Enzo & Berlinette, une histoire d’amour écrite par William Jexpire…
Figure éminente de la culture occidentale, William Shakespeare continue d’influencer les artistes d’aujourd’hui…, il est traduit dans un grand nombre de langues et, selon l’Index Translationum, avec un total de 4.281 traductions, il vient au troisième rang des auteurs les plus traduits après Agatha Christie et Jules Verne.
Ses pièces sont régulièrement jouées partout dans le monde, Shakespeare est l’un des rares dramaturges à avoir pratiqué aussi bien la comédie que la tragédie.
Shakespeare écrivit trente-sept œuvres dramatiques, entre les années 1580 et 1613…, mais la chronologie exacte de ses pièces est encore discutée, cependant, le volume de ses créations n’apparaît pas comme exceptionnel en regard de critères de l’époque.
On mesure l’influence de Shakespeare sur la culture anglo-saxonne en observant les nombreuses références qui lui sont faites, que ce soit à travers des citations, des titres d’œuvres ou les innombrables adaptations de ses œuvres. L’anglais est d’ailleurs couramment désigné par la périphrase “la langue de Shakespeare”, tant cet auteur a marqué la langue de son pays en inventant de nombreux termes et expressions, certaines citations d’ailleurs sont passées telles quelles dans le langage courant
“Peines d’amour gagnées” (Love’s Labour’s Won) : est une œuvre perdue de William Shakespeare, qui a été re-imaginée par un certain William Jexpire qui se prétend le descendant de l’illustre auteur. Il a situé le renouveau de cette pièce en 5 actes à Maranello, un dialogue entre Enzo et Berlinette, qui aurait pu se nommer “Beaucoup de bruit pour rien”…
D’un côté la vie, la figure tourmentée d’Enzo, sa jeunesse écrasée, ses brutales prises de conscience qui s’en suivent, sa vie “automobilistique” pathétique, la violence et le dégoût, la canalisation des passions ou leur explosion; l’amour sciemment mis au ban, la mesure de l’écart entre l’idéal et le réel, la mesure de la faiblesse des hommes.
De l’autre, les personnages morts de la tragédie qu’Enzo a créé, morts dans les courses automobiles ou morts d’accidents routiers, voire morts de désespérance en suite des pannes incessantes et des frais d’entretiens gigantesques et qui se retrouvent dans les limbes, qui revivent leurs existences gâchées…, ils réapprennent à se parler, à aimer, peut-être à pardonner au Patriarche.
En tout cela, les fous et les clowns, qui réinventent le réel plutôt qu’ils s’y soumettent, sans savoir, aimeront l’adaptation de la pièce perdue de William Shakespeare .
Bonne lecture, joyeux moment introspectif…
Une automobile, s’arrogeant une certaine noblesse, dans la belle Modène, où nous plaçons notre scène, est propulsée, venant d’anciennes rancunes, vers des rixes nouvelles où l’argent d’arroguants citoyens souille les esprits de divers déconfis. De ses entrailles prédestinées à des gloires éphémères, inutiles et vaines, a pris naissance, sous des étoiles contraires, un mythe dont la ruine néfaste et lamentable doit ensevelir dans sa tombe, l’animosité de ses concurrents. Les terribles péripéties de cette Berlinette et les effets de la rage obstinée de l’usine qui l’a construite, que peut seule apaiser le tintement des pièces dans son tiroir-caisse, va en quelques instants, être exposée sur ce panneau de Gatsby. Si vous daignez nous lire patiemment, notre zèle s’efforcera de corriger votre insuffisance à comprendre.
ENZO. – Il se rit des plaies, celui qui n’a jamais reçu de blessures ! Mais doucement ! Entendez-donc ce bruit subliminal ! La voilà, elle est comme le soleil ! Roule ma belle… et tue les Lamborghini jalouses qui déjà languissent et pâlissent de douleur parce que toi, la prêtresse des automobiles, tu es plus belle que toi-même ! Sois plus que prêtresse, car ta livrée de vestale est extraordinaire et rend blême les folles automobiles : rejette-les !… Voilà ma Ferrari 458 Italia Grand Am ! Oh ! voilà mon amour ! Oh ! si elle pouvait le savoir !… Que dit-elle ? Rien… Elle se tait… Mais non, son moteur me parle… et je veux lui répondre… C’est à moi qu’elle s’adresse. La plus belle étoile du ciel, je lui adjure de vouloir bien resplendir. Ah ! si les étoiles se substituaient à ses phares, leur seul éclat ferait pâlir la clarté des astres, comme le grand jour, une lampe… et, du haut du ciel, darderait une telle lumière à travers les régions aériennes, que les oiseaux chanteraient, croyant que la nuit n’est plus. Voyez comme elle accélère ! Oh ! parle encore, ange resplendissant ! Car tu rayonnes dans cette nuit, au-dessus de ma tête, comme le messager ailé du ciel, quand, aux yeux bouleversés des mortels qui se rejettent en arrière pour te contempler, tu devances les nuées paresseuses et vogue sur le sein des airs !
