Ford GT 2018…
J’étais ailleurs, loin, là-bas, je ne sais plus où, mais loin et chaud… très chaud, trop chaud… c’était à cent et mille et plus des limites aimées… la chiquita cheap cernait les heures sur le visage des hommes un matin de bordel, de guipures sales et d’embrocations, de nuisettes de satin synthétique et de ronflements de péons repus…, en face, l’ombre d’un Men, relation publique d’une multi nationale automobile prêchait le silence sur un mur de soleil pour pouvoir débiter sa science à la gloire de ses bagnoles… en vain…
Quand soudain est tombé le bras d’un christ de plâtre… il n’aurait pas du comme prêchi-prêcher devant une église pour faire l’éloge de la société des autos consommables dans l’air du temps qui passe… son discours ne signifiait rien, il me fallait partir, dans le grand fracas des bruits, tandis que sonnait une cloche fêlée… j’avais perdu mes rêves… je me suis levé et j’ai dit : “Je ne fuis pas je quitte, no way back, plus de veau gras plus d’essai de vos autos, plus de PC gratuit, de stylos en or, de voyages gratuits et de tamourés lascifs avec des putes payées pour me faire croire que je suis important, mon nom disparaîtra du registre de mes rêves, nul ne me reconnaîtra plus, je laisse là mon nom et pars sans sans amour, seul… mais j’emporte la GT”...
Je n’ai rien ajouté, j’ai pris la Ford GT dont j’aimais la couleur jaune et le moteur glou-glou-tant… quelqu’un a hurlé, j’ai accéléré… j’avais envie de routes, d’étapes et de détours… je cherchais la quintessence du néant, c’est ce que je me suis dit… ça prendrait du temps… j’avais tout le temps… le bras du christ pouvait bien saigner maintenant…
Mais je cause, je cause, je cause en écrits et vous êtes sur le point de ne plus lire, impatient que je daigne vous en raconter sur cette Ford GT… quoi vous en dire d’autre qu’elle distille des sensations… sans compromis, comme une voiture de course homologuée pour la route… c’est à dire qu’elle ne sert pas à grand chose d’utile… voilà un critère qui n’est guère habituel… au moment de m’inviter à essayer la GT, le service presse de Ford m’avait demandé ma taille… 1m90 et 100kg… “Impossible, l’habitacle de notre supercar ne peut accueillir les grands. Cette contrainte découle directement de l’histoire de la conception de la GT, modèle avant tout destiné à la compétition”.
On m’a dit que la Ford GT était née de la volonté de fêter le cinquantenaire de sa première victoire aux 24 heures du Mans, en 1966… et que pour cela, le “Project Silver” avait été mis en route…, mais étant donné les coûts pharaoniques que nécessitait le développement d’un prototype de catégorie LMP1 capable de s’imposer au classement général, Ford avait choisi plus raisonnablement de viser une victoire en catégorie GT… la base de travail choisie était dès-lors la Mustang, avec un argument marketing indéniable : l’année anniversaire 2016 correspondait également à la commercialisation dans le monde entier de la dernière génération de la fameuse “Pony Car”.
J’ai pensé “Fuck”…, mais je n’ai rien ajouté, sauf peut-être que je n’en avais rien à f… avant, j’avais cauchemardé le rêve des autres hommes, une maison cossue, mon nom sur le porche et les murs chaulés deux fois l’an… j’y aurais bu des verres de Batida de coco, de tequila ou de kir…, un patio pour un peu de fraîcheur… pour me servir, une veuve à mantille en souvenir d’une Madrilène…”Calla te, Niña“.
