Étrange que le temps qui passe, car le temps passe également pour les Hot-Rods et les Hot-Rodders…
Adulés dès leurs débuts au milieu des années ’80, puis descendus en flammes avec le ras-le-bol des High-Tech de Boyd Coddington, toujours plus chers, encore plus chers…, avant d’être superbement ignorés avec les Rat-Rods qui revenaient à l’esprit des débuts (genre bagnoles de rebelles, d’artistes maudits, de génies incompris, et tout ça…), les voici de nouveau en odeur de sainteté avec un apaisement général dû à la crise qui n’en finit plus…
Ces deux Hot-Rods qui avaient connu les bonnes grâces de la presse du milieu Hot-Rodding dans les années ’80, sont ressortis dans différents shows depuis 2012, sans pour autant y glaner le moindre prix, avec ce que cela suppose de distance et de dérision feintes.
Cela est-il prétexte à raconter une histoire ?
L’histoire d’une vie ?
L’expérience d’une vie ?
Une histoire extraordinairement libre, généreuse, risquée, instable, faite “pour la beauté du geste”…, pleine de visions magistrales, d’idées géniales ou ratées ?
Mais on s’en f…, au moins il y aurait des idées débitées en tranches.
Je vous propose dès-lors une œuvre protéiforme ouverte à tout, à n’importe quelle inspiration, à n’importe quels jugements, démons et merveilles…
A vos claviers en émails pour réponses…
La mise en abîme d’un abîme d’un abîme, ou d’une vie abîmée, ou de nos multiples vies, de celui ou celle que l’on voudrait être dans nos têtes, sur le siège d’un Hot-Rod où l’on changerait de peau, à l’envi des vies qu’on aurait voulu empoigner, sur ces hommes qu’on voulait devenir, de ce fatras illuminé tout autour qui montre l’invisible.
Parce que c’est chacun de nous, le vrai héros (mais comment en être sûr ?)… et parce que l’histoire parlerait de vous, les yeux fermés en songe, quand après avoir lu certains de mes textes, vous émergeriez d’un rêve dont je détiens la clé, étrange, dans le prolongement de l’écran de votre ordinateur….
Ce serait une histoire qui dit notre époque, ou l’histoire d’un homme qui s’est perdu en route, dans un labyrinthe, une histoire sur sa mort ou sur la mort, la vraie, la mort absente pour revenir finalement, espérer et puis revivre : chevelu, décoiffé, difforme, se disant, “on voudrait revivre, revivre, revivre”...
Ce serait peut-être un tout petit peu, beaucoup (énormément !) une histoire sur le milieu du Hot-Rodding et ce qu’a amené mon vieux mag’Chromes&Flammes… (son industrie carnivore, ses muses, ses artifices…), sur la littérature (la beauté de ses mots, ses formes poétiques, ses vieux fantômes qui s’enlacent encore…), sur l’art mouvant, indissociable à l’existence, peinture, photographie, musique, nouvelles technologies…
Ce serait peut-être une histoire sur les non-dits, pourquoi pas, parce qu’on ne meurt jamais vraiment dans les histoires rêvées, on se relève tout le temps, à poil, en train de bander, en train de devenir riche, de redevenir pauvre, avec des capteurs partout.
J’essaierai encore de vous surprendre, vous offrant un Nième cadeau imprévisible, une posture fantasque, un chapeau pointu sur la tête !
Bien malheureux ceux et celles qui sauraient où va chaque paragraphe filant le précédent, chaque minute s’écoulant après l’autre…
Fumiste ou visionnaire, je vous mènerai sur des chemins bizarres, des rubans chaotiques bien impossibles à dérouler, à envisager jusqu’au bout.
Puis ça repartirait, ça jouerait, ça inventerait, ça s’inventerait, ça ferait rire, parfois pleurer, pour enfin vous laisser, groggy, avec deux Hot-Rodders qui philosophent dans un hangar.
Fondu au noir et mille bravos.
L’histoire commence…
John n’avait rien d’un monstre, vous comprenez, non ?
Qu’importe, il affichait une petite panse, rapport à la nourriture et à la bière… et avait le nez cassé.
En général les femmes n’ont pas exactement pour habitude de choisir ce type de mec parmi les autres pour un rendez-vous de baise…, mais à cheval donné, patati-patata…
Nadia le trouvait merveilleux comme amant.
Elle était folle de lui… et en plus de tous ces détails, elle avait une petite bouche mobile et les manières franches et nature d’une femme qui couchait…
Pour des raisons auxquelles on réfléchit mieux devant une bouteille de bière à grand goulot, qui transpire sur une table branlante, dans un bar miteux, bien loin des touristes, Nadia et John, avaient choisi de passer quelques heures à la terrasse d’un minable café, dans le quartier des putes abandonnées.
Ils écoutaient de la musique Country.
Cette musique sera toujours insidieusement anarchique, toujours en dehors du courant dominant des classes moyennes, toujours surprenante.
Assise face à lui, Nadia savourait sa bière.
Elle portait une chemise violette.
Jamais John n’avait vu un cardinal avec une si jolie poitrine.
