Ford GT40 Roadster #GT/108, à la frontière des interdits…
Qui donc a eu l’idée de présenter une rare Ford GT40 Roadster, ici…, dans un lieu de fin du monde, le genre d’endroit qu’on cauchemarde sans plus savoir se réveiller ?
Il règne ici une chaleur moite… et j’ai l’esprit vidé…, la route vient de rien et ne mène nulle part…, d’un coté le vide du néant, infini, de l’autre rien que le désert…, je suis quelque part, à l’extrême de tout, à la frontière des interdits…, un point précis sur la carte des illusions perdues.
Nombreux sont ceux qui franchissent chaque jour les interdits, les besoins d’émotions ont toujours été plus fort que les peurs, que les errances de l’esprit qui peuplent une zone intermédiaire survolée par des fantômes et parcourue continuellement par des harpies.
Du coté vide : l’infini du désert que d’autres outlaws parcourent en quête d’absolu…, au milieu supposé du coté plein…, sans que je sache s’il l’est : l’improbable…, car, ici, c’est-à-dire en ce lieu de perdition, il n’y a que du sable…
Il n’y a pas même de mur lépreux sur lequel on aurait peint des centaines de millions de têtes de mort et les noms de ceux et celles qui se sont réveillés en franchissant le cordon prophylactique avec lequel le monde de la raison essaie de se défendre, sans pitié et sans succès…, il n’y a que de l’infection venant du monde des déraisons…
Les choses s’éclaircissent tout à coup, nul besoin, là, d’un long raisonnement pour comprendre pourquoi tant de gens sont dévorés par des passions inutiles et trouvent sans difficulté les arguments pour continuer à fantasmer.
Je suis arrivé ici sans savoir ou j’allais après avoir survolé l’immensité de la bêtise inhumaine, j’ai pensé tout d’un coup et sans aucune raison que c’était un bon endroit pour vivre et un bon endroit pour mourir…, un vrai paradoxe…
Dans cet endroit oublié par la réalité, par les bars, par les tavernes, par les maisons closes, par les restaurants infâmes, par les hôtels borgnes et ou les casinos ne pullullent pas…, c’est le désert de la mer de sable des angoisses, un lieu désespéré où se rejoignent tous les désespérés, attirés par l’espoir souvent illusoire d’atteindre le paradis qui attend de l’autre côté.
Ce voyage est offert par une société de ventes aux enchères qui présente à divers journalistes triés sur le volet, une Ford GT40 Roadster… et, en attente de franchir la limite de la réalité et des rêves mécaniques, ces outlaws d’une heure tournent et retournent dans l’infini du vide, sur le sable qui efface toutes trace des existences passée…
N’y trainent que des centaines de pseudonymes de toutes les couleurs, de toutes les nationalités et de tous les genres, qui s’y sont offert, eux… pour un prix facilement négociable à la baisse…, les merdias dépriment, les journaleux sont au rabais…
Avec un peu d’imagination on voit des créatures lascives qui semblent sorties de l’Averne danser aux rythmes de musiques syncopées…, le danger est palpable dans l’air, comme si à n’importe quel moment et sous n’importe quel prétexte, un coup de coude involontaire, un regard trop appuyé, un simple faux pas, l’illusion pouvait voler en éclats et les danseuses se transformer en guerrières folles de rage baignées du sang des égorgés dans la lueur mortelle des couteaux.
Sans m’en rendre compte, je passe de l’appréhension à l’euphorie…, maintenant je sais…, je sais que le monde des illusions perdues est un endroit énorme, quadrangulaire, avec un grand bar sur la droite, une piste de danse au centre et des divans rouges moelleux dans tous les coins…
Pas plus qu’un de ces bordels peuplés de créatures aux seins pendouillant ou un tôlier fou hurle : “Alors bois, espèce de salopard maintenant que tu sais que le monde n’est qu’illusions perdues”…, tandis qu’une voix d’outre-tombe, une voix râpeuse, murmure de concert : “Jouis avant de disparaitre dans un réveil cauchemardesque”…
Pitinggggg, c’est l’endroit où les tordus de la mécanique voudraient vivre et mourir au milieu de prostituées, d’escrocs, d’assassins et truands qui les accueilleraient en riant au paradis des illusions perdues… en poussant un grand cri unanime tout en se sentant d’un seul coup les hommes les plus respectés de la terre, inconscients d’être arrivé enfin si bas…
Si bas…, à l’endroit où ils ont toujours voulu être parce qu’ils l’ont toujours cherché : un paradis infernal, un miroir où personne n’ose se regarder, parce que ceux qui s’y reflètent sont monstrueux… ce n’est qu’un impossible miroir de sang avec lequel ils ne sont pas unis par l’amour mais par l’épouvante… et que ce doit être pour cela qu’ils l’aiment tant.
