Alpine Story à Autoworld, Bruxelles.
Par Marcel PIROTTE
En février dernier, je m’étais réjoui du grand retour de la marque Alpine parmi les constructeurs automobiles.
Cette icône devrait en effet renaître en 2017…, attendue bien évidemment par tous les passionnés “au sang bleu” mais également par les amateurs de voitures de sport, légères et maniables.
Afin de nous faire patienter, le musée Autoworld à Bruxelles a eu l’excellente idée de proposer une exposition temporaire retraçant l’histoire d’Alpine à travers une bonne quarantaine de modèles tout à fait mythiques.
Une exposition qui se tient jusqu’au 4 septembre prochain.
Elle vaut le détour.
Quel destin que celui d’Alpine ou la lutte de David contre Goliath !
Au début des années cinquante, le plus jeune concessionnaire français de Renault avait pour nom Jean Rédélé, il était établi à Dieppe.
Bien vite, notre jeune homme diplômé de HEC est attiré par le sport automobile, plus particulièrement par les rallyes.
Et comme il connaît les Renault comme sa poche, il y voit un immense potentiel. Avec tout d’abord une 4 CV “gonflée” avec laquelle il se distingue dans des rallyes internationaux dont le fameux Liège-Rome-Liège pour ensuite développer en 1955 une certaine A 106 “Mille Miles” de 38 chevaux !
Un coupé du genre “coach” équipé du bloc quatre cylindres de la 4 CV qui porte la référence «1063» en porte-à-faux arrière mais gonflé à 38 chevaux, une boîte cinq vitesses adaptée entraîne bien évidement les roues postérieures.
Cette voiture très légère (elle ne pèse que 550 kg), se distingue par une carrosserie en résine et fibre de verre tout en empruntant le châssis ainsi que les trains roulants de la 4CV.
En pointe, elle atteint 155 km/h, un record pour l’époque. Du coup, Rédélé baptise sa marque du nom d’Alpine en référence à ses nombreux succès
dans les Alpes.
Elle ne va pas arrêter de grandir mais toujours avec des éléments Renault afin, selon son créateur, que l’entretien demeure «facile et abordable»…, mais avec une prédilection pour les voitures légères et maniables.
Après la série A 108 lancée en 1958 et qui comprend trois types carrosseries toutes équipées du bloc de la Dauphine Gordini, c’est au tour de la berlinette A 110 de faire son apparition lors de l’édition du salon de Paris en 1962.
Une petite révolution pour l’époque : 956 cm3, 51 chevaux, boîte quatre vitesses, châssis poutre, coque en polyester et fibre de verre, moins de 600 kg, 170 km/h en pointe.
Au fil des ans, la gamme va s’étoffer, les A 110 reçoivent des moteurs de plus en plus puissants, 1100, 1300 , 1500 , 1600 et même 1800 cm3, de 55 à 200 chevaux et même 250 chevaux en version turbo. Les résultats sur circuit dont le triomphe à l’indice de performance au Mans, mais également en rallyes (à l’actif de la berlinette A 110, le championnat d’Europe des constructeurs en 1971 mais également deux ans plus tard le titre de champion du monde), vont donner un sérieux coup d’accélérateur à la diffusion de cette marque dont l’assemblage est désormais assuré dans une toute nouvelle usine implantée à Dieppe.
Une époque bénie pour ces fameuses A 110 vendues à 1200 exemplaires en 1970…, mais les problèmes financiers vont commencer à s’accumuler.
En 1971, la nouvelle A 310 est dévoilée à Genève, elle ne fait pas un tabac.
Sous-motorisée, 140 chevaux, 825 kg, 46.000 Francs, très chère, trop chère, ce n’est pas non plus une «Porsche à la française».
Deux ans plus tard, Renault rachète 70 % de l’entreprise de Jean Rédélé pour 7 millions de nouveaux francs, la messe est dite.
Jean Rédélé devra se contenter d’un rôle de consultant, ce n’est pas du tout dans son caractère…
En 1977, l’A 110 tire sa révérence, 8.000 exemplaires ont été produits, l’A 310 quatre cylindres est aussi retirée du catalogue, elle sera remplacée par une version V6 de 150 chevaux, mais elle coûte encore plus cher : 77.000 francs de l’époque.
En 1978, Jean Rédélé quitte l’entreprise qu’il avait fondée, il ne s’en remettra jamais, car malgré d’innombrables succès comme les 24 Heures du Mans en 1978 et le lancement de modèles GT comme la GTA V6 turbo de 200 chevaux en 1985 et de l’A610 turbo de 250 chevaux en 1991, la marque Alpine est moribonde, seulement 30.000 voitures produites en l’espace de 40 ans.
Le rêve de créer une marque française de voitures de sport à l’image de Porsche n’a pu se concrétiser, l’usine de Dieppe ne fabrique plus des Alpine depuis 1995 mais bien des Renault Sport, des R5 turbo, le spider sport, des R5 Williams…
Jean Rédélé s’éteint en août 2007 à l’âge de 85 ans, rien ne le guérira d’avoir dû céder son enfant au groupe Renault qui pourtant le fera revivre en 2017…, soit dix ans plus tard …
Toute cette épopée, vous pouvez la revivre à Autoworld avec notamment la présence d’une bonne quarantaine de modèles mythiques.
