Hot-(ch)-Kiss dans le rétro mobile curial…
Deux semaines avant la nouvelle lune, j’ai reçu un mail avec diverses pièces jointes : des photos de nananas souriantes dotées de gros seins, posant avec des automobiles improbables…, pas des “classiques”, mais des Hot-Rods avec quelques vieilles américaines…
“Pourquoi des Hot-Rods et quelques vieilles américaines?”… me suis demandé, imaginant simultanément que le monde des classieuses classiques afficherait des mêmes nananas devant d’antiques Delage, De Dion Bouton, Grégoire, Maserati…, un univers “parallèle” ou le HOT et le KISS de Hotchkiss auraient une toute autre signification…
De pareilles opinions n’ont pas besoin de commentaires, et je n’en ferai pas, quoique…, je me dois d’une saine explication…
Entre deux étreintes, je lis des livres que j’emporte toujours avec moi dans mes voyages, livres qui depuis des années constituent une grande partie de mon existence spirituelle : “Le Vert-Vert et la Chartreuse”, de Gresset… “Le Belphégor”, de Machiavel… “Les Merveilles du Ciel et de l’enfer”, de Swedenborg… “Le Voyage souterrain” de Nicholas Klimm, par Holberg… “La Chiromancie”, de Robert Flud, de Jean d’Indaginé et de De La Chambre… “Le Voyage dans le Bleu”, de Tieck… “La Cité du Soleil”, de Campanella.
Un de mes volumes favoris étant une petite édition in-octavo du “Directorium inquisitorium”, par le dominicain Eymeric De Gironne, méritoire livret rarissime, comportant des passages de Pomponius Méla, à propos des anciens Satyres africains et des Ægipans, sur lesquels je rêvasse pendant des heures, préférant néanmoins la lecture d’un in-quarto gothique excessivement rare et curieux, le manuel d’une église oubliée, “Les Vigiliae Mortuorum secundum Chorum Ecclesiae Maguntinae”…
Tout cela est pourtant éclipsé par l’étrange rituel contenu dans un livre qui a influencé mon psychisme et dont le terme “CURIAL” a une importance considérable pour la compréhension de la suite : “L’Art du Curial”…
“Le Curial”, c’est-à-dire “le courtisan de l’art”…, est un texte de la littérature française du XVe siècle…, un traité moral en forme de lettre faisant la satire de la vie de cour, existant à la fois en latin : “De vita curiali detestanda tamquam miseriis plena”… et en moyen français…, l’opinion prévalant de nos jours (après les discussions du passé), étant que la version originale, qui est la latine, est une œuvre d’Alain Chartier, composée vers 1427… et que la traduction en moyen français, de très peu postérieure, est anonyme…
Ce texte se présente comme une lettre à un destinataire désigné au début par l’apostrophe “Carissime Frater” (mon frère trésamé), que l’auteur s’efforce de dissuader de venir le rejoindre à la cour, où la vie est présentée comme un véritable esclavage, incompatible avec la pratique de la vertu, exposant aux compromissions et aux aléas de la fortune, et n’offrant que des satisfactions illusoires et mensongères.
Ce qui est extraordinaire, c’est que comme pour “Les Protocoles Des Sages De Sion” qui donnent plus que l’impression d’être un guide destiné à diriger le monde, “L’art du Curial” donne l’impression d’être un guide destiné à diriger les enchères d’art…
Le destinataire a été traditionnellement identifié comme Guillaume Chartier, frère puîné d’Alain Chartier et futur évêque de Paris ; cette idée est réfutée par Pascale Bourgain-Hémerick, dernière éditrice du texte, pour qui, dans cette épître littéraire, il s’agit bien plutôt d’un destinataire imaginaire…, l’auteur s’étant inspiré notamment de Juvénal et de Sénèque…, l’ouvrage a été principalement connu au XVe et au XVIe siècle, dans sa traduction en moyen français, à tel point qu’il a été au moins deux fois retraduit en latin : par Robert Gaguin en 1473 ; et par Jean de Pins (sous le titre “De vita aulica”).
Une conception alternative sur la genèse du texte a été formulée par Ferdinand Heuckenkamp, qui en fut un éditeur à la fin du XIXe siècle : selon lui, Alain Chartier n’aurait été que le traducteur en moyen français d’un original latin qui n’était pas de lui ; il se fonde sur l’indication contenue dans une édition antérieure de la version latine (dans le fameux “Amplissima collectio” d’Edmond Martène et Ursin Durand, tome II, Paris, 1724, col. 1459 sqq.), qui utilisait le “ms. 978” de la bibliothèque de Tours indiquant comme titre “Epistola LXXVI… Ambrosii de Miliis ad Gontherum. Dehortatur eum a curia”…
Cette position fut réfutée peu après par Arthur Piaget, qui établit celle qui a prévalu depuis lors parmi les spécialistes, notamment Mme Bourgain-Hémerick.
