Dacia…
L’incroyable réussite des voitures bon marché by Renault
Par Marcel PIROTTE
Dix ans que ça dure et ce n’est pas fini !
Début 2005, une certaine Dacia Logan (en fait une Renault assemblée en Roumanie) débarque sur certains marchés de l’Europe de l’Ouest.
Au sein des concessionnaires, c’est loin d’être la joie, cette berline n’attire pas les regards, elle est plutôt moche, mais elle est vendue à prix plancher et propose une garantie de trois ans (deux ans chez Renault).
La révolution des voitures “low cost” ou plutôt “bon marché” est en route, Louis Schweitzer le patron du groupe Renault (de 1992 à 2005) a tout compris.
Dacia, passe sous contrôle du groupe français en juillet 1999, la production de la première Logan débute en 2004…, dix ans plus tard, plus de trois millions de Dacia ont été produites, de quoi donner le tournis aux autres constructeurs généralistes…
A leur arrivée dans les shows-room Renault, les premières Dacia sont bien vite remisées dans un coin, les “Dacia corner”, de peur de faire de l’ombre aux véhicules ornés du célèbre losange.
Les vendeurs ne voient pas non plus cela d’un bon œil, la marge bénéficiaire est réduite à sa plus simple expression, les premiers modèles sont vendus moins chers que certaines Renault d’occasion…, une nouvelle culture d’entreprise est en marche.
Aujourd’hui, les actionnaires Renault se félicitent, vénérant chaque jour “Saint Louis” (Schweitzer) d’avoir pu, grâce à cette marque venue de l’Est, renflouer les comptes de Renault.
Mais avant cela, l’histoire de Dacia vaut sans doute la peine d’être racontée, car dans les années ’70 et suivantes, les Dacia ne brillaient pas par une grande fiabilité… et pourtant, c’étaient des Renault 12, mais assemblées avec les méthodes tout à fait obsolètes des pays de l’Est.
Franchement c’était du Zola mécanique, un véritable désastre industriel…, j’ai vécu cette période …
Au milieu des années soixante, la Régie Renault signe avec le groupe roumain IAP un accord de coopération permettant à cette entreprise d’assembler des versions destinées au marché local.
Cela débute en 1968 avec une certaine 1100, copie de la Renault 8, mais un an plus tard, la Dacia 1300 fait ses débuts (en fait une Renault 12).
Elle va rester 35 ans au catalogue tout en étant surtout vendue dans d’autres pays de l’Europe de l’Est.
Certains pays capitalistes vont aussi l’importer : en Afrique, en Amérique du Sud et même au Canada, alors qu’à l’Ouest, la Belgique décide, à partir du salon de l’auto de janvier 1978, d’importer cette Dacia 1300 via le canal de la société International Motor Company (IMC) qui est aussi le distributeur Toyota et Daihatsu pour la Belgique et le Luxembourg.
Ce jour-là, les membres du comité de direction auraient beaucoup mieux fait d’aller jouer au golf !
Ils vont sincèrement regretter cette décision, cette Dacia 1300 va en effet leur coûter un pont d’or !
Cette Dacia 1300, berline ou break, ressemble étrangement à la Renault 12 de la première génération, mais ça s’arrête là.
Seules différences visibles, la présence de l’insigne roumain sur la calandre et le monogramme Dacia. Notre berline d’essai mise à disposition par l’importateur dans le courant de l’été 1978, une version luxe, n’a que quelques milliers de kilomètres au compteur, mais elle a déjà beaucoup vécu : très nombreuses taches de rouille, sièges avant mal fixés, ceintures de sécurité difficilement réglables, pas d’appuie-tête ni de dégivrage de la lunette arrière, la ventilation de l’habitacle laisse à désirer et, de plus, la radio de série ne sert à rien, inaudible…
Dacia rétorque que cette 1300 est moins chère (l’équivalent de 3.100 €) qu’une Renault 12… et sans le savoir, Dacia invente le “low cost” avant l’heure…
Le bloc essence de la 12TL (1289 cm3, 54 chevaux et 9,7 kgm de couple, boîte 4 vitesses), revendique des performances honnêtes mais sans la moindre saveur (136 km/h, de 0 à 100 km/h en 17 secondes, 9,8 l/100 km).
En revanche, les très nombreux bruits de roulement et de mobilier sont aussi inclus dans le prix…, tout comme la boîte difficile à manier, les pneus roumains n’ont aucun grip sous la pluie.
Durant cette semaine d’essai, quatre pannes importantes ont émaillé mon quotidien (pompe à eau, carburation, allumage, géométrie du train avant)…, j’ai du même éteindre un début d’incendie…, bref, la totale.
Comme je vivais en Allemagne, il a fallu toute ma persuasion pour que le concessionnaire Renault du coin daigne réparer tous ces bobos…, mais ses propos (que je vous traduis) en disent long sur cette Dacia : “Ce n’est pas une Renault mais une poubelle des pays de l’Est” !
Sans commentaires…
La voiture est restée toute une journée à l’atelier, la facture étant plutôt salée, mais l’importateur l’a réglée sans sourciller.