La veuve au manteau d’araignée, duègne idéale, m’aurait regardé sans mot dire, qui sait si elle m’aurait fait jouir, puis m’aurait huché au hamac, ivre et fier, aveugle devant ma face… et la promesse de ma mort… mais le bras du christ est tombé, cassant net l’ambiance de la présentation du bestiau jaune, la Ford GT que j’ai piquée pour partir… il a saigné sur le bois de l’autel, le bras… sans la moindre signification… ce bras n’indiquait plus rien, il me fallait partir : je me suis alors levé et j’ai dit : “Je ne fuis pas je quitte“, d’un seul souffle…
On m’a dit en réponse que je devais savoir… que le projet avait alors pris du plomb dans l’aile en cause du handicap aérodynamique de la Mustang, particulièrement pénalisant sur un circuit rapide comme celui du Mans… pour m’en convaincre, alors que je m’en f… totalement, un certain Jamal Hameedi se présentant à mes yeux héberlués comme étant l’ingénieur en chef de Ford Performance, m’a montré la silhouette d’une Mustang vue de face, superposée à celle d’une Ferrari 458 Italia, qui faisait alors figure d’épouvantail en catégorie GT… “Regardez bien ce dessin, il est manifeste que la hauteur de pavillon et la largeur du pare-brise pénalisent la surface frontale. Tout aussi gênante est la hauteur du capot : celui de la 458 qui a servi de référence au début de la conception, débute au bas de la calandre de la Mustang. Rendre la Mustang compétitive aurait été bien trop cher et difficile ; le “Project Silver” est donc passé à la trappe”…
J’ai rétorqué : “Piting…, doit-on regretter le “Project Silver” ? Sûrement pas, vu la suite des événements”…, Ford avait donc décidé de prendre le taureau par les cornes en planchant sur une véritable voiture de course, la surface frontale étant le point noir de la Mustang, un des premiers points spécifié dans le cahier des charges…, les deux sièges ont donc été placés le plus bas possible, très proches l’un de l’autre…, extrêmement basse la pute…(1,11 m avec la suspension en position haute et 1,06 m en mode “Track”), elle a ainsi renversé la situation à son avantage, désormais, ce furent les Ferrari 458 Italia et McLaren 675 LT qui avaient servi de référence dans les derniers mois de développement, qui présentaient un handicap face à Ford !
En fait, allez savoir ou se niche la vérité et la réalité dans l’amoncellement d’immondices déversées sur les journaleux de sévices qui n’y comprennent rien… et le nommé Jamal Hameedi d’ajouter sans rire : “Nous le disions donc, cette conception imposait quelques sacrifices. Quasi identique à la version de compétition, la Ford GT de route réclamait quelques contorsions pour accéder à bord”.
En fait, la porte en élytre fait plier l’échine des valeureux intrépides, au moment où il leur faut enjamber le large seuil… reste qu’on a connu pire : il est possible de s’installer et de ressortir de l’auto en conservant sa dignité… et, étonnamment, on ne se sent pas enfermé dans un sous-marin une fois installé à bord, mais dans un bathyscaphe : le pare-brise est large, la planche de bord, posée directement sur le châssis en carbone est assez loin des passagers pour éliminer toute sensation de confinement, tout est loin et près en même temps.
J’ai claqué là… et je suis parti avec la GT… j’ai voyagé longtemps…, loin, très loin, trop loin, si loin… j’ai connu trop d’étapes… on a voulu me reprendre la GT, j’étais trop rapide, j’ai doublé des voitures, des motos, un âne, des chevaux… j’ai traversé des contrées sans filles, bordées d’eau bruissant de laminaires dont les langues douces faisaient monter le plaisir… mais déjà loin des frontières connues, rien pour me dire si un quelconque but était proche, si mon plaisir procédait d’intuition… ensuite je me suis reposé dans un garage abandonné, près de carcasses d’autres autos, sans doute qu’elles papotaient durant mon sommeil avec la GT… et j’ai continué…
Des Apaches aux longs foulards de soie se sont ri à m’entendre raconter mes aventures… j’étais le fou qui cherchait le sel et le sel était rare par les mesas brûlées dont eux seuls découvraient les ombres secrètes, les herbes cachées… ils riaient en disant : “Il est assez divin pour aller se noyer !” !
J’étais plus près de l’Esprit que le Contraire, mais encore loin de tout… et ils disparaissaient après m’avoir donné de l’alcool et des champignons… “continue !”, me disaient les nuages dont les figures coulaient comme fleurs d’eau sous le givre… “continue !”, poussière dans un vent de poussière sale entre deux rues désertes, j’ai continué, “go on, go west, go anywhere but go”, c’était une seule parole par toutes les contrées, “anywhere far from this hell, please leave and tell what you have seen and what we have become, please go and tell”.
J’ai promis et j’ai continué, sans autres détours que ceux du chemin, j’étais sans être, me retrouvant à sourire à des serveuses blondes, à leurs seins pendouillant qui ne me disaient rien, dans des chambres louées cher pour une demi-heure de draps douteux et d’eau de violette, ne sachant rien de ma dérive, ni de l’orée.