Je pense aux milliers de désespérés qui n’ont pas réussi et sont enterrés au milieu de nulle part et à ceux qui essaieront de le traverser et y arriveront peut-être, ou peut-être pas… en ayant en tête “LE” sujet de leur prochain article, titré à l’unisson : “Une Ford GT40 en vente, ce n’est pas ce que l’on peut appeler du sensationnel. Mais une GT40 Roadster, qui plus est la seule encore dans sa condition d’origine, c’est déjà bien plus intéressant. Et encore plus au vu du riche passé du véhicule”.
L’entreprise Girardo & Co prend du galon comme de la bouteille (en double sens), Max s’est spécialisé dans la pré-vente de bolides rares et prestigieux…, ainsi, à son catalogue actuel, on compte une Rover 3500 SD1 Group 2 de 1981 (sic !), une Ferrari 365 GTB4 de 1970 (bof !), ou encore une Ferrari 512S de 1970 ayant tourné dans le film Le Mans (d’ailleurs déjà vendue)…
Mais cette société fondée par cet ancien de Bonhams et RM Sotheby’s, a actuellement un autre trésor en stock : un Roadster Ford GT40 de 1965… et plus précisément le premier d’une série de douze prototypes au(x) numéro(s) de châssis spécifique(s)…
Au total, Ford n’aurait construit en tout et pour tout que six Roadster, dont quatre sur châssis acier comme l’exemplaire proposé en vente, qui porte le numéro de châssis GT/108, sorti fin février 1965 des ateliers “Ford Advanced Vehicles” à Slough en Angleterre.
Pour la partie mécanique, le Roadster GT40 embarque un V8 289 ci gavé par des carburateurs Weber, et est accolé à une boîte de vitesses Colotti à quatre rapports…, esthétiquement, l’engin arbore les fameuses jantes Borrani à rayons chaussées en Goodyear… et les entrées d’air situées derrière les portières sont spécifiques, plus évasées que celles des futures Mark 1.
Et c’est là que Max Girardo se déchaine en explications diverses, soulignant aux journaleux médusés que l’histoire devient encore plus intéressante : “Fraîchement construit, ce Roadster GT40 châssis GT/108 est envoyé aux Etats-Unis dans les ateliers californiens de Carroll Shelby (sic !). Quelques semaines à peine après avoir été testé sur le circuit anglais de Silverstone par John Whitmore et Richard Attwood futur vainqueur du Mans en 1970. Une fois outre-Atlantique, GT/108 participe à différentes exhibitions : Riverside en mars, Laguna Seca en mai et surtout Candlestick Park en août où elle officia en tant que pace-car”.