Il y a bien évidemment toutes ces fameuses Alpine fabriquées dans l’usine de Dieppe, mais ce que l’on sait un peu moins, c’est que Jean Rédélé avait aussi songé à assembler des voitures à l’étranger dans des pays dont on était à cent lieues de penser que certains passionnés pourraient acquérir des modèles aussi mythiques que les Alpine.
Un business man avant l’heure, il avait en effet songé à vendre la licence de fabrication de ces voitures…, 15 % des Alpine seront fabriquées à l’étranger.
C’est le cas notamment en Espagne où les modèles A 108 et A 110 ont été assemblés de 1963 à 1978 par une filiale de la Régie Renault : FASA Renault à Valladolid, avec des moteurs un peu moins puissants, mais également des suspensions renforcées afin de faire face à la piètre qualité des routes espagnoles.
Ce sera surtout la production étrangère la plus élevée avec 1700 unités.
Au Brésil et par le soin de la firme américaine Willys Overland, on a produit exactement 822 modèles A 108, berlinette, coupé et cabrio sous le nom d’Interlagos, le circuit éponyme brésilien…, de quoi renflouer un rien les caisses de Jean Rédélé qui en avait bien besoin.
Elle fut considérée au Brésil comme une voiture sportive…nationale…, l’aventure s’est prolongée avec l’A110 à raison de 1500 unités.
Lors de l’annonce de la résurrection d’Alpine, deux entreprises italiennes ont aussitôt présenté en 2014 au salon de Bologne une interprétation néo-rétro de la célèbre Alpine A 108 mais baptisée pour la circonstance AW 108, Alpine- Willys.
Une triple renaissance où deux carrossiers italiens ont été sollicités dans l’aventure : Viotti, célèbre dans les années trente avant de fermer ses portes en 1964 ainsi que Maggiora qui reste dans le cœur des fanatiques italiens pour avoir fabriqué les derniers exemplaires de la Lancia Delta Integrale HF au début des années 90…, mais également le roadster Fiat Barchetta ainsi que le coupé Lancia Kappa avant de mettre la clef sous le paillasson en 2003.
Le projet de cette AW 108 fait long feu, il reposait en fait sur une base de Porsche Cayman tout en étant motorisé par un bloc turbo Porsche de 600 chevaux !
Le prix annoncé : 380.000 €, exorbitant, un seul exemplaire aurait été vendu…, c’est rès loin de la philosophie Alpine.
Mais le plus surprenant, ce sont des Alpine assemblées en Bulgarie sous le nom de Bulgaralpine berline.
Au milieu des années soixante, la Bulgarie veut également se doter d’une industrie automobile et se tourne tout naturellement vers les constructeurs d’Europe de l’Ouest.
C’est Renault qui remporte le contrat chargé d’assembler des R 8 et autres R 10…, mais à condition que ces voitures soient vendues exclusivement en Bulgarie.
Mais ça ne s’arrête pas là, les Bulgares voient grand et veulent également produire une sportive capable de tenir tête en rallyes aux Skoda de l’époque.
Tout naturellement, Jean Rédélé leur vend la licence de fabrication de l’A110 qui sera produite de 1966 à 1970, l’année où les ponts entre la Bulgarie, Renault et Alpine seront définitivement coupés.
Ces roublards de Bulgares vont prendre quelques libertés avec le contrat initial, exportant en toute illégalité des voitures vers la Yougoslavie, l’Autriche ainsi que certains pays du Moyen Orient.
Durant cette période, seulement 4.000 Renault 8 et 10 ont été assemblées dans ce pays de
l’Europe de l’Est si peu connu.
Quant aux Alpine bulgares, certains chiffres font état selon les sources de 70 à 200 exemplaires vendus mais bien difficiles à répertorier.
Autre pays exotique cette fois, le Mexique.
C’est grâce à la firme DINA (Diesel Nacional) que Jean Rédélé vend une nouvelle fois sa licence de fabrication de l’A110 où elle portera le nom de Dinalpin.
Cela se passe entre 1965 et 1974.
575 exemplaires seront assemblés, 508 berlinettes et 67 cabriolets.
Mais ce que j’ignorais et à fortiori le grand public, c’est qu’avant de se tourner vers le Brésil, Jean Rédélé avait eu l’idée de lorgner vers la Belgique.
A l’occasion du salon de Bruxelles en 1956, il rencontre l’industriel liégeois Gilles Smal qui trouve l’idée séduisante.
Ce partenaire va donc assembler entre 1957 et 1962 sous licence dans ses ateliers de Herstal une bonne cinquantaine de modèles A 106 et A 108.
Autant dire pas grand-chose.
Dommage que le projet ait tourné court, une Alpine Made in Belgium, ce n’était pas pour me déplaire…
Marcel PIROTTE