BERLINETTE. – ô Enzo ! Enzo ! Es-tu Enzo revenu ? Ton nom seul est un poème ! Qu’y a-t-il dans ton nom ? Ce que nous appelons les chères perfections qu’il possède.., prends-moi tout entière.
ENZO. – Je te prends au mot ! Appelle-moi seulement “ton amour” et je revis.
BERLINETTE. – Quel homme es-tu, toi qui, ainsi caché par ta mort, viens de te heurter à tes propres secrets en une magnifique renaissance ?
ENZO. – Je ne sais plus qui je suis, je suis mort, mais je revis en fantôme…
BERLINETTE. – Mon oreille n’a pas encore aspiré cent paroles proférées par ta voix… et pourtant j’en reconnais le son. Comment es-tu revenu ici, dis-moi ? Et dans quel but ?
ENZO. – J’ai escaladé les murs de la renommée sur les ailes légères de l’amour de l’automobile : car les limites ne sauraient m’arrêter, et ce que moi, Enzo, peut faire, moi-même, Enzo, ose le tenter ; voilà pourquoi rien n’est un obstacle pour moi, même mort, car pour les besoins de la cause de mes héritiers, on me fait revivre !
BERLINETTE. – Si le fantôme de Lamborghini revient aussi et te voit, il te forcera à des explications…
ENZO. – Il n’y a plus de péril pour moi : que ton œil me soit doux… et je serai à l’épreuve de son inimitié.
BERLINETTE. – Je ne voudrais pas, pour le monde entier, qu’il te visse ici.
ENZO. – J’ai le manteau des nuits pour me soustraire à sa vue. D’ailleurs, j’aime mieux ma vie finie par sa haine que ma mort différée sans l’amour de mes berlinettes en retour .
BERLINETTE. – Quel guide as-tu donc eu pour arriver jusqu’ici ?
ENZO. – L’amour des automobiles, mais surtout l’amour de l’argent…
BERLINETTE. – Qui des deux t’a suggéré de revenir ?
ENZO. – Un Dieu m’a prêté son esprit… et je lui ai prêté une ancienne Ferrari. Je ne suis plus un pilote ; mais, quand tu seras à la même distance que la vaste plage baignée par la mer la plus lointaine, je risquerais la traversée pour une denrée pareille.
BERLINETTE. – Tu sais que la joie est sur mon visage ; sans cela, tu verrais une virginale couleur colorer ma carrosserie. Ah ! je voudrais rester dans les convenances ; M’aimes-tu ? Je sais que tu vas dire oui… et je te croirai sur parole. Ne le jure pas : tu pourrais trahir ton serment : les parjures des amoureux font, dit-on, rire Jupiter.. Oh ! Enzo, si tu m’aimes, proclame-le loyalement… et si tu crois que je me laisse trop vite gagner, je serai cruelle… et je te dirai non, pour que tu me fasses la cour : autrement, rien au monde ne m’y déciderait… En vérité, je suis trop éprise… et tu pourrais croire ma conduite légère ; mais crois-moi, je me montrerai plus fidèle que celles qui savent mieux affecter ta réserve. J’aurais été plus réservée, il faut que je l’avoue, si tu n’avais pas surpris, à mon insu, l’aveu passionné de mon amour : pardonne-moi donc et n’impute pas à une légèreté d’amour cette faiblesse que tu as pu découvrir !
ENZO. – Berlinette 458 Italia Grand Am, je te le jure !.. Tu es l’amour profond de mon coeur..