Je demandais à la fantaisie des lits visités quelque amer au cercle noir d’où j’aurais pu pointer le lointain…, je savais le ciel sans étoiles, et les étoiles nues dans le gouffre de ma mémoire, sans nom, sans être ni figure, sans naissance…, j’aimais les parcours sans espoir, sans omettre d’espérer de mes pas et ma voix n’était que questions aux compagnes d’un soir, les lentes femmes aux gestes sûrs les matins blancs, les mains tendres sur ma peau comme à l’offre du café, toujours un peu brûlé…, leur douceur sans tristesse ne liait rien en moi, leurs lèvres n’attachaient pas, leurs langues n’étaient qu’adieux sans regrets ni désirs…, leurs yeux attendaient déjà le prochain voyageur, déjà j’étais un souvenir et mes rêves vains leur revenaient comme un sourire.
Les métisses dont les songes sont brassés me demandaient de leur écrire l’issue de mon histoire… je promettais, ne m’engageant à rien… je les quittais à l’aube et leurs enfants pouilleux m’indiquaient un chemin avant d’aller creuser des galeries de mines dans les veines argentifères.
Ils ne trouvaient rien qui puisse leur appartenir, et poitrinaires ils mouraient à dix ans plus vieux qu’on ne saurait être, poussiéreux pour toujours, avec des rêves de poneys enfouis en eux… je le savais, j’avais eu les mêmes… rien ne m’arrêtait, ni la carte de Golconde, ni l’œil des vieux qui murmuraient au passage de ma monture jaune, en fatigue, ni les crachats sur mon blason aux trois gemmes sodées sur ciel ultramarin, qui gondolaient le carton et brouillaient le dessin.
Parfois une putain tiède parlait de sexe, sifflant des mots mous comme des bouts de viande, m’insultant et m’encourageant ensemble : “Va“, disait-elle, “venge-moi des salauds, va me tuer un peu plus, les baisers de bâtards me combleront d’urticaire”…
Je devenais fou, je l’étais déjà…, sauf que j’étais mort et, même temps, vivant… mes mains n’étaient qu’ampoules et mes joues crevasses… j’étais monde même au monde, de douleur, de souffrances… et mon seul onguent résonnait d’échos pleins… alors je repartais, dépliant ma vieille carcasse, ne pensant plus que par éclipses, désormais si abîmé que je n’attirais plus les voleurs, et que les filles ne croyaient pas que je puisse les payer… j’ai tué des renards et des ours, j’ai vendu des fourrures et des esclaves, j’ai joué aux dés j’ai tout perdu, j’ai tué les joueurs mais pas retrouvé mon or… et je suis reparti… il y avait des vergers dans les déserts, des faux édens tracés comme au compas autour des rampes d’irrigation… je survivais et dieu ne m’était rien… Moïse sans magie, je le méprisais face à face, lui disant que rien, même lui, surtout lui, n’était important… j’ai laissé ses anges aux duvets d’éphèbes nordiques louanger leur seigneur rogue et brandir leurs anathèmes aux cuivres pâles sur mes pas… d’aucun monde, pas même de celui que ma quête essayait de tracer, ils pouvaient disparaître, comme s’évanouissent les ombres au crépuscule, et leur dieu continuer de mourir en leur compagnie d’ectoplasmes… il faut désespérer des illusions sans beauté.
Vous êtes toujours là à me lire, vous faut-il en connaître encore plus sur cette GT… que vous importe vraiment de savoir qu’un appui du doigt sur le bouton rouge de la console centrale réveille le V6 EcoBoost biturbo de 647 chevaux, qui reprend un nouveau bloc également utilisé par le pick-up F-150…?
Ouaissss les petiots, c’est pas un V8 glougloutant qui anime ce bestiau… mais bof… c’est la vie… ce V6 s’ébroue bruyamment, d’autant plus qu’il se situe juste derrière le dos, la compacité de ce moteur, presque deux fois plus petit que le V8 de la précédente GT, est un élément clé de la conception de l’auto…, c’est ce facteur qui a permis de réduire la largeur de la partie centrale de la carrosserie…, l’aérodynamique en bénéficie, grâce aux deux pontons séparés des ailes arrière ce qui a permis d’échancrer la queue de l’auto et, partant, de diminuer la traînée…
Waouwww, le pied…, par ailleurs, le V6 a vu tous ses périphériques renvoyés sur la face arrière, pour pouvoir l’avancer au maximum vers le centre de l’auto et en réduire l’inertie polaire, cette architecture très avancée a interdit de recourir à un moteur porteur… voilà… je tourne du pouce la molette du volant pour me placer en mode “Track”…, brutalement, la voiture descend de 5 cm…, ambiance course garantie…
Voilà qui rappelle l’auto engagée au Mans, lorsqu’elle rentre ses vérins de levage avant de sortir des stands… dans ce mode, les ressorts métalliques hélicoïdaux sont totalement comprimés et seules les biellettes qui font le lien avec le triangle de suspension supérieur font office de ressorts, en travaillant en torsion… ainsi, la raideur des ressorts diffèrent selon les modes, alors que la majorité des suspensions actives ne jouent que sur la constante d’amortissement… cette dernière peut d’ailleurs varier en continu sur les amortisseurs eDSSV fournis par Multimatic…
Le temps passe, je fatigue de vous écrire, l’heure est venue d’en finir… j’en ai marre… il me reste un peu d’énergie pour vous dire que la boîte à double embrayage, une Getrag à sept rapports, les égrène sans à-coups et il m’était donc facile de doser le freinage, malgré les disques en carbone-céramique… voilà…, il est temps de laisser parler la poudre.