Max exulte à en baver : “Le week-end du 1er au 3 octobre 1965, le Roadster GT40 châssis GT/108 fut envoyé au Grand Prix de Formule 1 à Watkins-Glen, où Jim Clark alors fraîchement double champion du monde en prit le volant. Equipé d’un microphone, le pilote anglais en profita alors pour donner aux spectateurs du jour ses impressions de conduite sur la GT40”…
Max se calme enfin en continuant sur un ton quasi confidentiel : “Par la suite, GT/108 échappa au pire. En effet, importée initialement et officiellement… temporairement pour des tests, sa présence sur le sol américain pour une si longue période attira l’attention des douanes américaines et Ford dut se résoudre à payer 140.000 $ pour lui éviter à elle et à GT/109 de connaître le même sort que GT/110…, à savoir finir découpée et en pièces détachées”…
Des cris de douleurs se font entendre, les journaleux sont au bord des larmes, l’un d’eux, docte et érudit répond : “Les GT40 Roadster, tout prototypes fussent-ils, étaient tout de même estimés à près de 2.000.000 de dollars par l’administration américaine ! Avez-vous une explication logique que Ford n’aurait dû payer que 140.000 US$… et que les dirigeants de Ford n’auraient payés si peu que pour la seule GT/108 ?”…
Max reste sans voix…, j’en profite pour dire que c’est le 31 juillet 1969 que Ford publia une liste d’environ 10 GT40 présentes dans son stock : “C’est également à cette période que son premier propriétaire en fit l’acquisition. Afin de pouvoir utiliser son nouveau jouet sur route, celui-ci obtint de Dearborn un certificat spécial pour l’immatriculer dans l’état du Michigan. La seule entorse à la configuration originale fut le recours à une boîte de vitesses en provenance de chez ZF, en lieu et place de la Colotti d’origine…
Max me coupe la parole en criant (presque) : “Par la suite, GT/108 changea plusieurs fois de mains, mais les propriétaires successifs ont pris soin de respecter la configuration d’origine du roadster, à contrario de ses semblables. Au fil des ans, cet exemplaire participa à des réunions telles que le meeting pour les 25 ans de la GT40 à Watkins-Glen en septembre 1989, ainsi que le concours d’élégance de Pebble-Beach en 2003″…
Si aucun prix n’est affiché sur l’annonce de Max Girardo, nul doute qu’un tel exemplaire devrait, au vu de son pedigree, des illustres pilotes qui en ont pris le volant… et du battage médiatique orchestré par “Girardo & co”…, être proposé à un prix astronomique…, aux alentours de 10 millions de dollars, voire plus… ce qui assurerait au moins un bon tiers dans les poches de Max & co…
GT/108 est déjà passée sous le marteau de RM Sotheby’s en août 2014, lors de la vente de Monterey, elle a alors été adjugée hors frais à 6.930.000 US$… et GT/109, selon les informations disponibles, est actuellement en pleine restauration…, sans plus de détails.
A fond la caisse…., pied au plancher…., la route est déserte…, je conduis GT/108 du bout des doigts, sans brusquer, incluant dans mon champ de vision aussi bien ce qu’avale le capot que ce qui se déroule dans le rétro…, un vrombissement apocalyptique…, un grondement sourd… noie mes pensées, du moins celles distillées par la présentation de Max…
C’est international un beauf, sauf que celui-ci est sans doute plus défoncé au crack que les autres, va savoir…, dans le doute, je laisse toute velléité “Mad-Maxienne” au vestiaire et je longe le désert ressemble à un décor pour téléfilm, il n’y a pas de patines d’usages, pas de signes de vie, chaque instant semble souligner l’infernal quotidien d’un futur s’annonçant inévitablement gauchi, mensonger et sans guère d’échappatoire, sans guère d’humanité…
Une piste pour assassins à quatre roues du temps qui passe…, “motherfuckers” , comme on dit ici…, ok…, à donf’, ma botte droite soudain en plomb s’écrase sur la pédale d’accélérateur et GT/108 s’arrache à la pesanteur en s’enfilant vingt-cinq litres d’essence pour l’occasion…, salut et à jamais…, je continue sur ma lancée mais le compteur tombe nettement en dessous de la zone rouge…
Je me sens vraiment à l’aise, il faut que je fixe cela dans ma mémoire, afin de pouvoir m’en souvenir dans le moindre détail plus tard, quand la vie sera redevenue noire et blanche, pluvieuse et humide…, hey…, je me demande ce qu’on peut faire pour l’amener un peu plus loin, la pousser au-delà des limites, car c’est le genre de bagnole ou, aux feux rouges, personne ne dit : “Quelle jolie voiture vous avez là”..., oh non…, c’est une sale méchante tire, c’est pas la peine de demander quoique ce soit d’autre, tout est dit.
L’essai de la GT/108 se termine, les journaleux vont pouvoir baver leurs conneries…, le public ébahi oubliera une heure que le niveau de pollution bat de nouveaux records, que Trump est en vacances (et l’avenir jugera finalement qu’il avait besoin de vacances perpétuelles), avant de s’atteler à la lourde tâche de faire régresser une région du monde à l’âge de pierre à coups de bombes…, qui explosent… et la vie est belle…, merci de m’avoir lu et à un de ces quatre…