BERLINETTE. – Ah ! ne jure pas ! Quoique tu fasses ma joie ! Voilà mon histoire : J’ai été conçue par Michelotto sur la base de ma soeur 458 GT3. Le circuit de Fiorano vient d’accueillir mes premiers tours de roues. J’ai été développée pour être inscrite dans les courses “Grand Am Series” nord-américaines. Tout a été trop brusque, trop imprévu, trop subit, trop semblable à l’éclair qui a cessé d’être avant qu’on ait pu dire : mais je brille !… J’ai été mûrie par l’haleine du printemps, je vais bientôt devenir une belle fleur. Puisse le repos, puisse le calme délicieux qui est dans mon sein, arriver à ton cœur !
ENZO. – Oh ! Vas-tu donc me laisser si peu satisfait ?
BERLINETTE. – Quelle satisfaction veux-tu obtenir ?
ENZO. – Le solennel échange de ton amour contre le mien.
BERLINETTE. – Mon amour ! Je te l’ai donné avant que tu l’aies demandé. Et pourtant je voudrais qu’il fût encore à donner.
ENZO. – Voudrais-tu me le retirer ? Et pour quelle raison, mon amour ?
BERLINETTE. – Rien que pour être généreuse et te le donner encore. Mais je désire un bonheur que j’ai déjà : ma libéralité est aussi illimitée que mes 500 chevaux qui répondent aux réglementations en cours aux Etats-Unis, et mon V8 offre un régime maximum de 8.000 tr/min ! Plus je te donne, plus il me reste… Attends un moment, je vais revenir !
ENZO. – ô céleste, céleste torpeur ! J’ai peur que tout ceci ne soit qu’un rêve, trop délicieusement flatteur pour être réel.
BERLINETTE. – Trois mots encore, cher Enzo ! Si l’intention de ton amour est honorable, fais-moi savoir… et alors je déposerai à tes pieds toutes mes destinées… et je te suivrai, Commendatore, jusqu’au bout du monde ! Avec mes performances hors normes, je reste aussi intimidante qu’au premier jour. Mon nom de baptême : 458 Italia…, fait référence à ma motorisation : un huit-cylindres de 4,5 l. Et, bien évidemment, à ma nationalité. Car je clame haut et fort ma latinité. Au contraire de ma sœur California, je loge toujours mon V8 en position centrale arrière que j’expose fièrement au regard des passants. Quant à ma ligne, n’est-elle une abondance de sexualité ?
ENZO. – Tu te montres plus agressive que jamais. Phares acérés ornés d’une rangée de diodes, profil ramassé, triple sortie d’échappement évoquant ma dernière création avant ma mort…, la mythique F40.
BERLINETTE. – Mais Pininfarina, le carrossier italien, a dû se plier aux lois de l’aérodynamique : bien que discrètes, mes prises d’air fleurissent un peu partout, à l’image de celles qui se cachent derrière mes vitres latérales. De plus, un double diffuseur très F1 a fait son apparition à l’arrière… et m’aide à générer un appui de 140 kg à 200 km/h. Pour ce faire, le différentiel actif E-Diff. des F430 et 599 a été reconduit, tandis que l’antipatinage F1-Trac. optimise ma motricité. Les freins en carbone-céramique complètent la panoplie guerrière… et mon poids à sec est limité à 1.380 kg, grâce à ma coque en aluminium. Quant à ma boîte robotisée, elle a cédé la place à une transmission à double embrayage et sept rapports Zerolift, celle de soeurette California, redoutable de rapidité et fournie de série.
ENZO. – C’est d’autant plus alléchant que ton V8 s’est vu offrir une cure de vitamines. Il est passé de 4,3 à 4,5 l, et a reçu une injection directe.
BERLINETTE. – Ma puissance fait un bond en avant, passant de 490 ch à 570 chevaux, obtenus au régime de 9000 tr/mn. Je m’offre ainsi un nouveau record de rendement pour un moteur atmosphérique (127 ch/l), et devance enfin mon ennemie jurée, la Lamborghini Gallardo, qui se contente de 560 chevaux. Même au chapitre des performances, c’est bien moi qui reprend l’ascendant, avec 3,4 secondes au 0 à 100 km/h, contre 3,7 secondes pour cette peste de Lamborghini Gallardo… et ma vitesse de pointe est de 325 km/h.
ENZO. – Quel bonheur ! Tu es digne de tes aînées. Sur le circuit de Fiorano, tu devancerai ainsi ma terrifiante Enzo, celle qui porte mon prénom, forte de 660 chevaux.
BERLINETTE. – J’y vais ! tout à l’heure ! Mais si tu as une amère-pensée, je te conjure de cesser tes instances.