Le quartier des putes abandonnées était un endroit, où chacun vivait chaque jour l’ultime chance de sa vie, en espérant aborder le cœur des choses, évoquer la vie et la mort, le plaisir et le jeu, l’amour et la guerre…
Quiconque a passé un certain temps à voyager sans but dans l’Ouest américain sait que l’illusion est celle de la liberté, cette merveilleuse fausse liberté inventée des cow-boys, les vagabonds à cheval, les hommes aux colts…, tous ces héros dégingandés, déglindés, échappés des films hollywoodiens d’aventures. Quelque part, là-bas, les fous et leslobotomisés, les laissés pour compte aussi, rêvent de dompter des chevaux magnifiques qui attendent d’être dressés, dans un endroit où l’on cesse de regretter le passé parce qu’on vit en plein dedans…
On l’a oublié ce faux monde, depuis l’arnaque du 11 septembre 2001 qui mène le monde occidental à sa perte comme au début de la chute de l’Empire Romain…
On vit maintenant au jour le jour, sans trop de mémoire, dans la crainte…, comme les enfants qui vivent au jour le jour sans projets.
On éprouve pourtant, dans l’oubli…, un mélange d’émerveillement et d’intimidation de l’habitant des plaines devant l’immensité de ces montagnes, tout simplement.
Tous les Hot-Rodders qui voient ce monde de chromes et de flammes s’écrouler, ont une histoire d’auto-stoppeuse à raconter pour se garder une libido, au cas ou…
On ne peut pas entrer dans un bar, où que ce soit aux States, sans en entendre une demi-douzaine.
Tout le monde a son histoire, toutes sont fantasmées….
Enfermé à l’intérieur de son Hot-Rod, avec seulement des kilomètres et des kilomètres de montagnes, des kilomètres de route droite devant lui, John ne pouvait pas s’empêcher de croire qu’il était redevenu un homme libre et meilleur.
Mais, il y avait, toujours, cette autre chose qui lui manquait, l’expérience d’une auto-stoppeuse !…
Au moment où il se demandait à quoi ressemblait la vie sexuelle d’une auto-stoppeuse…, quand on parle du loup…, voilà qu’il la voyait au bord de la route, pouce droit levé.
Elle faisait du stop !
Nom d’une (bonne) pipe !
Elle faisait du stop !
John a ralenti la vitesse, s’est arrêté à quelques mètres devant elle, juste pour le plaisir de la mater dans le rétroviseur.
Elle avait la démarche associée au corps…, c’est si rare.
Lente lame qui fendait la route.
Jambes lisses et dorées.
D’un accent à s’agenouiller à ses pieds, elle lui a demandé : Pourriez-vous me déposer non loin d’ici ?
Il était subjugué, ébloui par sa beauté : un visage ovale et enfantin, un joli petit nez, un front parfait, une bouche de bébé, des dents éclatantes…
Elle habitait au bord d’un lac, à une quinzaine de kilomètres, dans une fermette aménagée…
Sur la rive ouest, les collines étaient couvertes d’or, l’herbe brune du mois d’août rougeoyait entre l’horizon bleu marine et l’eau glacée.
Là…, elle a descendu la jetée à grandes enjambées, vers John, ses vêtements dans une main, une boîte de préservatifs et une pilule de viagra dans l’autre… et elle a déposé le tout sur ses genoux, puis a plongé dans le lac et est restée sous l’eau pendant une longue minute.
Quand elle a refait surface à ses pieds, elle a souri et lui a demandé si il avait déjà avalé la pilule.
Une phrase à double sens…
Embarrassé de tant de sollicitude, se contentant du sens premier, il a pu à peine lui répondre que c’était dangereux d’avaler du viagra avec le vin, et qu’il pouvait encore se défendre sans la pilule bleue.
Et le voilà au lit avec elle.
Pour ce qui était de la valse des patineurs, elle en connaissait les principales figures.
Elle aimait qu’on lui bouscule le verso.
John, donc, a commencé par une bioutifoule levrette à injection directe.
Pour cela il lui a fait mettre les seins à plat sur le lit et ensuite il lui a remonté le valseur un max.
Et, oups !
Jusqu’aux valseuses…, il est entré dedans complètement… et vers la dixième minute de va-et-vient, elle a eu ce sourire étrange de la musicienne qui a trouvé son rythme, cet écho subtil d’un son suraigu qui prend au plexus et que la plupart des gens n’entendent jamais.
Il se trouve bien haut sur un sommet intime…
Elle s’est gorgée de cette explosion : Sexus-Orgasmus-Cosmicus, comme de pop-corn, pour jouir encore et monter toujours plus haut.
C’est ainsi que John s’est fait sa première auto-stoppeuse, deux heures d’affilée ; ça a fini en une partie de bibloque féroce, sur le coin de la table à manger, qui heureusement était en massif, style bûcheron ; il lui a fait débiter des milliers d’orgasmus-cosmicus…
Puis, le plus naturellement du monde, elle a récolté ses vêtements soigneusement pliés et est passée dans la salle de bains.
Sans se presser, mais sans frimer non plus.
