Fifties’Cadillac Eldorado…
Une nuit de la semaine dernière, la foudre et le tonnerre ont respectivement lacéré le ciel et grondé de manière imprévisible et violente, sans interruption pendant une heure ou deux…
Aussi, le matin, je ne fus pas tellement surpris en voyant les pompiers s’affairer dans une petite cour formée par l’encadrement de divers bâtiments…, j’ai cru que c’était pour une inondation.
Or la raison en était toute autre, c’était pour le décès d’une voisine, une jeune dame prénommée Brigitte, décédée vraisemblablement dans des douleurs épouvantables durant la nuit…
Je l’apercevais de temps à autre, l’après-midi, prendre un bol d’air et effectuer inexorablement une petite ronde locale, assise à coté d’une Punkette prénommée Jeanne, dans sa Cadillac Cabriolet bleue des fifties…
Brigitte vivait seule, elle venait de temps en temps me voir… et, sous prétexte de me parler de la Cadillac de sa gouine d’amie Jeanne, elle espérait que je lui prodigue des conseils sexuels…
Elle était bi et, de plus, le Bdsm ne la laissait pas indifférente…, elle s’était prise au jeu de l’auto-bondage et passait ses après-midi à se ficeler dans son appartement après s’être enfoncé un plug électrique dans l’anus et un gode électrique dans le vagin…
A force de venir papoter avec “sa” Jeanne, elle était tombée aussi sous le charme envoutant d’une troisième gouine, prénommée Stéphanie, qui l’avait entrainée dans quelques orgies ou elle l’avait contrainte à subir les foudres de la fée électricité, lui fixant un appareillage complexe destiné à décupler ses jouissances… et, Brigitte, perverse, revenait à chaque fois de ces séances, les yeux pétillants et le souffle court d’une femme ayant joui très longtemps…, ce qui rendait “sa” Jeanne folle de jalousie.
Un jour, il y a de cela plusieurs semaines, Brigitte s’était écroulée en larmes, confrontée à la méchanceté d’une employée de la Fnac qui venait de lui vendre un format de piles inadéquat pour son plug et son gode électrique…
Après que Brigitte s’en fut aperçue et soit retournée aussitôt à la Fnac, l’employée avait refusé de les lui échanger prétextant que le magasin allait fermer dans cinq minutes, qu’elle n’avait pas envie de refaire sa caisse et que si elle se trouvait encore derrière son comptoir c’est qu’elle avait deux trois bricoles à régler avant de partir en week-end…
Elle avait toutefois ajouté perfidement (sans nul doute grâce à son intuition féminine), qu’elle n’était pas habilitée à satisfaire les désirs sexuels des clientes, qu’il faudrait de fait repasser non pas demain parce que c’était fermé, mais lundi… et que d’ici là, elle n’avait qu’à utiliser ses doigts…
Brigitte toujours très polie, même devant tant de vitupération et d’inconséquence, avait obtempéré…, puis après avoir marché quelques mètres, à l’idée qu’elle allait être privée de son plug et de son gode électrique tout le week-end, elle s’était écroulée en sanglots…
Cette histoire me fut rapportée avec émotion par Stéphanie qui, revenant de la poste et passant sous le porche, la voyant en larmes, paniquée, “comme une âme abandonnée”, lui avait demandé si elle pouvait, de quelque manière que ce soit, lui être secourable…
Après que Brigitte lui eut racontée, en étouffant ses larmes, son histoire de piles, Stéphanie s’en alla d’un pas décidé à la Fnac arracher le bon format à la vendeuse éberluée qui haussait les épaules et soufflait comme un bœuf pour bien signifier qu’elle avait eu une journée fatigante, pensez vous un samedi…, et n’était pas à la merci du bon vouloir des clientes après l’heure de fermeture !