Du coup, j’avais mis le doigt sur le maillon faible, une fiabilité désastreuse, même en période de garantie.
Facile dès lors de comprendre que les modèles vendus coûtaient les yeux de la tête en recours garanties à l’importateur et qu’il fallait absolument faire “quelque chose”.
Chez IMC, on a pris le taureau par les cornes et décidé d’envoyer à l’usine roumaine de Pitesti un technicien avec comme mission de n’accepter que des versions “bien assemblées”.
Au bout de la première semaine et alors qu’il devait rester sur place un bon mois, notre homme est rentré dare-dare chez l’importateur.
Comme il avait refusé tous les modèles destinés à la Belgique, certains responsables “bien intentionnés”, menaçaient de “lui faire la peau et de l’exécuter s’il persistait dans cette voie” !
Il n’a plus voulu remettre les pieds en Roumanie, on le comprend.
Au début de 1980 et après avoir vendu 631 berlines et breaks Dacia 1300, l’importateur décidait d’arrêter les frais, cette aventure aura coûté à la société un mini porte-avions…, aucun chiffre n’a jamais été publié…
Novembre 1989, chute du Mur de Berlin, toutes les cartes industrielles sont redistribuées.
Les pays de l’Europe de l’est ne veulent plus entendre parler des méthodes soviétiques, Skoda est à vendre, tous les grands constructeurs se bousculent au portillon, Renault en fait partie…, mais finalement, c’est le groupe VW qui emporte le morceau…, avec les résultats que l’on connaît…
Deuxième motif de déconvenue pour Louis Schweitzer, le PDG, le projet d’alliance avec Volvo cars vient de capoter, une décision qui va marquer les esprits français.
Seule consolation, Volvo-Camions et Renault-Truck vont unir leur destinée…
Mais notre homme, un énarque convaincu, ancien chef de cabinet de Laurent Fabius, spécialiste de l’économie et des finances, est un véritable visionnaire.
Dès 1995, il annonce à ses cadres un plan plutôt ambitieux d’internationalisation afin de vendre en 2010 quelque quatre millions de véhicules…. et de s’adjuger une seconde, voire une troisième marque, mais en dessous de Renault.
Le déclic se fera à l’automne 1997 lors d’un voyage en Russie au cours duquel il accompagne Jacques Chirac, le Président de la République.
La présence de Schweitzer est dictée par la volonté de Renault de s’implanter sur le territoire russe.
En visitant une concession Lada (en fait un immense hangar où étaient stockées des centaines de voitures, vendues chacune environ 6.000 $), notre PDG revient en France avec ce prix en tête et avec l’idée de produire pour ce prix une voiture moderne, robuste et accessible.
Mais qui va la fabriquer ?
Certainement pas Renault en France, les coûts de production et les salaires étant nettement trop élevés.
Et de se souvenir que Dacia en Roumanie produit depuis la fin des années soixante une certaine Dacia 1300/Renault 12… et que les Roumains n’arrêtent pas de faire des appels du pied à Renault afin que ce dernier investisse massivement dans leur pays.
L’idée de la voiture à 6.000 $ refait surface, c’est là qu’elle devra être fabriquée afin d’être vendue dans la Région, mais également à des pays émergents.
Du coup, Schweitzer acquiert en septembre 99, 51 % des parts de Dacia, ce rachat de fonds de commerce n’aura couté que 50 millions de $, une paille pour un constructeur automobile.
Mais il faut sérieusement investir (l’équivalent de près 500 millions d’euros, du moins dans un premier temps) afin de renouveler cet immense complexe industriel, repenser complètement les méthodes de travail, supprimer la moitié des ouvriers de l’usine de Pitesti…, ils sont près de 28.000 dont une grande partie jouent toute la journée aux cartes tout en faisant un incroyable trafic de pièces de rechange alors que la qualité des véhicules produits (des dérivés de R19) ne suit pas !
100 % des véhicules produits nécessitent environ huit heures de retouche par jour et par véhicule !
Bref, il y a du pain sur la planche.
En rachetant Dacia, Schweitzer peut enfin s’attaquer à son nouveau cheval de bataille, celui des voitures bon marché, ce sera le fameux projet X90 concrétisé en 2004 par le lancement de la première Logan, une berline quatre places trois volumes qui emprunte la plupart de ses éléments à d’anciens modèles Renault comme la Clio de la génération précédente, dont la plate-forme, les moteurs et les transmissions… alors que les aérateurs non colorés proviennent de l’espace IV, que le pommeau du levier de changement de vitesses est celui de l’Espace III, que les commandes des vitres ont des allures de Mégane…, bref, une “voiture Frankenstein” comme on a coutume de l’appeler chez Renault.
Mais bien vite, il apparaît qu’avec l’aide des meilleurs ingénieurs et des spécialistes en marketing débauchés au sein du Groupe français et malgré des salaires roumains qui sont vingt fois inférieurs à ceux payés en France, Schweitzer peut oublier sa voiture à 6.000 $…, impossible à réaliser !