Je cherchais l’infini… je ne l’imaginais pas… je le savais lointain, j’attendais des amours médusées dont les saillies brûlantes me seraient plus nécessaires que le plaisir, par légions… assoiffé, je rêvais d’écraser bigots et bigotes aux chapelets d’ivoire, à chaque passage de canine entre leurs doigts parcheminés, avant l’incisive je-vous-salue-marie et la molaire notre-père, que la peau nicotinée des doigts astiquait… mécanique, de ce geste échappé d’une autre ère, d’avant la mort de ces gens qui se croyaient vivants alors qu’ils puaient la charogne.
Les corsages noirs des vieilles, deuil de leur deuil, se secouaient avec mépris à mon passage, dispersant au vent des cendres de mauvais cigare, elles crachaient en mâcheuses de chiques de longs jets marrons de salive qui retombaient entre leurs jambes… le sable immédiatement, redevenait blanc comme leur rage à me maudire… elles en appelaient au peuple, à la race, au clan, à tous les saints qui dorment par leurs cimetières, sans réveiller grand monde… je ne faisais pourtant que passer, laissant parfois un bâtard à leur fille, et/ou une balle dans le ventre des fils arrogants.
Je rêvais de brûler les étapes… j’ai beaucoup brûlé de bois au bivouac, quelques cervelles aussi, par nécessité plus que par conviction… mais aucun détour ne me fut épargné, ni aucune épreuve… qu’on lise si l’on veut mes traits scarifiés qui attestent que je n’ai jamais fui ni dévié, quand bien même mon errance pouvait le justifier… j’ai crié sous les brandons, mordu ma ceinture quand le poinçon m’a percé l’arcade… mes pas n’ont pas tremblé lorsque j’ai voulu savoir si la souffrance ressemblait au chemin, j’ai même aimé sentir les flèches de Géronimo éprouver ma folie : je croyais qu’elles m’indiquaient une voie dérobée, mais elles restaient indéchiffrables… mes dents sont tombées une à une dans mon cauchemar, mes cheveux par touffes… je suis devenu presque aveugle au monde et sourd aux supplications des cons et connes que je tirais au jugé, sans même me repérer aux bruits, je n’ai jamais bien entendu de trop me masturber l’esprit, le reste aussi, d’ennui d’envies…
A la moindre pression du pied droit, le V6 faisait bondir la GT… une réponse linéaire avec montée en régime immédiate, comme sur un moteur atmosphérique… voilà qui était à mettre au crédit du système anti-lag, qui conserve le papillon des gaz ouvert en permanence pour maintenir la rotation des turbos et diminuer leur temps de réponse… à la moindre sortie de virage, la réaction était fulgurante quel que soit le régime… un régal… les bielles et pistons spécifiques permettant de résister à ce rythme, que l’on ne peut tenir qu’un quart d’heure avant de tomber en panne d’essence…, le réservoir ne contenant que 58 litres…
Plus encore que les performances explosives, que je présageais à la lecture de la fiche technique (0 à 100 km/h en 3 secondes et vitesse de pointe de 347 km/h), c’est le comportement routier qui m’a impressionné… les virages s’enchaînant sans délai ni inertie, grâce à la direction ultra précise délivrant un retour d’information parfaitement détaillé grâce à son assistance hydraulique…
Sans compromis, la Ford GT sacrifie toutefois les aspects pratiques, avec un coffre réduit à… 11 litres… même la GT40 MkII de 1966 engagée en compétition offrait plus d’espace de chargement… le règlement de l’ACO imposait en effet à l’époque de pouvoir emporter deux valises… Ford avait alors décidé de placer deux boîtes en aluminium…, à proximité directes des échappements brûlants !