Quand Stéphanie eut rapporté triomphalement les bonnes piles à Brigitte, celle-ci dont les larmes de tristesse s’étaient changées en petites larmes de gratitude, rieuses, invita Stéphanie à prendre une tasse de thé dans son appartement…, plus si affinités…
Brigitte a raconté à Stéphanie combien elle était solitaire, par la force des choses, et pas très fortunée, pratiquement sans ressources à l’exception de son chômage et de ce minuscule appartement hérité de sa mère…, que son seul bonheur était de pouvoir se promener avec “sa” Jeanne dans “sa” Cadillac bleue…
Puis elle a proposé à Stéphanie de venir la visiter de temps en temps pour qu’elle puisse jouir de ses auto-bondages, d’y participer et de les perfectionner, ce que Stéphanie s’était empressée de faire, devenant la guide et la Maîtresse-infirmière de Brigitte.
Jeanne était également conviée à leurs séances électro-stimulantes, mais la timidité, la peur de déranger même des personnes qui adoreraient être dérangées par quelqu’un d’autre que le releveur de compteurs EDF… et la vie qui apporte à chacun son lot de tracas à surmonter et d’énigmes solubles ou insolubles à résoudre au quotidien…, ont fait que Jeanne n’a pu aller partager “ses loisirs” avec Stéphanie et Brigitte le soir de ce fameux orage…
J’ai su que Brigitte s’était, comme à son habitude, auto-bondagée après s’être enfoncé plug et gode en vibrations…, on n’a retrouvé d’elle que ses chaussures…, brûlées…, par jeu elle s’était attaché les tétons avec des pinces reliées à une chainette, elle-même attachée à un bout de fer qui pendouillait du plafond…, les pompiers m’ont dit que c’était le paratonnerre…, lorsque la foudre est tombée sur celui-ci, Brigitte est partie dans le sub-space…
Les 250.000 volts de l’éclair ont fait fondre les pinces, le gode et le plug…, on n’a jamais su ce que Stéphanie faisait à ce moment, on suppose qu’elle faisait un cunnilingus à Brigitte…, mais la salive est conductrice d’électricité…, aujourd’hui Stéphanie se trouve paralysée dans une section psychiatrique de l’hôpital des grands-brûlés de Nanterre et Jeanne a disparue.
Fragilisée, dégoutée de tout, Jeanne est venue me voir et m’a dit qu’elle voulait me revendre la Cadillac parce qu’elle lui rappelait trop Brigitte…, c’est vrai que le bleu électrique de la carrosserie était… électrisant !
Mais cette pensée, je l’ai gardée pour moi, jusqu’à ce que je l’écrive maintenant…, maintenant que je lui ai acheté cette Cadillac pour pas grand chose…, que le soleil revient… et qu’il rend déjà lointain la nuit d’orage de la semaine dernière.
J’ai aussi pensé à cette fille de la Fnac, qui n’y travaille plus depuis un bon bout de temps, mais qui doit exercer ailleurs sa mauvaise humeur à la fin des semaines difficiles…, c’est comme ça, que voulez-vous, il y a une vendeuse qui avait eu une journée exténuante et dont la cliente qu’elle venait d’envoyer sur les roses, a, elle, trouvé le repos quasi-éternel après avoir connu le sub-space, au milieu d’une nuit agitée.
Electrisant ?
Non ?
Bof !
Tout ça pour en arriver à vous chroniquer concernant cette électrisante Cadillac Eldorado…, série phare de la marque de prestige de la General Motors, qui bénéficiait en primeur, au cours des années cinquante, des innovations stylistiques parmi les plus audacieuses, avant que celles-ci ne soient généralisées à l’ensemble de la gamme Cadillac.
Maintenant que vous connaissez l’histoire sexuelle m’ayant amené à acquérir ce symbole des fifties, je peux vous en parler textuellement …
Lignée de grand luxe extrêmement coûteuse, l’Eldorado se distinguait du cabriolet “de base” (si l’on ose dire) de la série 62 par une centaine de kilos supplémentaires de chromes et d’équipements sophistiqués, certaines voitures étaient même équipées d’une capote à fermeture automatique munie de capteurs d’humidité…
Pour compenser cet excédent de poids, le V8 de l’Eldorado était doté, durant l’âge d’or de la lignée, d’un avantage de 20 à 25 chevaux sur le moteur de la série 62 (grâce à une alimentation plus généreuse).
Née en 1953, l’Eldorado fut, à partir de 1956, déclinée comme une mini-gamme à l’intérieur du catalogue Cadillac…, l’année suivante, une berline quatre portes sans montants (hardtop sedan) était lancée, dénommée “la Brougham”, une voiture très exclusive au luxe inégalé.
