues de la General Motors, dont un châssis basique de type agricole issu d’un Pick-Up utilitaire avec un essieu arrière rigide sans jambes de force ni stabilisateur.
Il n’était maintenu que par des ressorts semi elliptiques avec une suspension indépendante avant sans barre stabilisatrice…, c’était désuet…, mais chez Chevrolet, le châssis des voitures, c’était accessoire du moment qu’il était robuste… John MacLean, s’inspirant du moteur 6 cylindres en ligne des Jaguar XK120 s’entêta à vouloir utiliser un bloc semblable quoique Chevrolet ne possédait pas, au sein de sa production, d’un moteur suffisamment musclé…
On remit sur le métier un antique six-cylindres qui avait déjà propulsé une longue lignée de Chevrolet, on travailla le taux de compression, l’admission, l’échappement, l’arbre à cames, l’alimentation, bientôt, le vieux moulin accusa enfin 142 chevaux (au banc) et reçut une boîte automatique à deux rapports dont le levier était piqué dans la console centrale comme une aiguille à tricoter dans une pelote de laine, devait ajouter un aspect sport dans l’habitacle !
L’affaire était faite, la Corvette était lancée et fut présentée en grande pompe à New York à l’occasion du Motorama 1953 ou elle trônait en place d’honneur, comme un joyau dans un écrin fastueux… Voici une bribe du discours que prononça Tom Keating, alors directeur de Chevrolet, lors de la présentation à la presse, exprime sans ambages les objectifs qui avaient présidé à la production de cette voiture :
“Nous avons voulu construire une voiture de sport suivant le concept américain, c’est-à-dire, non pas une voiture de course, mais un véhicule destiné à satisfaire le goût de la beauté, du confort et de la commodité qui caractérise notre peuple. Tout cela, avec des performances extraordinaires. Dans le monde entier, les voitures américaines évoquent le luxe et la qualité, notre Corvette suit les mêmes principes, sans aucune concession à l’économie comme c’est le cas pour les voitures européennes”…
Ce fut l’échec total. La voiture coûtait trop cher. Son aspect n’était pas avant-gardiste et ses performances n’étaient pas à la hauteur des promesses que renfermait sa ligne, elle ne plaisait donc pas aux jeunes qui préféraient les Hot-Rod’s… A part ça, les premiers acquéreurs de cette voiture découvrirent non sans une certaine inquiétude : que lorsqu’ils s’installaient au volant, leurs genoux heurtaient la colonne de direction ET le tableau de bord…
La voiture ne disposait pas de reprise. Dans la première courbe négociée à vitesse un peu élevée un survirage épouvantable se produisait. Le chauffage était en option. Il n’y avait pas de direction assistée. Les vitres latérales étaient identiques à celles d’une voiture des années trente… Ajoutez à cela une politique de vente tout à fait catastrophique de la part de Chevrolet et que pas grand monde ne se précipitait pour acquérir une Corvette.
Non seulement les pontifes de Chevrolet avaient réservé un nombre important d’exemplaires pour les personnages en vue de la société (stars d’Hollywood) et ils gardaient les autres au prix fort en salle d’exposition, interdisant que les concessionnaires les bradent pour “passer à d’autres modèles plus vendables”, afin que ces “invendus” soient une sorte de vitrine alléchante de la production ! Durant les deux premières années 53 et 54), ce ne furent que balbutiements.
La construction de la voiture avait été décidée à la hâte et les concepts originaux dont on voulait la gratifier posaient de nombreux problèmes qu’il fallait résoudre au fur et à mesure de l’avancement de la construction, à tel point que l’on peut presque parler de bricolage gigantesque, si l’on s’en réfère à ce qu’est la naissance classique d’une voiture ! La principale raison de cet état de choses était le choix de l’utilisation de polyester pour la carrosserie.
A cette époque, la technique de la fibre de verre fixée à la résine n’en était qu’à ses premiers balbutiements…, les usines exploitant le procédé étaient pour ainsi dire inexistantes…, c’est à ce point vrai que l’usine qui décrocha le “fabuleux” contrat de fabrication des carrosseries était une fabrique de pâte à papier au bord de la faillite qui avait décidé une rapide reconversion en apprenant l’offre de Chevrolet !
Autre “gag” : lorsque les premières voitures sortirent de chaîne, les ouvriers avaient boulonné à la masse de la voiture (donc, dans la matière même du polyester) une tresse en cuivre fixée à la borne négative de la batterie…, imaginez qu’il fallut plusieurs semaines aux “irresponsables” pour comprendre pourquoi rien ne fonctionnait en actionnant la clé !…
Les pontes de General Motors sauvèrent le bébé via des promotions et publicités destinées à présenter la Corvette comme étant l’enfant chéri des stars de Hollywood, même si aux “States”, on n’aime pas trop les révolutions et que la ligne de la Corvette sortait trop ostensiblement des sentiers battus. On avait prévu d’en construire 10.000 exemplaires. 4.000 seulement sortiront de la nouvelle chaîne érigée à son intention et 2.800 seront effectivement vendues !
Le projet Corvette avait sérieusement du plomb dans l’aile, cependant, à la tête de Chevrolet, des hommes continuaient à y croire et en 1954, Ed Cole, alors patron de la marque fit appel à un belge d’origine russe : Zora Arkus-Duntov pour remettre le projet sur pied. Un élément l’avait conforté, l’annonce en 1954 que Ford allait dévoiler en 1955 une bien meilleure voiture que la Corvette, la Thunderbird…, a empèché que Chevrolet stoppe la fabrication de la Corvette !
Ford était réellement l’ennemi numéro 1 de Chevrolet, de plus, c’est dans le même temps qu’arriva d’Europe la Mercedes 300SL qui ne manquait ni de charme, ni de sophistication technique alors que la Corvette, elle, était seulement clinquante. G.M. l’avait voulue peu coûteuse, mais il fallait tout de même payer pratiquement le prix d’une Cadillac pour l’obtenir, elle était lourde, avec un comportement routier absolument incompatible avec le prix demandé.
Mal acceptées au début comme le sont en général toutes les nouvelles réalisations, les Corvette 53/54/55 font aujourd’hui partie intégrante du “rêve américain” dans sa forme la plus intense, elles atteignent actuellement une complète maturité, ce qui ne veut pas dire que les modèles que l’on propose aujourd’hui soient (proportionnellement) plus alléchants que les premiers modèles qui furent exposés en 1953 !