Ceux qui voudraient maintenant craquer pour la Ford GT ne pourront simplement pas se l’offrir… pas parce qu’elle se négocie 500.000 €, soit le double d’une McLaren 720S, sa concurrente directe… mais plus prosaïquement parce que les 1.000 exemplaires prévus sont déjà tous vendus… la principale limitation provient de chez Multimatic, le fournisseur canadien qui fabrique le châssis en fibre de carbone… il ne peut en effet en produire que 250 par an… et, si l’on en croit Jamal Hameedi, il ne serait pas intéressant d’ouvrir une deuxième ligne chez un autre spécialiste du carbone… il a dit : “Lorsque nous avons ouvert les commandes de la première série de 500 voitures, nous avons reçu 700 demandes sérieuses. Nous avons des objectifs en termes de rentabilité avec cette voiture. Il n’est pas aussi facile pour un constructeur généraliste comme Ford de vendre des supercars. Pour autant, notre précédente GT n’a pas perdu de valeur depuis son lancement, contrairement aux McLaren-Mercedes SLR et Ferrari 360 Modena contemporaines. Nous avons la volonté de maintenir la valeur de cette nouvelle GT…”
Dans mes cauchemars, je ne me lève plus qu’avec peine et l’on ne me craint plus quand j’entre en ville frapper au bureau de l’aide sociale pour avoir de quoi me payer une Ford GT… il y a là une jeune femme très propre qui se force à me sourire, qui m’appelle “señor”, et soupire en regardant mon dossier… elle remplit pour moi les papiers nécessaires pour l’allocation logement et le remboursement de mon râtelier… bientôt, j’aurai des nouvelles lunettes…, j’ai déjà un bon pour entrer aux bains municipaux…, on ne me veut que du bien…, on fait comme si tout allait bien, était normal.
Moi aussi…, très poli avec la dame, je lui souris avec mes dents neuves qui sentent bon le spray riclès… moi aussi je fais semblant… j’attends que l’aide sociale me répare, pour repartir… quand je me réveille, la GT jaune est toujours là, et je la remet en marche, et on repart au loin… c’est que je cherche toujours un but à l’inexistence… c’est si loin, avant que je meure ou que je m’endorme, ou qu’on me tue, je ne sais, je ne sais plus, je dors, je cauchemarde, je crie et personne ne répond sauf l’écho qui ricane…
Vous, oui vous qui lisez ceci, peut-être… en ces jours, m’imaginant piloter des engins dantesques, entre deux instants d’éternité où j’agonise d’avoir trop cherché un sens aux non-sens… d’avoir trop crié “morts aux cons”, des glapissements étranglés qui rappellent l’ours pris au piège… ces bruits-là, ce n’est pas moi, ce n’est déjà plus moi, plus celui qui fut moi avant d’être personne, ce n’est plus que ma souffrance, que la durée de ma souffrance qui m’a tout brûlé, jusqu’à la force de crier.
Au-delà, il semble que la nuit soit toujours en avance, le crépuscule toujours prématuré…, ni dedans — la mort vous ne pouvez la partager — ni dehors — tant vous désemparent l’évanouissement de la perspective, la disparition de l’horizon dans le chien et loup…, l’avenir, comme un lavis m’échappe par dilution, à mesure que s’effacent les massifs d’alentour…, désespoir de l’amante, désespoir des autres, les mois des seuls jours de fêtes, le panache des inutilités, tout ça revient…, ça revient toujours ces images-là qu’on n’aurait pas crues si nettes au moment de les vivre, dans ma tête c’était un jour de soleil et de cygnes, de canards en queue-leu-leu, un jour parfait dont les reflets se sont prolongés sur les jours suivants, à la façon du bonheur.
Plénitude telle que rien ne vous affecte plus que ça, “oh !” vous y êtes allé…, bien sûr, devoir, toujours, sans doute aussi par tendresse, mais vous l’avez mis entre parenthèses, un petit chagrin bien clos, sans conséquence, vous lui deviez bien ça, c’était lui…, vous en avez peut-être un peu honte, de ce temps-là où vous aimiez, ce temps de gêne, de fêtes., reviennent les jours, pluie de percale, boue…, litanie des instantanés de l’amour, où gisent tour à tour les temps de l’existence, enfin….