Le thème des misères de la vie de courtisan est un lieu commun de la littérature du XVe siècle, qu’on retrouve entre autres dans la “De curialium miseriis epistola” d’Æneas Sylvius Piccolomini (1444) et dans le roman en moyen français intitulé “L’Abuzé en court” (milieu du siècle, longtemps attribué à René d’Anjou)…
Imaginez donc mon trouble lorsque je me promène à Paris au départ de l’avenue Montaigne au coin des Champs-Elysées…
Dans cet esprit…, et après que vous ayez lu les livres ci-avant référencés (de saines lectures, en vérité), vous pourrez imaginez “Rétromobile” et ensuite “La vente aux illusions perdues à racheter à prix d’or” qu’est le faux “évènemen-tiel” (mon mari) qui y est maintenant attaché par sussions, comme la tentacule d’une pieuvre…
Les vanités mécaniques “en voulez-vous, j’adjuge”… y seraient pourvues de filles quasi nues, les seins gonflés comme des airbags lors d’un choc frontal…, leurs corps galbés comme des carrosseries des années cinquante…, leurs sourires étincelants comme si les dents étaient chromées…, le tout faisant figuration dans une sorte de cauchemar sado-masochiste annuel (le manuel-anal en cette matière, ne semble connaître aucune règle si ce n’est la règle d’or)…
À l’époque, ou je participais à cette orgie, il m’avait fallu pas mal de temps pour rassembler des informations sur cet événement “festif” qui semblait se dérouler de manière docte et bon-enfant…, quoiqu’on y croise des anarchistes, des utopistes, des babas-cool et des perpétuels new-âge qui se rassemblent en bande en attente qu’une Ferrari Dino apparaitra en enchères en vente à sa valeur des années ’70….
La populace qui y grouille est plutôt du genre “peu-regardante”, l’ensemble des partouzeurs (et zeuzes)… ne vivant pas sous le signe de la liberté et de l’amour ou tout le monde est en charge de “faire à manger”, “de réunir des kits de premiers secours” et “de maintenir l’ordre”…, les coûts étant couverts grâce aux dons des membres (érectiles) de la communauté.
Il est possible toutefois, sous la houlette de “L’amour” du prochain pigeon à plumer (toute personne se nommant ainsi n’ayant rien à y voir et faire)… d’assister à des ateliers de réflexions (intenses), de danses (de joies), de méditations (sur les achats souvent intempestifs)… et de yoga…, tout en prenant toutes sortes de drogues psychédéliques (pour oublier les sodomies bien profondes)…
C’est que…, cet “événement” n’était pas censé prendre une telle ampleur…, l’idée de base étant de réunir quelques personnes dans un coin isolé… et de méditer sur le pourquoi du comment de la “collectionite”…, ce qui a finalement marqué le début d’une longue série.
À partir de là, les membres de la communauté se sont mis à suivre les bouts de ficelles colorées déroulés par des journaleux pervers…et l’affaire a débouché sur des mises en scènes pompées sur des films “nanarisants”, comportant des sorties de grange érotisées, des histoires à dormir debout, des doublettes en triplettes avec attestations diverses, faux témoignages dûment validés, lobotomisations diverses, “bonimentages” éculés, escamotage final de toutes traces… et… des enchères téléphonées (plus que “téléphoniques”) au moyen de téléphones non raccordés…, miraculeux !
Je me souviens d’une vente du genre…, quand je suis arrivé dans la forêt ou avait lieu l’évènement du siècle…, j’ai été incroyablement bien accueilli, des gens plus ou moins vêtus ont accouru vers moi pour me prendre dans leur bras et me dire qu’ils m’aimaient, un groupe s’est mis à chanter à la gloire du dieu automobile, d’autres ont commencé à danser, tandis que quelqu’un me tendait un joint…, celui du cache-cul-buteur d’une Hot-ch-Kiss…
À chaque Rétromobile, j’ai rencontré des anciens hippies et des nomades fiscaux, mais aussi des prêtres russes alcooliques, des anarchistes hardcore, des hackers, des prophètes autoproclamés, des réincarnations de figures religieuses, des artistes sans art, même curial, des proxos, des putes, des bourgeoises en chaleurs, des milliardaires d’affaires improbables et même des beaufs et des ploucs venant célébrer le sexe et la fraternité dans la chaleur inhumaine de ce lieu de rencontre pour personnes plus ou moins consentantes à se faire sodomiser…., il n’y manque qu’un gourou chantant en aube blanche, pour séduire les innocent(e)s, les initier “charnellement” au culte avant d’en faire les messagers (et messagères) de l’amour universel des automobiles et autres “choses” bankables…
Tous (et toutes) obéissent cependant à “l’ordre de fer” qui régit tout, car, attention…, derrière la frénésie sensuelle des carrosseries, on n’est pas ici pour rigoler : acheter se doit d’être “la” communion orgasmique universelle…, toutes incartades et critiques sont punies des pires châtiments.