La première Logan sera vendue quelque 7.600 € mais pour ce prix, l’acheteur peut compter avec une belle habitabilité pour quatre adultes, un grand coffre ainsi qu’une excellente fiabilité doublée d’une grande durabilité.
Et pour convaincre les acheteurs, la garantie est portée à trois ans ou 100.000 km, de quoi les rassurer.
On l’a déjà dit, le design n’est pas soigné, la qualité des premières finitions laisse un peu à désirer, les plastiques sont durs, les sièges peu confortables, mais tout le reste fonctionne plutôt bien.
Devant l’accueil réservé à ce modèle manquant pourtant d’élégance et de finesse, Schweitzer décide de le vendre également en Europe de l’Ouest…, une sage décision, mais pas toujours bien accueillie et surtout mal comprise par certains cadres de Renault.
Mais depuis lors, Renault a fondé une alliance avec Nissan, acquis Samsung Motors en Corée, alors que dans les cartons, Dacia va ouvrir des usines de fabrication au Maroc, en Colombie, au Brésil, en Inde…
Du coup, Logan n’est plus l’enfant unique de la famille.
Un break 5/7 places s’ajoute en 2007…, un an plus tard, c’est au tour du pick up Logan et de la nouvelle berline Sandero (nettement plus attrayante) de venir compléter la gamme, alors qu’en 2010, le Duster 4X2 ou 4X4 révolutionne le monde des SUV tous chemins…, en outre à des prix canons.
En 4X4 et avec une motricité intégrale pas tellement sophistiquée, Duster peut suivre le train de véritables franchisseurs ou de gros SUV’S qui coûtent nettement plus chers, le double au minimum…
Et la gamme ne s’arrête pas là, avec notamment l’arrivée des Dacia familiales, le monospace Lodgy ainsi que le ludospace Dokker existant également en version utilitaire léger.
En outre, de nouvelles motorisations, diesel de 110 chevaux complètent le catalogue, tout comme cet incroyable trois cylindres essence turbo de 90 chevaux et seulement 900 cm3.
Certaines versions s’encanaillent avec les modèles Stepway devant plaire aux baroudeurs du dimanche.
Des sièges en cuir font même leur apparition, tout comme le nouveau moteur essence de 125 chevaux sur le Duster 4X4.
Quant aux chiffres, ils s’envolent !
En dix ans, Dacia a vendu plus de trois millions de véhicules en Europe et dans le bassin méditerranéen…, 2014 a été la meilleure année avec plus de 500.000 véhicules livrés…, Dacia est la 5e marque du marché français…, la Belgique est le 6e marché européen…, plus de 600.000 Duster ont déjà été livrés…, le complexe de Pitesti travaille pratiquement jour et nuit en trois shifts, sauf le W-E pour l’entretien…, bref, une réussite pour le moins insolente.
La recette Dacia, c’est produire au meilleur coût non loin des clients, tout en faisant la chasse au gaspi et au moindre cent de gagné afin de satisfaire de nouveaux clients qui jusque-là n’avaient d’autres options que d’acheter une voiture d’occasion.
La trois millionième Dacia, une Sandero Stepway, a été remise l’année dernière à un couple d’Espagnols qui pouvaient enfin se débarrasser de leur vieille Renault 21 de plus de vingt ans pour s’acheter une voiture neuve.
Et tout a suivi, la progression Dacia en matière de finition, d’assemblage et de silence de fonctionnement est impressionnante.
Tout comme d’ailleurs le choix des motorisations ainsi que la sécurité tant active que passive !
Avec une gamme de 7 modèles, Dacia peut donc ratisser large tout se permettant le luxe de proposer une nouvelle gamme “Anniversary” mieux équipée, plus tendance.
Les clients deviennent aussi de plus en plus exigeants, ils réclament un toit ouvrant transparent, ça viendra…, mais également une boîte automatique, Dacia y pense sérieusement.
Et l’extension de la gamme ?
Elle n’est pour l’instant pas d’actualité, mais au Brésil, Dacia pourrait produire sur place un tout nouveau pick-up qui vient d’être dévoilé en tant que prototype, Oroch est son nom…, mais qui serait uniquement vendu en Amérique du sud.
L’importer en Europe couterait beaucoup trop cher, comptez sur près de 1.000 € par véhicule pour les frais de transport.
D’autres modèles Dacia sont-ils en vue ?
Pas au stade actuel, mais du côté de la direction, on pense qu’une citadine à bas prix pourrait parfaitement s’intégrer au sein de la gamme.
En Inde, le projet “global Small” existe bel et bien, cette mini voiture présentée sous la forme du concept Datsun/ Nissan Redi-go de 3,5 m de long serait là-bas badgée Renault, mais pourrait être assemblée pour l’Europe à Tanger au Maroc où le salaire moyen mensuel d’un ouvrier Dacia est de 240 € contre 480 € en Roumanie alors que dans les usines françaises de Renault, il tourne aux alentours de 1.500 €…
Marcel PIROTTE pour www.GatsbyOnline.com