Des années à aimer, mais aussi à craindre, guetter les marbrures sur les visages aimés… ces mois d’années ne se ressentent pas… et même s’il m’avait semblé alors que disparaissait cette fatalité-là, des ombres des regards, du manteau d’angoisse dont est vêtue la forme noire qui chevauche l’homme terrorisé par les nuits… et me voici mourant de cauchemarder à mon tour que résigné vous figurez tel quel, dans le confinement aux odeurs de drap tiède, de fièvre et de médications superflues… vous vieillissez ?
Je m’émacie…, la fatalité me rattrape… déjà, elle s’est emparée de mon corps, l’a creusé d’ombres, en m’arrachant des cris, des gémissements, des soupirs rauques…, la lumière triture mes reliefs, cave mes fossettes, évide mes arcades, ravine mes joues, fouille jusqu’au tempes…, et mon visage, le cimetière…, je suis comme un forcené, entre lit et fenêtre, aveugle à la pluie, aveugle à la neige, au brouillard embu des matinées d’hiver…, hier cependant, quand tout s’est réconcilié dans la transparence de mon esprit embrouillé, j’ai scruté l’horizon, puis de nouveau les lointains, la limite entre ciel et terre — intuition d’un miroir parfait — enfin le fond encore, invisible, hors d’atteinte…, là nos ruptures et nos retrouvailles…, vous êtes là ?
Vous m’assistez, vous réinstallez les coussins sous ma tête, tout en me regardant mourir, les jours s’arrêtent ici, entre fenêtre et lit…, peine perdue, j’ai la main sur la poitrine, comme en déréliction…, vous êtes-vous rendu compte de la cruauté des choses ?
Assurément, c’est une vanité que vous avez composée, avec les accessoires d’usage, dont la montre du compte à rebours… vous avez renoncé depuis aux allégories, aux colifichets symboliques, à tout ce qui fonderait un sens au-delà de ce corps qui souffre…, vous vous déprenez de tout, des courbes, des verticales, à tel point que les couleurs grincent en vos yeux aveuglés, vert olive, gris, sienne, beiges et noirs incisent les aplats blancs des draps que quiconque n’aurait plus la force de tourmenter…, croyez-vous à ce point que je me désincarne autour d’un râle sec, sans salive, sans voix ?.
Vous vous posez des questions me concernant ?
Se hâterait-il ?
Gribouillerait-il ?
Bifurquerait-il ?
Hésiterait-il ?
Se déciderait-il dans le même mouvement du poignet qui l’assourdit, paraissant vouloir prendre la mort de vitesse, au moins la saisir, follement, à s’en calciner, s’éloignant toujours davantage ?
L’agonie surviendrait alors,comme un apaisement dont on ne sait s’il est le vôtre ou le mien… vous croyez fuir…, or vous me retrouvez qui vit dehors, vous retrouvez alors mes lignes de mots… je ne gîs pas, je vis, dedans comme dehors, et gagne l’étendue d’horizontales successives, rouges, bleues, jaunes, de ce jaune doré des dernières lueurs.
Moi aussi je fais semblant…, j’attends que l’aide sociale me répare, pour repartir… et la GT jaune ? hurlez-vous en voyant la fin du texte que vous ne lisez pas, arriver quand même ?
Pffffffff elle roule, elle est jaune et va vite… quoi vous en dire d’autre que vous ne connaissiez déjà de l’avoir trop vue en papier glacé et en écran d’image de votre ordinateur… éteignez-le avant qu’il vous éteigne, vous fasse écrire des bêtises et autres conneries qui ne vous avancent à rien, de toute façon, avant que vous ne compreniez vous aurez vu les années passées, des dizaines et dizaines et au moment de dire :”Putain, le vieux avait raison, la vie ce n’est qu’une merde moisie“, et paf… alors je serais mort…
Vous restera un vague souvenir…
Mais lequel ?
Aujourd’hui, Ford affirme gagner de l’argent avec la GT, qui n’a donc pas pour unique vocation de faire rejaillir l’image de la marque à l’Américaine… mais ce calcul ne prend pas en compte le programme de compétition… et on ignore quelle part du développement entre dans la balance de ce dernier… il n’empêche que le pragmatisme de Ford, jusque dans un modèle aussi extraordinaire impressionne d’autant plus qu’il n’a pas sacrifié le côté passionnel de l’auto… il semble donc que le pari soit réussi sur tous les plans… mais ça, on s’en f… totalement…