ENZO. – Par le salut de mon âme…
BERLINETTE – Mille baisers !
ENZO. – L’amour court vers l’amour comme l’écolier hors de la classe ; mais il s’en éloigne avec l’air accablé de l’enfant qui rentre à l’école.
BERLINETTE. – Je suis enrouée et ne peut parler haut : sans quoi j’ébranlerais tout…, de même que toi… et ta voix aérienne serait bientôt plus enrouée que la mienne, tant je lui ferais répéter le nom de Ferrari !
ENZO. – C’est mon âme qui me rappelle par mon nom ! Quels sons à la voix de ma bien-aimée ! Quelle suave musique pour l’oreille attentive !
ACTE 4…
BERLINETTE. – Enzo !
ENZO. – Ma mie ?
BERLINETTE. – À quelle heure, demain, m’enverrai-je vers toi ?
ENZO. – Au plus tôt…
BERLINETTE. – Je n’y manquerai pas !
ENZO. – Laisse-moi rester ici jusqu’à ce que tu t’en souviennes.
BERLINETTE. – Je l’oublierai, pour que tu restes là toujours, me rappelant seulement combien j’aime ta compagnie.
ENZO. – Et je resterai là pour que tu l’oublies toujours, oubliant moi-même que ma demeure est ailleurs.
BERLINETTE. – Je voudrais que tu fusses parti, mais sans t’éloigner !
ENZO. – Je voudrais vivre encore !
BERLINETTE. – Je le voudrais aussi, mais je te tuerais à force de caresses. Si douce est la tristesse de nos adieux que je te dirais que tu es mon Commendatore…
ENZO. – Que la rage de vaincre soit dans ton cœur ! Je retourne dans ma tombe, pour implorer l’aide des dieux et leur conter mon bonheur.
BERLINETTE. – Tout homme qui sait écrire peut répondre à une lettre.
ENZO. – C’est à l’auteur de la lettre qu’il répondra : provocation pour provocation.
BERLINETTE. – Hélas ! pauvre Enzo ! tu es déjà mort : poignardé par l’œil noir d’une blanche donzelle, frappé à l’oreille par un chant d’amour, atteint au beau milieu du cœur par la flèche d’un aveugle journaleux ! Plutôt le prince des tigres que des chats. Oh gens qui me lisez…, Enzo se bat comme vous modulez un air en observant les temps, la mesure et les règles, allongeant piano, une, deux, trois… et il vous touche en pleine poitrine. C’est un pourfendeur de boutons de soie, un duelliste, un gentilhomme qui ferraille-ri pour la première cause venue.
GATSBY. – Oh ! la botte immortelle ! la riposte en tierce ! touché !
BERLINETTE. – Quoi donc ?
GATSBY. – Au diable ce merveilleux grotesque d’Enzo, avec son zézaiement, son affection et son nouvel accent ! Enzo ! la bonne lame ! le bel homme ! l’excellente putain ! Ah !, n’est-ce pas chose lamentable que nous soyons ainsi harcelés par ce colporteur de modes qui nous poursuit tant il est rigide dans sa nouvelle forme, qui ne sait plus s’asseoir à l’aise ? N’ayant plus que les os ! sec comme un hareng saur ! Oh ! pauvre chair quel triste il fait !…
ENZO. – Que voulez-vous dire me concernant ?
GATSBY. – Eh ! vous ne comprenez pas ? Vous avez fait une fugue en quittant la vie, une si belle fugue en entrant dans la mort !
ENZO. – Eh bien, ne vaut-il pas mieux rire ainsi que de geindre par amour ? Vous voilà sociable à présent, vous voilà revenu ; vous voilà ce que vous devez être, de par l’art et de par la nature ! Ca me change de l’époque ou vous me rendiez malade en publiant vos commentaires dans vos magazines Calandres et Chromes&Flammes !
GATSBY. – Vous n’êtes qu’un grand nigaud qui s’en est allé en tirant la langue, en cherchant un trou où fourrer sa… marotte.
BERLINETTE. – Arrêtez-vous là.
GATSBY. – Vous voulez donc que j’arrête cette histoire à contre-poil ?
BERLINETTE. – Je craignais qu’elle ne fût trop longue.
GATSBY. – Oh ! Vous vous trompez : elle allait être fort courte, car je suis à bout et je n’ai pas l’intention d’occuper la place plus longtemps.
ENZO. – Voilà qui est parfait… Je retourne dans ma tombe !