Detroit, la cité dantesque de l’automobile américaine, est en faillite…
La moitié de la population est partie, l’autre moitié est ruinée, trois-quart des usines sont fermées, les autres tournent au ralenti…, les graines ne germent plus, les abeilles ont disparu, les coqs se taisent, les vaches ne donnent plus de lait, les poissons se meurent, les arbres se déracinent et s’effondrent avec fracas… et plus rien ne pousse, plus rien ne sort de terre.
C’est la nature déchirée, vengeresse et punitive, qui tout à coup martyrise les hommes, les femmes et les enfants. Du ciel, on ne voit qu’elles…, les ruines de l’usine Packard trônent au beau milieu de la ville, symboles du passé glorieux et révolu de Motor City, alias Detroit, l’orgueilleux berceau de l’industrie automobile au nord des États-Unis, aujourd’hui synonyme de pauvreté et de violence urbaine.
Canapés défraîchis posés au milieu des gravats, murs éventrés tagués… et même un ascenseur tout en boiseries figé au deuxième étage pour l’éternité : tout évoque un cataclysme ancien, un destin similaire à celui de l’Atlantide. Alignés sur 2 kilomètres de long, les vestiges du mythique carmaker ont résisté aux assauts du temps depuis la fermeture, en 1956…, désertés par les ouvriers et les dessinateurs industriels, ils sont devenus le refuge des trafiquants en tous genres et des SDF toujours plus nombreux de Big D, autre surnom donné à Detroit par ses habitants.
Etendard de l’automobile triomphante au début du 20ième siècle, Detroit est devenue jeudi 18 juillet 2013, la plus grande ville américaine à se déclarer en faillite, dernier acte en date de la lente agonie de Motor City. – Je prends cette décision difficile afin que les habitants de Detroit aient accès aux services publics les plus élémentaires et pour que Detroit reparte sur de solides bases financières qui lui permettront de croître à l’avenir, a expliqué Rick Snyder, le gouverneur de l’Etat du Michigan, dans un communiqué.
– La mise en faillite est l’unique solution qui permettra à Detroit de redevenir stable et viable, avait-il au préalable écrit dans une lettre qui accompagnait l’acte déposé au tribunal.
Une ville entière qui met la clé sous la porte, la scène paraît surréaliste mais vient de se produire à Detroit aux Etats-Unis, où la cité de plus de 700.000 habitants, grevée par une dette de quelque 18 milliards de dollars (13,7 milliards d’euros), s’est déclarée en faillite. Acculée, la municipalité avait prévenu le mois dernier qu’elle serait obligée de faire défaut. Amy Brundage, une porte-parole de la Maison Blanche, a assuré que le président Obama et les membres de son équipe rapprochée : continuent à surveiller de près la situation à Detroit. Si les dirigeants sur le terrain au Michigan et les créanciers de la ville savent qu’ils doivent trouver une solution aux graves difficultés financières de Detroit, nous sommes engagés à poursuivre notre partenariat robuste avec Detroit au moment où elle œuvre à reprendre le dessus, se revitaliser et maintenir son rang parmi les villes américaines de premier plan.
Pour sortir de l’ornière, Rick Snyder avait mandaté un expert, Kevyn Orr qui, de façon assez sobre, avait résumé les causes de cette crise en quelques points :
– une mauvaise gestion financière…
– une population en baisse…
– une érosion de la base fiscale pendant ces quarante-cinq dernières années….
Echaudés par le projet de M. Orr qui prévoyait de négocier avec les créanciers de la ville, des fonds de retraite auxquels Detroit devait 9 milliards de dollars, ont lancé une procédure judiciaire pour empêcher toute coupe dans les retraites de leurs souscripteurs…, la mise en faillite mettait la procédure entre parenthèses, mais un juge vient de dire que Detroit ne peut se placer sous la protection de la loi sur les faillites qui lui permet de renégocier sa dette.
Au-delà des aspects strictement juridiques et financiers de l’affaire, la faillite de Detroit reflète la chute de l’automobile, un pan entier de l’industrie américaine qui avait connu son essor au début du siècle dernier.
Berceau des “Big Three” (Ford, Chrysler, General Motors), la ville a lié son destin à celui de la voiture, à tel point que des groupes de rock comme le MC5 (“Motor City 5”) ou une maison de disques, à l’instar de Motown (pour “Motor Town”), s’en sont inspirés à l’heure de se trouver un nom.
Mais le lent déclin économique et financier de Detroit est allé de pair avec une déchéance sociale qui s’illustre dans l’exode de ses habitants (Detroit a perdu la moitié de sa population en soixante ans) et l’absence criante de services publics.
– La municipalité n’est pas en mesure d’assurer l’éclairage public dans certains quartiers.
– Le taux de criminalité n’a jamais été aussi élevé en quarante ans et la police met en moyenne cinquante-huit minutes pour arriver lorsqu’elle est appelée, contre onze minutes dans le reste des Etats-Unis.
A Détroit, un gestionnaire de crise, Kevyn Orr, avait été récemment nommé pour se substituer au maire et au conseil municipal. C’est lui qui avait demandé au juge fédéral la permission de placer la ville sous la protection du chapter 9, équivalent au chapter 11 pour les entreprises. La procédure devait lui permettre de liquider les actifs de la ville et éponger sa dette, mais tout est remis en question…
La ville peine à lever l’impôt : elle qui fut longtemps la quatrième plus grande ville des Etats-Unis et le fleuron de l’industrie automobile, a perdu les trois-quart de sa population en dix ans. Elle ne compte plus que 700.000 habitants aujourd’hui, contre 1,8 million dans les années 1950. Le gestionnaire de crise n’exclut aucune option pour redresser les comptes, il dispose de pouvoirs étendus, dont celui de revoir les contrats des employés de la ville et de céder des actifs. Il a sous-entendu qu’il pourrait vendre la collection du musée d’art pour honorer les dettes. Rien n’est tabou à ses yeux :
– Cette collection de tableaux représente l’un des actifs de la ville. Il est de notre responsabilité de le rationaliser et de connaître sa valeur. Tout est sur la table, indiquait récemment son porte-parole, Bill Nowling. Selon lui, les créanciers de la ville peuvent même très bien réclamer la vente de ces tableaux devant les tribunaux.
Le Detroit Institute of Arts n’est pas n’importe quel musée : considéré comme l’un des plus riches des Etats-Unis, il détient une collection estimée à plusieurs milliards de dollars. Fondé en 1885, il s’agit du premier établissement américain à avoir acquis une œuvre de Vincent Van Gogh, l’un de ses autoportraits. Il possède aussi des Degas, des Caravage, des Matisse et des fresques monumentales de Diego Rivera. Les ventes de tableaux sont déjà pratiquées par de nombreux musées, y compris en France. Mais, à ce stade, elles reviennent surtout à céder des œuvres mineures pour en acquérir de plus belles. La ville de Detroit créerait donc un vrai précédent.