Le soleil jouait sur ses seins blancs et ses hanches en mouvement.
– C’est merveilleux, quand même, une femme nue…., que John s’est dit, bêtement…
Nom d’une (bonne) pipe !
Avant de partir de chez elle il a regardé sa montre, il était 17h…
Cette jeune tigresse était le résultat d’un travail individuel : le sien.
Bien élevée et qui sait penser délicieusement mal.
Une pure déesse.
John ne savait pas trop quoi en penser, sincèrement…, mais quelque chose lui disait qu’il la reverrait prochainement…, dans une autre vie…
John a repris la route, considérant cette aventure avec l’auto-stoppeuse, comme un signe…
Oui, mais lequel ?
Il était 18h30 lorsqu’il est arrivé chez Bob, son pote Hot-Rodder qui s’était fait construire un Coupé rouge, presque comme celui de John…
Il habitait un cottage caché au milieu d’un gros bouquet de chênes, une petite bâtisse qui semblait avoir servi de maison de campagne dans le temps passé d’il y a très longtemps, avec un toit de bardeaux et des murs sans peinture qui avaient viré à un vénérable gris argent.
Une sorte de grosse vigne vierge masquait le porche et grimpait comme une folle le long du toit comme par crainte de se faire avaler par les massifs de fleurs qui envahissaient la cour.
En ouvrant la porte, une mouche l’a précédé en vitesse de croisière et a foncé vers le salon comme un minuscule épervier.
Tout baignait…
Bob semblait s’être trouvé un style de vie adéquat avec son amour des Hot-Rods, (ample, maîtrisé, virtuose), une thématique (les postulats fondateurs et tumultueux de l’Amérique) et un souffle aussi, qui rejoignaient ceux, si l’on veut, des grands romanciers contemporains américains (Ernest Gaines, Jim Harrison, Norman Mailer, Toni Morrison, Upton Sinclair), évoquant les bouleversements de leur pays avec ferveur ou âpreté, toujours entre la fresque et un mouvement plus intime, plus profond.
Après l’exploitation industrielle du pétrole, après les ravages du libéralisme, Bob scrutait le devenir d’une fin programmée.
L’admettre ou non n’avait finalement aucune importance, parce que même si les enjeux paraissaient parfois un peu flous, Bob exposait, de façon plus cruciale, les fonctionnements larvés de l’endoctrinement, les lents cheminements d’une dérive sectaire, les limites du libre arbitre et des croyances….
– L’Amérique f… le camp… disait-il souvent…
John et Bob, ces deux hommes marqués par la Kustom-Kulture avaient, inexplicablement, besoin l’un de l’autre, liés, portés par une alchimie secrète, partis chacun, mais ensemble, à la recherche d’une vérité, d’une ambition sourde ou d’un amour perdu.
L’un incontrôlable… et l’autre qui cherchait à contrôler…
L’un qui faisait, et l’autre qui orchestrait ; différents socialement et psychologiquement… et différents même dans leur apparence.
Entre l’ancien combattant fracassé et le gourou joufflu une amitié étrange s’était créée, d’abord guidée par la soif d’alcool, puis ensuite par des lignes plus abstraites, moins évidentes.
Entre rêve et réalité, ils naviguaient sans un accroc, mais sans surprise, dans les sillages incertains du Hot-Rodding…, deux êtres complémentaires, réunis par hasard, séparés par l’infortune.
Et voici (enfin) la fin de cette histoire…
Une fin en creux, lapidaire, une fin terrible parce qu’elle vient contredire tous les soi-disant “principes” de la Kustom-Kulture (mélange de lavage de cerveau, de méthodes singulières et d’affirmations ésotériques fumeuses), principes que les Hot-Rodders eux-mêmes ne paraîssent comprendre ni maîtriser entièrement !
Par deux fois, John et Bob se sont emportés soudain quand je les ai questionné précisément, surtout quand ils se sont pris au piège de remarques ou d’arguments trop exacts.
– J’ai pensé à raison que tout ce bazar était du charlatanisme qui s’invente au fur et à mesure… m’a dit Bob…
Mais c’est de l’état réel de l’Amérique (puis du monde), que viendra la dénégation, le gage de la vanité propre de ses travaux quand Bob avouera à John, simplement et conscient du dérisoire de lui-même :
– Si tu arrives à vivre sans maître, tu seras le premier homme à y réussir…
La messe était dite… et Bob à son tour, “maître” de peu, s’essaiera sur une jeune femme rencontrée pour transcender, dans un souvenir, celle de sable qu’il avait laissé sur une plage du Pacifique, celle qu’il avait toujours aimé et qui était partie en Australie.
Ce fut un moment complètement sidérant et magistral lorsqu’ils se sont branlés l’un l’autre….
John, émacié, avachi et décharné, avec ses tics, ses trucs et ses combines, est ensuite reparti dans sa démarche boîteuse, pose courbée, rictus persistant…
Bob l’a suivi, pour une ultime balade vers l’inconu…
L’implication était totale, épique presque, mais un rien figée dans sa superbe.
Je ne les ai jamais revu…, eux non plus…