Pourtant dans la coulisse, les choses se lézardent depuis peu : des adeptes se mettent à renâcler aux préceptes de l’ordre…, quant à la police, et au fisc, ils se posent pas mal de questions sur la destination “des achats” très généreux des fidèles… ainsi que sur l’origine des fonds utilisés…, ça ne peut que mal finir cette histoire…
Même si les journaleux de sévices n’abordent évidemment jamais directement ces sujets, il règne dans ce souk, une atmosphère de plus en plus crépusculaire de fin de règne, qui ne peut se terminer que par une partouze frénétique dont personne ne sortira vivant…, si Sam Peckinpah avait fait un film sur les ventes aux enchères de bagnoles de collection, il aurait tourné son film ici…
Bon soyons honnête, c’est peut-être attribuer à cette affaire bien plus que ce qu’elle peut réellement offrir (rien n’y est toutefois gratuit), c’est typique de notre époque et sans grandes élévations intellectuelles, même si ce barnum tente de surfer sur l’air du temps et notamment sur la prolifération d’affaires diverses…
C’est du consumérisme basique, mais ici l’art de l’entourloupe consiste à vendre n’importe quoi le plus cher possible… tout en ayant pris soin de l’avoir “en portefeuille” le moins cher possible, afin de ne prendre aucun risque…, c’est simple, basique, s’y ajoutent les talents d’un bon bateleur, avec gouaille et humour… et c’est “plié”…, les bricoles vendues étant suffisamment éparpillées pour ne plus constituer une masse discernable…
C’est en effet quasi un réseau de prostitution financière à des fins missionnaires, avec la pratique du “flirty fishing”, envoyant des gourous recruter de nouveaux membres en couchant avec eux (et/ou elles), sur le papier…, des contrats sibyllins mirifiques remplis de chausse-trappes…
Il y a là une sorte de mysticisme new-âge où tout le monde partouze dans l’allégresse d’une communauté soudée autour de ses gourous, enfermée dans un panier de crabes dont on ne s’échappe pas.
Illustrer tour ce que je viens d’écrire par des photos réalisées à Rétromobile n’apporterait strictement rien pour apporter de la joie et du bonheur (si ce n’est par hasard, l’un, l’une-l’autre avec sa maîtresse et/ou amant se retrouvant sur une photo qui devient compromettante pour la paix des ménages)…
Aussi, je pense que vous déverser trois douzaines de nananas souriantes devant ou dedans des voitures “à-la-con” sera pour vous probablement l’élément de grâce qui sauvera votre temps passé d’un complet naufrage…, non seulement par leur plastique à se damner et par la sensualité “naturelle” qu’elles dégagent…, mais aussi par leur air perpétuellement serein et lointain qui donne l’impression que, même quand elles offrent leurs corps à des adeptes du Hot-Rodding, leur esprit est sur d’autres sphères de réalité…
On rentre (on pénètre) davantage dans l’hilarité de cette belle collection de brunettes et blondasses molles en “nudités” abondantes qui “spermettent” de distraire l’œil de tout érotomane adepte de sensualité vintage, de pilosité hors contrôle et de corps qui ont cédé à la dictature de la chirurgie plastique (les automobiles aussi).
Parmi la galerie de nananas assez invraisemblables qui traînent leurs ganbettes dans l’auto-exploitation, certaines étaient passées jusqu’alors très en dessous de mon radar… et pourtant, quel parcours…, quoique ça ne vaut pas le coup (le coût non plus) d’essayer d’apporter la sagesse au monde, moi j’vous le dis !
Si l’amateur de polissonneries millésimées pas trop exigeant sur la qualité des fantasmes subliminaux pourra y trouver son compte pour l’ambiance Woodstock de baise estivale, cet article est surtout l’occasion de vous offrir un spectacle d’un autre temps, celui où on osait vraiment faire n’importe quoi dans l’insouciance la plus totale, où des “azimuthées” pouvaient jaillir de nulle part pour devenir le temps d’un instant des météores irradiant de leur ego…
Kiiiisssssssss !