Baptisé Biarritz (un nom exotique et qui sonnait bien à l’oreille aux States), le cabriolet se vit adjoindre un coupé dénommé Séville…, cet âge d’or se prolongera jusqu’au début des années soixante, Brougham et Séville étant retirées en 1961.
Durant cette décennie “prodigieuse” deux phénomènes parallèles vont surgir, dont l’association va s’avérer hautement symbolique : la montée en puissance du moteur et l’ascension des ailerons du “show car” 1956 dans l’un des Motoramas chers à Harley Earl (de fines lames acérées et rapportées sur l’arrondi des ailes, comme des rasoirs plantés dans une pomme)…, le contraste par rapport aux autres automobiles était saisissant, mais l’effet esthétique discutable…
C’est en 1957, que les grands ailerons pointus vont remplacer, sur l’ensemble de la gamme Cadillac, les discrets appendices aéronautiques nés en 1948…, mais de 1955 à 1958, les Biarritz et Séville vont bénéficier (sic !) d’ailerons spécifiques, une manière ostentatoire et très américaine de distinguer l’élite du vulgum pecus…
Le V8 de 331 c.i. (5,4 litres), datant de 1949, développait 210 chevaux sur la première Eldorado… mais dès 1953, la course à la puissance verra chaque millésime apporter son supplément de chevaux…, 230 l’année suivante (1954), puis à 270 en 1955.
Grâce à deux carburateurs quadruple corps, vingt chevaux seront encore gagnés en 1957, alors que le nouveau châssis en X, équipant désormais tous les modèles, permettait, sans perdre en rigidité, de surbaisser les carrosseries, une préoccupation constante de Harley Earl.
C’est un modèle entièrement nouveau qui sera lancé en 1959…, la cylindrée du V8 passant à 390 c.i. (6,3 litres) par allongement de la course : 345 ch étant disponibles avec un couple de 60 mkg !
En cette année de tous les excès, Cadillac va surpasser toutes les marques d’outre-Atlantique, y compris au sein de la General Motors, où même les Buick et les Chevrolet, avec leurs immenses ailes d’oiseaux aux longs cours ne supportaient pas la comparaison en termes d’exubérance et d’agressivité…, gratifiée de toutes les hyperboles oratoires, la Cadillac 1959 et particulièrement l’Eldorado demeurent, à coup sûr, deux phénomènes dans l’histoire de l’automobile américaine…,, les goélands ne volent toutefois pas à la hauteur des jets…
A défaut de pouvoir être considérée comme un chef-d’œuvre esthétique, l’Eldorado a marqué l’apogée d’un style, celui de Harley Earl, mélange d’onirisme et de mégalomanie.
Facilement identifiable, elle apparaît maintenant comme un facile repère chronologique, reconnu même par les non-spécialistes…, elle est enfin, et peut-être surtout…, un symbole de puissance…, sa géométrie délirante témoignant de l’incroyable absence de complexe et de pudeur d’une Amérique triomphante.
Comment ne pas voir dans ces épées dressées vers le ciel les attributs arrogants d’un pays au faîte de sa puissance, comme un gigantesque bras d’honneur lancé au monde et singulièrement à l’Europe.
Car on ne saurait trop souligner que l’Eldorado, la voiture la plus folle de l’histoire américaine, représentait le sommet de gamme de la plus prestigieuse marque des Etats-Unis…, mais si le Vieux Continent se situait à des années-lumière de cette opulence, il cultivait aussi d’autres valeurs, celles de la discrétion et de la distinction, et un autre sens esthétique, aux antipodes du goût américain.
Au pays de l’oncle Sam, l’audace stylistique la plus débridée et la plus clinquante rime toujours avec luxe et prestige, l’Eldorado y est considérée comme une authentique pièce de musée, tandis qu’en Europe c’est une “voiture de cirque”…
Entendez par là que son usage en tant que véhicule de collection requiert une forte dose d’humour…, une approche au premier degré ne saurait être conseillée, sauf à tomber dans le ridicule…, mais j’assume…